Siège de nombreux récitsmythologiques et lieu de culte dans l'Antiquité, le massif a successivement connu les influencesgrecque,romaine,byzantine etottomane. La présence desTurcs a laissé un héritage fait dereligion musulmane et de traditions culinaires et musicales orientales, mais également un passé tourmenté fait de soulèvements et d'exodes.
La vie économique des Rhodopes est largement dominée par le secteur agricole. Cependant, il existe aussi dans le massif un important secteur industriel et de services, et un secteur touristique dont l’importance ne cesse d’augmenter.
Letoponyme Rhodopes est d’originethrace.Rod-opa peut s’interpréter comme le nom primitif d’une rivière (peut-être l’actuelle rivière deDospat[1],[2], enbulgareДоспатска река,Dospatska reka, engrecΔεσπάτης,Despátis, affluent de laMesta) signifiant « eau rouillée, rougeâtre », où*rod- provient de la même racineindo-européenne que lebulgareруда (ruda, « minerai »),ръжда (răžda, « rouille »),риж (riž, « roux »), le latinrufus (« roux ») ou l’allemandrot (« rouge »).
Grotte de Snežanka près de la ville dePeštera.Ponts merveilleux.Rivière près desPonts merveilleux.
Les Rhodopes constituent la partie la plus importante du massif deMacédoine et deThrace et forment un système complexe de reliefs différents par leur altitude, leur longueur, leur largeur et leur orientation, de vallées fluviales profondes, degorges étroites et decirques naturels. À la différence d’autres chaînes de montagne de la région, les Rhodopes n’ont pas été recouvertes deglaciers pendant la dernièreglaciation.
Les limites des Rhodopes avec les massifs duRila et duPirin sont matérialisées par la vallée de laJadenica(pl), la crête deJundola(bg), la crête d’Avramovo(en), la rivière deDrešenec et la vallée de laMesta. Les versants septentrionaux des Rhodopes sont nettement plus abrupts que les versants méridionaux, où le massif descend progressivement vers la plaine de laThraceégéenne.
Les gorges les plus profondes des Rhodopes sont situées dans la partie occidentale du massif, ainsi que le site naturel ditles Ponts merveilleux (Čudnite mostove). Les étendues d’eau y sont nombreuses, comme les lacs de retenue de Dospat, de Batak, de Široka poljana, du Goljam Beglik au sud de Batak ou encore du Toškov čark. De nombreuses villes touristiques connues sont situées dans cette partie du massif, comme Smoljan, Velingrad, Devin ou Čepelare, ainsi que la station de ski dePamporovo, lemonastère de Bačkovo, les ruines de la citadelle d’Ivan Asen II au sud d’Asenovgrad, lagrotte des gorges du Diable (Djavolskoto gărlo) dans lesgorges de Trigrad, celle de Jagodina, celle du villagepomak de Vievo et bien d’autres encore. Le village le plus haut deBulgarie, Manastir, (situé à plus de 1 500 m), se trouve au pied du versant nord du mont Prespa (2 000 m). Nombre devillages-musées sont également situés dans cette zone :Široka lăka (au nord-est de Smoljan),Kovačevica (au nord-est deGoce Delčev), Momčilovci (au nord-est de Smoljan) ou encore Kosovo sur la route qui va d’Asenovgrad à Čepelare.
Le territoire des Rhodopes orientales a jadis été recouvert par la mer, tout en étant le siège d’une activitévolcanique sous-marine intense. C’est pourquoi, outre desroches sédimentaires, desroches volcaniques s’y sont également formées :andésite,rhyolite,tuf, etc. Sous l'action de ces forcesgéomorphologiques extérieures, ces roches ont donné naissance à des formes d’apparence étrange.
Les Rhodopes méridionales (grec moderne :Ελληνική Ροδόπη, Rhodopes grecques) se trouvent au nord du territoire grec[7]. Elles comprennent également l’île deThásos, qui faitgéologiquement partie des Rhodopes.
La rivièreNestos dans la partie grecque des Rhodopes.
Les Rhodopes grecques commencent à l’est du col de Roupel, sur leStrymon (Strymonas, Struma) et s’étendent vers l’est jusqu’à la plaine de l’Évros (Marica). Au sud, elles sont limitées par la côteégéenne de la région administrative (périphérie) deMacédoine-Orientale-et-Thrace, dont une des cinqpréfectures porte le nom deRhodope (Ροδόπη). Au nord, elles sont limitées par lafrontière gréco-bulgare. Les reliefs de l’île deThásos, malgré l’interruption par les eaux du golfe deKavála, font partie de l’ensemble géologique des Rhodopes.
À l’est du Kompsátos se trouvent les « Rhodopes orientales », qui s’étendent jusqu’à la rive droite de l’Évros. Au sud, elles sont limitées par la plaine deKomotiní et par la plaine du lac de Bistonis. Entre Komotiní etAlexandroúpoli, les contreforts sud du massif atteignent la côte de lamer Égée, sur le golfe de Thrace. Dans cette partie du massif, les sommets importants sont lePapíkio (1 490 m) et le Virsínis (1 267 m).
Lehorst de Thásos et les bassins d'effondrement qui l'entourent.
L’île de Thásos est la partie la plus méridionale de l’ensemble montagneux Rila-Rhodopes, dont le relief s’élève au-dessus de lamer Égée. Elle est entourée de failles gigantesques et abruptes et de bassins cristallins profonds de plusieurs milliers de mètres. Le plus important, situé au nord-ouest de l’île, est le bassin duNestos et de Prínos. À l’ouest et au sud-ouest se trouve le bassin de Thásos-Apollonía ou bassin d’Orfanós, qui se prolonge par le bassin duStrymon et le bassin deKomotiní. La masse insulaire se dresse au milieu de ces bassins, sous forme dehorst, la profondeur sous le niveau de la mer étant de 4 000 à 6 000 m, l'altitude de 1 200 m (sommets du massif de l’Ypsário ou Ypsarion). Les bassins, qui se sont remplis de sédiments auNéogène, recèlent des gisements de pétrole et de gaz naturel, exploités depuis1981, et d’autres qui n’ont pas encore été exploités[8].
Les Rhodopes disposent d’abondantes réserves en eau, et le réseau de sources et de rivières y est très dense[9]. Parmi les principales rivières, il faut citer laMesta (Nestos), qui prend sa source dans le massif duRila mais dont une partie du cours traverse les Rhodopes, surtout en territoire grec, l’Arda) (engrec Άρδας,Ardas), qui prend sa source à la frontière gréco-bulgare, traverse les Rhodopes d’ouest en est, puis l’extrême nord de lapréfecture d’Évros et va se jeter dans leMeriç Nehri (nom turc de l’Évros, enbulgare Mesta) près de la ville d’Edirne, ainsi que de plus petits cours d’eau comme la rivière deDospat ou Rata, affluent gauche de la Mesta qui débouche dans celle-ci près de Pappades (Grèce), la Văča, qui résulte du confluent, près deDevin de deux rivières (Kričim et Širokalăška reka), la Čepinska reka ou Čepinska Bistrica (Eli dere), qui prend sa source sur le mont Srebren et va se jeter dans la Marica, la Stara reka, qui prend sa source au sud du lac deBatak et va se jeter dans la Marica, ou encore la Vărbica, le plus important affluent de l’Arda, qui résulte de la confluence près deZlatograd de deux rivières (Nedelinska et Alamovska) et va se jeter dans le lac de Studen Kladenec, lui-même formé par l’Arda.
Les lacs naturels y sont peu nombreux. Les plus connus sont les lacs deSmoljan, situés à quelques kilomètres de la ville du même nom. Quelques-uns des plus grandslacs artificiels de Bulgarie sont situés dans les Rhodopes : lac de Batak sur la Mătnica, deDospat sur la rivière du même nom, de Goljam Beglik et de Široka poljana, situés un peu au nord du lac de Dospat et alimentés par plusieurs cours d’eau dont la Černa reka, deKărdžali sur l’Arda, à l’ouest de la ville du même nom, de Studen Kladenec qui lui fait suite à l’est, après la traversée de la ville, ou encore le lac de Văča sur la rivière du même nom, situé au nord de la ville de Devin. Ces barrages sont principalement utilisés pour la production d’hydroélectricité, ainsi que pour l’irrigation. Dans la partie grecque du massif, les lacs artificiels sont moins nombreux. Quatre barrages ont été aménagés sur le cours duNestos, créant ainsi un lac artificiel sur la quasi-totalité du cours du fleuve dans lapréfecture de Drama[10]. De nombreuses sources d’eau minérales connues enBulgarie se trouvent dans les Rhodopes : Devin,Velingrad,Beden au sud-est de Devin,Mihalkovo au nord de Devin, et bien d’autres encore.
La situation géographique des Rhodopes, dans la partie sud-est de lapéninsule balkanique, a une grande influence sur le climat du massif[11]. Deux influences climatiques s’y croisent : l’air froid provenant de lazone continentale au nord et l’air chaud provenant de lazone méditerranéenne. Dans les Rhodopes occidentales, l’altitude plus élevée a pour conséquence unclimat montagnard caractérisé. Cependant, le climat y est adouci par lesmasses d’air chaud pénétrant par le cours des rivières. Cet adoucissement est plus perceptible dans les Rhodopes orientales, parce que l’altitude y est plus basse et que les vallées fluviales permettent une pénétration aisée de l’air plus chaud venu du sud.
La grande variété climatique et pédologique a pour conséquence une grande variété végétale, qui font des Rhodopes le lieu de rencontre d'influences méditerranéennes, centre-européennes et alpines[12]. On trouve plus de 2 000 espèces de plantes, dont 7 espèces sontendémiques des Rhodopes, 39 endémiques deBulgarie et 85 endémiques desBalkans. 55 d'entre elles sont des espèces fortement menacées de disparition. Cela représente environ 52 % de la flore bulgare. Parmi les espèces propres aux Rhodopes, on trouveLathraea rhodopea (Dingler) dugenreLathraea,Secale rhodopaeum (Delip.) du genreSecale, lasabline des Rhodopes (Arenaria rhodopea, Delip.), la scabieuse des Rhodopes (Scabiosa rhodopensis, Stoyanoff & Stefanoff),Haberlea rhodopensis (Friv.), lelys des Rhodopes (Lilium rhodopeum, Delip.), latulipe des Rhodopes (Tulipa rhodopea, Velen.).
291 espèces d’oiseaux sont répertoriées dans les Rhodopes, soit 70 % de la faune aviaire deBulgarie. 115 d’entre elles nichent dans le massif et 97 y habitent toute l’année. 32 espèces y passent l’hiver, et 47 s’y arrêtent au cours de leur migration du nord vers le sud. 115 de ces espèces sont mentionnées par l’annexe II de laConvention de Berne sur la protection des espèces migratrices. Parmi celles-ci, 90 sont considérées comme prioritaires en Europe en matière de protection et 4 sont menacées dans le monde :aigle impérial,faucon crécerellette,râle des genêts,cormoran pygmée[14].
La faune des Rhodopes présente un nombre considérable derapaces : 36 espèces parmi les 38 existant en Europe vivent dans la partie orientale du massif[15], notamment au sein duparc national de Dadiá-Lefkími-Souflí en Grèce. Les Rhodopes orientales sont ainsi l’une des zones naturelles d’Europe les plus riches en rapaces. On y observe la plus grande concentration de rapaces diurnes du continent. Les oiseaux suivants peuvent y être observés :percnoptère,vautour fauve,faucon pèlerin, qui sont considérés comme « menacés » ou « rares » et sont mentionnés par l’annexe I de ladirective oiseaux de la Communauté européenne et par l’annexe II de laConvention de Bonn[14].
On rencontre également dans les Rhodopes 40 espèces de gros ou petits mammifères, dont 8 sont inscrites sur laliste rouge de l'UICN et 6 sur la liste rouge bulgare des espèces en danger. Parmi les espèces inscrites aux annexes I et III de la Convention de Berne, il y a lieu de mentionner leloup et l’ours brun, de même que laloutre d’Europe et leputois marbré, qui sont inscrits sur la liste rouge de l'UICN (2000). Il faut ajouter que les Rhodopes, qui se distinguent par un paysage façonné par l’homme depuis l’Antiquité, sont également une région où vivent des races uniques d’animaux domestiques comme la vache des Rhodopes (rodopsko kăsorogo govedo, littéralement « bovin des Rhodopes à cornes courtes »), la plus petite vache d’Europe (1,20 m de haut et environ 100 kg)[18], la brebis des Rhodopes centrales ou la brebis sarakatsani[19], parfaitement adaptées aux conditions locales mais menacées d’extinction.
13 espèces d’amphibiens (sur les 16 qui vivent dans le pays) vivent dans les Rhodopes. Deux d’entre eux, larainette verte et letriton crêté, sont protégées par les conventions internationales.
Pseudo-Plutarque : « Près de ce fleuve (leStrymon) sont les monts Hémus et Rhodope. Un frère et une sœur ainsi nommés s’aimaient très tendrement ; Hémus donnait le nom de Junon à sa sœur, qui, de son côté, l’appelait Jupiter. Les dieux, irrités de leur impiété, les transformèrent en deux montagnes qui prirent leur nom[20]. »
Dans un angle figurent Rhodope de Thrace et Hémus, aujourd’hui montagnes glacées, autrefois êtres mortels, qui s’étaient attribué les noms des dieux les plus grands.
Les Rhodopes sont considérées dans lamythologie grecque comme le lieu de naissance duhéros, légendaire chanteur et joueur delyreOrphée (qui, selon la légende locale, serait né dans la région deSmoljan[22]) et de sa femmeEurydice. Toujours selon la mythologie grecque, Orphée aurait été déchiré par lesménades sur le massif duPangée, aujourd'hui dans les Rhodopes grecques. Selon certains archéologues, les Rhodopes seraient effectivement le lieu d’origine duculte orphique. C'est ainsi que, près du village deTatul, environ 15 km à l’est de la ville deMomčilgrad, une tombethrace creusée dans le roc, qui fait partie d’un important complexe culturel utilisé depuis lesXIXe et XVIIIe sièclesav. J.-C. et découverte en2000, a été interprétée comme lieu de culte orphique. L’archéologue bulgareNikolaj Ovčarov suppose qu’il pourrait s’agir de la tombe d’Orphée en personne[23],[24]. Depuis, ce site figure sur toutes les cartes et tous les documents touristiques bulgares sous le nom de « sanctuaire d’Orphée » (Svetilište na Orfej). D’aucuns objectent cependant qu’il n’est pas certain que le personnage d’Orphée ait été un personnage historique. Cependant, les responsables du tourisme bulgare utilisent amplement Orphée et l’orphisme comme élément d’attraction touristique : ainsi, àTrigrad, ont lieu chaque année à la fin du mois de juillet lesMystères d’Orphée, spectacle historico-culturelnéo-païen. Legouffre dit des « gorges du Diable » (Djavolsko gărlo), dans lesgorges de Trigrad, est également appelé « grotte d’Orphée » et est considéré par une légende locale comme l’endroit où Orphée est descendu dans l’Hadès afin d’aller y chercher sa défunte épouseEurydice. De très nombreux hôtels, restaurants et ensembles musicaux de la région portent le nom d'Orphée[25].
Comme le montrent les recherches archéologiques sur de nombreux sites, les Rhodopes sont habitées depuis laPréhistoire. Le premier peuple connu dans les Rhodopes sont lesThraces. Ils y construisirent de nombreux temples et cités, comme le sanctuaire deTatul au sud-est deKărdžali, ou la ville-sanctuaire dePerperikon, au nord-est de cette même ville.
Au cours duMoyen Âge, les Rhodopes furent disputées entre l’Empire byzantin et les royaumes bulgares. Un réseau très dense de forteresses fut mis en place, destiné à surveiller les axes commerciaux et les lieux stratégiques. Les forteresses les plus importantes sont situées àLjutica près d’Ivajlovgrad (près de l’actuelle frontière grecque, à l’est deHaskovo, dans la partie la plus orientale du massif), surnommée la « cité de marbre », àUstra au nord du village d’Ustren (au sud-est deDžebel), àCepina près du village de Dorkovo, au nord-est deVelingrad, àMezek près deSvilengrad, dans l’extrême nord-est du massif, la citadelle d’Ivan Asen II (Asenova krepost) au sud d’Asenovgrad et d’autres encore[27].
Une partie importante des populations autochtones se convertit à l’islam.Il existe un débat historiographique sur la façon dont ces conversions se sont déroulées : conversions forcées et massacres des récalcitrants (position de l’historiographie bulgare officielle jusqu’à aujourd’hui) ou conversion plus ou moins volontaire de communautés villageoises qui y voyaient un intérêt social ou économique tangible (position développée par des recherches récentes)[réf. nécessaire] ? Toujours est-il que la conversion de populations autochtones a donné naissance auxPomaks, l’une desethnies qui composent lacommunauté musulmane bulgare contemporaine. La question de l’origine des Pomaks est un enjeu à la fois politique (en particulier depuis l’époque communiste) et historiographique. Étaient-ils dès le départ desSlaves (Bulgares), qui ont été islamisés (position de l’historiographie bulgare), ou des populations d’une autre origine (ils seraient à l'origine desThraces, voire des descendants slavisés desKıpçak ou desCoumans), ou encore les descendants de mouvements chrétienshérétiques tels lesbogomiles ou lespauliciens, ce qui donnerait une dimension théologique à la conversion ? Il n’en reste pas moins qu’une vague d’islamisation eut lieu dans les Rhodopes auxXVIe et XVIIe siècles, conduisant à d’importantes destructions d’églises et de monastères. Cet épisode historique, ainsi que le débat qu'il suscite jusqu'à aujourd'hui dans la société bulgare, a été traité de façon romanesque par l'écrivainAnton Dončev, dans son romanLes cent frères de Manol (titre original :Vreme razdelno, première édition1964), dont le théâtre est une vallée des Rhodopes[28],[29],[30].
À la fin de la domination ottomane, les villes et villages des Rhodopes ont pris une part importante à l’insurrection d'avril 1876. La répression féroce qui s’abattit sur la région conduisit à de nombreux massacres, dont lemassacre de Batak, perpétré par desbachi-bouzouks manifestement incontrôlés. Les Rhodopes septentrionales furent libérées de la domination ottomane lors de laguerre russo-turque de 1877-1878, mais les Rhodopes méridionales restèrent ottomanes, même si, en vertu dutraité de San Stefano, leur partie occidentale devait passer sous souveraineté bulgare. Les Rhodopes bulgares firent partie de la province autonome deRoumélie orientale, jusqu’à son intégration en1885 à la principauté deBulgarie. Certaines localités pomaques s'efforcèrent cependant de rester indépendants dans le cadre de laRépublique de Tămrăš, qui fut cependant rendue à l'Empire ottoman après l'unification de la principauté de Bulgarie et de la Roumélie orientale. Cette rétrocession fut sanctionnée par la signature en1886 de laconvention de Tophane. La partie méridionale du massif fut annexée par la Bulgarie lors de laPremière Guerre balkanique (1912-1913), malgré une éphémère tentative de république (Gouvernement provisoire de Thrace occidentale d'août à), mais la partie occidentale fut annexée par laGrèce après laDeuxième Guerre balkanique (1913)[31].
Carte ethnographique duVilayet d'Édirne vers1912 (document bulgare). Vert : Bulgares, rouge : Turcs, brun : Grecs.
LaBulgarie, alliée desEmpires centraux pendant laPremière Guerre mondiale, perdit ce qui lui restait des Rhodopes méridionales, notamment son accès à lamer Égée àAlexandroúpoli (en bulgareDedeagač), en vertu dutraité de Neuilly, qu’elle fut obligée de signer avec lesforces de l’Entente le. Entre1941 et1944, la Bulgarie, alliée de l’Allemagne nazie, occupa de nouveau la Thrace occidentale (dont la région la plus orientale des Rhodopes du sud). À la suite de tous ces conflits perdus par la Bulgarie, la population bulgare (en grande partiepomak) des Rhodopes méridionales émigra, surtout vers la Bulgarie et laTurquie. Après laguerre gréco-turque de 1919-1923 qui conduisit à un « échange de populations » avec la Turquie (en vertu dutraité de Lausanne de 1923), une grande partie de la population grecque fuyant l’Asie mineure et la Turquie d’Europe fut installée dans des régions à fort peuplement bulgare. La dernière grande vague d’émigration eut lieu au moment de laguerre civile grecque (1946-1949).
Les Rhodopes bulgares, comme le reste du pays, furent soumis aurégime communiste qui, après1944, y imposa notamment lacollectivisation de l’agriculture et des autres secteurs économiques. Il organisa également uneindustrialisation systématique, et donc le départ des villageois vers les villes[31]. Le régime procéda à d’importants aménagements industriels dans la région, notamment à la construction debarrages : Studen Kladenec (inauguré en1958) etKărdžali (1963) sur l’Arda, mais aussi deDospat,Batak,Ivajlovgrad (1964) ou Văča, dont le mur de barrage est le plus élevé de Bulgarie (144,5 m)[32]. Le régime communiste eut une politique particulièrement répressive envers les communautés musulmanes, surtout les Turcs, qui, dans la deuxième moitié des années1980, furent contraints, au cours de ce que la propagande d’État appela à l’époque le « processus de régénération nationale » (văzroditelen proces), de changer leurs noms turcs en noms bulgares ou de s’expatrier. L’oblast de Kărdžali vit ainsi partir de nombreux habitants turcophones, en particulier au cours de l’année1989, pendant laquelle plus de 300 000 Bulgaro-Turcs quittèrent laBulgarie pour émigrer enTurquie[33].
Région peu peuplée, les Rhodopes sont aussi, par leur histoire, une aire de grande diversité ethnique et religieuse. Dans la partie bulgare vivent, outre les Bulgaresorthodoxes, de fortes communautésmusulmanes, dont lesPomaks qui se qualifient plus volontiers de « Musulmans bulgares »[34], surtout installés dans les localités de la partie occidentale du massif, où ils se réclament d’ailleurs parfois de l’identité turque, ainsi que lesTurcs de Bulgarie, surtout installés dans la partie orientale. Dans l’oblast deKărdžali, la majorité des habitants (61,6 %) se considéraient lors du recensement de2001 commeTurcs, soit 101 116 personnes[35] : il s’agit de la plus importante concentration de population turque en Bulgarie, environ un septième des 746 664 personnes ayant déclaré appartenir à cette ethnie en 2001. Le nombre de Pomaks de Bulgarie est évalué à 131 531 personnes par la statistique officielle, la grande majorité d’entre eux habitant dans les Rhodopes[36]. Ce chiffre est cependant considéré par certains spécialistes comme inférieur à la réalité[37]. Malgré des campagnes de christianisation menées depuis1990 par certains représentants de l'Église orthodoxe bulgare, les différentes communautés religieuses vivent en bonne entente[38].
Vue de la ville deDospat, majoritairement peuplée dePomaks.
Dans les Rhodopes grecques, lesGrecs orthodoxes sont aujourd’hui majoritaires, mais une minorité musulmane importante (composée surtout deTurcs et dePomaks) demeure et rappelle l’histoire mouvementée de la région. Les musulmans sont majoritaires dans lapréfecture de Rhodope (51,77 %) et constituent une minorité importante dans lapréfecture de Xánthi (41,19 %). Dans lapréfecture d’Évros, ils représentent 4,65 % de la population[39]. Le nombre des Pomaks de Grèce est évalué à environ 36 000 personnes, 23 000 dans lapréfecture de Xánthi, 11 000 dans lapréfecture de Rhodope, 2 000 dans la préfecture d’Évros[40]. Ce chiffre semble être admis par la plupart des spécialistes. Il faut cependant souligner que les bulgaro-musulmans des Rhodopes grecques sont considérés comme une population « à risque » par les autorités grecques.Les villages bulgarophones situés près de la frontière entre les trois États (Grèce-Bulgarie-Turquie), dans la préfecture d’Évros, ont été soumis jusqu'à la fin des années1990 à une administration militaire et interdits d’accès aux personnes extérieures, sauf autorisation spéciale délivrée par le Ministère de la Défense[41]. La langue des Pomaks de Grèce, fortement influencée par leturc, a tendance à s’éloigner dubulgare standard[42]. Un troisième groupe de population musulmane des Rhodopes est constitué par lesYiftis,Roms musulmans, dont le nombre est très difficile à déterminer à cause de leur tendance marquée au syncrétisme religieux (ils seraient plus de 100 000 dans l’ensemble de la Bulgarie). Du côté grec, environ 50 000Turcs vivent en Thrace occidentale, dans les trois préfectures déjà évoquées[43]. En accord avec letraité de Lausanne de 1923, les musulmans de Thrace constituent l'unique minorité nationale reconnue parl'État grec[44].
Après la fin du régime communiste, l’oblast de Kărdžali devint le plus solide bastion duMouvement des droits et libertés (Dviženie za prava i svobodi, DPS), parti qui représente sur l’échiquier politique bulgare la minorité turque et plus généralement musulmane. Lors des élections législatives de2005, le DPS a obtenu 65,32 % des voix dans l’oblast de Kărdžali et 5 mandats[45],[46], ce qui constitue de très loin son meilleur score régional. 53,99 % des Bulgares de l’étranger ont voté pour le DPS lors de cette élection, pour la plupart des Bulgaro-Turcs émigrés en Turquie[47]. Cette tendance s'est confirmée lors desélections européennes de 2007[48]. Le DPS gouverne la ville de Kărdžali depuis2003, date d’élection de l’actuel maireHasan Azis. Il gouverne aussi àDospat, ainsi que dans de nombreuses localités des Rhodopes orientales commeKrumovgrad,Ardino,Džebel ouMomčilgrad. Dans les autresoblasti des Rhodopes, ou situées partiellement sur le territoire du massif, c’est la Coalition pour la Bulgarie, alliance dominée par leParti socialiste bulgare (BSP), qui l’a nettement emporté en 2005. Le BSP contrôle à l'heure actuelle (2008) les mairies deBatak,Smoljan,Velingrad,Madan,Ivajlovgrad etČepelare. Son implantation est donc surtout centrée sur les Rhodopes occidentales. Le nouveau parti du maire deSofia,GERB, gouverne quant à lui àHaskovo,Asenovgrad etRudozem[49].
Joueur dekaba devant l'entrée de la grotte de Trigrad.
Les Rhodopes sont connues pour leurmusique traditionnelle, vivante jusqu’à nos jours. Musiques et chants, d’une grande richesse, se distinguent notamment par de longues mélopées d’un grand lyrisme et d’une grande tristesse. L’instrument le plus utilisé est lagajda, unecornemuse à un seulbourdon jouée dans tous lesBalkans, appelée dans les Rhodopeskaba (mot turc signifiant « majestueux »), parce qu’elle est accordée plus bas. On trouve également latamboura (sorte deluth proche dubouzouki), ainsi que lekaval (flûte oblique diatonique)[50].
Les Rhodopes sont connues pour leurs produits naturels et leur cuisine roborative. Le plat festif le plus connu des Rhodopes bulgares est lečeverme (duturcçevirme, « mouvement tournant »), agneau cuit à la broche comparable au méchoui d’Afrique du nord, qui ne manque à aucun festin. Dans les grandes occasions, on sert également lekurban, soupe à la viande d’agneau ou de bœuf préparée à la maison et proposée à la famille et au voisinage. Lekačamak est un autre plat très populaire, sorte depolenta servie sous forme de pain rond, ou en boule, accompagnée de beurre fondu, de fromage, de viande ou de lard. Lepatatnik est un plat typique des Rhodopes, sorte de gratin de pommes de terre, d’œufs et d’oignons, préparé avec de lamenthe verte ou d’autres épices. Lessarmi (duturcsarma dolma) sont préparées dans les Rhodopes avec des feuilles dechou farcies auxbetteraves. Leklin est unebanica (prononcerbanitsa) farcie au riz mêlé de légumes, en général desépinards, de l’oseille ou dupotiron. Les Rhodopes sont riches en produits alimentaires qui ont fait leur réputation. Outre les pommes de terre (on y trouve des variétés anciennes pratiquement disparues dans le reste de l’Europe), la région est connue pour ses haricots, en particulier ceux de Smiljan (village proche deSmoljan), d’une taille imposante[51].
Charrette à cheval et panneau de financement européen près de Devin. Les Rhodopes bénéficient depuis de nombreuses années des programmes d'infrastructure de l'Union européenne.
Le mondeagricole des Rhodopes bulgares, déjà malmené par la politique d’industrialisation forcée du régime communiste, a été touché de plein fouet par la politique de privatisation et de restitution des terres conduite par les gouvernements bulgares après le tournant de1989-1990. Les restitutions systématiques ayant très souvent été faites au profit de descendants des communautés villageoises habitant depuis longtemps dans les villes et n’ayant pas l’intention de cultiver la terre, les friches se multiplièrent. La taille restreinte des exploitations ne suffisant pas à faire vivre des familles, le monde rural de la région, comme ailleurs dans la campagne bulgare, connut une nouvelle crise. De nombreuses familles émigrèrent dans les villes ou à l’étranger, et ceux qui demeurèrent sur place se remirent à pratiquer une agriculture de subsistance. Cela explique la forte présence de latraction hippomobile (charrettes tirées par desânes, deschevaux ou desmulets) que l’on observe dans les Rhodopes comme dans d’autres régions de Bulgarie.
Les activités agricoles principales sont l’élevage, l’exploitation forestière et la culture dutabac. L’élevage bovin est surtout présent dans les Rhodopes occidentales. Dans les Rhodopes orientales, à forte population musulmane, l’élevage porcin est assez rare et l’élevage ovin, caractéristique de la région, domine. Au milieu duXVIe siècle, sous l'Empire ottoman, la région deDžebel dans les Rhodopes est le premier lieu de production de tabac en Bulgarie, avant qu'elle ne se répande dans le reste du pays[52]. À l'époque, les musulmans le cultivaient uniquement pour eux-mêmes, et c'est après l'indépendance de la Bulgarie que débuta l'exportation, tout d'abord à destination de l'Égypte, en 1893[52]. On exploite dans les Rhodopes des tabacs orientaux très aromatiques, surtout dans les régions deDžebel,Madan,Ardino,Haskovo, et dans une moindre mesure dans celles deKărdžali,Smoljan etDevin. Le tabac est un enjeu politique important enBulgarie, car le parti de la minorité musulmane (DPS) protège les producteurs qui constituent pour lui une importante manne électorale. C’est pourquoi il a, jusqu’à présent, empêché laprivatisation de laholding d’ÉtatBulgartabak[53].
Le plus grand desPonts merveilleux, l’une des plus importantes attractions touristiques des Rhodopes.Le pont du Diable près d’Ardino (XVe siècle).
Le poids économique dutourisme n’a cessé de s’accroître depuis1989.Pamporovo etČepelare sont les principaux centres desports d’hiver, et pendant l’été, un grand nombre d’implantations touristiques proposent des refuges et terrains de camping près des lacs ou dans les vallées. De nombreusesgrottes constituent des attractions touristiques populaires, dont beaucoup se trouvent le long de la frontière gréco-bulgare : Jagodina, Uhlovica près du village de Mogilica, gorges du Diable près deTrigrad, Snežanka près dePeštera, et d’autres lieux bien connus desspéléologues, proposant des formes spectaculaires, ainsi que des rivières et lacs souterrains. Les sites historiques tels que les ruines des châteaux ou les sitesthraces commePerperikon ouTatul, ainsi que les villages dans le style de laRenaissance bulgare (XVIIIe etXIXe siècles) commeLeshten,Kovachevitsa, et les monastères sont également visités par de nombreux touristes bulgares et étrangers[54].
Cet article utilise le système de l'Organisation des Nations unies de translittération de l'alphabet cyrillique (également appelé « système scientifique de translittération »), le seul qui constitue une norme scientifique internationalement reconnue.
↑Une carte de la partie centrale des Rhodopes se trouve à l'adresse :[1] (consulté le 28 août 2008).
↑Cf. la carte des Rhodopes occidentales :Родопи – западна част, туристическа карта 1:100 000 (Rodopi – zapadna čast, turističeska karta, Rhodopes – partie occidentale, carte touristique), Sofia, Kartografija EOOD, 2008(ISBN9789544580087).
↑Cf. la carteРодопи – източна част, туристическа карта 1:100 000 (Rodopi – izjtočna čast, turističeska karta, Rhodopes – partie orientale, carte touristique), Sofia, Kartografija EOOD, 2005(ISBN9789544580513) et leBgglobe.net (consulté le 4 décembre 2008).
↑Cf. la carteБилките в България. Къде, кога и как да берем билки. М 600 000. София, Картография ЕООД, без дата (Bilkite v Bălgarija. Kăde, koga i kak da berem bilki. M. 600 000. Sofija, Kartografija EOOD, bez data) :Les herbes médicinales en Bulgarie. Où, quand et comment cueillir des herbes, échelle 600 000e, Sofia, Kartografija EOOD, sans date(ISBN9789544580421).
↑Un film semi-documentaire du metteur en scène et producteur Silijan Ivanov,La vérité sur Orphée (Istinata na Orfej), présenté au public bulgare le 4 juillet 2008, semble participer de cet engouement bulgare pour le légendaire chanteur - cf.(bg + en)Société de production Dodofilms etclip de présentation sur You Tube (sites consultés le 30 août 2008).
↑Sur l'histoire médiévale des Rhodopes avant la conquête ottomane, cf.(fr) Catherine Asdracha,La région des Rhodopes auxXIIIe et XIVe siècles : étude de géographie historique. Préface de Nicolas G. Svoronos.Texte und Forschungen zur Byzantinisch-Neugriechischen Philologie ; Nr. 49. Athènes : Verlag der Byzantinisch-Neugriechischen Jahrbücher, 1976, 294 p.
↑Sur le« processus de régénération nationale » et la « grande excursion » de 1989, cf. Михаил Груев, Алексей Кальонски,Възродителният процес. Мюсюлманските общности и комунистическият режим, София, Институт за изследване на близкото минало, Фондация „Отворено общество“, Сиела, 2008. (Mihail Gruev, Aleksej Kaljonski,Văzroditelinijat proces. Mjusjulmanskite obštnosti i komuničeskijat režim, Sofija, Institut za izsledvane na blizkoto minalo, Fondacija „Otvoreno obštestvo“, Siela, 2008 :Le processus de régénération. Les communautés musulmanes et le régime communiste., Sofia, Institut d'histoire du temps présent, FondationOpen Society, Siela, 2008)(ISBN978-954-280-291-4). Présentation en anglais de l'ouvrage surВъзродителният процес, site de l'Institut d'histoire du temps présent (consulté le 4 décembre 2008).
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