Lacivilisation carthaginoise oucivilisationpunique[2] est une anciennecivilisation située dans lebassin méditerranéen et à l'origine de l'une des plus grandes puissances commerciales, culturelles et militaires de cette région dans l'Antiquité. Sa capitale et berceau estCarthage sur le territoire de laTunisie actuelle.
Résultant de la fusion entre la culture qu'apportèrent avec eux les colonsphéniciens et la culture autochtone desLibyens en Afrique[3], la civilisation carthaginoise a cependant toujours conservé son aspect oriental[4], si bien qu'il n'est ainsi pas aisé de distinguer ce qui relève des Puniques de ce qui relève des Phéniciens dans le produit des fouilles archéologiques[5], dont le dynamisme depuis lesannées 1970 a ouvert de vastes champs d'études où apparaît l'unité de cette civilisation en dépit de particularismes locaux.
Malgré les nombreuses fouilles archéologiques réalisées, de nombreuses inconnues sur la civilisation non matérielle perdurent en raison de la nature des sources écrites : toujours secondaires car toute lalittérature punique a disparu, lacunaires et souvent subjectives car issues des peuples ayant eu à les combattre, Grecs et Romains.
La date de la fondation deCarthage parDidon, une princessetyrienne, a toujours fait l'objet d'un débat, non seulement durant l'Antiquité mais encore de nos jours. Deux traditions antiques se sont affrontées : la plus diffusée la situait en814av. J.-C., à la suite d'écrits deTimée de Tauroménion dont il ne reste que des fragments[9] réutilisés par d'autres auteurs. L'autre légende plaçait quant à elle la naissance de Carthage à peu près à l'époque de laguerre de Troie (soit aux alentours duXIIe siècle av. J.-C.), tradition reprise parAppien[10].
Les fouilles archéologiques n'ayant rien livré d'une date aussi ancienne, certains historiens ont émis l'hypothèse d'une fondation beaucoup plus tardive (vers670av. J.-C.), voire d'une double fondation, un comptoir ayant précédé la naissance de la cité au sens strict selonPierre Cintas. Les historiens les plus récents se fondent sur l'analyse des annales deTyr, utilisées comme source parMénandre etFlavius Josèphe, pour accepter une datation autour du dernier quart duIXe siècle av. J.-C.
À l'époque des premières installations phéniciennes, l'Afrique du Nord est occupée par des populationslibyennes importantes, dont la continuité avec lesBerbères duMaghreb a été défendue parGabriel Camps. Il a été considéré qu'il y avait un hiatus chronologique trop important et surtout des vagues d'invasions successives trop nombreuses pour n'avoir pas marqué les populations locales de façon durable, avant l'arrivée des Phéniciens, ces populations berbères ne se définissaient pas elles-mêmes comme un seul et même peuple uni : durant toute leur histoire, ils ont été divisés en plusieurs tribus, et d'aprèsGabriel Camps ils devaient plutôt s'identifier en référence à ces dernières. À partir duVIIIe siècle av. J.-C., lesPhéniciens installent descomptoirs partout à travers l'Afrique du Nord dont le plus prospère estCarthage, et colonisent ces différents peuplesberbères. LesÉgyptiens mentionnent les Libyens sous le nom deLebou dès leXIIe siècle av. J.-C. comme étant les populations situées immédiatement à l'ouest de leur territoire.
LesPhéniciens vont immigrer massivement et leur poids démographique et culturel va se faire ressentir ; en parallèle, une minorité de Phéniciens vont se métisser avec les populations berbères, ce qui donnera naissance auxLibyphéniciens. Ils sont mentionnés pour la première fois parHécatée de Milet, cité parÉtienne de Byzance. Un texte très controversé, lePériple d'Hannon, les mentionne.Polybe les considère comme des sujets des Carthaginois ayant les mêmes lois qu'eux en tant que métis phénicien-berbère. PourDiodore de Sicile (XX, 55, 4), il s'agirait d'habitants des villes maritimes qui possédaient leconubium (droit de mariage) avec les Carthaginois et devaient leur nom à ce mélange d'ethnies[11],Tite-Live les considère comme un mélange de Puniques et d'Africains.Strabon, (XVII, 3, 19) place leur origine entre le littoral carthaginois et les montagnes deGétulie.Pline (Histoire naturelle, V, 24) dit qu'ils habitent leBuzakion, ce que précise peut-êtrePtolémée qui les situe au sud de la région deCarthage et au nord de laBuzakitis. En fait, cesLibuphoinikès (locuteurs d'une langue libyenne) étaient limités au sud de Carthage[11]. Leur influence culturelle est importante puisqu'ils sont les intermédiaires culturels entre la civilisation phénicienne (punique) et lesBerbères.
Les Phéniciens créent les premières villes de l'ouest de l'Afrique du Nord commeVolubilis,Utique,Carthage, etc.
Il est très difficile de distinguer, à partir des fouilles archéologiques menées dans l'ensemble du domaine phénico-punique, ce qui relève des Phéniciens de ce qui relève des Puniques. Ainsi, les archéologues ne signalent pas de rupture comme pour certains sites anciens (Bithia etNora enSardaigne). La fondation d'Ibiza, traditionnellement datée de675av. J.-C., a donc pu être le fait des uns comme des autres.
L'« empire » punique, dont la formation et le fonctionnement ne relèvent pas d'unimpérialisme au sens strict, est désormais considéré comme une sorte deconfédération des colonies préexistantes derrière la plus puissante d'entre elles au moment du déclin de la cité mère, Tyr. Carthage aurait été chargée d'assurer la sécurité collective et la politique extérieure, voire commerciale, de la communauté.
Les Phéniciens d'Occident puis les Puniques ont eu des relations précoces avec d'autres civilisations, surtout lesÉtrusques, avec lesquels des liens commerciaux se tissent[15]. L'archéologie témoigne de ces échanges, avec en particulier leslamelles de Pyrgi deCaere et certaines découvertes effectuées dans les nécropoles carthaginoises : vases de production étrusque ditsbucchero mais aussi inscription en étrusque sur laquelle un Carthaginois se présente[16]. L'alliance avec lesÉtrusques a aussi visé à entraver l'expansion des Phocéens d'Occident, l'opération aboutissant à la défaite phocéenne d'Alalia[17]. À partir du déclin des Étrusques, l'alliance devient cependant inopérante.
Antagonisme avec les Grecs : les guerres siciliennes
Possessions de Carthage en Afrique au temps de l'invasion d'Agathocle.
La prospérité de Carthage, liée au commerce maritime, entraîne une rivalité avec lesGrecs sur leterritoire sicilien. C'est pourquoi l'île reste longtemps une zone d'affrontements locaux, dus à la volonté des protagonistes d'implanter des comptoirs ou des colonies sur ses côtes.
Vers410av. J.-C., Carthage s'est remise de ce revers ; son implantation africaine est plus puissante, et les expéditions lointaines d'Hannon et d'Himilcon confortent sa maîtrise des mers.Hannibal de Giscon prend alors pied en Sicile en409av. J.-C. et remporte des victoires localisées qui ne touchent cependant pas Syracuse. En405av. J.-C., la seconde expédition est plus difficile, le chef de l'armée ayant succombé à une épidémie depeste lors du siège d'Agrigente. Himilcon, qui succède à Hannibal, parvient à négocier avec Denys une cessation des hostilités qui est davantage une trêve qu'une paix réelle. Dès, Denys attaque en effetMotyé, qui tombe mais est reprise par la suite. Un nouveau siège a lieu devant Syracuse et dure jusqu'en396av. J.-C., année où la peste oblige sa levée. La guerre continue durant soixante ans entre les belligérants. En, l'armée carthaginoise reste cantonnée uniquement au sud-ouest de l'île.
En,Agathocle de Syracuse s'empare deMessine et, en, envahit les derniers comptoirs carthaginois de Sicile.Hamilcar mène la riposte ; en310av. J.-C., il contrôle la quasi-totalité de la Sicile et met le siège devant Syracuse. L'expédition menée par Agathocle sur le continent africain représente une victoire puisque Carthage est contrainte de rappeler son armée pour défendre son propre territoire ; la guerre dure trois années et s'achève par la fuite d'Agathocle.
Au cours des cinquante années qui suivent, Carthage rembourse de façon régulière le lourd tribut, mais en même temps elle se dote d'équipements coûteux, tels que lesports puniques dans leur dernier état de développement. La cité semble avoir retrouvé à cette époque une prospérité certaine, corroborée par la construction de programmes édilitaires concertés comme celui du quartier punique deByrsa (lié ausuffétat d'Hannibal Barca).
Pourtant, face au relèvement de la cité et à la fin du paiement du tribut, Rome impose aux Carthaginois d'abandonner la ville et de se retirer dans l'arrière-pays et, partant, de renoncer à leur identité maritime[21]. À ce propos,Velleius Paterculus a écrit que « Rome, déjà maîtresse du monde, ne se sentait pas en sûreté tant que subsisterait le nom de Carthage »[22]. Le refus logique qui suit cette intransigeance entraîne letroisième et dernier conflit. Celui-ci, marqué par lesiège de Carthage, dure trois années. À son terme, même si du sel n'a pas été répandu sur le sol ainsi que l'historiographie de la fin duXIXe et du début du XXe siècle le relate[23], la destruction de la ville est totale et unemalédiction jetée sur son site, lequel est déclarésacer. Carthage n'existe plus comme entité politique, mais longtemps perdurent des aspects de sa civilisation, essaimés en Méditerranée : éléments religieux, artistiques et linguistiques, voire institutionnels en Afrique du Nord.
Les sites occupés par les Phéniciens puis les Puniques, tournés vers la mer pour assurer la liaison avec les routes commerciales, devaient également garantir la sécurité des habitants en les protégeant d'un arrière-pays qui pouvait leur être hostile. Cette sécurité était naturellement assurée sur une île, comme àGadès ouMotyé, mais également, bien que dans une moindre mesure, sur unepresqu'île ou un espace entouré decollines rendant, en cas d'attaque, sa défense plus aisée. De ce point de vue, l'excellence du site deCarthage explique qu'il ait été vanté par plusieurs auteurs anciens[24], notammentStrabon qui comparait le site à un « navire à l'ancre ». Cependant, la qualité protectrice du site naturel ne pouvait suffire, ce qui impliquait qu'on la renforce par des aménagements supplémentaires, comme à Motyé : l'île est ainsi ceinturée par une muraille, une chaussée permettant de rejoindre la terre ferme et de faciliter l'approvisionnement.
Carthage, la ville principale : caractères généraux
Selon la légende[25], Carthage se serait développée à partir de la colline deByrsa, citadelle et centre religieux, puis étendue dans laplaine côtière et sur les collines au nord, avec le faubourg de Mégara (aujourd'huiLa Marsa) qui semble avoir été construit d'une manière plus anarchique que le reste de la ville ; il s'agit peut-être du faubourg le plus récent et celui-ci n'aurait donc pas eu le temps de se structurer. Car, à l'exception de Mégara, Carthage a été aménagée selon un plan assez ordonné, aux rues rectilignes, sauf sur les collines où l'urbanisation a tout de même été pensée. Globalement, la plaine était quadrillée par les rues, l'agora et les places faisant le lien avec les rues qui rayonnaient vers les collines. La cité était entourée d'épaisses murailles de blocs d'une pierre blanche qui la rendait lumineuse et visible de loin. Les fouilles du quartier dit de Magon ont permis d'étudier l'évolution des structures défensives et urbanistiques sur une longue durée[26].
La cité était donc conçue selon un plan qui suggère que les Grecs pourraient ne pas être exclusivement à l'origine desplans urbains rectilignes ordonnés sur deux axes, se croisant perpendiculairement en leur centre, communs à la plupart des cités du monde antique. Le quartier dégagé sur la colline de Byrsa a été bâti selon un plan orthogonal, laissant apparaître l'aspect organisé de l'urbanisme. Les rues, pavées et droites mais faites de terre battue sur les collines, se recoupaient à angle droit[27].
Par pragmatisme, le relief est pris en compte dans les axes des rues qui changent, avec adjonction de volées d'escaliers ; de larges marches étaient aménagées là où le relief du terrain les rendait nécessaires. Ses quartiers d'habitations étaient en partie édifiés au moyen d'une sorte deciment mêlé à des tessons decéramiques, ce mélange étant utilisé pour le sol des pièces ou l'élévation des murs. Les maisons étaient pourvues de couloirs et des escaliers en bois permettaient de monter dans les étages. Les habitations étaient alimentées en eau par desciternes souterraines recueillant l'eau de pluie, à partir d'une cour centrale, grâce à descanalisations. Il n'y avait pas de réseau d'égouts mais des sortes defosses septiques.
Parmi les principaux éléments de la cité figurent l'agora, les ports marchand et militaire, des boutiques et échoppes diverses, des entrepôts, des quartiers d'artisans en périphérie (comme celui des potiers), des places de marchés, desnécropoles (dont plusieurs situées entre les habitations et la plaine, et d'autres plus haut sur les collines) ainsi que des temples. Le tout était couronné par la citadelle centrale sur la colline de Byrsa, qui accueillait aussi les principaux temples, commecelui d'Eshmoun.
Carthage était une grande cité cosmopolite de l'Antiquité, où vivaient des Phéniciens et où se côtoyaient Grecs,Berbères d'Afrique du Nord, Ibères d'Espagne et autres peuples issus des territoires carthaginois d'outre-mer via les côtes de l'océan Atlantique ou les routes desoasis, routes reprises plus tard par les Romains. Les mariages mixtes n'y étaient pas rares, contribuant à développer une civilisation particulière.
Gadès et Utique (sur le territoire de l'actuelle Tunisie) furent fondées par les Phéniciens entre leXIIe et leXe siècle av. J.-C. Carthage a pour sa part été fondée sur unepresqu'île entourée delagunes au nord-est de l'actuelleTunis. Au sommet de sa gloire, la cité compte 700 000 habitants si l'on en croitStrabon, un géographe grec duIIe siècle av. J.-C.
Même si le type de liens entre Carthage et les diverses composantes de ses possessions nous échappe très largement, la métropole se chargeant sans doute des relations diplomatiques et du commerce,Sabatino Moscati a pu considérer l'« incapacité[de Carthage] à créer un empire solide et structuré » comme une cause de sa défaite finale[28].
Les auteurs anciens ont longuement évoqué les murailles des cités puniques à l'occasion de la relation des sièges subis par certaines d'entre elles[29]. Outre les citadelles des cités principales existaient également desforteresses destinées au contrôle d'un territoire donné[30]. Les fouilles archéologiques ont largement confirmé la diffusion dans tout l'espace punique du modèle de la ville avec enceinte fortifiée, du moins dans l'état actuel des recherches[30]. Les fouilles du quartier Magon de Carthage ont mis en évidence le tracé de la muraille de la cité, au travers de laquelle une porte était percée, du côté de la mer.
Les Puniques ont réutilisé dans certains cas des murailles antérieures, comme à Eryx en Sicile, et leurs propres forteresses ont parfois servi de soubassement à d'autres éléments fortifiés, comme àKélibia dans la péninsule ducap Bon.
Certains sont connus par les sources littéraires, ainsi letemple d'Eshmoun, le plus grand sanctuaire de Carthage, qui était situé selon Appien en haut de l'acropole, à laquelle on a identifié la colline Saint-Louis, rebaptiséeByrsa. Cependant, le sommet totalement arasé à l'époque romaine a entraîné la perte de l'ensemble de ses vestiges[39]. Le temple deMelqart à Gadès est quant à lui très longtemps réputé, jusqu'à l'époque romaine.
Le sanctuaire d'Astarté à Tas Silg, à Malte, succédant à un espace cultuel indigène, est également célèbre. Les fouilles de Carthage ont permis par ailleurs de dégager des espaces cultuels plus modestes, aux abords de l'actuelle gare duTGM de Salammbô à Carthage, mais aussi en bordure du village deSidi Bou Saïd. Il semblerait aussi que la campagne internationale de l'Unesco ait retrouvé le temple dit d'Apollon à la lisière de l'espace utilisé par l'agora, auquel il faudrait associer nombre destèles découvertes dans les environs auXIXe siècle et attribuées autophet[40].
Lesanctuaire rural de Thinissut (actuelle Bir Bou Regba), quoique daté du début de l'Empire romain, possède tous les caractères des sanctuaires orientaux, tant par son ensemble de cours juxtaposées que par son mobilier de statues de terre cuite, dont la représentation deBa'al Hammon[41]. Le tophet est une structure que l'on retrouve sur de nombreux sites de Méditerranée occidentale et situé à l'écart de la cité, voire dans un lieu insalubre, dans le cas de Carthage. L'aire se présente comme un espace occupé peu à peu par des dépositions d'urnes et de stèles, et que l'on recouvre de terre afin de continuer à l'utiliser[42]. L'étude de la structure a entraîné depuis les origines un débat très virulent, qui persiste encore, les fouilles ne parvenant pas à mettre un terme aux polémiques issues de certaines sources classiques. Selon certains auteurs, on aurait là un sanctuaire et un cimetière.
Les fouilles deKerkouane et des deux quartiers puniques de Carthage, ceux de Magon et d'Hannibal, ont mis en évidence des quartiers organisés selon unplan en damier et disposant de larges rues.
L'organisation de la maison punique est désormais bien connue. L'entrée des habitations du quartier de Byrsa, baptisé quartier Hannibal, est très étroite, un long couloir menant à une cour possédant un puisard et autour de laquelle s'ordonne la bâtisse. À l'avant se situait un espace consacré, selon certaines interprétations, au commerce ; un escalier conduisait à l'étage. Différentes sources, en particulier Appien, affirment que les bâtisses possédaient six étages[43], les traces archéologiques ayant confirmé la présence de plusieurs étages mais avec une interrogation sur leur nombre[44].
Certaines demeures apparaissent plus somptueuses que les autres, en particulier une villa àpéristyle dans le quartier de Magon. On observe la même distinction dans les constructions de Kerkouane avec le bel exemple de la villa de la rue de l'Apotropaion. L'organisation des maisons a fait dire àM'hamed Hassine Fantar que l'on avait là un modèle oriental, avec une appropriation de substrats libyens. La question de l'eau dans le monde punique est de la responsabilité de chacun, les maisons individuelles étant pourvues deciternes qui aident aujourd'hui les archéologues dans l'étude de la topographie urbaine. Enfin, on a retrouvé de nombreuses baignoires-sabots sur le site de Kerkouane.
L'architecture funéraire est le premier élément à avoir été étudié dès la fin duXIXe siècle, en particulier à Carthage, les exhumations donnant lieu à de véritables cérémonies mondaines[45]. La localisation en arc de cercle de cesnécropoles[46] a permis de circonscrire la cité punique et d'examiner les variations de son périmètre.
Les archéologues ont remarqué une certaine typologie des tombes, généralement creusées dans la roche et non construites, soit selon un type de tombe à puits simple aveccercueil au fond ou à étage, ou bien comprenant un escalier menant à un puits. Le mode de l'inhumation prédomine largement, sauf à certaines périodes comme l'a montré la fouille de lanécropole punique de Puig des Molins.
Le mobilier et la décoration de ces sépultures sont stéréotypés :poteries,talismans,bijoux, pierres, usage de l'ocre rouge (symbole du sang et donc de la vie), œufs d'autruche peints (symbole de la renaissance) ou encore miniatures de mobilier enargile. Le cercueil est souvent enduit deplâtre. Unsarcophage de bois, dans un état exceptionnel de conservation, a été découvert à Kerkouane mais cet exemple reste unique à ce jour. Diverses tombes ont été ornées de décorations peintes, ainsi celles des tombes du Djebel Mlezza au cap Bon, qui ont pu apparaître comme symbolisant la croyance punique en un au-delà, l'âme du défunt effectuant une sorte de voyage : selonFrançois Decret, « pour ce peuple de marins, la Cité céleste était le dernier port où aborder »[47].
Série de tombes puniques
Tombes puniques à puits du parc des thermes d'Antonin de Carthage.
Peu de vestiges de l'architecture punique ont subsisté en élévation du fait de l'application du principeDelenda Carthago, mais plusieurs caractéristiques peuvent se dégager des recherches archéologiques. Les fouilles de Carthage, en particulier celles du quartier d'habitation de bord de mer dit « quartier Magon », et deKerkouane, ont mis en évidence les apports architecturaux de l'Égypte antique pour les périodes les plus anciennes et de laGrèce antique pour les périodes plus récentes.
L'utilisation de la corniche à gorge ainsi que des modèles réduits de façades de temples sur les stèles avec disque solaire eturæi témoignent de l'influence égyptienne[48]. Des fragments de colonnes moulurées degrès d'El Haouaria ornées destuc ont aussi été retrouvés, ainsi que les preuves de l'usage de l'ordre ionique, notamment dans l'exemple dunaïskos deThuburbo Majus[49], et de l'ordre dorique dans les fouilles de la colline de Byrsa.
Les fouilles de Kerkouane, mais aussi du flanc sud de Byrsa, ont également révélé la présence demosaïques ditespavimenta punica, des tesselles étant agglomérées à une sorte demortier rouge[50]. On a aussi découvert des représentations figurées dusigne de Tanit, entre autres dans la cité ducap Bon. Ces objets datés duIIIe siècle av. J.-C. remettent en cause l'origine grecque de la mosaïque classique, longtemps considérée comme un fait acquis par les historiens et les archéologues.
Éléments de l'architecture punique
Restitution d'un puits d'extraction de grès d'El Haouaria au Cap Bon, antiquarium du quartier de Magon à Carthage.
Naïskos de Thuburbo Majus au musée national du Bardo (première moitié duIIe siècle av. J.-C.).
Pavimenta punica dans le quartier Hannibal du flanc sud de Byrsa (IIe siècle av. J.-C.).
Serge Lancel dans sa synthèse a associé les deux termes[51], tant il est vain de vouloir étudier la civilisation carthaginoise sans appréhender ces deux piliers de l'expansion punique en Méditerranée occidentale.
Carthage a bénéficié des avancées phéniciennes en matière deconstruction navale et de commerce maritime. La marine punique a eu dès le départ pour objet de protéger et de garder secrètes les routes commerciales, en particulier par un contrôle de la zone dudétroit de Gibraltar.
La puissance navale de Carthage s'explique sans doute par sa maîtrise des techniques de navigation. Elle s'appuie sur deux types de navires : lestrirèmes, galère à trois rangs superposés de rames, et lesquinquérèmes, galère avec quatre puis cinq rameurs sur un banc de nage. Les navires étaient équipés de proues à protomé de tête de cheval, comme le suggèrent certaines représentations iconographiques. Excellents constructeurs de navires, les Puniques ont bâti grâce à leur flotte un empire maritime que certains ont pu comparer à celui d'Athènes. La découverte desépaves de Marsala, navires de guerre fouillés parHonor Frost au large de laSicile, a précisé les connaissances actuelles sur la construction navale punique duIIIe siècle av. J.-C. ; les navires de l'époque étaient construits selon une technique très élaborée, identifiée à la mise en œuvre d'éléments « préfabriqués »[52].
Cette technique confirme ce que disent les textes, notamment ceux d'Appien[53]. Le navire, qualifié de chiourme, possédait unéperon destiné à frapper les bateaux ennemis[54].
Les périples maritimes témoignent de la hardiesse des marins puniques et de leur maîtrise des mers. Il est possible qu'ils aient découvert de nouvelles terres : le périple deHannon mène ainsi les Puniques de Gadès à longer les côtes ducontinent africain jusqu'augolfe de Guinée avec uneflotte de navires carthaginois. Celui d'Himilcon les aurait conduits auxîles Cassitérides vers laGrande-Bretagne, sur la route de l'étain.
« Dans la mer au-delà descolonnes d'Hercule, on dit que les Carthaginois trouvèrent une île déserte, ayant des bois de toutes sortes et des rivières navigables, remarquable par toutes sortes d'autres fruits, et à quelques jours de navigation ; comme les Carthaginois la fréquentaient souvent en raison de sa prospérité, et que certains y vivaient même, le chef des Carthaginois annonça qu'ils puniraient de mort quiconque proposerait d'y naviguer, et qu'ils massacreraient tous les habitants, afin qu'ils ne racontent pas l'histoire, et qu'une foule ne revienne pas sur l'île, ne s'en empare et n'enlève la prospérité des Carthaginois. »
La question durecrutement de l'armée carthaginoise, desmercenaires et de la place des citoyens a été soulignée par l'historiographie depuis l'Antiquité : la défaite de Carthage serait liée au recrutement de soldats professionnels et au manque d'engagement des citoyens, contrairement au modèle grec puis romain.
Cet argument omet le courage des soldats lors des derniers combats, où s'engage la population, et ne prend pas en compte l'organisation de la marine militaire, qui se faisait autour de citoyens. L'armée punique se composait de soldats de diverses origines : des mercenaires, des citoyens engagés volontairement mais aussi des sujets de ses territoires ou de ceux de ses alliés. Cette armée présentait donc un fort caractère cosmopolite ; chaque partie apportait des unités en guise de participation à l'effort commun. Une telle structure n'était pas sans danger lorsque l'État n'était plus en mesure de régler la solde, comme le démontra laguerre des Mercenaires au lendemain de lapremière guerre punique.
Le commandement carthaginois était aux mains de militaires issus des grandes familles et désignés par l'assemblée du peuple[57]. La hiérarchie militaire demeure toutefois mal connue, même s'il semble avéré que le titre de général correspond à celui derab. La cité ne se montrait guère indulgente envers les officiers vaincus, les textes énonçant maints exemples de généraux crucifiés ou exécutés[58].
Les armées de Carthage ne différaient que peu des autres armées de l'époque. Les changements dans les structures et les manœuvres sont dus àHannibal Barca, désireux de modifier une armée fondée sur lesphalanges[59] issues de la tradition grecque[60], au moins pour la période la mieux connue de son histoire, à partir des guerres siciliennes puis puniques.
Les unités étaient diverses, organisées en bataillons selon leur origine ethnique, et armées parfois selon leurs traditions propres. L'infanterie légère comprenait, outre des citoyens armés de lances et d'épées[61], des unités spécialisées : ainsi les frondeurs desîles Baléares, des archers ou des lancierslibyens armés de javelots, poignards et boucliers de cuir[62], et également des groupes de fantassinsibères équipés de boucliers et d'une épée courte appeléefalcata[61]. Lebataillon sacré décrit parDiodore de Sicile[63] etPlutarque[64] possédait un armement spécifique. L'infanterie lourde était organisée en phalanges selon le modèle macédonien, mais on ignore si lasarisse, caractéristique de cette formation, était usitée dans l'armée carthaginoise.
Le cœur de cette infanterie est principalement constitué deLibyens et d'Ibères (ces derniers à partir des Barcides) comme le souligne Khaled Melliti :
« De fait, le cœur de la puissance militaire carthaginoise sera toujours constitué par les Libyens peuplant l'intérieur de l'État carthaginois et, depuis peu, par les Ibères du territoire administré par les Barcides en Espagne, ainsi que par les compléments fournis par les cités phéniciennes d'Afrique, comme Utique ou Hadrumète. Ces unités, qui forment l'essentiel de l'infanterie, constituent les effectifs les plus stables et les plus fiables de l'armée punique. De fait, ils contribuèrent à stabiliser les effectifs puniques face à la versatilité des mercenaires, voire des auxiliaires - gaulois notamment -, ou à l'inexpérience des nouvelles recrues. Ils jouèrent un rôle d'encadrement et de maintien de la discipline indispensable pour un effectif aussi bigarré que l'armée d'Hannibal. Véritable relais du stratège sur le terrain, ce corps, colonne vertébrale de l'infanterie, jouera tout le long de la campagne d'Hannibal un rôle tactique de première importance[65]. »
Les autres unités terrestres se constituaient surtout de cavaliers, uniquement numides au départ puis issus d'autres origines, dont Ibères et Gaulois[62]. Cet élément très mobile a fait la différence sur les champs de bataille de la deuxième guerre punique. L'équipement incluait également des chars de guerre, sans doute venus d'une longue tradition libyenne liée aux contacts de ce peuple avec les armées égyptiennes, et surtout leséléphants de guerre. Cette dernière unité, mise en exergue par les contemporains des guerres puniques, est dans les faits limitée en nombre et d'un usage tardif, vraisemblablement après laguerre de Pyrrhus en Italie. Un tel usage répondait à des finalités plus psychologiques que militaires. Ces éléphants appartenaient probablement à unerace locale d'éléphant de forêt d'Afrique, plus petite que l'éléphant d'Asie[66]. Pour ce qui est des cornacs, on signale parfois une origine indienne[67].
Soldats de l'armée carthaginoise
Cavalier numide vu par Theodore Ayrault Dodge (1891).
Soldat ibère vu par Theodore Ayrault Dodge (1891).
Lancier libyen vu par Theodore Ayrault Dodge (1891).
Char punique vu par Theodore Ayrault Dodge (1891).
Les unités marines ont évolué au cours de l'histoire : latrirème, apparue dès leVIe siècle av. J.-C., embarquait200 hommes outre les rameurs. Laquadrirème est inventée à l'époque hellénistique. Quant à laquinquérème, embarquant300 hommes au plus, elle est conçue pendant les guerres puniques. La logistique était assurée par d'autres navires, appelésgauloi.
Parmi les apports macédoniens à l'art de la guerre carthaginois, les historiens relèvent l'organisation enphalange[68] ainsi que la disposition de l'armée en campagne et les camps. Cependant, des changements sont dus àHannibal Barca : l'importance stratégique de la cavalerie, les nouvelles manœuvres d'enveloppement de l'adversaire (bataille de Cannes)[69], voire une stratégie d'embuscade pour pallier un désavantage numérique comme lors de labataille du lac Trasimène. Les éléphants de guerre, peu et tardivement utilisés mais remarqués par les adversaires, jouaient avant tout un rôle d'intimidation et de désorganisation des lignes ennemies.
En ce qui concerne la guerre sur mer, l'usage de l'époque était d'éperonner les navires. Pour contrer l'avance carthaginoise, les Romains mirent au point le « corbeau » afin de faciliter l'abordage et reprendre l'avantage. Ils purent ainsi écraser Carthage lors de labataille de Mylae.
Les Carthaginois étaient également maîtres enpoliorcétique, utilisant des tours de siège, balistes et catapultes.
Batailles impliquant l'armée carthaginoise
Représentation de la bataille de Zama par Cornelis Cort en 1567, gravure, d'après Raphaël.
L'organisation politique de Carthage était louée par de nombreux auteurs antiques qui mettaient en avant sa « réputation d'excellence »[70]. Si peu de détails sont connus sur le gouvernement de la grande cité, on dispose néanmoins d'un texte précieux d'Aristote[71] qui la dépeint comme un modèle de constitution « mixte », équilibrée et présentant les meilleures caractéristiques des divers types de régimes politiques ; ce document a alimenté un débat vif, certains historiens, dontStéphane Gsell, le considérant comme une description tardive[72]. Les chercheurs privilégient désormais une évolution des institutions au cours de l'histoire[73].
En dépit des insuffisances de l'information dont on dispose sur Carthage, les données sont beaucoup plus importantes que pour les autres cités puniques.
Même siDidon était issue d'une famille royale, aucun élément dans la légende ne la cite comme reine. Les auteurs grecs ou latins mentionnent la présence debasileis ou dereges. La théorie de laroyauté de Carthage, âprement défendue et développée parGilbert Charles-Picard à la suite deKarl Julius Beloch, est dorénavant réfutée par la plupart des historiens. Une partie de l'historiographie a également supposé des ambitions monarchiques sur le modèle hellénistique auxBarcides en Espagne, hypothèse également écartée parMaurice Sznycer[74].
Le monde phénico-punique n'ignorait pourtant pas lamonarchie : les rois phéniciens mentionnés à Tyr n'étaient toutefois pas détenteurs d'un pouvoir absolu[75].
Le termesuffète, latinisation du motphénicienshofet (pluriel :shofetim) signifie littéralement « juge »[76].
Plus conforme aux traditions orientales et de Tyr, le gouvernement devait être comparable à celui de Rome, avec un Sénat et deuxsuffètes élus chaque année mais appelés « rois » par les Romains et les Grecs en raison de leur incapacité à trouver dans leur culture un terme adéquat pour transmettre la réalité punique[77].
On pense que ces suffètes exerçaient à la fois le pouvoir judiciaire et exécutif mais non le pouvoir militaire, réservé à des chefs élus séparément chaque année par l'assemblée du peuple et recrutés parmi les grandes familles de la cité. Le cas d'Hannibal Barca peut être souligné, étant élu suffète après ladéfaite de Zama, en selonTite-Live[78]. Le pouvoir des suffètes était vraisemblablement un pouvoir civil d'administration de la chose publique[79].
Les suffètes étaient assistés par un « Conseil des Anciens » : les textes évoquent les « Anciens de Carthage » tout comme àLepcis Magna on mentionne encore en pleine époque romaine les « Grands de Lepcis »[80]. Ce Conseil a été assimilé au Sénat, les membres étant dénommés dans les diverses sourcesgerontes ouseniores.
Le Sénat, probablement composé par les membres des familles influentes, compta sans doute plusieurs centaines de membres[81]. Il avait compétence pour toutes les affaires de la cité : guerre, paix, diplomatie, etc. Les généraux rendaient compte de leurs actes devant cette assemblée, qui avait le dernier mot. On ne sait toutefois pas si les suffètes étaient élus par cesoligarques ou par l'ensemble du peuple.
En outre, Aristote est le seul à mentionner un conseil restreint, les « Cent-Quatre » ou les « Cent »[82], et les « pentarchies ». Ces institutions sont mal connues, la première ayant reçu, sur la base d'un texte deJustin, un rôle judiciaire[83].
Une assemblée du peuple est citée dans le texte d'Aristote et, si l'on en croit Polybe, elle avait pris du pouvoir durant leIIIe et le IIe siècle av. J.-C.[84]. Ce pouvoir était sans doute grand ; le même auteur parle d'unecorruption largement diffusée pour l'obtention des magistratures[85] et des commandements militaires. Certaines affaires étaient évoquées devant cette assemblée en cas de désaccord entre les institutions à forme oligarchique, même si ces assertions ne sont étayées par aucune preuve archéologique.
On suppose que seuls les hommes libres y étaient admis et certaines sources, dontDiodore de Sicile, font état d'une réunion sur l'agora de la cité[86].
Ces inconnues ne permettent donc pas de déterminer quel était le degré dedémocratie dans l'ancienne Carthage. Cependant, il semble acquis que les principales familles de marchands exerçaient l'essentiel du pouvoir.
La société carthaginoise était très stratifiée : l'aristocratie d'originetyrienne détenait l'essentiel du pouvoir économique, politique et religieux[76] ; le reste de la population se partageait entre une proportion inconnue d'artisans et de commerçants et unprolétariat hétéroclite composé d'esclaves mais aussi de populations natives, voire puniques. La place des femmes reste encore sujette à débat.
Au sein de cette aristocratie se recrutaient les prêtres, qui formaient une classe très organisée et peuplaient les nombreux temples, centres d'une vie intellectuelle active et qui ont notamment permis pendant des siècles le maintien de la langue et de la culture phéniciennes face à la romanisation[76].
Le sacerdoce pouvait être également exercé par les femmes. Leur habillement est connu notamment grâce à laStèle du prêtre à l'enfant ; le personnage identifié comme le célébrant porte une robe delin et une coiffe particulière qui couronne une tête rasée.
Les classes populaires sont méconnues mais on suppose qu'elles étaient formées d'hommes libres et d'esclaves pouvant être attachés à une personne ou à l'État. En outre, on trouvait dans les cités carthaginoises un certain nombre d'étrangers issus de l'ensemble dubassin méditerranéen[87].
Marbre attribué à Christophe Cochet (mort en 1637), représentantDidon, et déposé au Louvre.
En dépit des personnalités fortes et des destins tragiques comme ceux deDidon (Elishat enphénicien),Sophonisbe et l'épouse d'Hasdrubal le Boétharque, les femmes à Carthage apparaissent peu dans les sources disponibles. Quoique marquée par uncaractère patriarcal, la société carthaginoise accorde une relative indépendance aux femmes : l'étude des stèles du tophet de Carthage a mis en évidence dessacrifices effectués par des femmes en leur propre nom[88]. De surcroît, il semble que nombre d'activités professionnelles leur étaient ouvertes.
Cette indépendance était toutefois tempérée par une certaine instrumentalisation des femmes au service de leur famille, au moment du choix de leur époux ou à des fins politiques, voire économiques : l'histoire de Sophonisbe est particulièrement évocatrice de cette sujétion, mariée successivement aux rois numidesSyphax puisMassinissa[89]. Le contexte du mariage est peu connu et l'on ignore si lapolygamie était pratiquée.
En revanche, des cas de mariages mixtes figurent dans des sources et se retrouvent peut-être aussi dans des fouilles de sépultures multiples, avec un rite phénicien pour l'un des individus inhumés etafricain pour un autre. Le cas de Sophonisbe est ici encore évocateur : fille d'Hasdrubal Gisco, général carthaginois, elle épousa Syphax, roi de Numidie, sur ordre de son père afin de sceller une alliance entre Carthaginois et Numides.
Lespopulations autochtones sont encore plus difficiles à appréhender. Le contact avec les premiers navigateurs, même s'il est concevable au travers ducommerce silencieux d'Hérodote au but commercial affirmé, s'est transformé en une relation qui peut se concevoir en termes de domination[90].
Dans la société carthaginoise, les mariages mixtes pouvaient être fréquents ; des unions entre des nobles de l'aristocratie phénicienne et des princesses libyennes avaient ainsi lieu[76]. Cependant, ces alliances matrimoniales de nature politique n'ont pas altéré la nature paradoxale de l'État carthaginois qui conserva son caractère gouvernemental phénicien[76]. Les populations autochtones ont néanmoins joué un rôle déterminant dans la formation et l'histoire des colonies phéniciennes occidentales et les prospections archéologiques montrent que, déjà durant les premiers temps de cette colonisation, les communautés puniques étaient cosmopolites[91]
Il est avéré au travers de divers textes conservés que l'emprise carthaginoise a été lourde, tant au moment de la conquête qu'aux temps difficiles des guerres puniques, comme en témoignent les révoltes qui se sont succédé. Les populations natives de l'extérieur ont ainsi, en particulier sous l'égide deMassinissa, contribué à la chute de la cité en raison de leurs empiètements successifs durant la seconde moitié duIIe siècle av. J.-C.
Carthage constituait un empire commercial, maritime, terrestre et agricole. De ce fait, le lien entre toutes les contrées, qu'elles soient puniques ou sous influence punique, se faisait par la mer grâce à la marine carthaginoise.
Les Carthaginois, tout comme leurs ancêtres phéniciens, étaient d'excellents marins et commerçants. L'historien latinPline l'Ancien écrit à leur propos que « les Puniques inventèrent le commerce »[92].
Comme Tyr, Carthage faisait le négoce des métaux, en recherchant surtout desmatières premières qui lui ont permis d'asseoir sa richesse et de développer son réseau commercial :argent, mais aussicuivre etétain en provenance des comptoirs du sud de l'Hispanie (royaume deTartessos). Dans cette région, lesmines étaient à la fois facilement exploitables et accessibles. L'étain se trouvait également dans lesîles Cassitérides (actuelleGrande-Bretagne).
De manière secondaire, les Carthaginois ont importé et diffusé de petits objets manufacturés :céramiques grecques et étrusques mais aussi, dès leVIIe siècle av. J.-C. des éléments d'artisanat égyptien comme desamulettes. Le négoce se pratiquait aussi parcaravanes mais ce type d'échange était beaucoup plus aléatoire et dangereux. Ce commerce terrestre permet d'expliquer certaines implantations, en particulier enLibye et dans le sud de la Tunisie actuelle.
Le but des Phénico-puniques était d'exporter les métaux à l'état brut vers l'Orient ; jusqu'auVIe siècle av. J.-C., ils jouissaient d'unmonopole du commerce et de la navigation en Méditerranée occidentale grâce auquel ils bénéficiaient d'un libre accès aux métaux, et aux ressources humaines et agricoles de régions entières.
Murex brandaris dont était issue la couleur pourpre, par Martin Lister, inHistoria Conchyliorum (1685-1692).
Les Carthaginois ont excellé dans la verrerie, labijouterie, l'artisanat textile et lateinturerie, en particulier la fabrication de lapourpre[76], dont la technique, tirée dumurex, a été inventée àTyr[76]. Ces derniers exportaient des produits manufacturés par leurs artisans ou importés : des céramiques, des objets enverre (spécialité phénicienne) ou encore du tissu teint en pourpre, travail de l'ivoire, bois et métaux (placage d'ivoire, d'or ou d'argent sur différents matériaux). En raison de leur caractère potentiellement périssable, il est parfois difficile d'identifier certains de ces produits d'exportation : les tissus, très réputés, n'ont pas laissé de traces archéologiques en dehors d'amas de murex ou de poids destinés à tendre les tentures.
Les voyages d'exploration s'expliquent par la recherche de minerais et de nouveaux débouchés commerciaux : l'étain de Grande-Bretagne et d'Hispanie, l'or ou d'autres matières premières auMaghreb. Certains produits servant au négoce étaient fabriqués par lesateliers carthaginois.
À l'aube de lapremière guerre punique, Carthage contrôlait enAfrique du Nord un territoire d'environ 73 000 km2 — sonarrière-pays, constitué par l'actuelle Tunisie, représentait alors un territoire dévolu à l'agriculture supérieur en superficie à celui de Rome et de ses alliés réunis, et reste l'une des zones agricoles de premier plan dans l'Empire romain — pour une population de près de quatre millions d'habitants. Une telle population nécessitait un approvisionnement régulier et un arrière-pays capable d'assurer une production suffisante en quantité et en qualité : une production de céréales destinée à toutes les couches sociales, mais aussi une production de fruits ou de viande destinée à une population plus aisée.
Ce territoire a été largement amputé par les attaques deMassinissa dans le dernier demi-siècle d'existence de la cité, pour se limiter à une superficie inférieure à 25 000 km2 enav. J.-C.[19].
La zone occupée par Carthage en Afrique était très fertile car elle jouissait d'une pluviosité amplement suffisante pour la production agricole. Ces atouts ont été exploités par la suite dans laprovince de l'Afrique romaine[93].
Les Carthaginois ont développé la greffe de l'olivier à des fins d'amélioration de la productivité.
Carthage a très vite instauré un partage des tâches entre des cultures àvisée spéculative, dans les terres proches de la capitale, et les culturescéréalières laissées aux populations libyennes, ces dernières étant soumises à un tribut en nature dont le poids, en particulier durant les guerres puniques, a pu influencer le cours des événements en les poussant à la révolte[94]. La cité a développé son arrière-pays grâce à la culture de l'amande, de lafigue, de l'olive, de lagrenade — perçue comme un fruit punique par les Romains — et de lavigne, en plus dublé. Ces plantes étaient déjà présentes à l'état sauvage dans la région mais les Phéniciens y ont apporté des plants qui leur ont permis d'exporter dans tout lebassin méditerranéen : on trouve ainsi des traces de produits agricoles puniques jusqu'enGrèce.
L'élevage était pratiqué de longue date par les populations autochtones, en particulier celui deschevaux, desbœufs et desmulets[95].
La réussite de Carthage s'explique aussi par ses prouesses en matière d'agronomie. Les Carthaginois sont parvenus à développer les techniques agricoles parmi les plus efficaces de l'Antiquité puisque celles-ci furent reprises par les Romains à travers la traduction enlatin dutraité du puniqueMagon[96].Columelle a conservé des fragments de l'œuvre punique, dont un processus devinification[97].
La plantation des oliveraies obéissait à des règles précises, en particulier l'espacement entre les plants, règles parfois encore respectées de nos jours. Le matériel agricole jouait un rôle important dans l'amélioration de la production, comme en témoignent les représentations decharrues, notamment sur une sculpture retrouvée sur le territoire de la Libye actuelle[98], ce qui n'a pas manqué de trancher avec la production libyenne traditionnelle[99].
Fabrique de garum deBaelo Claudia (environs de Cadix) datée de l'époque romaine.
La pêche était une activité répandue à l'époque punique et, outre des productions desalaisons et de murex, il est établi que ce sont les Phénico-puniques qui ont répandu l'usage dugarum dans le bassin méditerranéen. Cette sauce à base de poissons gras, utilisée en cuisine et dans un but médicinal, était produite à grande échelle au sein d'installations retrouvées sur un certain nombre de sites[100]. La production et la commercialisation du garum se sont poursuivies largement à l'époque romaine.
L'essentiel des éléments conservés jusqu'à nos jours est lié à un usage funéraire. D'autres sculptures existent, mais de taille réduite, comme laDame de Galera ou le protomé de lion de Sant'Antioco.
Lescippes etstèles, parfois en forme debétyles ou « maison du dieu », laissent apparaître une évolution stylistique. Sculptés dans legrès au départ, ces éléments sont conçus par la suite encalcaire, parfois flanqués d'acrotères et de motifs incisés à l'influence grecque marquée : motifs animaliers, végétaux, humains et surtout symboles. À partir desVe et IVe sièclesav. J.-C., on voit la diffusion du motif dit « signe de Tanit » qui se retrouve sur bien d'autres supports. On l'a cru présent uniquement en Méditerranée occidentale, mais les recherches actuelles témoignent d'une présence sur les sites duLevant[101]. D'autres motifs ont pu être reconnus ainsi celui de l'idole-bouteille. On distingue des différences locales, en particulier à Motyé, où les représentations humaines sont plus précoces et plus généralisées qu'à Carthage[102].
Lessarcophages sont très représentatifs du métissage propre aux Phénico-puniques : le type anthropoïde originellement présent enPhénicie a évolué en Méditerranée occidentale. Outre en Afrique, des exemples bien conservés ont été retrouvés en Sicile et dans lapéninsule Ibérique. AuIVe siècle av. J.-C., le type change en Tunisie pour figurer au-dessus une statue du défunt[103]. Les sarcophages de Sainte-Monique, dénommésdu prêtre et de la prêtresse et conservés aumusée national de Carthage, sont particulièrement intéressants par le traitement du drapé et l'attitude des deux personnages : le prêtre a la main droite levée en un geste debénédiction[104], la prêtresse tient pour sa part unecolombe ; les mains gauches des deux personnages portent unvase àencens à l'usageliturgique connu, d'où le nom donné à ces œuvres[105].
Stèles et sarcophages puniques
Stèle du tophet deNora exposée au musée archéologique de Nora.
Stèle du tophet de Carthage.
Stèle du tophet de Carthage avec main ouverte, poisson et signe dit de Tanit.
La production des terres cuites, très variée, consistait en des masques grotesques aux traits marqués, d'origine sans doutelevantine[106]. Les formes en sont diverses ; les rides et les bouches déformées s'accompagnent parfois de motifs géométriques. Des masques aux traits négroïdes caractérisés ont également été retrouvés. Destinés à être suspendus, ces masques avaient une fonctionapotropaïque : ils étaient censés chasser les démons.
Il existait aussi desprotomés représentant la partie supérieure de corps d'hommes ou de femmes. Le style de ce type de produits est divers, à la fois égyptien mais également grec à partir duVIe siècle av. J.-C., et on en a établi une classification[107].
La production de coroplastie oucoroplathie était répandue dans nombre de sites puniques, de l'Afrique du Nord aux îles Baléares en passant par la Sicile et la Sardaigne. Il s'agit de figurines moulées, tenant des objets (destambourins par exemple) ou de petits animaux ; des stéréotypes phénico-puniques cohabitent avec d'autres stéréotypes hellénisants, voire liés à une production locale[106]. La technique a été également utilisée pour des pièces de dimension variable, à usage religieux, y compris après la chute de Carthage. On en a découvert plusieurs exemplaires dans les fouilles du sanctuaire de Thinissut au cap Bon (petite sculpture deBa'al Hammon encadré par deuxsphinges mais également de belles représentations de grande taille deTanit « léontocéphale » et deDéméter).
Figurines en terre cuite
Statuette avec tambourin au musée national du Bardo.
Les Puniques étaient des artisans spécialisés et reconnus. LesGrecs leur donnaient la réputation de vendre des bibelots, verroterie fabriquée par les artisans en échange de produits de valeur comme les matières premières issues des régions qu'ils abordaient avec leurs navires. Ainsi, nombre d'objets et de bibelots phéniciens d'inspiration diverse (grecque, égyptienne, etc.) ont été découverts sur les sites qu'ils fréquentaient. Lesnécropoles qui ont fait l'objet de fouilles archéologiques depuis leXIXe siècle ont livré un matériel important et varié qui dénote un artisanat développé[108] : travail des métaux avec en particulier des exemples derasoirs debronze ornés le plus souvent de motifs gravés, petits masques depâte de verre à fonctionapotropaïque qui ornaient des colliers,ivoires etos gravés mais aussibijoux.
Pour lapoterie utilisée dans la vie quotidienne, hors contexte religieux, les fouilles ont livré des céramiques à but alimentaire ou culinaire et aussi deslampes à huile dont les formes démontrent une production stéréotypée et rationalisée ; des exemples de vases-biberons ont aussi été retrouvés.
Si, à partir duIIIe siècle av. J.-C., on voit nombre d'imitations d'importations grecques, il persiste une production typique dénommée « moules à gâteaux »[109].
Les fouilles des nécropoles de Carthage ont mis au jour des maquettes représentant des éléments de la vie quotidienne : un four à pain de typetabouna, déposé aumusée national de Carthage, mais aussi de petites pièces de mobilier qui permettent d'imaginer l'intérieur des habitations.
Céramiques et lampes puniques
Vitrines de productions locales de céramiques au musée national du Bardo.
Lampes puniques du musée national de Carthage.
Lampes puniques du musée de Palerme.
Céramiques et lampes puniques au musée national de Carthage.
Vitrine de bijoux puniques au musée national du Bardo.
De nombreusesamulettes d'os, de pâte de verre et de pierre ont été retrouvées dans les sépultures, essentiellement de femmes et d'enfants, ayant pour objet de protéger les défunts au moyen de rites magiques. Elles étaient importées (surtout d'Égypte) ou fabriquées sur place. Certains thèmes sont récurrents, comme le dieu égyptienBès, mais aussiHorus ou l'œil oudjat[110].
Bijoux puniques de la collection du musée national de Carthage.
De somptueux bijoux d'or, d'argent et de pierres dures proviennent des nécropoles. Liée à la structure du commerce phénico-punique et issue d'une longue tradition orientale, cette production consiste en des colliers très chargés et lourds, mais aussi en desbagues, anneaux d'oreille ou de nez (dits aussinezem) significatifs de l'apparence qui devait être celle des Puniques, aspect largement raillé dans les sources classiques. Des scarabées ont également été découverts ainsi que des étuis porte-amulettes à la fonction protectrice évidente[111].
De nombreuxrasoirs debronze ou defer ont été découverts dans les nécropoles ultérieures auVIIe siècle av. J.-C. De tels objets ont été liés à une symbolique de purification des défunts. Ils exerçaient une fonction religieuse, voire talismanique[112] et ont pu être destinés à être suspendus, du moins pour ce type de matériel présent dans le monde Ibérique.
En outre, à partir duVe siècle av. J.-C., une décoration s'est fait jour. Ces dessins — parfois figurés sur les deux faces dans le cas des exemplaires tardifs — témoignent d'influences variées, essentiellement égyptienne ou égéenne. La production a pu atteindre des développements autonomes dans les diverses régions des possessions carthaginoises, démontrant de réelles capacités créatives[113].
Selon une légende relatée parPline l'Ancien[114], leverre a été inventé par les Phéniciens, qui en auraient conservé le secret de fabrication durant une longue période. En fait, ils ont sans doute développé la technique du soufflage et surtout commercialisé leur production à une large échelle[115], ce qui aurait permis la naissance de la légende.
Les découvertes sont assez fréquentes sur les sites archéologiques[116], tant en Occident qu'en Méditerranée orientale. Les objets les plus typiques sont de petits masques à figure humaine et à faciès varié, destinés à être insérés dans des colliers comportant de petites billes de verre ; il existait aussi de petits pots àonguent ou àparfum. Les pièces les plus remarquables sont colorées dans la masse.
Monnaie carthaginoise avec une tête de déesse couronnée de céréales aux environs deLondres,British Museum.
Les monnaies carthaginoises apparaissent tardivement : l'économie punique n'est pas monétaire au départ car les échanges s'effectuent en utilisant deslingots voire par l'usage dutroc[117]. Les premières datent de480 voire[118]. La naissance du monnayage punique est à lier à la nécessité de payer lesmercenaires engagés pour le compte de la cité punique en Sicile[119], les ateliers deMotyé etPalerme ayant été considérés comme les lieux de frappe des premières monnaies de cette civilisation[120]. À Carthage, les ateliers ne commencent leur activité qu'au milieu duIVe siècle av. J.-C.[121]. Le métal utilisé est l'or, l'électrum et l'argent à la fin duIIIe siècle av. J.-C. L'aloi et la qualité de frappe de ce monnayage baisse dès la fin de ladeuxième guerre punique[121], les fouilles archéologiques ne permettant pas de considérer cet élément comme un argument d'une supposée décadence[119].
Les émissions proprement carthaginoises passent d'un système pondéral étalonné sur ladrachme éginétique au shekel phénicien. Selon Jacques Alexandropoulos, cette transition métrologique serait liée à la perte des comptoirs siciliens, justifiant le passage d'un système punico-grec à vocation internationale vers des frappes phénico-puniques à usage interne, exprimant également un sursaut « nationaliste » de Carthage. La typologie des monnaies de Carthage étaye d'un point de vue stylistique l'idée de la paternité grecque de ce monnayage. C'est particulièrement le cas du type dit, selonStéphane Gsell,Gilbert Kenneth Jenkins ou encorePierre Cintas, à la tête d'Aréthuse, deCérès ou deTanit. Quel qu'il soit, ce portrait semble devoir beaucoup àÉvainète. À l'instar des cités grecques et de leurs colonies enGrande Grèce, Carthage affirme son identité. Elle s'annonce africaine à travers des types monétaires emblématiques : outre la tête de divinité controversée, lecheval (passant augalop enprotomé) et lepalmier sont utilisés alternativement ou conjointement.
Une plus grande diversité des types abordés dans le monnayage carthaginois apparaît dans les émissions de Sicile, de Sardaigne, de lapéninsule Ibérique et sur les trois derniers siècles d'existence de la métropole[122].
De nombreuses baguessigillaires ont été retrouvées dans les nécropoles puniques. Elles présentent souvent un chaton en forme de scarabée égyptisant gravé dans des pierres semi-dures (cornaline,agate,calcédoine,jaspe,chrysoprase,onyx, etc.) Le plat du scarabée offre fréquemment un sujet d'inspiration talismanique.
Cet engouement est issu d'une très longue tradition orientale. Ces pierres traitées enintaille pourraient être à l'origine des produits d'importation[123]. Les pierres gravées provenaient d'ateliers phéniciens, et plus fréquemment égyptiens. Elles étaient investies de vertus talismaniques semblables à celles que leur prêtaient les croyances égyptiennes.
Néanmoins, on constate une certaine dégénérescence à partir de la seconde moitié duIVe siècle av. J.-C.[124], avec une production moins noble (gravures sur pâte de verre) qui pourrait être l'indice d'une production typiquement carthaginoise tandis que l'apparence des importations évolue et présente une gravure de style plus fréquemmenthellénistique.
Elle montre néanmoins certaines particularités phonétiques par rapport au parlé de Phénicie notamment dû à des influences libyco-berbères[125].
Elle a perduré, malgré la prépondérance dulatin, jusqu'à l'arrivée desArabes auVIe siècle. À cette date, cette langue déclinante était devenue unpatois local, au moins dans certaines régions. Corollaire de la langue, l'alphabet phénicien, ancêtre de l'alphabet grec, s'est répandu dans tout lebassin méditerranéen jusqu'à devenir le vecteur de la pensée des peuples de la sphère punique. Cetteécriture sansvoyelles s'est modifiée après l'implantation romaine en Afrique du Nord, l'alphabet punique tendant à inclure des voyelles. Son aspect s'est différencié dans le temps et selon les régions. AuIVe siècle, l'alphabet latin était utilisé pour transcrire la langue punique[126].
La littérature carthaginoise ne nous est pas parvenue[129], mais on sait qu'il existait à Carthage de nombreuses bibliothèques, ce qui induit une certaine production littéraire ou à tout le moins une diffusion de la littérature de l'époque, en particulier celle delangue grecque[130]. Laphilosophie était répandue dans le milieu punique, certains noms sont connus par ce qu'en disentDiogène Laërce ouJamblique[131] ; le plus célèbre philosophe d'origine carthaginoise est sans contesteClitomaque.
Il existait une littérature de droit, d'histoire, de géographie, même si tout cela a été perdu. Toutefois, on a conservé des fragments de l'importanttraité d'agronomie deMagon, qui influença fortement les Romains[129]: la preuve en est que la traduction en latin a été décidée par les conquérants au lendemain de la prise de la cité[130]. Les auteurs romains postérieurs en citent des extraits et ne tarissent pas d'éloges à son sujet (Pline l'Ancien[132],Varron[133] etColumelle[134],[135]). Le récit du périple deHannon, même s'il s'agit d'un texte rédigé en grec, doit être la traduction d'un texte punique probablement affiché dans un temple[136]. Cependant, difficile d'interprétation, le document suscita de nombreuses polémiques.
De nombreusesstèles fournissent cependant tout un corpus d'inscriptions, notamment les stèles trouvées en quantité dans les tophets, dont celui deCarthage. Ces textes ont été collectés au sein duCorpus Inscriptionum Semiticarum[137]. Mais ils apparaissent très stéréotypés et apportent peu à la connaissance de la cité. En outre, ils ne livrent guère d'informations sur l'onomastique, les noms propres connus étant en nombre limité.
Par ailleurs, les archéologues ont mis au jour un petit nombre de documents appelés « tarifs de sacrifices », qui étaient placés dans les temples[136]. Le plus connu d'entre eux est le « tarif de Marseille », ainsi nommé car il est retrouvé dans le port de cette ville. En dépit de sa localisation, il est, selon les spécialistes, d'origine carthaginoise. Il faut également citer comme inscription particulière le cas deslamelles de Pyrgi découvertes àCaere, enItalie, qui offrent un éclairage sur les relations entreÉtrusques et Puniques auVIe siècle av. J.-C.
Enfin les monnaies constituent également une source épigraphique et permettent notamment d'étudier la variation parfois importante de la calligraphie et de la forme des lettres[122].
Lamythologie et lareligion de Carthage sont en grande partie héritées decelles des Phéniciens. Malgré une transcription enlatin ou engrec dans les sources antiques, elles gardent, tout au long de leur histoire, leur caractère profondément ouest-sémitique[138].
Le panthéon initialement sémitique évolue au cours des rencontres avec des traditions locales. Dans diverses colonies, certainesdivinités carthaginoises acquièrent le caractère depoliade, comme Tinnit ouTanit à Carthage,Melqart à Gadès (où lui fut élevé un temple réputé), Sid (Sardus Pater à l'époque romaine) en Sardaigne[139]. Cet important panthéon[140] est dominé parBa'al Hammon accompagné de saparèdreTanit (face de Ba'al).
Si les anciens dieux phéniciens sont toujours vénérés par les Carthaginois, commeAstarté, déesse de la fécondité et de la guerre,Eshmoun, dieu de la médecine, et Melqart, dieu phénicien de l'expansion et de l'enrichissement de l'expérience humaine, ils se transforment : ainsi Melqart prend des caractères auhéros grecHéraclès tandis que le Ba'al Hammon phénicien devient l'Ammonlibyque symbolisé par unbélier emprunté à lamythologie égyptienne, puis adopte des traitsjupitériens qu'il avait toujours à l'arrivée duchristianisme.
Scène religieuse représentée sur une stèle de Carthage déposée au musée du Louvre.
Les lieux de culte sont des constructions spécifiques ou des espaces aménagés. Plusieurs temples urbains ont été retrouvés dans des endroits divers ; leur emplacement n'obéissait donc pas à une règle précise. Ceux situés en bord de mer bénéficiaient de leur contact avec les étrangers (offrandes,ex-votos, donation, etc.) On a également découvert des sanctuaires dans des grottes.
Vue d'une partie des stèles du tophet de Carthage.
La religion était une affaire d'État à Carthage ; même si les prêtres n'intervenaient pas directement dans la politique intérieure ou extérieure, ils jouissaient d'une grande influence sur une société profondément religieuse, structurée autour d'une hiérarchie de prêtres dont les plus hautes fonctions étaient occupées par les membres des familles les plus puissantes de la cité[141]. Les cultes jouaient un rôle économique important grâce aux offrandes (comme les viandes et autres denrées) aux dieux et aux prêtres. Le sacrifice avait aussi un poids significatif : des « tarifs » étaient définis pour chaque type desacrifice en fonction de chaque demande ; après le partage du produit du sacrifice entre divinité, prêtre et fidèle, une stèle était érigée en guise de commémoration[142].
Les cultes et leur pratique ont laissé des traces visibles dans les différentes colonies carthaginoises de Méditerranée occidentale, devenues carthaginoises, mais aussi chez les peuples en contact avec cette civilisation, comme lesBerbères deNumidie et deMaurétanie et lesIbères.
La question dessacrifices d'enfants que mentionnentDiodore de Sicile ouTertullien[143] a fait la part belle aux interprétations les plus diverses. Les textes restent cependant peu explicites[144] et des textes essentiels, commeTite-Live, n'en font nulle mention, alors que les Romains n'avaient aucun intérêt à cacher un argument qui aurait justifié le sort réservé à Carthage[145]. Le débat n'est pas tranché et quant aux ossements contenus dans les urnes, la science ne décèle pas de causes violentes parmi les causes des décès et ne peut donc pas affirmer que leur accumulation était autre chose qu'unenécropole pour enfants[146],[147].
La vie culturelle de cette civilisation, que certains ont appeléethalassocratie du fait de son rapport étroit et durable avec la mer, résulte d'un syncrétisme entre la culture phénicienne des colons tyriens et les diverses influences indigènes, grecques mais aussi égyptiennes.
L'art phénicien est un subtil mélange d'éléments grecs et égyptiens. Si la culture égyptienne a profondément influencé les Phéniciens dès leIIIe millénaire av. J.-C., laculture hellénique a pris le relais à partir duIVe siècle av. J.-C. La culture phénicienne émerge à partir de l'effondrement égyptien, à la suite de l'invasion desPeuples de la mer en1200av. J.-C. Avant son existence, elle était confondue dans l'aire syro-libanaise (pays de Canaan). D'ailleurs, certains Puniques d'Occident se nommeront Cananéens longtemps après l'absorption de l'empire carthaginois par les Romains. En effet, du fait de la position géographique de Carthage et alors que les Phéniciens sont présents dans l'Occident méditerranéen, la cité punique cristallise et regroupe cette présence, la transformant en empire, tout en favorisant l'essor de la colonisation.
L'art punique, celui des Phéniciens d'Occident, montre des composantes égyptiennes comme le travail du verre — avec les petits masques de verre des tombes puniques spécifiques à la mentalité phénicienne et qui servent à repousser loin du mort les mauvais esprits ou démons — et des motifs comme lelotus que l'on retrouve sur des objets ou sur la décoration de bâtiments. En outre, à partir duIVe siècle av. J.-C., apparaissent des traces d'influence hellène se superposant aux influences égyptiennes et s'ajoutant à la culture phénicienne primitive.
Le mausolée libyco-punique de Dougga occupe une place particulière car il symbolise lesyncrétisme architectural entre traditions égyptiennes et apports grecs, voire hellénistiques[148]. Il subsiste d'autres témoins de cette architecture funéraire monumentale comme àSabratha.
Lasculpture évolue d'un style hiératique, presque symbolique, vers une esthétique plus figurative mais idéalisant la perfection. L'éphèbe deMotyé, unmarbre duVe siècle av. J.-C. découvert lors de fouilles terrestres en1979, témoigne de ce contact avec le monde grec de Sicile. Cette statue a donné lieu à diverses thèses : certains y ont vu une représentation deMelqart avec une nette influence grecque alors d'autres chercheurs considèrent la statue comme une œuvre grecque transportée à Motyé à la suite d'opérations militaires. D'autres encore l'identifient comme une commande à un artiste grec de Sicile duVe siècle av. J.-C. mais selon les canons carthaginois, en particulier sur le plan vestimentaire[149] ; on a même évoqué un rôle d'aurige voire un commanditaire de jeux[150]. L'ambiguïté des canons de cette œuvre entraîne « une perte des repères habituels, source d'inconfort intellectuel et esthétique »[151]. Le sarcophage dit « de la prêtresse » de lanécropole des Rabs montre également ces influences mêlées.
Les canons esthétiques desprotomés indiquent le même métissage et les critères à l'origine des choix des artisans restent difficiles à appréhender. Les statuettes d'Ibiza révèlent quant à elles une influence locale sans doute liée au relatif isolement de l'île[152]. Métropole située entre Orient et Occident, Carthage a globalement joué un rôle facilitateur d'échanges économiques et culturels, révélant une grande porosité aux apports extérieurs[153].
Les persistances dans l'architecture concernent surtout l'opus africanum et lamosaïque. L'opus africanum est un type de construction à chaînage retrouvé dans les fouilles deKerkouane ainsi que sur bien d'autres sites puniques, et dont l'un des exemples de l'époque romaine se situe auCapitole deDougga. Quant à la mosaïque, l'école de mosaïstes africains, particulièrement habile et bénéficiant en outre demarbres de belle qualité, a largement diffusé ses modèles de bestiaires et de scènes mythologiques dans l'Empire romain.
Dans le domaine religieux, la persistance du culte rendu àSaturne africain[155] et l'interpretatio romana du Ba'al punique ainsi que de saparèdre Caelestis, transposant la déesseTanit[156], a été étudiée ; le culte deSardus Pater enSardaigne procède de la même évolution. Les sanctuaires ruraux se sont maintenus, comme à Thinissut et à Bou Kornine. Le sanctuaire néo-punique le plus important fouillé jusqu'à présent, et ayant livré les témoignages les plus intéressants de fusion d'éléments libyques et puniques, se trouve à El Hofra (Cirta). On a découvert des éléments de continuité dans les stèles dites « de la Ghorfa » ainsi qu'une vitalité du Saturne africain, dieu infernal et pourvoyeur des moissons, jusqu'à la fin du premier quart duIVe siècle[157].
La transmission des « livres puniques » des bibliothèques de la cité martyre vers les souverains numides[158] a fait l'objet d'âpres discussions, leur utilisation parSalluste lors de l'élaboration de saGuerre de Jugurtha ayant été évoquée. Cependant, on perd très vite la trace de ces ouvrages dans les sources ; ils ne sont plus évoqués que comme souvenir dèsAugustin d'Hippone[159].
Il semble également que durant longtemps lalangue punique s'est maintenue, comme en témoignent les textes dits « néo-puniques » et la diffusion de la langue dans les royaumes numides, en particulier dans leur monnayage[160]. Augustin l'évoque même dans l'une de ses œuvres[161] :
« Ainsi demandez à nos paysans ce qu'ils sont. Ils vous répondront, en langue punique : « Chanani », c'est-à-dire [...] Cananoei (Cananéens) »
Selon Augustin d'Hippone, les villageois (enlatin :rustici) d'Afrique du Nord, parlant la langue phénicienne (« lingua punica »), s'identifiaient eux-mêmes ou leur langue comme« Chanani ». Augustin, dans une discussion sur laguérison de la fille d'une Cananéenne duNouveau Testament, a soutenu que ce nom (enlatin :Chanani) était le même que le motChananaei (« Cananéens »). La formulation latine correcte parmi les manuscrits est débattue et le contexte est ambigu. Bien que ce passage ait été avancé pour démontrer que le nom« Cananéen » était l'endonyme des Phéniciens, il est possible que le contexte réhétorique des paroles d'Augustin signifie qu'elles ne peuvent pas être invoquées comme preuve historique[162].Gabriel Camps propose pour sa part d'y voir un dialecte libyque plutôt que punique, d'autant plus que le terme« punicus » au temps d'Augustin était dans de nombreux contextes synonyme d'africain[163] et la région d'où ces paysans provenaient est l'une des régions d'Algérie avec la plus forte concentration de stèles libyques[164].
Depuis la fin des années 2010, des études génétiques basées sur l'ADN ancien ont montré que les Puniques deSardaigne, d'Ibiza, du sud de la péninsule ibérique, d'Italie et de Tunisie notamment étaient issus principalement d'un mélange génétique entre populations d'Europe du Sud et d'Afrique du Nord[166],[167],[168],[169],[170].
En 2019, une étude génétique de Iñigo Olalde et ses collègues montre que les individus du sud de lapéninsule Ibérique entre lesIIIe et VIIe siècles possédaient une ascendance nord-africaine substantielle et beaucoup plus importante que les populations actuelles de la même région. Selon les auteurs, cet important flux de gènes en provenance d'Afrique du Nord aurait pu se produire à l'époque romaine ou lors de la période punique[166].
En 2020, selon une étude génétique de Flavio De Angelis et ses collègues, l'individu trouvé dans une sépulture collective à Ibiza dans un hypogée punique daté de 361-178 av. J.-C. a un profil génétique différent des autres individus des îles Baléares datant de la même époque car il possède une ascendance nord-africaine importante[170].
Une autre étude génétique de Joseph H. Marcus et ses collègues sur l'histoire génomique de la Sardaigne publiée en 2020 montre que les six individus issus du site punique deVillamar en Sardaigne avaient une ascendance nord-africaine ancienne substantielle (20-35 %), contrairement aux individus du site deMonte Sirai, fondé plusieurs siècles plus tôt par les Phéniciens, qui en possèdent très peu, de même que les Sardes actuels[167].
Deux études publiées en 2021 dans la revueAnnals of Human Biology(en) montrent également une forte proximité génétique avec les populations d'Afrique du Nord de plusieurs individus, peut-être descendants de captifs des guerres puniques selon les auteurs, du site deQuarto Cappello del Prete, situé près deGabies en Italie et datant de la Rome impériale (Ier – IIIe siècles), et de ceux du site punique deTharros (Ve et IIIe sièclesav. J.-C.), situé en Sardaigne[168],[169].
Une étude de Hannah M. Moots et ses collègues publiée en 2022[172], portant sur la Méditerranée centrale de l'âge du fer, montre que douze individus de la petite cité punique deKerkouane dans lecap Bon ont un profil très hétérogène. Parmi eux, sept individus montrent de fortes affinités avec les populations siciliennes de l'âge du bronze. Un individu parmi ces douze échantillons est similaire auxMarocains et auxMozabites actuels tandis que quatre autres présentent « une continuité génétique avec les agriculteurs néolithiques maghrébins qui précèdent, suggérant que ces individus représentent une population nord-africaine autochtone »[172]. De manière surprenante, les auteurs notent l'absence d'influence génétique levantine substantielle[172] et proposent comme explications des rites funéraires différents (incinération) ou une colonisation superficielle impliquant peu d'individus phéniciens. Au niveau archéologique, la présence de colons grecs deSicile à Kerkouane est par ailleurs bien attestée[173],[174],[175]. Selon les auteurs de l'étude, « ces résultats indiquent que les populations autochtones d'Afrique du Nord ont contribué de manière substantielle à la composition génétique[de la population] de Kerkouane »[172]. De plus, les auteurs notent que « la contribution des populations autochtones d'Afrique du Nord dans l'histoire carthaginoise est obscurcie par l'utilisation de termes tels que « Phéniciens occidentaux », et même dans une certaine mesure, « puniques », dans la littérature pour désigner les Carthaginois ». Selon les auteurs, ces termes suggèrent une population principalement coloniale et minimisent le rôle des populations autochtones dans l'empire carthaginois. Les auteurs montrent que les approches génétiques sont bien adaptées pour examiner de telles hypothèses, et que, en réalité, « les populations nord-africaines ont contribué de manière substantielle à la composition génétique des populations des villes carthaginoises »[172].
Une étude génétique publiée en, menée par une équipe internationale de l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionniste et de l'université Harvard, offre un nouvel éclairage sur les origines des Carthaginois. En analysant l'ADN ancien d'environ 200 individus provenant de quatorze sites archéologiques autour de la Méditerranée (Afrique du Nord, Ibérie, Sicile, Sardaigne etLevant). Les chercheurs ont découvert que les populations puniques étaient génétiquement très diverses, avec peu ou pas d'ascendance directe du Levant, région d'origine supposée des Phéniciens. Contrairement à l'idée d'une expansion par migration massive depuis le Levant, « les héritiers de la culture phénicienne tirent la majeure partie de leur ascendance d'un profil génétique proche de celui des populations de Sicile et de l'Égée. Le reste de leur patrimoine génétique provient en grande partie d'Afrique du Nord, reflétant l'influence croissante de Carthage dans la région ». À Carthage même, « chez 14 des 17 individus analysés, l'ascendance nord-africaine est inférieure à 15 %, tandis que les trois autres individus présentent une ascendance nord-africaine comprise entre 20 % et 50 %. Comme à Kerkouane, la principale origine ancestrale est sicilienne-égéenne ». Ces résultats suggèrent que l'expansion phénicienne s'est réalisée principalement par le biais d'un réseau d'échanges commerciaux, de contacts maritimes et d'assimilations culturelles. Carthage aurait ainsi été un centre cosmopolite, intégré dans un vaste monde méditerranéen dynamique, marqué par des interactions constantes entre populations locales et influences orientales[176],[177],[178].
Une étude de Debbie Guatelli-Steinberg, Joel D. Irish etJohn R. Lukacs(en) portant sur la morphologie dentaire de populations nord-africaines démontre que les Carthaginois présentent de fortes similarités avec celles-ci et notamment avec lesGuanches desîles Canaries[179].
Une étude de Marie-Claude Chamla et Denise Ferembach[180]reprise par S.O.Y. Keita[181] portant sur les affinités des Puniques par rapport à un échantillon de populations anciennes et actuelles du bassin méditerranéen démontre que les populations les plus proches de l'échantillon carthaginois sont lesAlgériens de l'époque protohistorique (1500 av. J.-C.) et ensuite la série espagnole romaine de Tarragone.
En 2018, une étude de Keita portant sur l'analyse craniométrique de douze crânes carthaginois d'époque « pré-Hannibal » montre que les résultats sont intermédiaires entre les séries phéniciennes et maghrébines avec néanmoins une position plus proche de la série maghrébine et démontre d'après l'auteur que les Carthaginois étaient issus d'un mélange entre Phéniciens et populations locales[182].
La peinture deTurner,Didon construisant Carthage ou l'ascension de l'Empire carthaginois, exposée à laRoyal Academy of Arts en1817, est inspirée de l'Énéide. Elle représente Carthage, fondée parDidon. L'histoire de la montée et de la chute des empires a été un thème qui a préoccupé Turner tout au long de sa vie, et il a peint dix peintures majeures sur le thème de l'empire carthaginois[183]. Il a vu la montée et la chute des empires autrefois grands, comme inévitables[184].
AuXIXe siècle, dans le contexte decolonisation contemporaine, de vastes fouilles sont effectuées dans les pays du Maghreb, axées surtout sur l'époque romaine et byzantine, les vestiges de la période antérieure étant moins impressionnants et n'obéissant pas à l'idéologie sous-jacente à ces recherches.
« Pour sa part, Carthage a fort peu contribué à la civilisation générale. Son luxe n'a guère été utile à l'art. Nous avons dit ce que son industrie, qui n'inventa rien, se traîna dans la routine, et dont la technique même est soit médiocre, soit mauvaise[186]. »
↑« Punique » veut dire « phénicien » enlatin, sachant que le mot « phénicien » vient du grecΦοινικήϊος /Phoinikếïos. Lui-même est fortement lié au mot grec « pourpre » (φοῖνιξ ouphoĩnix), une spécialité phénicienne.
« Les Carthaginois ne sont pas seulement des Phéniciens venus s'installer à l'ouest, comme on l'a souvent dit. Plusieurs données invitent à leur reconnaître une spécificité […] En réalité, la civilisation carthaginoise est le produit d'une hybridation. L'élément phénicien s'est mélangé à l'élément autochtone, qui apparaît sous le nom delibou, « les Libyens ». »
↑Voir la représentation d'une scène de charrue tirée par un dromadaire dansFlorence Heimburger, « Naissance d'un empire »,Les Cahiers de Science et Vie,no 104,,p. 37.
↑Ahmed Ferjaoui,Recherche sur les relations entre l'Orient phénicien et Carthage, Fribourg/Göttingen, Éditions universitaires de Fribourg/Vandenhoeck & Ruprecht,, 504 p.(ISBN978-3525537589),p. 221-222.
↑Tilmatine Mohand, « Substrat et convergences : le berbère et l'arabe nord-africain »,Estudios de dialectologia norteaafricana y andalusi,no 4,,p. 99-119(ISSN1137-7968).
↑Gabriel Camps, « Punica Lingua et épigraphie libyque dans la Numidie d'Hippone »,Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques / Afrique du Nord,vol. 23,,p. 36.
La version du 17 juin 2009 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.