Officiellement, il n'y a pas de peuple connu sous l'ethnonymePomaks, car ce dernier représente avant tout une minorité religieuse au sein du peuplebulgare.
Le nom "Pomak" apparait dans lalangue bulgare dans la partie nord de laBulgarie, dans les régions deLovetch,Teteven,Lukovit etByala Slatina, pour désigner les populationsbulgares converties à l'islam sous la domination ottomane. Deux théories existent quant à l'origine du mot. La première est qu'il s'agirait de la contraction de l'expression "по-ямак" ("po-yamak", littéralement "plus qu'unYemek(en)"). La deuxième théorie, qui est aussi la plus répandue, est que le terme viendrait des mots dialectaux "помáкан, омáкан, омáчен, помáчен" (pomákan, omákan, omátchen, pomátchen), qui signifient "tourmenté, torturé"[12],[13].
La question de la « bulgarité » des Pomaks hante depuis longtemps les débats touchant à l'identité nationale, tant des Bulgares eux-mêmes que desTurcs de Bulgarie : pour certains Bulgares, les Pomaks ne sont pas des Bulgares, car ceux-ci ne peuvent être que chrétiens ; pour d'autres, les Pomaks sont bien des Bulgares, forcés de renier leur foi et « hérités des crimes commis par l'Empire ottoman contre lepeuple bulgare ». En fait la principale cause de conversion à l'islam des chrétiens desBalkans et d'Anatolie au fil des siècles est lacharia appliquée dans l'Empire ottoman, aux termes de laquelle ils étaient soumis auharaç (double imposition sur les non-musulmans) et audevchirmé (enlèvement des garçons pour devenir desjanissaires).
Dans les années 1970 et 1980, le régime communiste deTodor Jivkov a voulu effacer l'identité des Turcs de Bulgarie en les proclamant « Pomaks » et en les forçant à reprendre des prénoms et des patronymes « typiquement bulgares » ou à quitter le pays pour aller s'installer enTurquie.
Aujourd'hui, il existe un mouvement religieux chrétien-ultra-orthodoxe etnationaliste qui tente de convertir les Pomaks au christianisme.
Il existe des Pomaks qui s'orientent vers les protestants évangélistes, un courant religieux surtout apporté par des missionnaires américains, ou par des Pomaks convertis, car ils entretiennent des relations historiquement tendues avec les autres Bulgares orthodoxes, à cause des longues persécutions qu'ils ont subies depuis l'indépendance de laBulgarie.
Les Pomaques de Grèce sont musulmans,sunnites ouchiites (« bektaši »). Depuis leTraité de Lausanne (1923), l'État grec propose un enseignement primaire bilingueturc-grec à la minorité musulmane, suivi donc par les Pomaques, lesTurcs et lesRoms musulmans deThrace occidentale. Parallèlement, les élèves suivent un enseignement religieux à la mosquée, en turc et enarabe. Aujourd'hui, la situation est diverse sur le plan linguistique : une minorité de Pomaques transmettent encore leur langue maternelle slavepomaque, qui est un dialecte bulgare du Sud-Ouest, et maîtrisent aussi le turc et le grec, alors qu'une grande partie transmet le turc comme langue première et apprend le grec comme deuxième langue. Leur principal centre culturel est la ville deXánthi.
Selon le recensement de 2001,36 000 personnes se sont déclarées comme Pomaks :
23 000 dans lenome de Xánthi (soit environ 22% de la population) ;
11 000 dans lenome de Rhodope (soit environ 10% de la population) ;
2000 dans lenome de l'Évros (soit environ 1% de la population).
Cependant, une part importante des54 000 habitants s'étant déclarés comme Turcs (10 000 dans le nome de Xánthi,42 000 dans le nome de Rhodope et2000 dans le nome de l'Évros) seraient des Pomaksturquisés[14].
Selon l'Union nationale des Pomaks de Grèce, les Pomaks seraient au nombre de80 000 en Thrace orientale[15]. Ahmed Imam, le président de l'organisation àXánthi a déclaré :
"En 2-3 mois nous pouvons apprendre à lire en bulgare, nous connaissons la grammaire, c'est notre langue maternelle."[16]
enThrace orientale, leur terroir d'origine ; leur nombre a augmenté après leTraité de Constantinople de 1913, aux termes duquel l'Empire ottoman récupéra sur la BulgarieAndrinople,Kirk-Kilissé etDémotika : d'une part certains habitants bulgares chrétiens préférèrent devenir Pomaques et conserver leurs propriétés, d'autre part il y eut échange de population entre les autres Bulgares chrétiens, qui rejoignirent la Bulgarie, et des Pomaques duRhodope venus s'installer là ;
àIstanbul, de par l'exode vers les villes (Belgrad, le village bulgarophone le plus proche d'Istanbul, se trouvait à moins de quinze kilomètres de la ville) ;
Jusqu'à la fin des années 1990, les départements frontaliers de Grèce, dont lenome de l'Évros dans lequel vivent beaucoup de Pomaques de Grèce, étaient sous surveillance militaire, en totalité ou en partie, en raison du « Rideau de fer » (la Grèce était dans l'OTAN, la Bulgarie dans lePacte de Varsovie). Ce régime appelé en grecεπιτηρούμενη ζώνη (epitirumeni zoni) « zone surveillée » suspendait en fait le droit commun des citoyens et de l'administration civile dans toute une série de domaines (résidence, citoyenneté, déplacement, possession de biens immobiliers...). Du côté bulgare, sous ladictature communiste, c'est dans tout le pays que le droit commun des citoyens était restreint, mais la zone frontalière avec la Grèce et la Turquie, où vivent les Pomaques de Bulgarie, était particulièrement surveillée, les musulmans étant en outre suspects de sympathie envers laTurquie, « État impérialiste » lui aussi membre de l'OTAN.
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