L'ancienne capitale, après sa disparition, a laissé la place durant plusieurs siècles à un village nomméAboba. Toutefois, après desfouilles archéologiques ayant mis au jour d'importants vestiges, suivies de recherches historiques venues confirmer l'hypothèse de la localisation de l'ancienne capitale, le village a été renomméPliska.
En effet, l'actuelle bourgade dénommée Pliska, qui se trouve à trois kilomètres au sud du site, s'appelait Aboba jusqu'en1925 où elle fut renommée Pliskov jusqu'en1947. Depuis cette date, la ville porte le nom de Pliska. Sa population était de 1 249 habitants en2007. Elle a administrativement le statut deville (en bulgare :град) dans la nomenclature bulgare.
Pliska, qui est rattachée à l'obchtina de Kaspitchan, dans l'oblast de Choumen, est située à environ90 kilomètres de la ville portuaire de Varna et5 kilomètres au nord-ouest deKaspitchan, chef-lieu de la municipalité. Par ailleurs, elle se trouve à5 kilomètres à l'ouest deNovi pazar, chef-lieu de la municipalité voisinedu même nom, et à environ22 kilomètres au nord-est deChoumen, chef-lieu de l'oblast.
AuVe siècle, deux grandes tribus slaves s’installèrent dans l’actuelleRoumanie, au nord duDanube. Vers le milieu duVIe siècle, en raison des pressions exercées par lesAvars, de petits groupesslaves traversèrent le Danube, vers le sud, et s’y installèrent sans grande résistance de la part des byzantins, alors trop faibles pour les en empêcher[1]. En effet, le territoire de ce qui devint laBulgarie était, au début duMoyen Âge, une région sous le contrôle de l’Empire byzantin[2].
En635,Koubrat, chef desOnoghours, unifia les différents groupes ethniques au nord de lamer d’Azov en s’affranchissant de la suzeraineté des Avars et à sa mort vers642, le territoire fut divisé entre ces fils[1]. L’un de ses fils,Asparoukh, entama unemigration avec une partie de la population vers le territoire de l’actuelle Roumanie. Vers les années670, ils traversèrent, sous forme de raids, le Danube pour finalement soumettre les populations slaves qui y étaient établies[3]. Dans le dernier quart duVIIIe siècle, le territoire s’étendait au nord duGrand Balkan ainsi qu’un peu au-delà du Danube et à l’ouest de lamer Noire.
C’est d’ailleurs dans cette région que fut fondée Pliska, en681 par Asparoukh. La ville prit le statut decapitale et ce, jusqu’en893. L’établissement desBulgares dans cette région, sous l’impulsion d’Asparoukh, marque le début duPremier Empire bulgare, mais aucune preuve archéologique solide ne permet d’affirmer qu’il soit bel et bien le fondateur de Pliska[4].
Pliska était située dans la partie nord-est de la Bulgarie : au sud du Danube et à l’ouest de la mer Noire. Lesite archéologique de Pliska est aujourd’hui situé à proximité de l’ancien village Aboba et c’est pour cette raison qu’il est nomméAboba-Pliska[4].
Les ruines de Pliska furent mentionnées pour la première fois en par le voyageur allemandCarsten Niebuhr alors qu’il revenait d’Inde. En, Felix Kanitz, ungéographe etarchéologueaustro-hongrois, se rendit sur le site et en fit la première description scientifique. Il décrivit alors les ruines de la fortification de pierre de la ville intérieure comme étant de style romain. Sur la base d’une inscription grecque découverte sur une colonne, il nomma à tort le siteKastron Burdizu[5].
Dans le dernier quart duXIXe siècle, le site attira l’attention de deux chercheurstchèques, l’historienKonstantin Jireček et l’archéologueKarel Škorpil. Jireček fut le premier à l’identifier comme étant une ville de laGrande Bulgarie, Pliskov. Il arriva à cette conclusion en s’appuyant sur dessources écrites byzantines desXe et XIe siècles, notamment[6]. Cependant, les recherches de Škorpil l’amenèrent à reconsidérer l’identité du site, grâce à des inscriptions découvertes dans deux autres villes, et à l’associer à Pliska, ville de l’ancien palais d’Omourtag[6].
Grâce aux nouvelles méthodes de fouilles archéologiques développées parGiuseppe Fiorelli sur le site dePompéi, l’archéologie moderne connut alors un véritable essor[7]. À la suite des recherches sur la capitale bulgare, réalisées par Karel Škorpil, entre autres, les premières fouilles archéologiques concernant Pliska furent financées par l’Institut archéologique russe de Constantinople à la fin duXIXe siècle[8]. Avant même le début des premières fouilles, en, les recherches avaient amené les historiens et archéologues à porter leur attention sur des sites situés dans le nord-est de la Bulgarie. Le site fortifié d’Aboba était dès lors fortement considéré pour être l’emplacement de la capitale du Premier Empire bulgare,Pliskoba/Pliska[9]. Škorpil put prouver l’existence et l’emplacement de la ville grâce aux travaux archéologiques qu’il entreprit. Les découvertes réalisées ont alors dissipé tous les doutes concernant Aboba-Pliska.
Toutefois, des recherches réalisées à la fin desannées 1990 menées par une équipe germano-bulgare permirent de découvrir un nouveau site fortifié unique, Kabiyuk, à environ8 kilomètres à l’ouest d’Aboba[8] et à proximité du village de Konyovets[11]. Cela eut pour conséquences de remettre en question l’emplacement de l’ancienne capitale bulgare ou du moins, à questionner le statut et le rôle du site Aboba-Pliska[12].
Selon l’hypothèse traditionnelle, les Bulgares établirent leur capitale à Pliska sur ce qui fut auparavant un grand camp fortifié dans une plaine[1]. Le camp n'était fort probablement qu’un simple site constitué de tentes avec très peu, voire aucun bâtiment permanent[4]. Lorsque le camp devint un village puis une ville, l’entièreté du site couvrait approximativement 21,8 kilomètres carrés[8] et comprenait le palais dukhan, lesyourtes de son entourage direct, des entrepôts, des commerces et des pâturages pour les troupeaux et les chevaux[13]. Les bâtiments mis au jour confirment l’influence slave sur les Bulgares du Premier Empire ; ils sont de forme rectangulaire et semi-souterrains[4]. Le territoire rectangulaire de la ville était divisé en deux parties distinctes : la ville comprise à l’intérieur du rempart de pierre et la ville extérieure qui se développait autour du cœur de la ville et protégée par unremblai de terre[13]. Cette configuration permit d’assurer la stabilité nécessaire aux développements économiques et politiques futurs.
Le remblai de terre, long de21 kilomètres et protégeant un territoire de 2300hectares, fut probablement le premier élément défensif érigé pour assurer la sécurité de l’établissement semi-permanent ou permanent[4]. En effet, le territoire est très vaste et la construction d’une telle structure est relativement simple. Ainsi, cette protection devait assurer les limites du site tout en offrant la sécurité minimale nécessaire. Sans qu’il ne soit possible d’expliquer précisément la raison de l’immense territoire ceinturé par le remblai, il se peut que ce fût pour assurer un espace de pâture pour le bétail ainsi que des espaces suffisants pour une agriculture de base.
Les recherches archéologiques ont également révélé de nombreuses structures, civiles et militaires, en bois, en terre et en pierres à l’intérieur de la muraille de pierres délimitant la ville intérieure[15]. Toutefois, à l’exception d’une ou deux structures, comme la « Boyar’s House », la totalité des bâtiments de pierres datent de la périodechrétienne[16]. Pavel Georgiev avance l’hypothèse que Pliska aurait été, pendant les premières décennies de son existence, un établissement saisonnier. Ainsi, la majorité des bâtiments des deux parties de la ville auraient été construits en bois jusqu’à ce que le pouvoir s’y établisse de façon permanente à partir de la seconde moitié duVIIIe siècle[17].
Dans l’historiographie traditionnelle, Pliska est considérée comme la première capitale de l’histoire de la Bulgarie. Toutefois, Chavdar Kirilov avance que Pliska pourrait en réalité être une ville parmi plusieurs autres ayant servi de « petite capitale » ou de lieu de résidence temporaire du pouvoir[17] Selon lui, les dirigeants bulgares de cette époque n’auraient pas eu de résidences fixes d’où ils exerçaient le pouvoir avant le début duVIIIe siècle et son interprétation rejoint celle de Georgiev qui considère que la ville était une résidence saisonnière[17].
En effet, des fouilles dans l’église des Quarante Martyrs, àVeliko Tărnovo, en1905, ont révélé une colonne sur laquelle des inscriptions indiquaient qu’Omourtag possédait une résidence près du Danude, fort probablement àDristra. Dans cette même ville, les archéologues ont effectivement découvert une inscription portant le nom du Khan[18]. De plus, àHan Krum(en), une ville au sud d’Aboba-Pliska et fouillée la même année que l’église des Quarante Martyrs, furent découvertes deux inscriptions qui permettent d’appuyer l’hypothèse des capitales multiples[18]. Il est possible de traduire ces inscriptions comme suit :
« Kana sybigi Omurtag est par la grâce de Dieu archonte dans le pays dans lequel il est né. Résidant à Pliska, il construisit un palais (ou cour) au bord de la rivière Ticha, à l'endroit où il avait déplacé son armée contre les Grecs et les Slaves, et il érigea habilement un pont sur la Ticha, en plus d'un palais (ou cour), et avec le palais (ou la cour), il érigea quatre colonnes dans ce palais, et à leur sommet il plaça deux lions... »
— traduit depuis Curta & Kovalev, The Other Europe in the Middle Ages[19]
Ainsi, il est fort probable que cette pratique n’avait rien de nouveau et qu’Omourtag a poursuivi la tradition en ayant plusieurs résidences temporaires.
L’attribution du statut de première capitale bulgare à Pliska fut probablement influencée par le contexte politique et social propre auxXIXe et XXe siècles. En effet, partout enEurope, cette période fut marquée par l’affirmation de l’identité nationale et, dans le cas de la Bulgarie, la volonté de s’affranchir de l’Empire ottoman. La découverte d’une capitale avantPreslav permettait de faire remonter les origines indépendantes des Bulgares bien avant la domination ottomane et donc, de favoriser la création d’uneidentité nationale forte[21]. Sans rejeter l’interprétation traditionnelle, il est nécessaire que les recherches se poursuivent pour permettre d’élucider la question du rôle politique de Pliska.