La phosphorylation oxydative fait intervenir desréactions qui libèrent de l'énergie pour réaliser des réactions qui consomment de l'énergie : on dit que ces deux groupes de réactions sont couplées. Cela signifie que les unes ne peuvent se produire sans les autres. La circulation desélectrons à travers unechaîne de transport d'électrons — de lachaîne respiratoire ou de laphotosynthèse — est un processusexergonique, c'est-à-dire qu'elle libère de l'énergie ; labiosynthèse de l'ATP par l'ATP synthase, quant à elle, est uneréaction endergonique, c'est-à-dire qu'elle a besoin d'un apport d'énergie pour se produire.
Aussi bien la chaîne de transport d'électrons que la biosynthèse de l'ATP se déroulent dans unemembrane biologique, l'énergie libérée par la première étant transmise à la seconde par un flux deprotons à travers cette membrane. C'est ce couplage qu'on appellechimiosmose[1]. Le principe est semblable à celui d'uncircuit électrique avec un courant de protons traversant la membrane de sa face chargée négativement vers sa face chargée positivement sous l'effet d'enzymes de pompage alimentées par l'énergie libérée par la chaîne de transport d'électrons. L'accumulation des protons du côté chargé positivement de la membrane crée ungradient électrochimique à travers cette membrane. Ce gradient électrochimique correspond à la force proton-motrice de la phosphorylation oxydative ; il est formé à la fois d'une différence deconcentration en protons entre les deux faces de la membrane (on parle degradient de concentration enions H+, ou ΔpH), et d'unedifférence de potentiel électrique entre ces mêmes faces[2].
Les ATP synthases ferment le circuit en permettant aux protons de circuler le long du gradient électrochimique et donc de traverser la membrane du côté chargé positivement vers le côté chargé négativement[3]. Cette force proton-motrice actionne certainessous-unités de l'ATP synthase qui fonctionnent comme un rotor permettant laphosphorylation de l'ADP enATP.
Les deux composantes de la force proton-motrice sontthermodynamiquement équivalentes : dans lesmitochondries, la plus grande partie de l'énergie provient de la différence de potentiel électrique à travers la membrane, tandis que leschloroplastes fonctionnent essentiellement à partir de la différence de pH tout en requérant un faiblepotentiel de membrane pour la cinétique de la biosynthèse de l'ATP. Chez lafusobactérieP. modestum(en) par exemple, ce dernier actionne la rotation des sous-unités a et c du rotor FO de l'ATP synthase[2].
La quantité d'énergie libérée par la phosphorylation oxydative est comparativement bien plus élevée que celle libérée par lafermentationanaérobie. Une molécule deglucose ne permet de produire que deux molécules d'ATP par laglycolyse, mais de 30 à 36 molécules d'ATP par oxydation complète, à travers lachaîne respiratoire, descoenzymes réduites issues ducycle de Krebs[4] tandis que chaque cycle deβ-oxydation d'unacide gras libère 14 molécules d'ATP. Ces valeurs sont cependant théoriques : en pratique, il existe des pertes dues à la dissipation du gradient électrochimique par diffusion passive des protons à travers la membrane, ce qui abaisse le rendement effectif de la phosphorylation oxydative[5].
Un grand nombre de processus biochimiques produisent descoenzymesréduites, essentiellement duNADH : c'est le cas de laglycolyse, ducycle de Krebs et de laβ-oxydation. Cette coenzyme porte deux électrons à haut potentiel de transfert, c'est-à-dire des électrons susceptibles de libérer une quantité significative d'énergie paroxydation. Cette énergie n'est cependant pas libérée en une seule fois mais en une série d'étapes mettant en jeu à chaque fois de petites quantités d'énergie lorsque les électrons passent d'une coenzyme à une autre, lepotentiel standard croissant au fur et à mesure que les électrons avancent dans la chaîne. Cette suite d'enzymes, formée des complexesI àIV, constitue lachaîne respiratoire. Elle se trouve dans lamembrane mitochondriale interne. Lesuccinate est également oxydé par la chaîne de transport d'électrons mais entre dans cettevoie métabolique d'une manière différente.
Contrairement auxeucaryotes, dont les chaînes respiratoires sont très semblables, lesprocaryotes —bactéries etarchées — possèdent une grande variété d'enzymes de transfert d'électrons, qui utilisent également une tout aussi grande variété desubstrats[8]. En revanche, le transport d'électrons des procaryotes a en commun avec celui des eucaryotes d'utiliser l'énergie libérée au cours de l'oxydation des substrats pour pomper desions à travers unemembrane et produire ungradient électrochimique à travers cette membrane. Chez les bactéries, la phosphorylation oxydative d’Escherichia coli est la mieux comprise, tandis que celle des archées demeure mal connue[9].
La principale différence entre la phosphorylation oxydative des procaryotes et celle des eucaryotes est que les bactéries et les archées utilisent des substances diversifiées comme donneurs et accepteurs d'électrons. Ceci permet aux procaryotes de croître dans des conditions environnementales très diverses[10]. ChezEscherichia coli, par exemple, la phosphorylation oxydative peut être le fait d'un grand nombre decouples rédox, dont le tableau ci-dessous donne une liste. Lepotentiel standard d'une substance chimique mesure l'énergie libérée lorsque cette substance est oxydée ou réduite, lesréducteurs ayant un potentiel négatif tandis que lesoxydants ont un potentiel positif.
L'ATP synthase, parfois appelée complexeV, est l'enzyme qui clôt la phosphorylation oxydative. Elle est présente chez tous les êtres vivants et fonctionne de la même façon que ce soit chez leseucaryotes ou chez lesprocaryotes[12]. Elle utilise l'énergie potentielle stockée sous forme degradient de concentration deprotons à travers unemembrane pour actionner laphosphorylation de l'ADP enATP. Le nombre estimé de protons requis par molécule d'ATP synthétisée varie selon les sources entre trois et quatre[13],[14], certaines expériences laissant penser que lescellules sont susceptibles de faire varier ce ratio pour s'adapter aux variations des conditions environnementales dans lesquelles elles évoluent.
Cette réaction de phosphorylation est unéquilibre susceptible d'être déplacé en faisant varier la force proton-motrice. En l'absence de cette dernière, la réaction se déroule de droite à gauche et consiste àhydrolyser de l'ATP pour pomper des protons hors de lamatrice mitochondriale à travers lamembrane mitochondriale interne. Cependant, lorsque la force proton-motrice est suffisante, la réaction est forcée dans l'autre sens, de gauche à droite, et permet aux protons de franchir la membrane en direction de la matrice mitochondriale tout en actionnant l'ATP synthase pour convertir l'ADP en ATP[12]. De fait, laV-ATPase, ou ATPase vacuolaire, catalyse l'hydrolyse de l'ATP pour acidifier descompartiments cellulaires en y injectant des protons[15].
L'ATP synthase est un gros complexe protéique en forme de champignon. Chez lesmammifères, ce complexe contient 16 sous-unités pour une masse totale d'environ 600 kDa[16]. La région incluse dans la membrane est appelée FO — le « O » fait référence à l'oligomycine ; il ne s'agit pas du chiffre 0 — et renferme un anneau de sous-unitésc ainsi que le canal à protons. La tige et la tête sphéroïdale forment la région F1 et sont le lieu de production de l'ATP. La tête sphéroïdale à l'extrémité de la région F1 est formée de six protéines de deux types différents — trois sous-unités α et trois sous-unités β — tandis que la tige est constituée d'une seule protéine, la sous-unité γ, qui se prolonge partiellement dans la tête[17]. Les sous-unités α et β se lient auxnucléotides mais seules les sous-unités β catalysent la biosynthèse de l'ATP.
Lorsque les protons traversent la membrane en empruntant le canal de la région FO, ils y actionnent un rotor moléculaire sous l'effet de la force proton-motrice[18]. La mise en rotation du rotor est vraisemblablement provoquée par des changements dans l'état d'ionisation derésidus d'acides aminés dans l'anneau de sous-unitésc, ce qui provoquerait des interactionsélectrostatiques mettant cet anneau en mouvement[19]. La rotation de cet anneau est transmise à la tige γ jusqu'à l'intérieur de la tête α3β3. Cette dernière, en revanche, demeure fixe par rapport à la membrane en raison de son bras latéral et fonctionne comme unstator. L'énergie chimique nécessaire à laphosphorylation de l'ADP enATP provient donc de l'énergie mécanique issue de la force proton-motrice et transmise par la rotation de la sous-unité γ jusqu'au complexe α3β3 ; dans ce dernier se déroulent deschangements conformationnels cycliques au cours desquels l'ADP est converti en ATP[20].
Principe de fonctionnement des sous-unités β de l'ATP synthase.L’état O est représenté en sombre,l’état L est en rouge etl’état T en rose.
Ce mode de biosynthèse de l'ATP, connu à la fin duXXe siècle comme « mécanisme par changement de liaisons » (binding change mechanism en anglais), fait intervenir de façon cyclique trois états distincts dusite actif de la sous-unité β[21]. Dansl’état O (open), l'ADP et le phosphate entrent dans le site actif, qui présente alors une assez faible affinité pour cessubstrats. La protéine se referme alors autour d'elles et les emprisonne en formant avec ces molécules des liaisons lâches : c'estl’état L (loose). Enfin, le site actif se referme encore davantage et passe àl’état T (tight), à forte affinité pour ces substrats et à forte activité enzymatique, quicatalyse lacondensation de l'ADP et du phosphate pour former de l'ATP et de l'eau. Le site actif repasse alors àl’état O et libère l'ATP formé, en attendant que de nouvelles molécules d'ADP et de phosphate viennent y entrer.
Chez certaines bactéries, l'énergie nécessaire à la phosphorylation de l'ADP en ATP est issue non pas d'un flux transmembranaire de protons, mais d'un flux transmembranaire d'ions sodium Na+[22],[23]. Lesarchées telles queMethanococcus contiennent également la synthase A1A0, forme d'ATP synthase qui contient des protéines supplémentaires dont laséquence peptidique ne présente qu'une faible similitude avec celle des sous-unités d'ATP synthases d'eucaryotes et de bactéries. Il est possible que, chez certaines espèces, la forme A1A0 soit une ATP synthase spécialisée pour les ions sodium[24], mais il n'est pas certain que ce soit toujours le cas[23].
L'oxygène moléculaire O2 est unoxydant fort, ce qui en fait un excellent accepteur final d'électrons. Cependant, laréduction de l'oxygène fait intervenir desintermédiaires potentiellement dangereux[25]. Même si le transfert de quatre protons et quatre électrons à une molécule d'O2 produit unemolécule d'eau H2O, laquelle est sans danger et même bénéfique à toutes les formes de vies connues, le transfert d'un ou deux électrons produit respectivement l'ionsuperoxyde O2•− et l'ionperoxyde O22−, qui sont très réactifs et par conséquent dangereux pour la plupart des êtres vivants. Cesformes réactives de l'oxygène, ainsi que leurs dérivés tels que leradicalhydroxyle HO•, sont très nocifs pour les cellules car ils oxydent lesprotéines et provoquent desmutations génétiques en altérant l'ADN. L'accumulation de telles dégradations dans les cellules pourrait contribuer à l'apparition demaladies et serait l'une des causes de lasénescence[26],[27] (vieillissement).
Plusieursmédicaments ettoxines bien connus sont desinhibiteurs de la phosphorylation oxydative. Bien que chacune de toxines n'inhibe qu'une seule enzyme de lachaîne respiratoire, l'inhibition d'une étape quelconque de cette chaîne bloque l'ensemble du processus. Par exemple, lorsque l'ATP synthase est inhibée par l'oligomycine, les protons ne peuvent plus regagner la matrice mitochondriale à travers la membrane interne[28]. Les pompes à protons deviennent ainsi incapables d'expulser des protons hors de la matrice lorsque les électrons circulent à travers la chaîne respiratoire car legradient de concentration en protons devient trop élevé à travers la membrane. LeNADH n'est plus oxydé enNAD+ et lecycle de Krebs cesse à son tour de fonctionner faute d'une concentration suffisante en NAD+.
Tous les inhibiteurs de la phosphorylation oxydative ne sont cependant pas destoxines. Dans letissu adipeux brun, desprotéines découplantes permettent de réguler la diffusion des protons à travers lamembrane mitochondriale interne, ce qui a pour effet de découpler lachaîne respiratoire de la production d'ATP[34]. Cette respiration découplée a pour effet de produire de la chaleur au lieu de l'ATP, ce qui joue un rôle vital dans lathermorégulation notamment desanimaux enhibernation, bien que ces protéines puissent également avoir une fonction plus générale de réponse cellulaire austress[35].
↑Le DNP a été largement prescrit contre l'obésité dans les années 1930 mais a par la suite été abandonné en raison de ses effets secondaires dangereux. Son utilisation illégale se poursuit cependant de nos jours.