L'ère Tenpyō (ou Tempyō) (729-794) (ou 729-784), seconde période de Nara après l'ère Hakuhō selon certains historiens d'art[3], sert, parfois, à évoquer toute la période dans le domaine artistique, car la culture a été particulièrement brillante à ce moment-là. Le Japon constitue alors un foyer culturel de première importance à côté deSilla, en Corée, et de laChine, se présentant comme un petit empire « civilisé » (selon des critères posés par l'empire chinois et auxquels le Japon adhère).
Auparavant, au cours de la période d'Asuka, commence un processus de centralisation du pouvoir fondé sur le modèle chinois, avec laréforme de Taika (645). En effet, la Chine s'est enfin réunifiée sous les dynastiesSui (581-618) puisTang (618-907) et redevient un modèle pour ses voisins. Par ailleurs, la diffusion du bouddhisme incite à la circulation des étudiants et des moines, qui passent ainsi sur le continent et reviennent avec des informations sur les modèles prestigieux de la Chine. Ainsi le premier grand code japonais, à la manière des codes chinois, est promulgué par l'impératrice Jitô (reg. 686-697) ; elle tente aussi de fonder la première capitale durable, qui passe d'Asuka àFujiwara-kyō. Ce processus va cumuler avec le code administratif de l'ère Taihō (code de Taihō) en 701[4], et donner naissance au régime des codes(律令,ritsu-ryō?), ouritsuryō[5], le système politique du Japon jusqu'à la fin de l'époque de Heian (1185). Ce code, composé de dispositions pénales (ritsu) et d'institutions administratives (ryô), mêle des traditions locales à des éléments chinois, en particulier le code des Tang[6]. Mais les structures mises en place à cette époque (bureaucratie centrale, système de répartition des rizières…) connaissent des difficultés dès l'époque de Nara.
En 710, cette époque de Nara débute avec l'installation de la capitale par l'impératriceGenmei à Heijō-kyō(平城京?,kyō voulant dire « capitale ») aujourd'hui connu sous le nom deNara, la première capitale fixe de l'archipel. Elle prend fin, lorsque l'empereurKammu (reg. 782-806) déplace la capitale àNagaoka-kyō (en 784) pour échapper à l'influence dessix écoles de la capitale du sud(南都六宗,Nanto roku shū?). Ce site est rapidement quitté au profit deHeian-kyō(平安京?), futureKyōto, car le lieu semblait néfaste[7].
Nara / Heijō-kyō : La ville est placée à proximité de routes, et donc en un lieu plus pertinent que Fujiwara-kyô. Elle est bien plus étendue aussi, plus de trois fois. Elle couvre 4,2 km sur 4,7 km. Construite en un damier de mailles carrées, sur le modèle chinois de la ville deChang'an (capitale desTang)[8], la ville abrite le palais impérial, les résidences des fonctionnaires, les habitations des gens du peuple, deux marchés permanents[9] et, rapidement, plusieurs monastères bouddhiques, soit près de 200 000 habitants dont 10 000 fonctionnaires gouvernementaux[10]. L'influence étouffante de puissants monastères bouddhistes poussera l'empereurKammu à déplacer la capitale à Nagaoka en 784, puis à Heian (Kyōto), qui restera le lieu de résidence de l'empereur, ensuite, pendant plus de mille ans (jusqu'à larestauration de Meiji, en 1868). Dans la ville nouvelle de Nara les résidences des notables doivent posséder un toit de tuiles, vert foncé ou gris bleuté, des piliers peints en rouge et des murs en blanc afin de valoriser l'image de la capitale. Mais cet espace urbain contient aussi des jardins, des champs, des rizières et même des bois.
Ces capitales japonaises ne possèdent pas de murailles : absence de menace extérieure, et s'il y a coup d'État ou guerre civile les combats peuvent se dérouler en ville mais jamais pour la ville[11]. Par ailleurs, des fouilles ont mis au jour des résidences privées, dont celle d'un prince. Des jardins avec étangs y peuvent accueillir des jeux, des danses et des concours poétiques, lesquels sont connus par des sources écrites. Enfin, les tablettes (ici 35 000mokkan) qu'on y a découvertes révèlent comment la vie de ce palais est organisée. Celle-ci repose largement sur la perception d'un tribut en produits frais. Ces tributs en produits frais étaient, bien sûr, payés par le peuple, en très grande majorité, des paysans.
Ce qui caractérise le mieux la dynastie impériale est, alors, la prédominance des femmes sur le trône. En effet, leclan Fujiwara à l'époque de Nara, descendant de Kamatari, établit des liens de parenté avec la famille impériale en mariant ses filles aux princes et en les faisant accéder au pouvoir[12].
C'est sous le (second) règne de l'impératriceSaimei, vers 660, qu'est monté un corps expéditionnaire de 170 navires, afin de venir en aide au royaume coréen deBaekje (Paekche), agressé par Silla et les Tang. Mais cette mission arrivera trop tard, Paekche étant alors trop affaibli et divisé, l'expédition est un fiasco[13]. Des réfugiés coréens sont, alors, accueillis. Finalement, le Japon ne rétablit que des contacts distants avec Silla, vainqueur, mais se tourna plutôt vers la Chine dans un climat de vives tensions.
Cette époque voit aussi l'accession au trône de la dernière impératrice japonaise pour presque mille ans. En raison de l'influence néfaste - selon ceux qui ont écrit l'histoire ensuite - exercée par le moine Dōkyō sur l'impératriceShōtoku (718-770), il fut en effet décidé que plus aucune femme ne serait autorisée à monter sur le trône.
En 712 et 720 sont compilés deux premières chroniques impériales, respectivement leKojiki (histoire largement mythique qui s'adresse à la Cour)[14], (écrit en sino-japonais) et leNihon Shoki, écrit en chinois pouvant être lu par deschinois et retrace la dynastie du Yamato, précisément, jusqu'à la fin duVIIe siècle[15].
La diffusion des instruments aratoires en fer et une politique d'encouragement à l'agriculture permettent l'augmentation de la production, auVIIIe siècle[16]. Bien loin de l'élite, la très grande majorité des habitants du Japon se consacre à cette époque à l'agriculture et vit, misérablement, dans des villages ou des hameaux plus ou moins dispersés. La maison semi-enterrée se trouve remplacée, progressivement, d'Ouest vers l'Est, par une maison construite sur le sol et surélevée sur des poteaux, prototype de ce qui deviendra la « maison japonaise traditionnelle »[17].
Paysans et notables. Par rapport à ces habitations de paysans, aux toits de chaume, les toits des notables se doivent d'être couverts de tuiles. Parmi ces notables, des « nouveaux riches », prêteurs, usuriers ou commerçants, gèrent rizières et terres récemment mises en culture. Car la riziculture continue de s'implanter sur le territoire. Mais, en raison des taxes (la fiscalité de l'État des Codes), de nombreux paysans, employés à la capitale, fuient et retournent chez eux, se déplacent d'une province à l'autre, se mettent sous la protection d'aristocrates ou de monastères.
Les taxes arrivant en retard, avec bien d'autres signes de désordres, tout cela menace les fondements du système à la fin duVIIIe siècle[18].
Les grands défrichements sont plus motivés par les besoins croissants de la classe dirigeante que par la hausse démographique. Les clans aristocratiques d'avant laréforme de Taika se sont mués en une classe de fonctionnaires qui ont su profiter de toutes les réformes pour maintenir ou augmenter leur mainmise sur les terres, cultivées ou non. En tant que fonctionnaires de l'État des Codes ils ont tout intérêt à étendre l'assiette foncière de l'impôt, et, en conséquence, de favoriser les défrichements, ou la transformation des zones de cultures sèches en rizières inondées. Et pourtant ce sont précisément ces petits champs de culture sèche et ces jardins, exempts de redevances publiques, qui permettent aux paysans de survivre. Les rizières publiques sont cultivées par ces paysans, appeléskômin, grâce à une redistribution effectuée tous les six ans ; mais ils en tirent à peine de quoi payer tous les impôts. Beaucoup, appauvris ou ruinés deviennent, en quelque sorte, les « esclaves » des plus aisés. D'autres deviennent vagabonds ou brigands[19]. La misère est constante et les rizières publiques sur lesquelles reposent l'impôt sont de plus en plus désertées, les paysans fuyant en tous sens afin, précisément, d'échapper aux corvées et aux impôts.
Les paysans tentent ainsi d'échapper aux corvées par tous les moyens, il s'ensuit que les belles routes droites qui avaient servi d'axes de communication, entre autres, aux gouverneurs et fonctionnaires, ne sont plus entretenues dès la fin duVIIIe siècle et elles ont pour la plupart disparu auIXe siècle[20].
La plupart des villageois pratiquent ce qui sera appelé plus tard, auXIIIe siècle, leshintō, basé sur le culte deskami, c'est-à-dire les forces de la nature et les esprits des ancêtres .
L'ère Tempyô voit le bouddhisme à son apogée, devenu religion d'État[26].Prolongeant la première vague dubouddhisme sur l'archipel, de nombreux temples d'État (kokubunji) sont fondés dans les provinces. Le bouddhisme se manifeste sous les formes dessix écoles de la Capitale du Sud[27]. Le clergé est chargé de prier pour la paix et la prospérité du pays et de la maison impériale. Ainsi, tant son recrutement que ses lieux d'implantations sont contrôlés par le pouvoir. Celui-ci autorise donc ces six écoles, en provenance de Chine : les écolesSanron,Jojitsu,Hossô,Kusha,Kegon, et l'écoleRitsu.
Ces échanges se multiplient avec les étudiants et les moines, et touchent tous les domaines : religieux, philosophique, administratif, urbanistique, littéraire et artisanal[40].
C'est une quinzaine d'ambassades qui sont envoyées en Chine, duVIIe au début du IXe siècle. Les plus importantes embarquant jusqu'à 600 personnes[41] : hauts fonctionnaires, étudiants, moines, marchands et marins. Leur séjour est très long, parfois une vie entière. Les livres chinois arrivent avec des informations sur la vie dans la Chine des Tang, et la ville de Chang an, où l'on peut rencontrer des Indiens, desSarrasins et peut-être même des chrétiens deByzance, plus surement des habitants des oasis de la route de la soie par leTaklamakan, commeKucha,Khotan etTumshuq ainsi que desSogdiens, convoyeurs de caravanes.
Comparées à ces échanges intenses, le Japon n'entretient que des relations plutôt lointaines avecSilla. Cependant, la montée en puissance deBalhae (actuelleMandchourie), ancien territoire allié au Japon contre Silla, précisément au Nord de Silla, a déstabilisé les relations entre le Japon et Silla. Balhae (Parhae) a envoyé sa première mission en 728 à Nara, qui l'a accueillie en tant qu'État successeur deKoguryo (Goguryeo) , avec lequel le Japon s'était allié jusqu'à ce que Silla ait unifié lesTrois Royaumes de Corée. De ces liens avec Balhae, le Japon retire des fourrures, des plantes médicinales, du miel, dukombu, ainsi que des livres chinois et des informations. Lors des ambassades de Silla, de nombreux échanges de produits de luxe coréens ont été importés par l'élite japonaise[42].
Parmi les nombreuses traditions importées du continent à cette époque, citons: le thé (dont l'usage se développera plus tard), la consommation de haricots fermentés, à l'état pâteux (tofu) ou semi-liquide (miso), lesclepsydres, installées au palais, et qui manifestaient le contrôle du souverain sur le temps, et enfin, le jeu dego et lesugoroku ainsi que la plupart des instruments de musique - flûtes, cytharejetygen[43] et luths (d'Asie centrale), cithare (guzheng chinois), orgues à bouche (sheng chinois,saenghwang coréen) - qui furent importés de Corée, de Chine, mais aussi d'Asie-centrale ou d'Asie du Sud-Est[44].
Ce n'est qu'après la défaite de la flotte japonaise (663), venue en aide au royaume coréen deBaekje (Paekche), que le Japon commence à resserrer ses liens avec l'empire chinois. Ensuite, l'art de l'époque de Nara, au cours de l'époque Tenpyō (710-794), sera marqué par l'influence de l'art de ladynastie chinoise des Tang. « La première période de Nara », selon certains historiens d'art[3], l'époque Hakuhô (645-710) ayant été marquée par l'intégration de modèles d'abord coréens puis chinois au sein d'un ensemble de commandes fondées sur l'expansion du bouddhisme.
Les sculpteurs, peintres et calligraphes travaillant à la décoration des palais et des monastères sont regroupés dans les ateliers de la cour[45].
La peinture de l'époque de Nara va connaître un très grand développement. On va l'utiliser pour transposer visuellement des textes bouddhiques importants. Elle témoigne d'une connaissance de la peinture indienne (notamment celle d'Ajanta) et y fait une référence lointaine. Mais elle est surtout très influencée par le style desTang, avec un canon à la fois extrêmement réaliste, mais aussi très rond et sensuel. La figure deKichijō Ten pourrait être celle d'unedame de la Cour des Tang, mais le halo et le « joyau qui exauce les désirs », dans sa main gauche, indiquent qu'il s'agit d'une peinture religieuse[46].
L'époque de Nara voit aussi se développer les rouleaux enluminés, ouemakimono. Ils sont destinés, dans un premier temps, à représenter dessūtra. C'est le début de la peinture narrative au Japon, qui reste à l'époque de Nara extrêmement proche de leurs modèles chinois. Les couleurs sont posées en aplat, afin que la peinture ne craquelle pas lorsque les rouleaux de papier sont enroulés, et le plus souvent issues de pigments minéraux (azurite, malachite…). Un seulemakimono de l'époque subsiste de nos jours : leSūtra illustré des Causes et des Effets. On voit apparaître des peintures de paysages, d'oiseaux, de fleurs ou encore des personnages, qui témoignent de l'émergence d'unepeinture de genre[45].
La fin de l'époque de Nara marque pour la sculpture une phase de transition vers la sculpture sur bois, qui deviendra le support de prédilection dès l'époque de Heian.
Un des deuxNiō, divinités gardiennes japonaises des temples bouddhiques. (711). Terre séchée, H. 3,78 m. Porte centrale duHōryū-ji
La majeure partie des laques conservés provenant de cette époque sont les grandeslaques sèches creuses et laques sèche à âme de bois, des sculptures, très rares[47]. Cette technique a été utilisée pour tous types de figures, alors que la terre crue a été réservée aux personnages figurant des forces protectrices du Bouddha, des images de guerriers impressionnant « sans doute parce qu'elle se prête mieux à la représentation des expressions du visage et des mouvements du corps »[48]. Des laques sèches creuses a été réalisées , auKofuku-ji, pour les dix disciples deSakyamuni et pour les dix êtres surnaturels. C'est probablement en raison de la vogue pour la culture chinoise, la sculpture chinoise des Tang utilisant cette technique, qu'elle se développa au Japon, bien que les premières utilisations remontent à l'époque précédente[49].
La technique de laque sèche a été employée pour la statue d'Asura, un des protecteurs du Bouddha, commandé par l'impératrice Kōmyō pour le temple du Kofukuji. Une armature en bois est réalisée afin d'être habillée d'argile modelée pour donner la forme globale de la statue[50]. On va recouvrir l'ensemble sur toute sa hauteur de couches de chanvre imbibées de laque liquide, avec un temps de séchage intermédiaire entre chaque couche. Ceci formera une coque rigide et solide de la même forme que l'argile modelée.
Une fois toutes ces opérations réalisées, une ouverture sera pratiquée à l'arrière de la statue pour retirer l'argile, ne conservant que la coque et l'armature en bois. Le chanvre ayant séché, la structure reste stable. L'ouverture est ensuite recousue de fils de chanvre, et l'ensemble de la statue est recouvert d'une dernière couche de laque et d'argile, ce qui va permettre de retravailler le modelé final de la statue. Les détails, comme les doigts sont constitués d'une armature de fil de fer enveloppée de cordelettes et de tissus de chanvre et mis en forme à l'aide d'un mélange de sciure de bois et de laque, lekosuko. Une fois l'ensemble durci, ce mélange peut servir de couche d'apprêt pour les couleurs et la dorure. Cette technique permet des statues très légères et une grande souplesse de modelé.
L'architecture subsistant de cette époque consiste essentiellement dans les bâtiments dédiés au bouddhisme, évoqués ci-dessus (Bouddhisme, architecture et art bouddhique). Par contre on est assez bien renseigné sur de nombreux bâtiments et aménagements urbains disparus, dont l'ancien palais impérial et la ville deHeijō-kyō[51].
Jusqu'en 694, date de la fondation deFujiwara-kyō par l'impératrice Jitô, la longue période des palais-sanctuairesshintō éphémères correspondait à des déplacements rendus nécessaires si le site était souillé par un décès, une révolte ou une épidémie[52].
↑Unkaerumata, également "cuisse de grenouille" ou "entrejambe de grenouille", est un élément de l'architecture japonaise traditionnelle. Sa fonction semble correspondre à notre console, afin de soulager la charge à l'extrémité de l'entrait d'une ferme.
↑Le Bodhisattva Fukuken-saku (ou -jaku), une forme d'Avalokiteśvara vénérée depuis le6e siècle au Japon, correspond à l'IndienAmoghapāśa. Décrit dans un texte de 709, il se présente sous diverses formes, la plus commune à quatre bras. Avec son attribut caractéristique, le nœud coulant, il met en œuvre son vœu de sauver tous les êtres. À ses côtés, Bon-ten (Brahman) et Taishaku-ten (l'empereur du ciel), deux des douze devas. Ref. :[1].