D'abord étudiant auprès d'Edmund Husserl et immergé dans le projetphénoménologique de son maître, son intérêt se porte rapidement sur la question du« sens de l'être ». Elle le guidera ensuite tout au long de sa réflexion et c'est en tentant de répondre à celle-ci, à l'occasion de la publication de son ouvrageÊtre et Temps (Sein und Zeit) en1927, qu'il rencontre une immense notoriété internationale, débordant largement le milieu de la philosophie.
Dans lesannées 1930 a lieu ce qu'il appelle lui-même « le tournant » de sa pensée au moment de l'écriture de l'Introduction à la métaphysique. Il cherche à préparer un nouveau commencement de pensée, qui éviterait l'enfermement de lamétaphysique — celle-ci étant devenue, pour lui, un mot qui rassemblait, selonHans-Georg Gadamer,« toutes les contre-propositions contre lesquelles Heidegger cherchait à développer ses propres tentatives philosophiques »[2],[N 1].
Il est également l'un des philosophes dont la personnalité et l'œuvre sont les plus controversées en raison de son attitude durant la période 1933-1944, où il fut jusqu'à 1934 recteur de l'université de Fribourg après l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler, après quoi il est resté jusqu'à 1944 adhérent auparti national-socialiste. Plusieurs ouvrages ont paru pour analyser les rapports entreHeidegger et le nazisme. La publication en 2014 de sesCahiers noirs a déclenché une polémique concernant l'antisémitisme de certains passages.
Martin Heidegger est né àMeßkirch (Grand-duché de Bade) le[6]. Élevé dans un milieu« authentiquement catholique »[7] — son père,tonnelier, estsacristain[8] —, Heidegger fait ses études secondaires aux petits séminaires deConstance (1903-1906), puis deFribourg (1906-1909)[9]. Pendant l'été 1907[10], le pèreConrad Gröber, directeur du petit séminaire de Constance et futur archevêque de Fribourg[11], lui offre la dissertation deFranz Brentano intituléeDe la diversité des acceptions de l'être d'après Aristote (1862). Heidegger affirme à plusieurs reprises que ce livre a été son« premier guide à travers la philosophie grecque »[12], le conduisant à la lecture d'Aristote, dont il écrit dansMon chemin de pensée et la phénoménologie (1963) que la phrase :« l'être se dit de multiples manières » a décidé de son« chemin de pensée »[13]. Cette lecture provoque chez Heidegger une question, queJean Beaufret résume ainsi :« siétant se dit en guisesdiverses, quel est donc l'un de ce divers[14] ? » Selon Heidegger lui-même, cette« unique question » demeure« sans cesse un stimulant pour le travail qui vit le jour vingt ans plus tard sous le titre deSein und Zeit »[15]. Dès 1909, il lit lesLogische Untersuchungen d'Edmund Husserl[16], dont il attend« un secours décisif pour avancer dans l'intelligence des questions soulevées par Brentano » et qu'il relira, les années suivantes, de manière« incessante »[15],[17]. En, il entre comme novice au sein de laCompagnie de Jésus, à Tisis, près deFeldkirch, qu'il quitte pour des raisons de santé en octobre suivant[18],[19]. Avec peu de moyens financiers, il se porte alors candidat au séminaire de Fribourg, où il entre pour le semestre d'hiver 1909[20]. En 1911, il souffre à nouveau de problèmes cardiaques, ce qui fait douter les responsables de l'école de ses capacités à devenir prêtre, eu égard à son état de santé. En été, en convalescence, il se rend compte qu'il préfère la philosophie à la théologie et décide de renoncer à la prêtrise. À la recherche d'une forme de sécurité financière, il décide de s'inscrire pour le semestre d'hiver 1911-1912 à lafaculté de sciences naturelles de l'Université de Fribourg enmathématiques,physique etchimie, afin de devenir professeur, tout en poursuivant ses études de philosophie[21]. Son éducation religieuse, qui lui donne l'occasion d'approcher la traditionscolastique, rend son parcours atypique[22], à une époque où les facultés de philosophie allemandes sont dominées par lenéo-kantisme. En 1913, il écrit sa thèse de doctorat en philosophie,Doctrine du jugement dans le psychologisme[23], sous la direction deArtur Schneider[24]. En 1914, il est réformé pour raison de santé.
Il prononce en 1915 la conférenceLe concept de vérité dans la philosophie moderne. Le, il est habilité à enseigner, commechargé de cours, après avoir présenté sathèse d'habilitation écrite sous la direction dunéo-kantienHeinrich Rickert, qui a été traduite en français sous le titreTraité des catégories et de la signification chezDuns Scot[25],[24]. Sa leçon inaugurale s'intituleLe concept de temps dans la science historique[24]. À l'automne 1916, il devient l'assistant personnel deHusserl, dont il partage les réflexions et les recherches sur laphénoménologie[26]. Cependant, il se détache rapidement de l'enseignement de son maître : dès l'origine, en continuant hors des heures de cours l'approfondissement desRecherches logiques de Husserl, que celui-ci juge déjà dépassées, puis progressivement, de 1923 à 1927, en reprochant à Husserl son tournant vers une philosophie de lasubjectivité transcendantale et plus encore soncartésianisme ; il continue néanmoins à admirer lesLogische Untersuchungen[27],[16]
Mobilisé en 1917, il est affecté au service météorologique de l'armée àVerdun. Dès 1919, il reprend ses cours à l'université de Fribourg où il acquiert une renommée universitaire. Durant ces années, les universitaires pensaient qu'avec le talent de Heidegger la philosophie renaissait à elle-même[28]. Déjà, cependant, il entreprenait une critique radicale de la tradition, notamment dans leRapport Natorp, un rapport manuscrit sur l'état de ses travaux adressé en 1922 au professeurPaul Natorp, où il procède à une critique sévère de lamétaphysique dite de la« présence » attribuée àAristote et base de saPhysique[29].
Il se marie le avec Elfride Petri (1893-1992)[30],protestante ; leur mariage est d'abord prononcé selon le ritecatholique puis cinq jours plus tard[31] selon le riteévangélique. Ils ont ensemble deux fils : Jörg en et Hermann en.
Ce séjour à Marbourg et le contact avec ses nouveaux collègues sont particulièrement positifs pour le jeune professeur. À partir de ses lectures d'Aristote, il commence à développer sa problématique personnelle relative à la question dusens de l'être. Ses travaux sur la phénoménologie de la vie religieuse à partir de l'étude deSaint Augustin, dePaul et deLuther l'orientent vers une conception de l'être humain qui va privilégier l'existence sur l'essence.
L'année suivante (novembre 1924), il a une liaison clandestine avecHannah Arendt, une de ses élèves (elle vient d'avoir dix-huit ans), future philosophe de renom[34]. Cette liaison se poursuivra avec plusieurs correspondances tout au long de leur vie.
Le, il présente àHusserl, à l'occasion d'une réception pour les 67 ans de celui-ci, le manuscrit deSein und Zeit (Être et Temps), son premier ouvrage, qui est publié l'année suivante, à la demande du doyen de l'Université de Marbourg.
En 1928, il prend la suite de son maître Husserl, parti à la retraite, à l'Université deFribourg.
En 1931, un poste lui est proposé à l'Université deBerlin, poste qu'il refuse après une discussion avec un de ses amis paysans[réf. nécessaire]. Heidegger restera à l'Université de Fribourg-en-Brisgau pour le restant de sa vie d'enseignant, déclinant de nombreuses offres.
Les années terribles de 1933 à 1945 furent philosophiquement les plus prolifiques, tant pour ce qui est de l'œuvre publiée, que celle non publiée, les« traités impubliés volontairement retenus » de Heidegger. C'est du début de cette période que date laKehre, le« tournant » dans son œuvre.
Heidegger a commencé à sympathiser avec le nazisme en 1930[35]. Lors des élections de 1932, il vote pour leNSDAP, et y adhère l'année suivante. Le, il est élu recteur de l'Université de Fribourg-en-Brisgau, trois mois après l'avènement d'Adolf Hitler commechancelier du Reich (le). Heidegger affirme dans un entretien accordé en 1966 auSpiegel que sa prise en charge du rectorat se fit à la suite de l'appel de l'ancien recteur von Möllendorf, un social-démocrate obligé de démissionner, qui lui demanda de se présenter pour empêcher la nomination d'un fonctionnaire nazi[36]. Heidegger prononce alors le« Discours du Rectorat », dans lequel il fait vœu de s'appuyer sur l'Université pour élever le niveau spirituel de l'Allemagne. Lors de sa prise de responsabilité, Heidegger publie dans un journal universitaire un« appel aux étudiants allemands » qui s'achève ainsi :« Seul leFührer lui-même est la réalité et la loi de l'Allemagne d'aujourd'hui et de demain ». Il explique auSpiegel qu'il s'agissait du seul compromis qu'il eût concédé avec les étudiants SA et, dans une lettre à Hans-Peter Hempel qui l'interrogeait sur cette phrase,« qu'à l'origine et en tous temps, les Führer sont eux-mêmes dirigés — dirigés par le destin et la loi de l'histoire ».
Pour les historiensHugo Ott[37], Bernd Martin[38] et Guillaume Payen[39], ainsi que pour d'autres[N 3], Heidegger œuvre à l'introduction la plus large possible duFührerprinzip dans l'Université allemande : le discours de rectorat serait même en cela « un autoportrait du philosophe en Führer[40] ». Heidegger forme avec d'autres, commeAlfred Bäumler ou Ernst Krieck, l'avant-garde de cette réforme. Heidegger travaille (« probablement en collaboration directe avec Krieck », selon H. Ott[41]), à la réforme des statuts de l'université dans leLand deBade, qui fait de l'université de Fribourg le stade le plus avancé, dans toute l'Allemagne, dans la mise en œuvre de cette réforme[42].Karl Löwith rapporte que Heidegger ne faisait pas mystère de sa foi en Hitler[43]. Heidegger affirme cependant avoir« interdit les affiches antisémites des étudiants nazis ainsi que les manifestations visant un professeur juif »[44]. Toutefois, selon le témoignage d'Ernesto Grassi rapporté par Hugo Ott, l'autodafé des livres juifs et marxistes a bien eu lieu à l'université de Fribourg sous le rectorat de Heidegger :« le feu crépitait devant la bibliothèque universitaire »[45] écrit ainsi Grassi. L'historienRaul Hilberg[46] a établi qu'en 1933 Heidegger, suivant les instructions du Ministère prussien de l'Éducation, mit fin au versement des allocations de la plupart des étudiants boursiers« non-aryens » de l'université de Fribourg ; il étendait ainsi la portée de la loi sur la révocation des fonctionnaires juifs (dite « loi sur la restauration de la fonction publique »). SelonEmmanuel Faye, en parlant d'« anéantissement total[47] » de l'ennemi intérieur, Heidegger aurait même appelé à l'extermination des Juifs :« Il est nécessaire de voir que cette doctrine de l'ennemi et du polemos, aussi "ontologisée" soit-elle par Heidegger, n'est en aucune façon une simple vue théorique ou un jeu intellectuel, mais bien une doctrine radicalement meurtrière, dont la traduction effective ne peut conduire qu'à laguerre d'extermination et aux camps d'anéantissement[48]. » Pour Guillaume Payen,« le propos du philosophe ne venait que donner une forme philosophique au combat de l'Association des étudiants allemands(de), dont il voulait s'affirmer le chef spirituel : bref, général, il était une réflexion depuis les principes, et non un appel à une lutte concrète[49] » : on était dans« le contexte de la campagne d'anéantissement de l'année 1933, en l'occurrence de révolution par l'élimination des oppositions qui vit s'instaurer un pouvoir nazi et totalitaire à Berlin et qui, dans les universités, introduisait le principe du chef et voulait lutter contre l'esprit non-allemand en « épurant » le corps professoral, en limitant le nombre d'étudiants juifs et en brûlant les livres corrupteurs[49] ».
De nombreux défenseurs de Heidegger parlent d'un engagement de quelques mois. Kostas Axelos écrit : "Heidegger fut national-socialiste pendant quelques mois, publia des textes et prononça des discours nazis. C'est un fait[50]." Quant à André Glucksmann : "Heidegger fit en 1933, durant quelques mois, des discours nazis […] Laissons aux docteurs qui ont la chance d'échapper à cette misère le soin de démontrer qu'elle est uniquement "misère allemande", qu'il convient de brûler Heidegger pour six mois de sympathie nationale-socialiste et qu'il faut glisser sur cinquante années passées par d'autres à saluer le socialisme de la patrie de l'archipel du goulag[51]." Allongement de cette durée d'engagement avec Hadrien France-Lanord : "dix mois[52]", mais pour François Fédier toujours "quelques mois" dans l'avant-propos àHeidegger à plus forte raison (Fayard, 2007). Servanne Jollivet, avec un ton critique, reprend ce discours : "Plus que d'une erreur, il semble bien qu'il faille parler ici d'une véritable compromission, participation consciente et réfléchie au national-socialisme, tout du moins pendant les premiers mois de son engagement en tant que recteur de l'Université de Fribourg, tout en précisant qu'il n'assume cette charge qu'appelé par son ancien recteur et soutenu en cela par ses pairs, porté par l'espoir de pouvoir orienter, et en un certain sens infléchir, la politique universitaire[53]."
Heidegger donne sa démission de recteur le : pourHugo Ott, il l'aurait fait après avoir été désavoué par le ministère de l'éducation du Bade dans la gestion d'Adolf Lampe, qui assurait l'intérim d'une chaire[54]. Heidegger écrit alors dans un cahier noir :« Ma charge mise à disposition parce qu’une responsabilité n’est plus possible. Vive la médiocrité et le bruit[55] ! » Après cette date, pour Jean-Michel Salanskis, il n'est donc plus membre actif de l'administration nationale-socialiste, et quitte le parti nazi[56]. PourHugo Ott (ainsi que pourVictor Farias[57]),ce n'est pas le cas et a un autre projet, en Prusse celui-là[pas clair] : l'Académie prussienne des professeurs[58], en cohérence avec sa lettre de démission :« Après examen approfondi de la situation actuelle de l'Université, je suis parvenu à la conviction que je dois retourner à un travail éducatif direct, libéré des tâches administratives, au milieu des étudiants et des jeunes professeurs[59]. »
Les témoignages d'étudiants au sujet de cette période sont contradictoires, certains voyant en lui un admirateur du nazisme continuant sa propre« révolution spirituelle », d'autres voyant dans ses cours l'une des seules échappatoires à la pensée totalitaire nazie. Il poursuit son enseignement jusqu'en 1944, où il est réquisitionné dans la milice en tant que« professeur non indispensable » pour effectuer des travaux de terrassement en bordure duRhin[56]. Durant cette période, il traite notamment longuement de la philosophie deNietzsche.
Dès 1945, commence avecJean Beaufret un dialogue qui ne prend fin qu'à la mort du penseur[62]. La célèbreLettre sur l'humanisme« est une réponse à une lettre de Jean Beaufret, dont il avait lu les articles sur l'existentialisme ». En dépit de l'interdiction d'enseigner, Heidegger donne toute une série de conférences ; aprèsPourquoi des poètes de 1946, suivent quatre conférences intituléesRegard dans ce qui est : La chose, Le Dispositif, Le danger, Le tournant qui sont données auClub de Brême en 1949.
L'interdiction d'enseigner est levée en 1951, et Heidegger reprend ses cours. Son premier séminaire porte surAristote. Les cours les plus célèbres d'après-guerre sont :Qu'appelle-t-on penser ? (1951-1952),Le Principe de raison (1955-1956). En 1951, il prononce la célèbre conférence :Bâtir, habiter, penser suivie de :L'homme habite en poète,Qui est le Zarathoustra de Nietzsche ?,Science et méditation,La question de la Technique.
En 1955, il est convié en France parMaurice de Gandillac etJean Beaufret, pour présenter une conférence àCerisy. Il séjourne chezJacques Lacan[64]. Il est ensuite régulièrement invité en Provence par le poèteRené Char pour tenir des séminaires, retranscrits dansQuestions IV. En1958, Heidegger prend sa retraite de l'Université, mais il continue d'animer des séminaires et de participer à des colloques jusqu'en 1973, et notamment le séminaire tenu à Fribourg avecEugen Fink surHéraclite en 1966-1967, trois séminaires auThor en Provence avec Jean Beaufret. De ces années« extrêmement fécondes », on trouve un résumé dans le petit livre deAlain Boutot consacré à Heidegger[65].
Heidegger meurt le àMesskirch, où il est enterré. La même année est publié le premier volume desŒuvres complètes (Gesamtausgabe), qui comprendra environ 110 ouvrages.
La pensée d'Heidegger est selon Servanne Jollivet[66] le fruit de sources diverses :« Il s'agit d'une pensée élaborée en grande partie en dialogue avec les anciens Grecs, la pensée chrétienne, l'existentialisme deKierkegaard ou encore laphénoménologiehusserlienne mais également de ses prédécesseurs immédiats (Dilthey,Brentano,Bergson, Breg, York von Wattenburg), les écoles néo-kantiennes de Bade (Rickert, Lask) et de Marbourg (Cohen, Natorp,Cassirer) ainsi qu'avec certains contemporains, tels Jaspers ou Scheler […] de même aux avancées de la logique mathématique (Frege et Russell). »
C'est autour de quelques thèmes majeurs comme laPhénoménologie de la Vie, laLogique et l'interprétation d'Aristote, leconcept de Temps, la toute nouvellePhénoménologie husserlienne, l'Interprétation de l'Histoire et de l'historicité, à l'occasion de fréquents débats et polémiques avec ses collègues, tenants de courants plus traditionnels (néo-kantisme, psychologisme, historicisme), que s'est forgée la forte originalité intellectuelle du jeune professeur à Marbourg. Servanne Jollivet[67] en fait le détail et conclut :« autant dire que la pensée de Heidegger s'est élaborée dans une confrontation et un constant dialogue avec ses contemporains et prédécesseurs ».
Compte tenu de la nouveauté et de la richesse de ces travaux de jeunesse récemment dévoilés par la publication intégrale des œuvres, il n'est plus possible, noteMarlène Zarader, de considérer cette période comme simplement préparatoire à son maître ouvrage, à savoirÊtre et Temps[68],[N 4].
Les controverses de Marbourg et le rejet des philosophies dominantes
Pour qui s'intéresse aux œuvres, travaux et conférences de jeunesse de Martin Heidegger, la principale difficulté consiste essentiellement à les« contextualiser », c'est-à-dire à les inscrire dans les discussions intellectuelles de son temps[69] et non à les lire à la lumière de travaux ultérieurs. C'est tout récemment que l'intérêt pour ce premier Heidegger, détaché d'une perspective généalogique surÊtre et Temps, s'est manifesté. Dans cette perspective, le premier ouvrage en langue française consacré au « jeune Heidegger » date de 1996, issu d'un colloque organisé parJean-François Marquet etJean-François Courtine à laSorbonne[70].
Au début duXXe siècle, des débats très vifs opposent les tenants du néo-kantisme (Heinrich Rickert), les sociologues (Georg Simmel), les philosophes de la vie (Wilhelm Dilthey,Karl Jaspers) et les historiens (Oswald Spengler) sur la question de l'objectivité des sciences historiques. Heidegger renvoie tout le monde dos à dos[N 5] en trouvant superficielles ces querelles, car les idées de succession de génération, de compatibilité ou non de cultures, de cycles historiques, de sens du progrès, ne sont pas basées sur une justification préalable. Même si cette réalité est suffisamment stable et déterminée pour faire l'objet d'une science, il estime que la question philosophique principielle du fondement reste en suspens.
Il critique, en outre, les principes de l'anthropologie moderne : les notions de sujet, de vie et de personne. Tout au long de son œuvre revient la critique ducogitocartésien qui aurait ignoré le sens d'être du « Je suis », relèveMarlène Zarader[72].
Heidegger rencontre le problème de l'histoire tel qu'il est posé dans les controverses méthodologiques du début duXXe siècle[73]. En rejetant les positions des uns et des autres, Heidegger intervient dans des débats qui opposent les tenants du néo-kantisme (Heinrich Rickert), les sociologues (Georg Simmel), les philosophes de la vie (Wilhelm Dilthey,Karl Jaspers), ainsi que les historiens (Oswald Spengler), sur la question de l'objectivité dessciences historiques. Pour Heidegger, toutes ces conceptions ont la même absence d'assise solide, car elles se fondent sur un même préjugé, le présupposé qu'il y a une réalité originaire donnée, à base de cohérence et d'enchaînement de faits historiques, pouvant faire l'objet d'une science, par exemple l'observation de la succession des générations, de l'existence de cultures différentes, des cycles historiques, d'un apparent sens général d'évolution que l'on qualifie de« progrès » ou de« sens historique », qui« toutes présupposent l'existence de totalités observables ou de processus cohérents » ; pour Heidegger, il s'agit d'abord de les fonder[74].
Indépendance de la philosophie par rapport à la théologie.
Françoise Dastur[75] rappelle la phrase de Heidegger :« La philosophie elle-même en tant que telle est athée, lorsqu'elle se comprend de manière radicale », car poursuit-elle[76]« son questionnement a pour objet la vie dans sa « facticité » en tant qu'elle se comprend elle-même à partir de ses propres possibilités de fait ».
Heidegger réintroduit la problématiquethéologique dans la philosophie sous la forme d'une critique d'un aspect particulier de lamétaphysique qu'il nommeonto-théologie, science qui depuis son appellation par Kant lie l'Être et Dieu (ou premier principe)[77]. Pour lui, la théologie dogmatique repose sur un fondement, un système philosophique, qui n'est pas issu directement du questionnement croyant auquel Heidegger veut revenir.
Tentative d'interprétation plus adéquate du message chrétien
SelonHans-Georg Gadamer[78] :« au début des années vingt, il est clair que sa critique de la théologie officielle de l'Église catholique romaine de son temps l'a de plus en plus contraint à se demander comment une interprétation adéquate de la foi chrétienne était possible, en d'autres termes, comment il était possible de se défendre de la déformation du message chrétien par la philosophie grecque, qui se trouvait au fondement de la néo-scolastique du xxe siècle et de lascolastique classique médiévale ». Le christianisme primitif, continue l'interprète, va« [lui faire] apparaître la métaphysique comme une sorte de méconnaissance de la temporalité et de l'historicité originaires qui se manifestaient [à travers] la foi chrétienne », et donc être considéré par Heidegger comme un témoin privilégié contre toutes les visions du monde « rassurantes » d'inspiration religieuse ou philosophique.
Jean-Claude Gens[79] note que« Heidegger trouve dans la religiosité chrétienne » un accès vers ce qu'il appelait alors la« science originaire de la « vie facticielle » ». La reconquête des concepts primitifs de la foi chrétienne, poursuit Jean-Claude Gens,« nourrira l'analytique d'Être et Temps. »
Choc en retour de la philosophie sur la théologie.
Dans les années passées à Marbourg, Heidegger a entretenu un dialogue fécond avec la théologie dialectique protestante et notamment avec le théologienRudolf Bultmann[76].
Sous l'impulsion d'une relecture desépîtres dePaul, ainsi que des œuvres deLuther et deKierkegaard, il exerça, à travers l'analytique existentiale d'Être et Temps, surRudolf Bultmann et le renouveau de théologie protestante, une influence « décisive », selon l'expression employée par le rédacteur del'Encyclopédie du Protestantisme[80].
PourHans-Georg Gadamer, seuls ceux qui étaient présents à Marbourg dans les salles de cours, dans les années 1920, ont pu mesurer le poids de la présence réelle d'Aristote dans la pensée du jeune professeur, mais d'un Aristote nouveau, libéré de toutes les interprétations scolastiques déformantes accumulées[81]. Jean-Claude Gens notera à ce propos l'importance deMartin Luther dans la redécouverte d'Aristote[82].
Dans le cadre de ses travaux sur le fondement philosophique de lalogique, Heidegger découvre que même chezAristote, latheoria n'est pas une activitééthérée, détachée de la vie et de nature intemporelle, mais au contraire le fait d'unDasein historique, engagé dans une existence déterminée. Il affirme que ce ne sont ni les Grecs ni Aristote qui furent à l'origine de cette coupure fondamentale entre théorie et pratique, mais leurs interprètesscolastiques qui l'exagérèrent en portant une attention exclusive à sa « métaphysique »[83] au détriment des autres œuvres comme l'Éthique à Nicomaque, etDe Anima. Les écoles, nous ditFrançoise Dastur[84], ont fait d'Aristote« le père de la « Logique » et l'inventeur de la « copule » », un penseur qui n'aurait compris l'être de l'« étant » qu'à travers lakatégoria, réduction à laquelle Heidegger s'oppose en exhumant un Aristote phénoménologue avant la lettre. Étienne Pinat[85], à propos du coursIntroduction à la recherche phénoménologique, souligne« la dimension proprement phénoménologique de l’approche aristotélicienne du logos dans ces pages et la pertinence qu’il y a à en partir pour comprendre le projet phénoménologique de Husserl ». S'il est possible de ressusciter Aristote, note de son côté Philippe Arjakovsky[86]« c'est peut être avant tout parce qu'il apparaît comme le véritable initiateur de la phénoménologie ».
Il s'agira, pour Heidegger, de mettre en évidence l'enracinement de latheoria et de lapraxis dans le nouveau concept de « Souci »[87],[N 9], que lui avait fait découvrir, par ailleurs, sa fréquentation du Livre X desConfessions deSaint Augustin et ses travaux sur la vie des premiers chrétiens, dont il va s'acharner à trouver leslinéaments dans l'œuvre même duStagirite en s'appuyant sur le concept de « prudence », laPhronesis (φρόνησις)[88] ; « Souci » qui va devenir progressivement l'essence même de l'« être » de l'homme dansÊtre et Temps[89].
En outre, avec l'appui de l'héritage aristotélicien[N 10], le jeune professeur de Marbourg va pouvoir innover en interprétant systématiquement les phénomènes fondamentaux de la vie facticielle (les manières de se comporter duDasein), qui avaient été dégagés antérieurement, pour les porter, eux aussi, au niveau de déterminations catégoriales[90], qui seront à la base des futurs « existentiaux » (ou « catégories de l'existence ») dansÊtre et Temps.
Sa sensibilité catholique l'a ouvert au caractère tragique et précaire de l'existence, ainsi que l'a soulignéJean Greisch[91].Hans-Georg Gadamer insiste également sur les origines religieuses du chemin de pensée[N 11] du philosophe.Marlène Zarader décèle plutôt chez Heidegger un héritage hébraïco-biblique qui constituerait un impensé de sa philosophie[92] ; le privilège accordé dans ses premiers cours à laPhénoménologie de la vie religieuse, c'est-à-dire au vécu de la foi par rapport à la phénoménologie de la religion chez les premiers chrétiens, ayant, suggère-t-elle, pour conséquence d'occulter tout l'héritage proprement hébraïque dans la pensée occidentale[93]. À ces sources religieuses anciennes s'ajoute l'influence plus contemporaine du penseur chrétienKierkegaard, mettant l'accent sur les « tonalités affectives », sur la compréhension heideggerienne des concepts d'« angoisse », d'« existence » et d'« instant »[94].
Son maîtreEdmund Husserl lui offre avec laphénoménologie une méthode d'exploration de la réalité et la formation à une exigence, le« retour aux choses mêmes »[N 12].Heidegger se convainc d'abord que c'est dans l'expérience la plus pragmatique et la plus naïve du monde que l'homme prend conscience de lui-même et de ce qui l'entoure, remarque Christoph Jammes :« La thèse fondamentale est la suivante : le vécu du monde ambiant n'est pas à concevoir théorétiquement »[95]. La primauté est reconnue à la quotidienneté ordinaire. LeDasein y reçoit la première expérience concrète de l'« être », de« ce qui est ». Heidegger pense trouver dans l'« auto-interprétation » de la vie factive[Quoi ?], comme le suggérait déjàWilhelm Dilthey dans son affirmation« Das […] Leben legt sich […] selber aus » (« la vie s'interprète elle-même »), le fondement recherché[N 13].
« Celui qui m'a accompagné dans ma recherche, c'est le jeuneLuther, et mon modèle a étéAristote que Luther détestait,Kierkegaard m'a donné des impulsions ; les yeux c'estHusserl qui me les a implantés[96]. »
« Le langage n'existe que là où il est parlé, c'est-à-dire entre les hommes », observe Heidegger d'aprèsJean Greisch, qui précise qu'« en passant du système clos sur lui-même, qui spécifie la « langue », à la parole vive de l'échange, Heidegger pose une première décision importante »[97]. Son rapport à l'existence est donc pour le penseur plus essentiel que son enfermement dans les règles de la« logique » et de la grammaire, dont la tradition s'est rendue coupable. Pour preuve,« la définition d'une « essence du langage » serait aussi problématique que la définition d'une « essence de l'homme » »[97].
C'est dans les années 1919-1923, correspondant au premier séjour de Heidegger à Fribourg commePrivatdozent, que le jeune professeur commence à prôner un retour à l'expérience concrète de la vie pour contrer la vision exclusivement théorique de la philosophie traditionnelle, et orienter ses recherches sur la viefacticielle, en laquelle il commence à voir la source de tout sens[N 14] ainsi que le fondement du philosopher, qui va constituer le chemin par lequel il cherche à se distinguer de la philosophie dominante de son époque[98]. Parce que de grands noms de la philosophie duXXe siècle commeHannah Arendt,Hans-Georg Gadamer,Max Horkheimer,Hans Jonas, Karl Löwith, J. Ritter, furent ses auditeurs, les cours de cette période se révèlent être une source centrale pour la compréhension de la philosophie de ce siècle[99].
Alors que les premiers essais de Heidegger de 1912 à 1915 le portaient à soutenir la nécessité d'une philosophie logique, comme science rigoureuse, dans la lignée desRecherches logiques deHusserl et de l'enseignement de son professeur néo-kantienHeinrich Rickert[100], se met progressivement en place, au contact de laLebensphilosophie, une philosophie de la vie, et face au constat d'une« impossible Science de la Vie » une phénoménologie herméneutique proprement heideggérienne[101]. En perdant son caractère scientifique, la philosophie en tant qu'auto-compréhension de la vie garde néanmoins son caractère originaire en tant que savoir pré-théorique[102].Jean Greisch[103] note que sur « l'analyse existentiale », Heidegger met en œuvre« une démarche interprétative qui n'explique rien, mais qui accompagne simplement les phénomènes assez loin pour leur permettre d'exhiber leur propre sens ».
La transformation et l'appropriation de vieux concepts
C'est dans la ré-appropriation de très vieux concepts grecs commePhusis,Logos,Alètheia (relevés parMarlène Zarader[104] ; celle-ci les qualifie de« paroles fondamentales »[N 15]) et le travail d'interprétation effectué sur les concepts aristotéliciens, ainsi que leur transformation dans le cadre de son analytique existentiale, que s'expose la pensée du philosophe.« L'opération que Heidegger accomplit à travers son interprétation très serrée du texte consiste à « s'approprier » des déterminations conceptuelles aristotéliciennes et à les intégrer, après les avoir transformées, dans le cadre de son analytique de l'existence. »[105]
Heidegger, pour mieux traduire sa pensée, innove avec le langage – soit qu'il utilise des mots courants dont il détourne ou déplace le sens à partir de considérationsétymologiques, comme avecA-lètheia ouDa-sein, soit qu'il se livre à des reconstructions grammaticales, construisant ainsi desnéologismes, comme avecErschlossenheit. À l'exception deGestell qui selonKostas Axelos a« atteint l'intraduisibilité complète, sans parler de l'Ereignis », la plupart des mots utilisés par Heidegger sont présents dans le dictionnaire allemand[106].
Ces innovations, qui constituent un frein à la compréhension de sa pensée, occasionnent plusieurs polémiques, dont une majeure en France concernant les choix de traduction. Les traductions posent en effet des problèmes de choix, dans toutes les langues : utiliser un vocabulaire courant pour expliquer la notion en jeu, utiliser le mot correspondant au mot allemand dans son sens d'origine, ou inventer des néologismes. En France, la traduction d'Être et Temps parVezin suscite une polémique intense. Sa version provoque selon les auteurs un « tollé », un « scandale », sachant qu'avec la traduction alternative, non autorisée, d'Emmanuel Martineau, ainsi que celle antérieure deRudolf Boehm etAlphonse De Waelhens (1972), toutes trois sont jugées parDominique Janicaud comme relevant d'un« galimatias »[107]. Toutefois,Dominique Janicaud parle ensuite de la« relative lisibilité du texte et des choix [de traduction] cohérents » de la version de Martineau, qu'il a appréciés[108].
Françoise Dastur évoque, à propos de l'accueil d'Être et Temps en France,« une interprétation et une réception « populaires » de son œuvre qui ne rend pas justice à la conscience qu’il prit des raisons de l’échec de son projet de 1927 et de la nécessité dans laquelle il se vit placé à partir des années trente d’utiliser un nouveau langage »[109].
Heidegger lui-même, rapporteJean Beaufret[110], a déclaré au colloque deCerisy-la-Salle en 1955 :« Il n'y a pas de philosophie de Heidegger. Et quand bien même il devrait y avoir quelque chose de ce genre, je ne m'y intéresserais pas, mais seulement à la chose même dont il y va en toute philosophie ». Il a souvent marqué sa préférence pour l'appellation de« chemin de pensée » (Denkweg), en direction de ce que Jean Beaufret qualifie de pensée plus« originelle »[111].
Heidegger s'oppose à la pensée explicative traditionnelle par les causes, pour laisser « venir et accueillir »,« laisser être » (Sein-lassen)[N 16], ce dont il est question dans le langage, que la chose soit formulée ou non.Hadrien France-Lanord[112] note que, s'agissant du conceptmétaphysique, le travail de Heidegger« peut se comprendre comme un long travail de déprise » en vue de laisser le phénomène advenir dans sa manière singulière. Contrairement à tous ses prédécesseurs, il accordera, sous le nom deErorterung, une place toute particulière à l'« informulé » qui toujours se réserve et fonde l'unité du texte ou de la pensée[113]. Heidegger se distingue de ses prédécesseurs en ce qu'il pratique une« véritable quête de l'impensé » dans l'étude de leurs œuvres. PourAlain Boutot[114]« cette quête du « vouloir dire » ou de l'« impensé » est une caractéristique et une constante de l'exégèse heideggérienne ».
Christian Sommer[115] rappelle cette remarquable sentence de Heidegger :« Philosopher est le questionner extraordinaire qui s'enquiert de l'extra-ordinaire ».
Que la question du« sens de l'être » ait pu être, en tant que telle, oubliée depuis les Grecs, entraîne une autre question quant à la nature et la solidité du fonds permanent de réponsesontologiques qui dominent depuis lors la pensée philosophique[116]. Sur quelle espèce d'évidence est ainsi assise l'idée de l'« être », lorsqu'elle est déterminée comme« présence sous jacente permanente » ? Pour Heidegger, note Christian Dubois,« cet oubli signifie la permanence inquestionnée d'un fonds de concepts ontologiques ». Tout « questionner » philosophique serait dans l'histoire de la philosophie souterrainement pré-orienté par un sens évident et enfoui, qu'il s'agit de mettre au jour. C'est par un travail de « déconstruction » (Dekstruction) de la tradition, qui n'est en rien une destruction au sens français, mais un démontage intéressé des pièces[Quoi ?], que Heidegger compte y parvenir[116].
Publié en 1927 en vue de l'obtention d'une chaire professorale àMarbourg, son maître livre,Être et Temps, est qualifié d'« ontologie fondamentale »[N 17]. Servanne Jollivet, dans son sommaire[117], présenteÊtre et Temps comme l'aboutissement d'une recherche en vue d'un enracinement vital de la philosophie comme science originaire. C'est pourquoi l'expression d'« ontologie fondamentale » (science de l'être en tant qu'être), couramment utilisée à propos d'Être et Temps, ne correspondrait pas véritablement au dessein de ce livre, parce que cette ontologie recouvrant une « analytique de l'existence »« n'est déjà plus une ontologie qui s'enquiert […] de l'être de l'étant mais de la vérité de l'être […] de sorte qu'on ne saurait le lire comme un traité d'ontologie » remarquePascal David[118].
Selon Christian Dubois, quiconque tente de pénétrer dans la pensée de Martin Heidegger doit commencer par lireÊtre et Temps (1927)[119]. NéanmoinsMaxence Caron suggère, compte tenu du fait qu'Être et Temps est une œuvre« extrêmement concentrée », qu'il est plus judicieux, pour accéder à la pensée heideggerienne, de commencer par lire certains cours de la fin des années 1920, récemment traduits en français, qui encadrent la publication de l'œuvre[N 18].
Les lecteurs francophones disposent de plusieurs traductions :
MaisÊtre et Temps, malgré son importance, nous dit Christian Dubois[N 19],« ne fut qu'une étape dans le mouvement de sa pensée »[N 20].
Cet ouvrage, premier aboutissement de la pensée d'Heidegger, est une de ces œuvres majeures de la philosophie que certains ont comparé à laMétaphysique d'Aristote[N 21]. Toutefois, elle n'est que la première partie d'un projet qui ne fut pas mené à terme. Il s'agissait au départ de développer une intuition de Heidegger quant au sens temporel de l'« être ». À cette époque, Heidegger n'ayant pas encore rompu totalement avec lamétaphysique[N 22], il s'agissait de parvenir à lui assurer un fondement solide par l'exploration du sens unitaire de l'Être qu'Aristote avait éludé en concluant à lapolysémie incontournable de ce concept. Heidegger entreprend de dévoiler ce sens unitaire en partant de la temporalité de l'étant concerné, leDasein que les premières études avaient mis au jour dans son exploration de la« phénoménologie de la vie »[124]. L'homme lui-même n'est plus défini comme une nature, une essence invariable et universelle, mais comme un« pouvoir-être ». L'existence prend le pas sur l'essence avec la célèbre formule tirée du § 9 d'Être et Temps, qui donnera naissance à l'existentialisme :« L'essence duDasein réside dans son existence ».
De l'aveu même de son auteur, cette tentative aboutit à un échec[125], la deuxième partie et la troisième section de la première partie n'ayant jamais pu être rédigées. De cet échec, Heidegger retire la conviction que lamétaphysique est définitivement dans l'incapacité d'atteindre sa propre vérité, à savoir la différence de l'être et de l'étant[N 23].
« La question du sens de l'être reste à l'issue de ce livre inachevée, en attente d'une réponse. Elle demandera, sur la base de l'acquis de cette œuvre, jamais renié, le courage et la puissance de la pensée pour se frayer de nouveaux chemins. » (Christian Dubois)[126]
Telle qu'elle fut livrée, cette œuvre, avec celles qui la précisent[127],[128],[129], marque néanmoins, par sa nouveauté, un tournant important dans la philosophie occidentale, selonLevinas. On y trouve l'apparition de nouveaux concepts majeurs pour l'histoire de la philosophie, tels que leDasein, avec ses multiplesguises oumodes sous lesquels ceDasein journalier et quotidien apparaît :Monde et mondéité,être-au-monde,être-pour-la-mort,être-avec,être-en-faute,être-jeté.
Le problème de la conjonction de l'être et du temps a été réabordé d'un point de départ différent à l'occasion de la conférence de 1962Temps et être :« Heidegger ne part plus d'une élucidation de la constitution d'être de l'étant comprenant l'être, il ne part plus duDasein, mais simplement de la caractérisation de l'être commeAnwesen, présence qui traverse toute la tradition occidentale. » (Alain Boutot)[130]
De sa lecture de la thèse deFranz Brentano[131], le jeune Heidegger avait retenu que pour Aristote « l'être se dit de multiples manières », et outre son sens catégorial, il se dit aussi au sens de propriété, de possibilité, d'actualité et de vérité, queBrentano avaient négligés[132].
L'édition intégrale des œuvres de Heidegger, laGesamtausgabe, qui devrait comporter 102 à 108 volumes quand la publication en sera achevée, sera en grande partie constituée de ses cours, dont beaucoup entreprennent de réinterroger la tradition philosophique occidentale depuis ses origines grecques à travers ses principaux représentants (Platon etAristote,Kant,Hegel etNietzsche, etc.).
Alain Boutot souligne :« l'œuvre heideggerienne est portée tout entière par une seule et même question qui lui confère son unité fondamentale : la question de l'être,die Seinsfrage »[133],[N 24]. Alain Boutot estime en outre que, de la lecture dans sa jeunesse de la dissertation deFranz Brentano intituléeDe la signification multiple de l'étant chez Aristote, Heidegger avait retenu« l'énigme qui lui avait donné naissance, et que s'il est vrai que l'être se dit en plusieurs sens, quelle est alors la signification fondamentale de l'être, quelle est la détermination « unitaire » de l'être qui régit toutes ces significations, bref que veut direêtre ? »[134]. Boutot ajoute :« Cette question [de l'être] inspirait encore Platon et Aristote, mais s'est éteinte avec eux, du moins comme thème explicite d'une vraie recherche. Les philosophes qui leur ont succédé n'ont fait que reprendre, sans s'interroger davantage, les déterminations ontologiques que ces deux penseurs avaient découvertes. »[135] Au seuil de son livreÊtre et Temps, Heidegger écrit :« L'élaboration de la question de l'être est l'objet du présent travail, son but provisoire est de fournir une interprétation du temps comme horizon de toute compréhension de l'être »[135]. Ce lien de compréhension entre être et temps est aussi souligné par Christian Dubois :« Ce gigantesque ébranlement se produit d'abord en 1927, dans ce maître livreÊtre et Temps. ToutÊtre et Temps est tendu vers la possibilité de montrer et de dire ceci : être veut dire temps. »[136].
L'histoire métaphysique (ou histoire de la philosophie) va apparaître, écritJacques Taminiaux,« comme l'histoire de l'oubli croissant de l'Être, de la différence de l'être et de l'étant »[137].
Avec le fondement du Temps, Heidegger cherche à établir que l'être de l'homme n'est pas seulement« dans le temps »,« temporel » comme l'on dit habituellement, mais qu'il « s'identifie » au temps. Selon l'expression d'Alain Boutot[138]« leDasein, est non seulement temporel en son être mais s'identifie au temps lui-même, non certes au temps conçu comme une suite de maintenant mais à une figure plus originaire du temps ». Le temps ordinaire, celui des horloges, dérive de la temporalité propre duDasein :« Heidegger veut réserver un droit autonome au temps en tant qu'il jaillit de la temporalité duDasein »[139].
Ce temps « extatique », propre auDasein, dans une conférence de1924[140], se décompose en trois moments ouextases : l'« à-venir », l'« avoir été », le « présent »[141]. Cette conférence est suivie du cours sur lesProlégomènes à l'histoire du concept de temps professé à Marbourg en1925, dans lequel ce« temps extatique » devient le phénomène qui se trouve à l'origine du temps normal ou vulgaire. Ce dernier n'est plus alors qu'un temps dérivé, qui trouve son fondement et sa possibilité dans le premier ; pour distinguer ce temps originaire, Heidegger le qualifie de« temporal », ou« historial »[N 25]. Cet « être-là », est qualifié de temporal, selonFrançoise Dastur,« parce qu'il constitue l'horizon unitaire du projet « extatique » duDasein »[142].
« LeDasein ne peut être défini dans ce qu'il est, dans sa nature, que par sa manière d'être. Il a une manière d'être spécifique qui est nommée existence[143]. » C'est donc à une analyse de l'existence duDasein, autrement dit des vécus de l'homme, que Heidegger procède à travers ce qu'il appelle l'« analytique existentiale » qui tiendra lieu d'« ontologie fondamentale » ; analyse dont il espère qu'elle va pouvoir lui procurer la base métaphysique recherchée,« préparatoire à la question de l'être »[144] et qui l'amène à explorer la structure d'un nouveau concept, celui d'« être-au-monde ».
Le rapport à une extériorité, à une « totalité » (l'homme estêtre-au-monde, il n'est pas possible de penser l'homme sans le monde), est ce qui se donne en toute priorité lorsque l'on cherche à caractériser l'homme en son être[145],[N 26].
L'« être-au-monde » se présente comme une structure unitaire en mouvement, complexe[146], que Heidegger va tenter d'unifier dans ses multiples moments en faisant appel au concept de « souci »[147]. Ce « souci » (Die Sorge) reflète selonJean Greisch[148]« que la structure formelle duDasein consiste dans le fait qu'il est un étant pour qui dans son « être-au-monde », il y va de son être, le souci est le terme pour désigner l'être duDasein tout court ».
LeDasein dans le« souci de soi »[149], est dans la nécessité de réaliser l'une ou l'autre de ses possibilités : soit être responsable de son existence, en ce cas il est qualifié d'« authentique »[N 27], soit déposer cette responsabilité et être considéré comme« inauthentique ». L'inauthenticité est le fait d'unDasein qui se comprend lui-même à partir de ce dont il se préoccupe et non pas à partir de son propre« pouvoir-être » fini, et dans ce cas se laisse conduire par le« On », qui représente l'expression de l'opinion moyenne. LeDasein vivant la plupart du temps sur un mode impropre, se convoque lui-même (l'appel de la conscience) au nom de son étrangeté essentielle à quitter le « On », c'est-à-dire à quitter sa fascination pour le monde[150].
La notion deDasein tente de thématiser, selonAlain Boutot, l'homme que nous sommes nous-même, à travers sa détermination la plus essentielle, à savoir :« l'être qui comprend l'être »[151]. L'« être » de cet étant, révèle progressivement sa complexité tout au long de l'analytique qui lui est consacrée dansÊtre et Temps. Au cœur de cette analyse, apparaît d'abord une structure fondamentale l'« être-au-monde », puis les multiplesguises oumodes sous lesquels leDasein journalier et quotidien apparaît : « être-jeté » ; « être-avec » ; « être-en-faute » ; « être-vers-la-mort ».Hadrien France-Lanord[152] note à propos dusein« qu'il donne, en tant que verbe, sa résonance particulière à ce mot singulier qui est essentiellement un mouvement […]Dasein est un « avoir à être » ».
« Le monde n'est plus une totalité objective d'étants, un contenant propre à recevoir des objets, mais la manière d'être qui est celle de l'être humain en tant queDasein » résume Dominique Saatdjian[153]. La plupart du temps ignorée, cettemondéité (ce qui fait qu'un monde est monde, son essence) se montre dansÊtre et Temps d'une manière fugitive, au sein même de l'« ustensilité », lorsqu'elle ne joue plus, à même l'outil cassé et la rupture de la chaîne des renvois (voirles choses du monde).
Alain Boutot[154] résume ainsi l'orientation de ce deuxième déploiement, correspondant au « Tournant » (die Kehre) des années 1930 :« Alors qu'à l'époque d'Être et Temps, Heidegger abordait la tradition à la lumière de l'ontologie fondamentale, il l'envisagera, après le tournant, à la lumière de la pensée de l'être ».
DèsÊtre et Temps, Heidegger interroge un concept pivot de lamétaphysique, celui de« Vérité », défini depuisAristote comme adéquation entre l'idée et la chose, qui de fait s'est historiquement prêté à de nombreuses variations rappelleJacques Taminiaux[155]. Dans des analyses célèbres portant sur des fragments de textes attribués aux premiers pré-socratiques, Heidegger exhume le« sens originaire du concept de vérité » commeAlètheia ou dévoilement (Unverborgenheit), qui n'est pas un concept de relation, mais que Heidegger interprète, en prenant appui sur l'« a » privatif appliqué à laLéthé, comme l'expression d'un « surgissement hors du retrait »[156]. Une première mutation de l'essence de la vérité est survenue avec la détermination platonicienne de l'être commeidea, premier pas que Heidegger va qualifier de « catastrophe »[157],[158].
Ce concept, après sa formescolastique, a subi au cours du temps de nombreuses autres métamorphoses[159], mais la variation décisive pour l'avènement du règne de la « Technique », c'est-à-dire, de la modernité, se trouve formulée dans les travaux deDescartes avec la prévalence absolue de la « vérité-certitude » qui impose aux choses de se soumettre, dans un complet renversement, à lamathesis[160]. Connaître est devenu le moyen de s'assurer d'un pouvoir sur l'étant.
Hans-Georg Gadamer[161] déclare à propos de la lecture que fait Heidegger des premiers penseurs :« Mais ce sont malgré tout des interprétations archaïsantes de Heidegger qui, en y flairant une expérience originaire de l'être (et du néant), nous ont fait sentir la nécessité de nous approcher de ces textes, dans toute leur obscurité et leur brièveté fragmentaire, en les lisant à rebours de la conception hégelienne de la « raison dans l'histoire » de la pensée. » Il s'agit pour Heidegger de conquérir, à l'encontre de toutes les visions réductrices qui prétendent comprendre à partir de nos préoccupations modernes un tout autre monde, une dimension qui fasse droit à leurs pré-occupations de penseurs dans la Grèce archaïque (celle d'Homère).
Dépassement de la métaphysique et autre commencement
Après l'échec d'Être et Temps et l'épisode du Rectorat (1933), s'affirme le thème, nouveau pour lui, du« dépassement de la Métaphysique »[N 28]. La problématique du« sens de l'être » va laisser place à la question de la« vérité de l'être », dont la révélation du « voilement » accaparera dorénavant les efforts du philosophe, noteJean Grondin[162].
Quant à l'idée d'un « autre commencement », il ne faut pas l'entendre en un sens chronologique où un « commencement » succéderait à un « autre commencement », dans un enchaînement causal[N 29], car il ne fait signe vers aucunephilosophie de l'histoire, ni sur l'idée d'un progrès de l'humanité ou celle d'un déclin, tout ceci appartient en propre à la métaphysique et à son besoin de« calculabilité ». L'autre commencement prétend, par-dessus lamétaphysique, reprendre source directement à l'origine, à l'écoute de la dynamique cachée de l'histoire de l'« être ». Il s'agit, de se retourner pour retrouver, à travers la« Répétition », le point inaugural d'un autre chemin possible de la pensée, d'un« autre commencement ».« Le premier commencement qu'est la métaphysique n'est pas une « cause », qui à un moment donné de l'histoire aurait l'autre commencement de la pensée pour « effet », elle est une origine, uneUrsprung qui demande à devenir plus « originaire » », écrit Martina Roesner[163].
L'époque de la Technique comme phase ultime de l'histoire de l'être
Dans ses derniers travaux, Heidegger s'est attaché à mettre au jour les fondements métaphysiques de la modernité[164]. L'étude de ces fondements« engage la remémoration interrogative de la longue histoire de la métaphysique », à faire un pas en deçà de la Technique, queJacques Taminiaux qualifie de« figure de la métaphysique qui régit notre présent et planifie notre avenir »[165].
« Le phénomène fondamental des temps modernes n'est pas la science pour Heidegger, mais la Technique, dont la science elle-même n'est qu'une des multiples facettes », écritAlain Boutot[166]. Pour Heidegger la technique moderne« ne se résume pas à la mise en œuvre de procédés pour obtenir un résultat déterminé » (sens trivial actuel) ; en son essence la Technique est« un dévoilement » en vertu duquel,« la nature est mise en demeure de livrer une énergie »[166]. La Technique est parallèle à l'universalisation de la pensée calculatrice« qui planifie tout ce qui est, qui bien avant le machinisme a conçu la nature comme un vaste mécanisme. », ajoute Jacques Taminiaux[167]. Alain Boutot expose :« Conçue ainsi, la Technique n'a jamais selon Heidegger un sens étroitement technologique mais possède une signification métaphysique en caractérisant le type de rapport que l'homme moderne entretient avec le monde qui l'entoure »[166].
C'est cette volonté de calculabilité universelle, y compris sur l'humain, que Heidegger va explorer sous le nom de« nihilisme » dans son cours surNietzsche[168], et dont il fait commencer le règne avec la naissance de lamétaphysique. Jacques Taminiaux dans sa contribution intituléeL'essence vraie de la Technique fait un bref résumé de l'histoire de la métaphysique[169]. Dans une étape ultime, l'époque moderne de la Technique, dessine un homme, bien moins maître de lui, mis en demeure par leGestell – traduit difficilement par « dispositif », ou « déferlement de la Technique ». Jacques Taminiaux constate :« Bien plutôt, il est lui-même mis en demeure par legestell, défié par celui-ci, comme par un appel qui ne cesse de lui demander des comptes et de lui intimer d'aborder tout ce qui est, comme un fonds sommé de donner ses raisons[170]. et il conclut« S'il en va bien ainsi, combien naïves les conceptions qui réclament que l'homme reprenne en main la Technique ou lui ajoute un supplément d'âme[170]. » »
Heidegger, inaugure dans ses œuvres de maturité un humanisme de l'« habiter », dans une espèce de retour à l'« éthos » –ἦθος grec – contre un humanisme traditionnel de l'« essence », où la question de l'homme« va briller par son absence »[171]. Cet humanisme que Heidegger lui-même qualifie d'« une étrange sorte d'humanisme » (« ein Humanismus seltsamer Art »), expression rapportée parJean-François Marquet[171]. Ce dernier précise, en redéfinissant le terme « Wesen » à partir de son étymologie tirée du vieil allemand :« l'humanisme de Heidegger se définit ainsi non comme un humanisme de l'homme pensé comme sujet, mais comme un humanisme du « Wesen », de l'« habiter » de l'homme, de sonéthos[172]… »
En parallèle, Heidegger souligne dans laLettre sur l'humanisme[173] combien est importante ce qu'il appelle« la maison du langage », cet« habiter » par la parole en tant que« vérité de l'être ». Par le langage,« L'homme habite en poète », comme le ditHölderlin, dans une expression que Heidegger reprend à son compte[174]. Encore faut-il que le langage demeure dans la vérité de son essence et ne se dégrade pas, au point de devenir un simple outil de communication, auquel cas, comme le ditJean-François Marquet, le destin de l'homme d'aujourd'hui resterait« wahr-los, sans garde comme sans vérité, sans nom, comme sans patrie, dans la mesure même où la parole a cessé d'être pour nous la maison pour devenir un outil »[175].
Dans cette mêmeLettre sur l'humanisme[176], Heidegger recourt à la métaphore du berger ; l'homme perd ce qui lui restait de caractère auto-centré pour devenir, dans sonDasein, le lieu, l'éclaircie, où peut se déployer l'événement de l'être ; il se fait« gardien de la vérité de l'être ».
Ailleurs, dansIntroduction à la métaphysique, publié en France en 1958, Heidegger soutient, que l'homme est par essenceUnheimlich, c'est-à-dire sans abri et sans foyer[177], livré sans défense aux turbulences de l'être, thèse que Heidegger aurait tirée de la lecture des tragédies deSophocle, selonFrançoise Dastur, notammentŒdipe roi[178], interprétation qui est reprise avec force dans laLettre sur l'humanisme[179].Alain Boutot précise que selon Heidegger« l'errance n'est pas imputable à la faiblesse ou à l'inattention de l'homme […] la dissimulation appartient à l'essence originaire de la vérité »[180].
Dans la conférence de 1935L'origine de l'œuvre d'art (Der Ursprung des Kunstwerkes), Heidegger lie la question de l'essence de l'art à celle de l'« être ». L'expérience qu'il en fait, remarque Alain Boutot[181], tourne le dos à la démarche « esthétique » traditionnelle centrée sur le goût, qui« n'apparaît qu'avec la métaphysique et plus précisément avec Platon ».« Ce dont il s'agit de se départir c'est aussi des concepts platoniciens et aristotéliciens qui du fond d'une longue histoire dirigent l'abord des œuvres et leur pré-compréhension », précise Christian Dubois[182]. La destruction des présupposés de la science esthétique, qui va« permettre d'accéder à l'œuvre d'art pour la considérer en elle-même »[183], est solidaire de la destruction de l'histoire de l'ontologie.« La science esthétique n'atteint pas le propre de l'art, car selon Heidegger l'œuvre d'art ne présente jamais rien, et cela pour cette simple raison qu'elle n'a rien à présenter, étant elle-même ce qui crée tout d'abord, ce qui entre pour la première fois grâce à elle dans l'ouvert[184]. »
L'œuvre d'art va devenir une puissance qui ouvre etinstalle un monde, la vérité de l'être qui s'y exprime ne sera plus l'effet de la connaissance humaine mais celui d'unealètheia, d'un dévoilement –« l'œuvre d'art est puissance avérante d'un monde », écrit Christian Dubois[185].
Heidegger consacrera, à partir des années 1930 et jusqu'à la fin de sa vie, de nombreuses études à la poésie et notamment à celle deHölderlin, avec lequel il entreprend un véritabledialogue au sommet[186],[187]. On ne saurait exagérer l'importance du poète, estime Heidegger[188]. Selon Christian Dubois :« Le penseur dit l'être ; le poète nomme le sacré. »[189]
La dernière figure du monde s'expose sous le concept d'Uniquadrité (das Geviert), qui regroupe les quatre puissances élémentaires du ciel, de la terre, des hommes et du divin, dont Alain Boutot[190] précise qu'il est« le fondement sans fond à partir duquel tout ce qui est, non seulement les quatre qui le composent, mais aussi les « choses » qu'il abrite, se trouve libéré et porté jusqu'à soi-même », et que Heidegger met au jour pour la première fois dans la conférenceLa chose – « choses » dont il montre, à travers l'exemple de la cruche, que l'être (la « choséité ») ne se limite pas à l'utilité.
Avec Heidegger, l'Être est sommé de rendre compte des pires excès de l'histoire contemporaine (notamment l'extermination industrielle de l'homme par l'homme). Il s'agit de s'atteler à la tâche de penser ce qui les a rendus possibles, écrit Gérard Guest[191],« car le mal ne peut plus être circonscrit à ce qui est moralement mauvais, ni non plus limité à n'être jamais qu'un défaut et un manquement au sein de l'étant ». Heidegger nous en avertit :
« Avec l'Indemne tout ensemble apparaît, dans l'éclaircie de l'Être, le Mal. (Mit dem Heilen zumal erscheint in der Lichtung des Seins das Böse.) »
— Heidegger, Lettre sur L'humanisme, Aubier, page 156
Heidegger aura été le penseur du« danger en l'Être » et celui de la« malignité de l'Être », notamment celui qui nous avertit du danger qui gît au cœur de« l'aître de la technique planétaire », lequel a d'ores et déjà atteint« l'être humain dans son être même ».
Il est impossible ici de détailler tout ce que le philosophe Heidegger doit à son maîtreEdmund Husserl[N 30].
Pour Husserl, le discours sur l'Être est la même chose que l'installation dans l'attitude naturelle, noteGérard Granel[192]. Dans les marges de son exemplaire deSein und Zeit, Husserl note :« Heidegger transpose l'élucidation […] de toutes les régions de l'étant et de l'universel, la région totale monde, dans l'ordre de l'anthropologie. Toute la problématique est un transfert : à l'ego correspondDasein, etc. ; par là tout prend une profondeur de sens pleine d'obscurité. »[193] SelonHadrien France-Lanord, cette lecture repose sur« une mésentente à propos du termeDasein, purement et simplement assimilé à la réalité humaine », qui conduit Husserl à croire que Heidegger est« en train d'échafauder une nouvelle anthropologie »[194]. SelonRobert Brisart, Heidegger cherche, au contraire du reproche de Husserl,« à montrer que ce n'est pas dans son comportement quotidien que leDasein peut se frayer un chemin jusqu'à la compréhension authentique de son existence »[195].
À quoi Heidegger répliquera quel'ego transcendantal de son maître n'est à tout prendre qu'unsubjectivisme transcendantal et que lui seul, en reprenant à neuf la question de l'être, abandonnée depuis longtemps, a pu s'extraire de la perspective anthropologique qui imprègne toute la pensée philosophique depuisDescartes. C'est d'ailleurs ce même argument qu'il va opposer à ceux qui veulent l'intégrer dans la philosophie de l'existence (die Existenzphilosophie) en compagnie deKierkegaard,Jaspers etSartre[196],[N 31].C'était reprendre d'une manière moins révérencielle le constat de divergence établi dès 1927 où dans une célèbre lettre à Husserl, Heidegger a bien mis en évidence le point fondamental qui le séparait de son maître :
« Nous sommes d'accord sur le point suivant que l'étant, au sens de ce que vous nommez « monde », ne saurait être éclairé dans sa constitution transcendantale par retour à un étant du même mode d'être. Mais cela ne signifie pas que ce qui constitue le lieu du transcendantal n'est absolument rien d'étant – au contraire leproblème qui se pose immédiatement est de savoir quel est le mode d'être de l'étant dans lequel le « monde » se constitue. Tel est le problème central deSein und Zeit – à savoir une ontologie fondamentale duDasein[197]. »
Autrement dit, avec Heidegger, l'« enquête phénoménologique » ne doit pas tant porter sur les vécus de conscience, que sur l'être pour qui on peut parler de tels vécus, et qui est par là capable de phénoménalisation, à savoir leDasein, c'est-à-dire, l'existant.
Helmuth Plessner et la critique de l'analytique existentiale
Pour Heidegger, néanmoins, le malentendu est autre ; il réside dans la possibilité même d'une« anthropologie scientifique », qui reste pour lui un concept ambigu, soit la définition de l'homme comme un étant parmi d'autres étants, et donc une simple ontologie régionale, soit un étant dit certain, à la manière cartésienne, ce qui implique comme fondement la subjectivité humaine. Dans l'un et l'autre cas, l'anthropologie scientifique ne peut prétendre à être un fondement de la pensée philosophique. Comme le dit Heidegger, l'anthropologie devient une sorte de « dépotoir » de toutes les questions non résolues[200].
Helmuth Plessner élargit sa critique en soulignant le caractère anhistorique de l'analytique existentiale et les conséquences qu'elle entraîne. Heidegger ne proposerait que des définitions« neutres » de l'existence humaine, à partir desquelles aucune analyse politique ne puisse être élaborée, ni aucune décision prise par rapport à une conjoncture historique et politique. Or, explique Helmuth Plessner, l'essence de l'homme n'existe pas, elle ne tient dans aucune définition, parce qu'il est appelé à se déterminer lui-même dans l'histoire, de manière historique et selon les situations où il devient ce qu'il a décidé d'être. Helmuth Plessner soutient que l'Homme ne peut être contenu dans« aucune définition neutre d'une situation neutre ». En 1931, il écritLe Pouvoir et la nature humaine, après la percée desnationaux-socialistes aux élections de 1930. C'est dans ce contexte qu'il exhorte la philosophie à se réveiller de son rêve, à cesser de croire qu'elle pourra saisir le« fondement » de l'homme. Son concept d'historicité l'amène à penser qu'elle doit se risquer dans le domaine de la politique et prendre la responsabilité de s'affronter à ses dangers.
Toujours selon Helmuth Plessner, la politique est définie manière très« machiavelienne » comme« l'art de l'instant favorable, de l'occasion propice », ce que les Grecs appelaient lekairos et ce pourquoi Machiavel associait lafortuna à lavirtù nécessaire à l'homme politique. Et en1931, l'impératif du moment, pour un philosophe, est précisément de saisir la dimension politique qui construit l'homme, son appartenance à un peuple qui est son trait distinctif, et l'importance de la nationalité (Volkstum). Helmuth Plessner adresse par là une seconde critique à Heidegger : celle de ne pas accorder suffisamment d'attention à la nationalité, à partir de laquelle se posent tous les problèmes politiques d'un peuple. L'homme n'existerait que dans l'horizon de son peuple. Selon Plessner, la philosophie de l'authenticité ne fait que creuser le fossé, traditionnel en Allemagne, entre« une sphère privée du salut de l'âme et une sphère publique du pouvoir ». Selon lui, Heidegger favorise ainsi l'indifférence en politique.
La rencontre deDavos, en 1929 a donné lieu à une confrontation célèbre entreErnst Cassirer, tenant de la tradition rationaliste, et Heidegger. Le débat s'est noué autour de l'interprétation du kantisme ainsi que de la place de l'angoisse et de lafinitude. Ce qui, pour Heidegger, est une situation indépassable, peut être pour Cassirer transcendé dans la succession infinie des formes intellectuelles et dans la percée éthique vers l'intelligible et les valeurs universelles[201].
Cassirer était l'un des chefs de file de l'école de Marbourg, un courant philosophique qualifié de« néo-kantien ». Le kantisme affirme que la raison est inapte à comprendre le monde tel qu'il est. D'où cette conséquence révolutionnaire : la vérité ultime sur le monde sera à jamais inaccessible à la pensée. Dans saCritique de la raison pure, Kant affirme en effet que la connaissance sur le monde est bornée par des« catégories a priori de l’entendement ». En d'autres termes, nos connaissances sont modelées par des cadres mentaux qui préexistent à toute expérience. Ainsi, la perception du temps (linéaire), de l'espace (à trois dimensions), ou de la causalité (chaque chose à une cause qui la précède) ne reflètent peut-être pas la nature profonde du monde, mais expriment plutôt la structure de notre esprit. Tel était le sens de la« révolution copernicienne » inaugurée par Kant.
Heidegger a une conception plus rude de l'être de l'homme, comme« être-jeté » et « être-vers-la-mort », plongé dans le temps, aux prises avec sa liberté, safinitude, et samort. Ce débat portait au fond sur la nature de la pensée et lepropre de l'homme. La pensée est-elle réductible au langage et à ses« formes symboliques » comme le penseErnst Cassirer ? Est-elle plutôt ancrée dans l'image et laperception du temps, comme le pense Heidegger ? Le langage ou l'imagination : quel est le propre de l'homme ? Voilà la question qui fut posée à Davos[202].
L'écart théorique ne doit pas toutefois être exagéré, comme le soutient Servanne Jollivet[203] : Cassirer le kantien n'était pas tout à fait insensible à la reconduction effectuée par Heidegger de tout étant subsistant à un mode plus originaire qui serait son« utilisabilité ».
En 1931,Rudolf Carnap reprend les idées développées parWittgenstein dans sonTractatus logico-philosophicus. Passant au crible un passage deQu'est-ce que la métaphysique ?, il en conclut à un énoncé dénué de sens (pseudo-proposition« qui ne contient que des mots pourvus de signification, mais agencés de telle façon qu'il n'en résulte aucun sens »)[204]. Une partie de la controverse est centrée sur l'utilisation denichts /Das Nichts, que Heidegger modifiera dans une version ultérieure. Cette polémique induira une opposition durable entre les deux hommes : Heidegger parlera encore en 1964 de« deux positions d'antagonismes extrêmes » de la philosophie contemporaine[205].
SelonEmmanuel Levinas, Heidegger, en exaltant les rapports pré-techniques de l'homme avec la nature, conduirait l'ontologie à devenir une ontologie de la nature, puissance impersonnelle et sans visage, matrice des êtres particuliers subordonnant le rapport à autrui à la relation avec l'être en général, menant fatalement à la tyrannie.
DansHeidegger,Gagarine et nous[206], Levinas écrit percevoir chez Heidegger, fasciné parHölderlin,« le désir de retrouver une enfance pelotonnée mystérieusement dans le Lieu, s'ouvrir à la lumière des grands paysages, à la fascination de la nature, aux majestueux campements des campagnes »,« sentir l'unité qu'instaure le pont reliant les berges de la rivière et l'architecture des bâtiments, la présence de l'arbre, le clair-obscur des forêts, le mystère des choses, d'une cruche, des souliers éculés d'une paysanne, l'éclat d'une carafe de vin posée sur une nappe blanche »[207] ; d'où sa conviction que Heidegger considère négativement tout ce que l'homme a rajouté à la nature. D'ailleurs la nature y parle poétiquement et anonymement, mais aussi le langage, dont le centre de gravité n'est plus dans l'homme, le prochain, mais dans l'Être. D'où pour un philosophe porté par la tradition juive tel que Levinas, la dénonciation immédiate de la tentation de l'enracinement et dupaganisme naturaliste dont Heidegger se ferait l'écho. Levinas ira jusqu'à dire que la Technique nous délivre des attachements terrestres (sic), des« dieux du lieu et du paysage » dont elle nous a montré« qu'ils ne sont que des choses, et qu'étant des choses ils ne sont pas grand-chose »[207].
DansTotalité et Infini[208], Levinas décrit l'homme dans un rapport au monde essentiellement axé sur la sensibilité, la jouissance et le jeu, rapport étranger à la finalité et à l'utilitarisme qu'ignorerait leDasein heideggérien dans son être-au-monde imprégné de significativité. Ici le monde des choses ne s'ordonne pas prioritairement en vue d'une finalité (produire un objet, satisfaire un besoin), mais d'abord dans et par la jouissance qu'elles peuvent procurer. Il y a de la jouissance dans l'absorption de nourriture avant sa nécessité biologique[N 32], comme dans l'étude avant le diplôme, et même dans la souffrance dugréviste de la faim qui se repaît de la compassion publique ; la sensibilité et la jouissance sont premières et antérieures à toute intentionnalité et représentation. Levinas écrit :« Il est curieux de constater que Heidegger ne prend pas en compte la relation de jouissance »[209].
Plus obsédante et pourtant moins justifiée, sur le plan de l'analyse duDasein, apparaît la revendicationéthique à travers l'ineffabilité du visage d'autrui, de celui qu'il présente comme infiniment autre, queLevinas reproche à Heidegger de n'avoir pas perçue. Il est certain que Heidegger évite le langage prophétique[210], mais on ne peut rien en déduire quant à la capacité de l'être-avec d'entendre ou non l'appel de celui que Levinas nomme « l'infiniment autre » ; la conception de Heidegger échappe sur ce plan (comme sur les autres) à la critique de Levinas.
Enfin, de la priorité de l'éthique sur l'ontologie fondamentale, Levinas est amené à attribuer à ce qu'il appelle« la responsabilité pour autrui » le rôle moteur dans la constitution du sujet autonome et dans la naissance de la conscience de soi comme d'emblée « en dette », rôle que Heidegger confie en tout premier lieu à l'anticipation de sa mort par leDasein.
Gérard Bensussan[211] expose une différence essentielle entre« l'Angoisse heideggérienne » et l'« Inquiétude lévinasienne » : si l'Angoisse met leDasein en face de lui-même, et le révèle à soi, l'Inquiétude le« désaproprie », le déporte de l'être plus absolument, le met en présence du« néant », du désert humain de son« être-au-monde », et ceci d'une manière irréparable.
Jean Greisch fait d'abord état de trois convergences phénoménologiques manifestes :
c'est à partir des tourments de l'expérience de la vie du chrétien que l'un et l'autre tentent de trouver la signification radicale de la vie et des modalités de sa phénoménalisation ;
l'un et l'autre récusent toute approche objectiviste de la vie facticielle (voirDasein) ;
l'un et l'autre doivent faire face au phénomène de la« fuite » de l'être humain par rapport à lui-même.
Ce qui les oppose c'est d'abord l'impossibilité pour Michel Henry de souscrire à la thèse d'unmonde qui, comme horizon de compréhensibilité, consacre, pour lui, le triomphe de la représentation, et cette dernière ne peut en aucun cas nous permettre de comprendre la vie chrétienne.
Ils sont ensuite opposés sur leur vision deDescartes. Heidegger, afin d'asseoir sa polémique anticartésienne et sa propre vision, aurait déformé dansNietzsche II le sens duCogito en assimilant abusivementCogitare etpercipere, réduisant le représenté à unétant devant soi, undisponible.« À partir de là, le représenté n'est plus seulement donné mais dis-posé en tant que disponible, établi et assuré comme ce sur quoi l'homme peut régner en maître »[214], interprétation qui va permettre à Heidegger d'enchaîner son argumentation sur la marche de la métaphysique vers la primauté absolue de la Subjectivité. Michel Henry veut sauvegarder l'essence originelle et immanente de la pensée et de la phénoménalité et lutter contre l'idée de la représentéité. La phénoménalité originelle s'accomplit comme ipséité dans une auto-affectation immédiate et sans distance.
Dans son livreHeidegger et l'essence de l'homme,Michel Haar[215] met à l'épreuve de la vie, notamment, les concepts fondamentaux deDasein, d'être-pour-la-mort, d'« être-jeté » et de« Devancement ». Il en relève les contradictions et les limites.
SelonJean Grondin,Hans-Georg Gadamer, lui-même philosophe célèbre, élève et ami personnel de Martin Heidegger, nous offre à travers son livreLes chemins de Heidegger un témoignage exceptionnel sur le chemin de pensée complexe de son maître, avec ses impasses, ses reprises et ses percées révolutionnaires. Ce livre n'est toutefois pas un simplepanégyrique mais un dialogue plein de doutes ainsi qu'une confrontation de haut niveau.
SiGabriel Marcel semble rejoindre Heidegger sur la question de laTechnique[216], il s'est en revanche totalement opposé à une de ses thèses fondamentales, selon laquelle l'homme serait unêtre-pour-la-mort, autrement dit obsédé par la mort.
L'horizon existentiel de l'homme ne saurait être la mort, nous dit Gabriel Marcel – en ignorant la signification existentiale de l'expressionêtre-pour-la-mort. Selon lui, lorsque l'homme se voit confronté au temps comme un parcours entre un point de départ et un point d'arrivée, son humanité se réduit. Le cri existentialiste héroïque qui veut doter de signification la vie dénuée de tout sens est, pour Marcel, existentiellement une illusion. L'homme n'est pas un être-pour-la-mort même s'il est un être mortel[217].
Paul Ricœur (1913-2005), faisant référence àSpinoza, affirmait que la philosophie est une méditation de la vie et non de la mort. Heidegger se serait trompé en plaçant leDasein dans une projection déterminée par l'horizon de la finitude[218].
Günther Anders, philosophe et essayiste allemand, élève de Heidegger dans les années 1920 et premier époux d'Hannah Arendt, dans son livreSur la pseudo-concrétude de la philosophie de Heidegger[219], critique radicalement l'ontologie heideggérienne présente dans ses textes d'avant la Seconde Guerre mondiale, notammentÊtre et Temps (1927), et du concept deDasein[N 33]. Publié en 1948 lors de son exil aux États-Unis en tant que juif allemand, il tente de démontrer que la pensée existentiale d'Heidegger comportait déjà les éléments de compatibilité avec le nazisme, notamment par son intérêt pour l'abstraction dépolitisante de l'être et du désintérêt pour la réalité humaine des êtres.
Northrop Frye, critique littéraire canadien anglais, écrivit qu'Heidegger posait la question comme ceci: «pourquoi y a-t-il des choses au lieu du vide ?», alors que lui Frye dirait : «pourquoi voulons-nous savoir?». Pour Frye, vouloir savoir converge vers le processus de comprendre l'emprise de la culture sur la vie sociale[220]. Pourtant il ajoutait qu'Heidegger voyait l'homme comme le serviteur du langage et que cette vision rattache l'humain à une transcendance de sa condition[221].
Hans-Georg Gadamer parlera de succession de pensées et de chemins nouveaux, exerçant une influence presque« suffocante » sur la philosophie européenne des cinquante dernières années duXXe siècle[223].
La réception de l'œuvre heideggérienne parmi lesphilosophes analytiques est différente. À l'exception d'une recension favorable d'Être et Temps parGilbert Ryle dans l'article« Mind of Being and Time » peu de temps après sa publication, les contemporains analytiques de Heidegger considérèrent autant le contenu que le style comme des exemples de la pire façon de faire de la philosophie[225]. De grands noms issus de ce courant ont toutefois été influencés par la pensée du philosophe allemand, notammentRichard Rorty.
Il est nécessaire ici de se reporter essentiellement à l'étude deDominique Janicaud,Heidegger en France, publiée en 2005. L'auteur restitue l'histoire de ce cheminement à travers les différentes étapes de la traduction de ses textes, des commentaires et des polémiques qui ont marqué la réception de la pensée du philosophe[227]. La première traduction d'une œuvre d'Heidegger en langue française a été réalisée en 1937 parHenry Corbin ; il s'agit deQu'est-ce que la métaphysique ?. Toutefois, Françoise Dastur note :« On sait, certes, qu’Emmanuel Levinas, qui fut le traducteur, en 1930, d’une première version desMéditations cartésiennes de Husserl, peut être considéré comme le véritable introducteur de la phénoménologie en France, mais c’est néanmoins Sartre, avec la publication en 1943 deL’Être et le néant, qui a contribué à faire connaître à un large public non seulement la pensée de Husserl, mais aussi et surtout celle de Heidegger. C’est donc d’abord vers lui qu’il faut se tourner lorsqu’on parle de la « réception » française de la pensée heideggérienne[228]. » C'est sans doute en France que l'influence occidentale de Heidegger fut la plus prégnante[N 34],[N 35].
On doit néanmoins àGeorges Gurvitch d'être le premier, en1928, à avoir fait état de l'importance deSein und Zeit dans son cours à lafaculté des lettres de Paris. Mais il faudra attendre la fin de laSeconde Guerre mondiale pour voir percer son influence : à partir de cette époque, il fut un penseur auquel firent référence une pléiade d'auteurs et d'intellectuels de différents courants ou disciplines :
Le Japon découvre dès 1924 la pensée d'Heidegger, à partir des premiers commentaires publiés sur son œuvre. De nombreux élèves deKitarō Nishida et de l'École de Kyoto viennent se former en Allemagne, où ils découvrent laphénoménologie, soit en travaillant avecHusserl, soit directement avec Heidegger. C'est le cas de Tokuryu Yamanouchi, qui en 1921 après son retour au Japon introduit le premier la notion de phénoménologie dans son pays.Hajime Tanabe, arrivé en Allemagne en 1922, travaille tout d'abord avec Alois Riehl, avant de rejoindre Husserl à Fribourg, et de découvrir Heidegger, qu'il considère jusqu'à la fin de sa vie comme le plus grand philosophe depuisHegel.Kiyoshi Miki, venu lui aussi en 1922, commence par travailler auprès deHeinrich Rickert puis rejoint Marbourg en 1924. Il y partage de nombreuses conversations avec Heidegger, et son premier livre publié au Japon, un an avant la parution d'Être et Temps, comporte de nombreux germes de l'idée duDasein et des analyses de Heidegger sur l'être-vers-la-mort. En 1936,Keiji Nishitani vient à son tour étudier pendant deux ans avec Heidegger, et son œuvre est empreinte de leurs dialogues. Parmi les autres Japonais à s'être penchés de près sur l'œuvre de Heidegger, on peut citerTetsurō Watsuji, qui après deux ans passés auprès de lui publia en 1930 une critique duDasein, lui reprochant de ne prendre en considération que le temps, en oubliant l'espace. Ou encore le maître de thé et penseurShin'ichi Hisamatsu, avec qui Heidegger eut des échanges sur l'art et la peinture, dontPaul Klee. Cette réceptivité de la philosophie japonaise aux travaux d'Heidegger doit beaucoup à l'ouverture intellectuelle de ce dernier à d'autres modèles de pensée que celui de la philosophie occidentale, qu'il juge trop« européano-centrée ». Son amitié avecShūzō Kuki, et ses échanges avec lui à la fin des années 1920, se retrouvent dans« Dialogues avec un Japonais » dansAcheminement vers la parole[229],[230].
Au début des années 1930, Heidegger attire, parmi les nombreux étudiants étrangers assistant à ses cours, des Nord-Américains dontMarjorie Grene. Ceux-ci sont les premiers à introduire sa pensée aux États-Unis, mais aussi les premiers à y porter un regard critique. Grene, bien qu'en partie influencée par lui (elle aussi est par exemple fortement critique vis-à-vis duCogito deDescartes), prend toutefois ses distances lors de la rédaction en 1957 de son ouvrageHeidegger[231].
À cette réception tiède, fait écho la position très critique de Heidegger à l'encontre des États-Unis et de l'« américanisme », qui représentaient à ses yeux les pires aspects de la modernité[232]
Être et Temps a été traduit en anglais en 1962 ; William Blattner, dans son introduction à la lecture de l'ouvrage, estime que les premiers lecteurs anglophones ont d'abord découvert Heidegger après la Seconde Guerre mondiale à travers la lecture de Sartre, l'influence deL'Être et le Néant étant alors forte, et ce n'est que bien plus tard qu'ils en feront une lecture autonome, ce qui les amènera d'ailleurs à analyser autrement le contenu d'Être et Temps[233].
L'influence combinée deHubert Dreyfus, avec son étude de 1991 surÊtre et Temps,Being-in-the-World: A Commentary on Heidegger's "Being and Time", Division 1, et les très nombreux articles deRichard Rorty compilés la même année dansEssays on Heidegger and Others: Philosophical Papers, entraînent un foisonnement des études sur Heidegger dans le domaine universitaire, du moins« parmi ceux élevés dans la tradition empiriste ». Parmi eux, Blattner cite Charles Guignon, Mark Okrent, Taylor Carman[233].
La traduction en anglais de l'ouvrage posthumeApports à la philosophie : De l'Avenance, qui parait en 1999 sous le titreContributions to Philosophy (From Enowning), est considérée comme la seconde œuvre d'importance de Heidegger[3].
La réception de Heidegger est évidente dans les œuvres de plusieurs philosophes, théologiens, et historiens de la philosophie et de l'art du monde arabo-musulman depuis leXXe siècle avecCharles Malik,Abdurrahmân Badawî,Ahmad Fardid, et à présent avec Fethi Meskini, Ismail El Mossadeq,Reza Davari Ardakani, Nader El-Bizri, etc. La présence de la pensée heideggérienne dans les mouvements philosophiques islamiques et arabes ouvre de nouvelles trajectoires de son influence dans des traditions intellectuelles différentes de la philosophie européenne. La tradition de Heidegger occupe une place importante dans les débats philosophiques qui animent la vie intellectuelle dans le monde islamique et arabe, et particulièrement en ce qui concerne la radicalité de sa pensée à propos de l'existence, la divinité, l'herméneutique, la critique de la métaphysique, ses réflexions sur la question de la Technique, etc. Ces dialogues avec la philosophie de Heidegger depuis la fin des années 1930 font partie du transfert du savoir dans l'époque moderne, et en particulier entre l'Europe et le monde arabo-musulman. Cela a déjà inauguré un nouveau champ de recherches qui n'est pas assez bien connu jusqu'à présent dans les cercles des études heideggériennes[234].
Adhérent auparti nazi de 1933 à 1944[235], il s'est retiré au bout de quelques mois de toute action politique. Le degré d'implication de Heidegger sous leTroisième Reich et l'influence des théories nazies sur sa pensée font l'objet d'interrogations et de débats nombreux et polémiques, particulièrement en France[236]. Deux groupes s'opposent[237] :
Sans vouloir attaquer ou défendre Heidegger, des historiens se sont aussi intéressés à son nazisme :Raul Hilberg[245], et surtoutHugo Ott[246], Bernd Martin[247], Gottfried Schramm[248], Domenico Losurdo[249], Guillaume Payen[250], et dans une moindre mesure,Johann Chapoutot[251]. Pour Guilaume Payen,« l'enjeu historiographique majeur » n'est« pas tant de savoir si Heidegger fut nazi mais plutôt ce que ce nazisme de philosophe permet de comprendre sur le nazisme en général. Heidegger est intéressant en particulier pour étudier la force d'adhésion du NSDAP et ses ressorts, à partir d'un apparent paradoxe : pourquoi un philosophe si subtil et exigeant fut-il subjugué par un mouvement populiste et anti-intellectualiste qui ne s'adressait pas à ses semblables mais à la plèbe intellectuelle[252] ? »
Au centre se trouve l'histoire sous l'Allemagne nazie — dont l'étude serait absolument nécessaire pour lire de manière éclairée l’œuvre du philosophe. La controverse fut notamment lancée parKarl Löwith en 1946, dans la revueles Temps modernes, mais surtout en 1987 en France parVíctor Farías avec le livreHeidegger et le nazisme[253], auquel répondit point par point le livre deFrançois Fédier,Heidegger – Anatomie d'un scandale[254], et se poursuit encore aujourd'hui, notamment avec la publication de sesCahiers noirs[255] ainsi que des lettres à son frère[256] qui remettent à jour la polémique comme la presse française a déjà pu s'en faire l'écho[257],[258].
En 1945, Heidegger proposa une explication de son attitude :
« Je croyais que Hitler, après avoir pris en 1933 la responsabilité de l’ensemble du peuple, oserait se dégager du Parti et de sa doctrine, et que le tout se rencontrerait sur le terrain d’une rénovation et d’un rassemblement en vue d’une responsabilité de l’Occident. Cette conviction fut une erreur que je reconnus à partir desévénements du 30 juin 1934. J’étais bien intervenu en 1933 pour dire oui au national et au social (et non pas au nationalisme) et non aux fondements intellectuels et métaphysiques sur lesquels reposait le biologisme de la doctrine du Parti, parce que le social et le national, tels que je les voyais, n’étaient pas essentiellement liés à une idéologie biologiste et raciste[259]. »
Paru en, l'essai d'Emmanuel Faye,Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie, prétend néanmoins ouvrir de nouvelles perspectives de recherches permettant de mettre en doute les explications fournies par Heidegger concernant son implication politique. De nombreux extraits de ses séminaires inédits de 1933 à 1935, cités et commentés par E. Faye tout au long de son essai, tendraient à démontrer le nazisme de Heidegger. Cet essai a fait l'objet d'une violente polémique et de nombreux articles en France et à l'étranger de à, année de sa seconde édition, articles tous référencés dans cette dernière. Un débat avecFrançois Fédier fut organisé à la télévision sur la chaînePublic Sénat[260]. E. Faye pense que le regard existentialiste humaniste sur Heidegger aurait contribué à masquer l'idéologie politique (national socialiste) de Heidegger, qui, de manière cryptée, imprégnerait toute sa philosophie[261]. Les défenseurs de Heidegger, pour leur part, dans l'ouvrage collectifHeidegger, à plus forte raison[262], dénoncèrent ces analyses comme des contresens sur sa philosophie, qui serait sans rapport avec quelque idéologie que ce soit, allant même jusqu'à accorder à Heidegger une forme de« résistance spirituelle » au nazisme.
Le début de la publication en 2014 des carnets privés de Heidegger, intitulés collectivement lesCahiers noirs, a apporté un nouvel éclairage sur ce que l'on a appelé « l'antisémitisme de Heidegger » et sa relation au nazisme[263]. Leur éditeur,Peter Trawny, leur a consacré un livre, traduit en français sous le titreHeidegger et l'antisémitisme – Sur les « Cahiers noirs » qui a de nouveau suscité une polémique[264]. L'expressionCahiers noirs, choisie par Heidegger lui-même, désigne un ensemble de trente-quatre cahiers manuscrits à couverture de toile noire, contenant divers textes écrits entre 1931 et 1976 environ[265], dont une première partie, collectivement intituléeRéflexions (Überlegungen) et représentant 14 carnets, a été publiée en 2014. Cet ensemble d'environ 1 200 pages comporte, selonHadrien France-Lanord,« une quinzaine de passages […] où sont évoqués les Juifs et le judaïsme d’une manière à plusieurs reprises choquante, parfois lamentable au regard de la persécution que subissaient les Juifs au moment où ces lignes furent écrites [entre 1938 et 1941] »[266].
Dans ces passages, le judaïsme (Judentum)[267] est à plusieurs reprises caractérisé par un « don particulièrement accentué pour le calcul »[268], une figure que Trawny rapproche de celle du Juif marchandeur (Schacherjude)[269]. Un passage caractérise également le judaïsme à partir de l'absence de sol (Bodenlosigkeit)[270], Heidegger évoquant la forme « peut-être la plus ancienne » du « gigantesque » (Riesigen)[271] que serait « l'aptitude tenace pour le calcul, le trafic et la confusion sur lesquels l'absence de monde de la judéité est fondée »[272]. Trawny considère cette observation comme « un type d'antisémitisme » auquel Heidegger donne « une interprétation philosophique épouvantablement poussée », le Juif apparaissant comme « le sujet calculant, dépourvu de monde, dominé par la « machination » »[273]. En revanche,François Fédier conteste les analyses de Trawny[274],[275],[276]. Il estime que « Trawny se trompe en considérant cette analyse de Heidegger comme antisémite [et que Heidegger] ne voit le judaïsme que comme la première victime de ce "gigantesque" »[277]. Selon Fédier,« ce que l’on fait passer pour des« déclarations antisémites » de Heidegger ne concerne […] pas les Juifs. Leur fonction se borne à dénoncer l’idéologie nazie en tant qu’elle procède de l’antisémitisme »[278].
Hadrien France-Lanord souligne que dans un autre passage des mêmesCahiers, Heidegger« condamne sans équivoque l’antisémitisme »[266], qu'il juge« bête et répréhensible »[279],[280]. Il considère toutefois que des« préjugés antisémites éculés se mêlent [dans lesCarnets noirs] à une indigence de pensée [et] doivent être interrogés avec gravité, mais ne peuvent pas sans indécente malhonnêteté être transformés en ce qu’ils ne sont pas : des propos discriminatoires motivés racialement »[266]. De son côté, Peter Trawny pose la question de l'étendue de la« contamination »[281] de la pensée de Heidegger par ce qu'il considère être un« manichéisme » antisémite[281]. Au total, selon Étienne Pinat, la contextualisation de ces passages desCahiers noirs soulève un débat où s'affrontent le« déni » de l'antisémitisme de Heidegger et la réduction de sa pensée à celui-ci, illustrés respectivement par les analyses deFrançois Fédier et d'Emmanuel Faye[282],[283], et où le point de vue de Trawny, selon lequel« parler d'un antisémitisme intégré à l'histoire de l'être n'implique […] pas que toute la pensée de l'histoire de l'être est antisémite en tant que telle »[281], pourrait représenter une voie moyenne.
Guillaume Payen souligne que les Cahiers noirs sont souvent hermétiques[284], et que donc leur interprétation doit rester prudente. C'est ce qu'il veut montrer à partir d'un passage au centre du débat sur l'antisémitisme, génocidaire ou non, de Heidegger : « Ce n'est que lorsque ce qui est essentiellement “juif” au sens métaphysique (das wesenhaft “Jüdische” im metaphysischen Sinne) combat ce qui est juif (das Jüdische) que le comble de l'anéantissement de soi (Selbstvernichtung) dans l'Histoire est atteint ; à condition que ce qui est “juif” se soit accaparé partout pleinement la domination, de sorte qu'également le combat contre “ce qui est juif” et lui d'abord parvienne en l'empire (Botmäßigkeit) de ce dernier[285]. » Pour le philosophe italienMaurizio Ferraris, « Le génie deÊtre et Temps est ce même couillon qui écrit dans les Cahiers noirs que les Juifs se sont autodétruits, comme si Goebbels et d'autres n'y étaient pour rien[286]…".Donatella Di Cesare, à l'origine des propos de M. Ferraris, fait le lien entre esprit juif et technique moderne dans l'esprit de Heidegger, et, voyant la contemporanéité de ce passage avec les camps de la mort, elle en conclut que « le nom de l'extermination est pour HeideggerSelbstvernichtung[287] », une autodestruction des Juifs par la technique moderne. Pour Payen, ce texte ne concerne pas les juifs en tant que tels : il s'agit de «ce qui est juif » (das Jüdische), pas des juifs (Juden). Heidegger ne réfléchit pas aux camps de la mort, mais à « la généralisation et à la montée en puissance destructrice de la Seconde Guerre mondiale, avec, en creux, l'espoir que de cette conflagration mondiale, de cet auto-anéantissement de la modernité décadente et déracinée un nouveau commencement puisse s'élever[284]. »
1929-30,Les Concepts fondamentaux de la métaphysique : monde, finitude, solitude, Paris, Gallimard, 1992, (trad. Daniel Panis).
1930,De l'essence de la liberté humaine, Paris, Gallimard, 2001, (trad. Alain Boutot).
1930-31, 'La Phénoménologie de l'esprit' de Hegel, Paris, Gallimard, 1984, (trad. Emmanuel Martineau).
1931,Aristote, Métaphysique 1-3 (Gesamtausgabe 33,Aristoteles : Metaphysik IX), Paris, Gallimard, 1991, (trad. Bernard Stevens et Pol Vandevelde).
1931-32,De l'essence de la vérité : approche de l'allégorie de la caverne et du 'Théétète' de Platon (Zu Platons Höhlengleichnis und Theätet) [« Gesamtausagabe 34, Vom Wesen der Wahrheit »] (trad. Alain Boutot), Paris,Gallimard,.
1933-66,Écrits politiques, Paris, Gallimard, 1995, (trad. François Fédier).
1934,La Logique comme question en quête de la pleine essence du langage (Gesamtausgabe 38,Logik als die Frage nach dem Wesen der Sprache), Paris, Gallimard, 2008 (trad. F. Bernard).
1935-36,Qu'est-ce qu'une chose ? (Gesamtausgabe 41,Die Frage nach dem Ding. Zu Kants Lehre von den transzendentalen Grundsätzen), Paris, Gallimard, 1971, (trad. Jean Reboul et Jacques Taminiaux).
1936-46,Nietzsche, Paris, Gallimard, 1971, (trad. Pierre Klossowski).
1938-39,Interprétation de la« Deuxième considération intempestive » de Nietzsche, Paris, Gallimard, 2009, (trad. Alain Boutot).
1938-42,Hegel : la négativité, éclaircissement de l'« Introduction à la 'Phénoménologie de l'esprit » de Hegel (Gesamtausgabe 68,Hegel. Die Negativität. Eine Auseinandersetzung mit Hegel aus dem Ansatz in der Negativität (1938/9-41). 2.Erläuterung der "Einleitung" zu Hegels« Phänomenologie des Geistes » (1942), Paris, Gallimard, 2007, (trad. A. Boutot).
1947-63,Questions II, Paris, Gallimard, 1968. Comprend :Qu'est-ce que la philosophie ? (1956, (trad. Kostas Axelos et Jean Beaufret);Hegel et les Grecs (1960), (trad. Dominique Janicaud);La thèse de Kant sur l'être (1963), (trad. Lucien Braun et Michel Haar);La doctrine de Platon sur la vérité (1947) (trad. André Préau);Ce qu'est et comment se détermine la phusis (1958), (trad. François Fédier).
1959-72,Séminaires de Zürich, Paris, Gallimard, 2010, (trad. Caroline Gros).
1964,La Fin de la philosophie et la tâche de la pensée, repris inKierkegaard vivant, Paris, Gallimard, 1966, (trad. Jean Beaufret et François Fédier).
1966-67,Héraclite, Paris, Gallimard, 1973, (trad. Jean Launay et Patrick Lévy).
1971,Schelling. Le Traité de 1809 sur la liberté humaine, Paris, Gallimard, 1977, (trad. Jean-François Courtine).
1992, Séjours (trad. François Vezin).
1997,Correspondance avec Karl Jaspers (1920-1963) (trad. Claude-Nicolas Grimbert), etCorrespondance avec Elisabeth Blochmann (1918-1969), Paris, Gallimard, (trad. Pascal David).
2001,Lettres et autres documents. Correspondance avec Hannah Arendt, Paris, Gallimard, (trad. Pascal David).
2010,Correspondance avec Ernst Jünger, Paris, Ch. Bourgois, (trad. Julien Hervier).
↑Bien qu'il n'ait presque jamais cité Heidegger, Foucault a déclaré peu avant sa mort que sa lecture avait été décisive pour lui[5].
↑Ce dont pourrait attester le télégramme qu'il envoie à Hitler le 20 mai 1933, mais qu'on peut aussi lire comme demandant en fait le report de cette mesure :« Je sollicite respectueusement l'ajournement de la réception prévue du bureau de l'Association des universités allemandes, jusqu'au moment où la direction de l'Association des universités est assumée dans l'esprit de la mise au pas particulièrement nécessaire en son sein. » – Cité par Hugo Ott,Éléments pour une biographie,p. 201.
↑À ce jour, les principales études francophones sur cette période sont d'abord la longue Introduction du livre deJean Greisch intituléeDe l'herméneutique de la facticité à l'ontologie fondamentale (1919-1928), dansOntologie et temporalité. Esquisse systématique d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit (Greisch 1994) ainsi que le collectif dirigé parJean-François CourtineHeidegger 1919-1929 : De l'herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein (Courtine 1996a) et l'ouvrage collectif dirigé par S.-J. Arrien et S. CamilleriLe jeune Heidegger 1909-1926 (Arrien et Camilleri 2011).
↑À ce proposHans-Georg Gadamer – dansLes chemins de Heidegger, page 132 – qualifie de véritablement« dramatique » son arrivée àMarbourg.
↑« La philosophie devait adopter la méthode transcendantale et ne plus s'intéresser qu'à la connaissance de l'étant. La philosophie devenait ainsi une connaissance de la connaissance. » –Boutot 1989,p. 18
↑« Heidegger conçoit son programme d'une compréhension rigoureuse de la vie humaine en prenant comme paradigme Aristote et notamment sa philosophie pratique. Suivant ce modèle, Heidegger garde ses distances tant avec l'irrationnalisme de la philosophie de la vie, qu'avec les abstractions théoriques du néo-kantisme et de la philosophie des valeurs. » (Volpi 1996,p. 38)
↑Il est manifeste« que sa critique de la théologie officielle de l'Église catholique romaine de son temps l'a de plus en plus contraint à se demander [à quelle condition] une interprétation adéquate de la foi chrétienne était possible, en d'autres termes, comment il était possible de se défendre contre la déformation du message chrétien par la philosophie grecque ». (Hans-Georg Gadamer,Heidegger et l’histoire de la philosophie, biblio essais, Cahier de l'Herne,p. 117).
↑« Pour pouvoir même déployer la question du sens de l'être, il fallait que l'être soit donné afin d'y pouvoir interroger son sens. Le tour de force de Husserl a justement consisté dans cette mise en présence de l'être, phénoménalement présent dans la catégorie. Par ce tour de force, dira-t-il, j'avais enfin le sol. » (Courtine 1996b,p. 7).
↑Il avait été précédé dans cette démarche parWilhelm Dilthey, essentiellement historien et sociologue« qui avait lui-même tenté de refonder les sciences de l'esprit en reconduisant la pluralité des productions spirituelles à l'unité vivante dont elles procèdent ».Romano et Jollivet 2009,p. 44
↑« Les paroles fondamentales occupent un double statut : ouvrant le commencement, elles recèlent l'origine ; donnant le branle à l'histoire manifeste de la pensée, elles demeurent en même temps porteuses de son versant secret et toujours dérobé. » –Marlène Zarader,Heidegger et les paroles de l'origine,p. 23.
↑« La « primordiale action » du laisser-être, comme dit Heidegger revient à se mettre en mesure d'accueillir ce qui, du fait même que nous existons, nous regarde pour lui accorder sa juste place. » écrit Guillaume Badoual –Article AgirLe Dictionnaire Martin Heidegger, 2013,p. 38
↑C'est parce le propos de ce livre est d'analyser la structure ontologique de l'étant qui comprend l'être, à savoir nous-mêmes – analyse qui conditionne toute autre recherche ontologique – que Heidegger parle d'ontologie fondamentale. –Alain Boutot 1989,p. 25
↑« Je ne crois pas qu'il soit si difficile que cela de rentrer dans la pensée heidegerienne si jamais on part des bons textes, et je pense qu'à ce titre-là l'obstacle est immédiat si l'on ouvreÊtre et Temps, mais si par exemple l'on ouvre le cours qui vient juste après ou celui qui vient juste avant, à savoir celui qui vient juste après :Problèmes fondamentaux de la phénoménologie [1927], qui est la suite directe d'Être et Temps et celui qui vient juste avant, ou presque, lesProlégomènes à l'histoire du concept de temps, qui vient d'être traduit […], eh bien ce sont des textes qui disent très clairement les choses […].Être et Temps est un volume extrêmement concentré, et après, Heidegger écrit uniquement des textes très concentrés, mais si l'on va dans ses cours, si l'on regarde la façon dont il s'exprimait, on n'écrit pas une œuvre de plus de 100 volumes si jamais on n'a pas une volonté pédagogique extrême. »Maxence Caron dansEnthoven 2011e,40e-41e minutes
↑« Nous disposons aujourd'hui des [cours] et nous pouvons constater queSein und Zeit loin d'être un commencement, est le résultat de tout un travail de pensée, et qu'en lui se trouve déjà une modification des premières orientations de Heidegger, au point que ce qu'on avait cru un point de départ peut être considéré comme un tournant par rapport à ce qui précède. » –Marlène Zarader,LireÊtre et Temps de Heidegger, 2012,p. 17
↑Alain Boutot explique les raisons philosophiques de cet échec. L'interprétation de l'être-là par rapport à la temporalité et l'explicitation du temps comme horizon transcendantal de la question de l'être est à lui seul révélateur. Heidegger aborde la question de l'être dans une perspective transcendantale qui relève de la métaphysique et plus précisément de la métaphysique de la subjectivité un peu comme Kant. Cf.Boutot 1989,p. 39
↑« La distinction des sens de l'être est presque aussi ancienne que la philosophie. Elle est à l'œuvre dans leSophiste de Platon. » –Pierre Aubenque,Les dérives de l'être,p. 17
↑Cette identification au temps n'est pas une suite de« maintenant », mais une conception plus originaire dont le temps des horloges n'est qu'une forme dérivée et dénivelée. Voir la préface d’Alain Boutot dansProlégomènes à l'histoire du concept de temps,p. 8.
↑L'être-au-monde authentique que découvre l'angoisse s'ouvre comme un« être-possible » que Heidegger caractérise ainsi :« comme ce qu'il ne peut être qu'à partir de lui-même, seul et dans l'isolement » (in der Vereinzelung).Marlène Zarader,LireÊtre et Temps de Heidegger,p. 330
↑Ce thème occupe une place cardinale dans la pensée heideggerienne de l'histoire. Elle sert de pivot pour interpréter le passage de l'ère dominée par la métaphysique à l'époque où elle s'efface comme doctrine mais en pleine réalisation concrète de ses principes, à savoir l'époque de la Technique. Cf.Michel Haar,La fracture de l'Histoire : Douze essais sur Heidegger,p. 267
↑« La relation entre les deux commencements n'étant pas d'ordre chronologique, elle échappe à tous les modèles classiques d'une « philosophie de l'histoire », au schéma du « déclin » comme à celui du « progrès ». »Martina Roesner,Hors du questionnement, point de philosophie,p. 100.
↑Pour des informations sur les divergences entre Husserl et Heidegger, se reporter à :DeniseSouche-Dagues, « La lecture husserlienne de Sein und Zeit »,Philosophie, Éditions de Minuit,no 21 « Edmund Husserl »,.
↑« Comme le fruit se fond en jouissance, Comme en délice il change son absence Dans une bouche où sa forme se meurt, Je hume ici ma future fumée, Et le ciel chante à l'âme consumée Le changement des rives en rumeur. » –Paul Valéry, « Le cimetière marin »
↑Pour plus d'informations sur ces thèses, voir le mémoire d'Edouard Jolly.
↑L'ouvrage de référence sur la réception de Heidegger en France estJanicaud 2005 (letome 2 est composé d'entretiens avec les principaux acteurs de cette réception).
↑Levinas attribue le mérite à la philosophie deBergson d'avoir préparé le terrain intellectuel pour la réception en France de la phénoménologie heideggerienne. Voir sa préface deZarader 1990a,p. 9.
↑« LeDiscours du Rectorat est un texte véritablement philosophique qui se démarque de l'idéologie nazie […] En revanche, les textes et proclamations de 1933 […] sont « absolument indéfendables » et témoignent de l'étendue de l'aveuglement de Heidegger. Équilibrant aussitôt cette sévérité, Palmier crédite celui-ci d'un certain courage dans l'exercice de ses fonctions de recteur […] »
↑Emmanuel Faye,Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie,Albin Michel,,p. 279
↑a etbGuillaume Payen, « Martin Heidegger, un recteur nazi et l' "anéantissement total" de l'ennemi intérieur »,Philosophie,, p. 51-72, ici p. 71-72(lire en ligne)
↑« Heidegger et le problème de la philosophie »,Vers la pensée planétaire, Éditions de Minuit, 1964, p. 223
↑Servanne Jollivet, "Enjeux de la polémologie heideggerienne : entreKriegsideologie et refondation politique",Astérion, n°6, avril 2009, http://asterion.revues.org/document1504.html
↑Hugo Ott,Martin Heidegger. Éléments pour une biographie, Paris,Payot,, p. 254
↑Lacan s'intéressait à Heidegger. Les deux hommes s'étaient rencontrés quelques mois plus tôt à Fribourg en compagnie de Jean Beaufret puis à l'occasion de Cerisy, Lacan accueillit Heidegger et son épouse Elfriede, Kostas Alexos et Jean Beaufret pendant quelques jours dans sa maison de campagne.inÉlisabethRoudinesco,Jacques Lacan : Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée, Paris,Fayard,coll. « La Pochothèque », (1reéd. 1993), 2118 p.(ISBN978-2-253-08851-6),pp. 1781-1783.
↑1934-35Les Hymnes de Hölderlin:La Germanie et le Rhin,1936 la conférence surHölderlin et la poésie tenue à Rome, 1939 et 1940, les cours de 1941-1942 sur l'hymneAndenken, le discoursComme un jour de fête, etc.[pas clair]
↑Franco Volpiin Jean-François Courtine,L'introduction à la métaphysique de Heidegger, Études et commentaires, Éditeur Vrin, 2007,(ISBN2711619346 et9782711619344), pages 133 à 135 (en ligne)
↑Emmanuel FAYE inHeidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie
↑Simon Farid O'Liai, « Entre l’Ontologie et l’Histoire : Heidegger ni Papa Noël de la philosophie ni Hitler »,Le Portique,(ISSN1283-8594,lire en ligne)
↑Lettre adressée en novembre 1945 au rectorat académique de l’université Albert-Ludwig ; citée parJacques Derrida dansLa Main de Heidegger (« en ligne »(Archive.org •Wikiwix •Archive.is •Google •Que faire ?)), conférence prononcée en mars 1985 à Chicago (Université de Loyola) ; actes dansDeconstruction and Philosophy, The University of Chicago Press, 1987.
↑Fédier 2007 dont les auteurs sont Philippe Arjakovsky, Henri Crétella, Pascal David, François Fédier,Hadrien France-Lanord, Matthieu Gallou, Gérard Guest, Jean-Pierre Labrousse, François Meyronnis, Jean-Luc Nancy, François Nebout, Étienne Pinat, Nicolas Plagne, Alexandre Schild, Bernard Sichère, Éric Solot, Pierre Teitgen et Stéphane Zagdanski.
↑Trois volumes, édités parPeter Trawny, ont été publiés en 2014, formant les tomes94,95 et96 de l'édition complète (GA) et trois autres paraîtront ultérieurement.
↑ab etcHadrienFrance-Lanord,« Antisémitisme », dansDictionnaire Martin Heidegger(lire en ligne) – LeDictionnaire Martin Heidegger ayant été publié en octobre 2013, soit avant la publication des premiers tomes de l'édition allemande desCahiers noirs, Hadrien France Lanord a remanié cet article et l'a diffusé via Internet en 2014.
↑Comme le notent dans leur avant-propos les traducteurs de l'essai de Trawny sur lesCahiers noirs, le terme deJudentum « couvre en allemand les significations des termes « judaïsme », « judéité » ainsi que, dans le discours antisémite, « juiverie » ».
↑C'est-à-dire, selon Trawny, de la rationalisation et de la technicisation totalisantes du monde.
↑Eine der verstecktesten Gestalten des Riesigen und vielleicht die älteste ist die zähe Geschicklichkeit des Rechnens und Schiebens und Durcheinandermischens, wodurch die Weltlosigkeit des Judentums gegründet wird.,Überlegungen, VIII,GA 95,p. 97
↑« « Le monde est plein de couillons dont la majorité pensent être originaux, géniaux, créatifs » »,Libération,
↑Donatella Di Cesare, « Selbstvernichtung. La Shoah et l’“auto-anéantissement” des Juifs »,Revue internationale de philosophie, n° 279, 2017 / 1, pp. 51 à 68, ici p. 56.
MartinHeidegger (trad. Roger Munier, postface Lettre à Jean Beaufret de 11/1945),Lettre sur l'humanisme-Über den Humanismus, Paris, Aubier éditions Montaigne,coll. « bilingue »,, 189 p.
Chemins qui ne mènent nulle part (trad. Wolfgang Brokmeier), Paris,Gallimard,coll. « Tel »,. Comprend :L'origine de l'œuvre d'art,L'époque des conceptions du monde,Hegel et son concept de l'expérience,Le mot de Nietzsche « Dieu est mort »,Pourquoi des poètes ?,La parole d'Anaximandre.
JeanGreisch,Ontologie et temporalité : Esquisse systématique d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit, Paris,PUF,
JeanGreisch, « De la logique philosophique à l'essence du langage :la révolution coperniceienne de Heidegger »,Revue Philosophie, Les Éditions de Minuit,no 69,(ISSN1968-391X,DOI10.3917/philo.069.0051)
MarlèneZarader,La dette impensée : Heidegger et l'héritage hébraïque, Paris,Seuil,
Alphonsede Waelhens,Chemins et Impasses de l'Ontologie Heidegerienne : À propos des Holswege, Louvain, E.Nauwelaert,
DanicParenteau, « Du recours heideggerien à la thèse ontologique de Parménide : sur la différence ontologique comme le fait originaire »,Horizons philosophiques,vol. 14,no 2 « Rencontres avec Heidegger »,
CamilleRiquier,« La durée pure comme esquisse de la temporalité ekstatique : Heidegger, lecteur de Bergson », dans Claude Romano et Servanne Jollivet (dir.),Heidegger en dialogue 1912-1930 : Rencontres affinités et confrontations, Paris,Vrin,coll. « Problèmes et Controverses »,, 304 p.,p. 33-67
MartinaRoesner,« Hors du questionnement, point de philosophie : Sur les multiples facette de la critique du christianisme et de la« philosophie chrétienne » dans l’Introduction à la métaphysique », dans Jean-François Courtine (dir.),L'Introduction à la métaphysique de Heidegger, Paris,Vrin,coll. « Études et Commentaires »,, 240 p.(ISBN978-2-7116-1934-4),p. 83-104.
ChristianSommer, « Métaphysique du vivant : Note sur la différence zoo-anthropologique de Plessner à Heidegger »,Philosophie, Paris, Les Éditions de Minuit,no 116 « Études sur Heidegger »,,p. 48-77
FrancoVolpi,« La question du logos dans l’articulation de la facticité chez le jeune Heidegger, lecteur d'Aristote », dans Jean-François Courtine (dir.),Heidegger 1919-1929 : De l’herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein, Paris,Vrin,coll. « Problèmes & Controverses »,, 240 p.(ISBN978-2-7116-1273-4),p. 33-66.
JacquesRivelaygue,« Le problème de l'Histoire dansÊtre et Temps », dans Jean-Pierre Cometti et Dominique Janicaud (dir.),Être et Temps de Martin Heidegger : questions de méthode et voies de recherche, Marseille, Sud,
ÉdouardJolly,Nihilisme et technique : étude sur Günther Anders, EuroPhilosophie et Bibliothèque de Philosophie Sociale et Politique,(lire en ligne).
AnnieLarivée et AlexandraLeduc, « Saint Paul, Augustin et Aristote comme sources gréco-chrétiennes du souci chez Heidegger »,Revue Philosophie, Editions de Minuit,no 69,,p. 30-50(DOI10.3917/philo.069.0030)
DominiqueJanicaud,« Heidegger-Hegel : Un« dialogue » impossible? », dansHeidegger et l’idée de la phénoménologie, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers,,p. 146-147.
ÉpisodeÊtre et Temps 1/5 : Dasein, authenticité, déchéance. de la sérieLes Nouveaux chemins de la connaissance, d'une durée de 59’12. Diffusé pour la première fois le 16 mai 2011 sur le réseauFrance Culture. Autres crédits :Raphaël Enthoven.Visionner l'épisode en ligne.
ÉpisodeÊtre et Temps 2/5 : L'être-pour-la-mort. de la sérieLes Nouveaux chemins de la connaissance, d'une durée de 59’10. Diffusé pour la première fois le 17 mai 2011 sur le réseauFrance Culture. Autres crédits :Raphaël Enthoven.Visionner l'épisode en ligne.
ÉpisodeÊtre et Temps 3/5 : La temporalité. de la sérieLes Nouveaux chemins de la connaissance, d'une durée de 59’05. Diffusé pour la première fois le 18 mai 2011 sur le réseauFrance Culture. Autres crédits :Raphaël Enthoven.Visionner l'épisode en ligne
ÉpisodeÊtre et Temps 4/5 : Le souci et le care. de la sérieLes Nouveaux chemins de la connaissance, d'une durée de 59’43. Diffusé pour la première fois le 19 mai 2011 sur le réseauFrance Culture. Autres crédits :Raphaël Enthoven.Visionner l'épisode en ligne.
ÉpisodeÊtre et Temps 5/5 : La vérité comme dévoilement. de la sérieLes Nouveaux chemins de la connaissance, d'une durée de 59’16. Diffusé pour la première fois le 20 mai 2011 sur le réseauFrance Culture. Autres crédits :Raphaël Enthoven.Visionner l'épisode en ligne.
Arno Munster,Heidegger, la "science allemande" et le National-Socialisme, Paris, éditions Kimé, 2002,112 p.
Jean Greisch,La parole heureuse, Martin Heidegger entre les choses et les mots, Paris, éditions Beauchesne, 1987, 421 p.
Emmanuel Faye,Heidegger, le sol, la communauté, la race, Paris, éditions Beauchesne, 2014.
Hugo Ott,Martin Heidegger. Éléments pour une biographie, trad. de l'allemand par Jean-Michel Belœil, postface de Jean-Michel Palmier, Paris, Payot, 1990.
François Rastier,Naufrage d'un prophète, Heidegger aujourd'hui, Paris, éditions Presses Universitaires de France, 2015.
Jean-Claude Gens,« Heidegger. Le style du « chemin de la pensée » », dans Bruno Curatolo et Jacques Poirier (dir.),Le style des philosophes, Besançon/Dijon, Presses universitaires de Franche-Comté/Éditions universitaires de Dijon,(ISBN978-2-84867-192-5,DOI10.4000/books.pufc.26732,lire en ligne),p. 237-245.
Bernard Stevens,Heidegger et l'école de Kyôto. soleil levant sur forêt noire, Cerf, 2020.