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Marcellus de Bordeaux, surnomméMarcellus Empiricus, est un auteur médical latin de l'Antiquité tardive, natif deGaule, à Bordeaux, vers le milieu duIVe siècle. Sa réputation dépassa les frontières de la Gaule, et il fut le médecin de l'empereurThéodoseIer (379-395). Il est l'auteur d'un recueil de prescriptions et de pharmacopée organisé en trente-six chapitres intitulé leDe medicamentis, rédigé sous le règne deThéodoseII.
Son ouvrage mêle sans distinction recettes positives, magiques et incantatoires. Il serait représentatif du déclin du rationalisme antique, en ouvrant la voie vers les remèdes magiques de la médecine médiévale.
Les quelques éléments assurés qu'on possède à son propos proviennent de l'épître dédicatoire de son livre. Ce n'était pas un médecin de profession[1], mais un « philiatre »[2] (amateur éclairé de médecine), aristocrate et haut fonctionnaire impérial en retraite qui a composé le traité pour ses fils. La première phrase est la suivante : « Marcellus, v(ir) i(llustris), ex-mag(istro) off(iciorum) Theodosii Sen(ioris), filiis suis salutem dicit ». « Vir illustris » était le titre porté par les sénateurs du plus haut rang, ayant exercé les charges les plus élevées dans l'administration impériale. Un « Marcellus »magister officiorum (chef des bureaux de l'administration centrale) est mentionné dans deux constitutions duCode théodosien datant de l'année395 : (VI, 29, 8) et (XVI, 5, 29), soit après la mort deThéodose Ier, survenue le de cette année ; d'autre part, sa nomination au poste est postérieure à avril394, date d'une loi mentionnant un autre titulaire.
LaSouda contient la brève notice suivante : « Μάρκελλος, μάγιστρος Ἀρκαδίου τοῦ βασιλέως, κόσμος ἀρετῆς ἁπάσης ἢ, τό γε ἁρμονικώτερον εἰπεῖν, ἀρετή τις ἔμψυχος » (« Marcellus,magister de l'empereurArcadius, un monde fait de toute vertu, ou, pour mieux dire, une vertu animée »), confirmant que Marcellus a surtout exercé la charge au début du règne d'Arcadius[3],[4].
Un peu plus loin dans l'épître, citant ses sources, l'auteur s'exprime de la manière suivante : « aliique nonnulli etiam proximo tempore illustres honoribus viri, cives ac majores nostri, Siburius, Eutropius atque Ausonius ». L'Ausone en question doit être Julius Ausonius, père du célèbre poète et dignitaire gallo-romain, médecin de profession, natif deBazas et installé àBordeaux, où son fils fut longtemps maître derhétorique avant de devenir consul et préfet du prétoire sous le règne de son ancien élèveGratien (375-383) ; on suppose donc, puisqu'il est question de « nos concitoyens et anciens », que Marcellus était lui aussi un Gallo-romain natif deBordeaux ou peut-êtreBazas[5]. Siburius, connu par les correspondances deLibanios et deSymmaque, futmagister officiorum et préfet du prétoire de Gaule àTrèves sousGratien.
Une lettre deSymmaque, datée de399, est adressée à un Marcellus qui possède une propriété en Espagne (mais n'est pas espagnol, et est retourné vivrein avitis penatibus)[6]. Il est certain qu'il était formellement chrétien : une des deux lois qui lui sont adressées parArcadius lui prescrit de vérifier qu'il n'y ait pas d'hérétiques parmi les fonctionnaires de l'administration centrale, et s'il en trouve, de les destituer et de les chasser de la capitale, ce qui laisse supposer qu'il était lui-même chrétien orthodoxe. Il y a deux ou trois vagues références judéo-chrétiennes dans le traité, mais presque rien[7].
Dans l'inscription dédicatoire célébrant la reconstruction de la cathédrale deNarbonne par l'évêqueRustique (), conservée dans le musée lapidaire de la ville, on lit le passage suivant : « Marcellus, Galliarum præfectus, Dei cultor, prece exegit episcopum hoc onus suscipere, impendia necessaria repromittens quæ per biennium administrationis suæ præbuit artifici Bernardo, mercedem solidorum sex centorum ad operas et cetera solvenda »[8] ; ce préfet Marcellus est assez probablement le fils ou le petit-fils de l'auteur duDe medicamentis.
L'ouvrage se présente comme un manuel de médecine domestique constitué de remèdes pratiques, destiné à des lecteurs qui, la plupart du temps, ne devaient compter que sur eux-mêmes[9],[10], car trop souvent privés de médecins[11]. Son époque est celle où les structures civiques de la Gaule romaine se disloquent pour donner celles des grandes seigneuries médiévales[9].
Dans la première phrase de l'épître dédicatoire, l'appellation « Théodose l'Ancien » appliquée àThéodose Ier paraît impliquer que la rédaction de ce texte est postérieure à l'avènement deThéodose II (). Les sources anciennes qui sont citées sont « les deux Pline »[12], « Apulée »[13],Celse, et deux autres auteurs appelés Apollinaris et Largius Designatianus. Une autre source évidente, mais non citée, est leDe compositionibus deScribonius Largus. Marcellus mentionne aussi, comme indiqué plus haut, trois « compatriotes » récents, et dit également avoir collecté des recettes médicales auprès des « paysans et gens du peuple »[14].
Après l'épître dédicatoire, l'auteur a placé une brève mise au point sur les poids et mesures en latin et en grec, puis une série de sept lettres d'auteurs médicaux (aux attributions en grande partie fantaisistes, en fait des préfaces d'ouvrages utilisés comme sources) : les trois premières (Largius Designatianus à ses fils,Hippocrate au roi Antiochus etHippocrate à Mécène) sont en réalité trois parties ou variantes de la traduction faite par Designatianus de la lettre deDioclès de Caryste au roiAntigone le Borgne ; la quatrième (Plinius Secundus à un ami) est la préface duDe medicina du Pseudo-Pline ; la cinquième (Cornelius Celsus à G. Julius Callistus) est en fait l'épître dédicatoire desCompositiones deScribonius Largus ; la sixième (Cornelius Celsus à Pullius Natalis) se réfère à la traduction parCelse de deux ouvrages médicaux grecs ; la septième (Vindicianus Afer à Valentinien) est due au médecin contemporain Vindicianus[15].
Ces préfaces sont des plaidoyers illustrant et justifiant l'idéologie de santé de l'auteur qui réclame une médecine directement accessible et efficace, à la portée dupater familias. L'ouvrage s'inscrit dans une tradition littéraire ancienne, celle desparabilia « remèdes faciles à se procurer » et deseuporista (listes de recettes pour affections de la tête aux pieds)[10].
Ensuite viennent les trente-six chapitres du traité proprement dit, où les remèdes sont organisés dans l'ordre des parties du corps affectées, « a capite ad calcem » (« de la tête aux pieds »), comme dans les livres deScribonius Largus et du pseudo-Pline. À la fin, Marcellus a placé un poèmeDe medicina en soixante-dix-huit vers, qu'il dit explicitement, dans sa préface, avoir composé lui-même.
Les remèdes de Marcellus sont généralement préparés à partir de plantes, mais aussi de quelques autres substances, et leur prise doit être accompagnée parfois de formules magiques. Le traité contient en tout 262 noms de plantes, empruntés à plusieurs langues (latin, grec, gaulois[16]), représentant environ 130 plantes différentes (certaines très exotiques dans laGaule de l'époque, comme legingembre, lacannelle, legalbanum, lagirofle, latragacanthe). Parmi les autres substances utilisées, on peut relever le salpêtre d'Égypte, ou des escargots africains qu'il faut se procurer vivants. Les recettes ont souvent beaucoup d'ingrédients, en général plus de dix, et jusqu'à soixante-treize pour l'« antidotus Cosmiana » (29, 11).
266 remèdes relèvent de la pure et simple magie. Ils se présentent en vrac dans le texte, sans distinction particulière parmi d'autres recettes positives[17]. Par exemple :
LeDe Medicamentis de Marcellus a été utilisé pour connaitre la médecine en Gaule, le vocabulaire celtique, ou la médecine magique[19]. Parmi les incantations magiques qui sont mentionnées, l'une (10, 35) est une adresse auxMatræ, les déesses gauloises tutélaires mentionnées dans des inscriptions. Une dizaine d'incantations de formules magiques ont été considérées comme gauloises, notamment parGeorges Dottin au début duXXe siècle[20].
En 1974,Léon Fleuriot identifie deux incantations comme étant dugaulois (ou formées de mots gaulois), et il en propose une traduction :
En 1997, selonGuyonvarc'h, il s'agit de formules de magie médicale, populaires ou savantes, déformées par une longue transmission, et dont l'origine celte reste douteuse. À l'époque de Marcellus, le gaulois était mort ou moribond, et il n'est pas nécessaire de supposer un dialectevascon pré-celtique local[20].
Pour Guyonvarc'h, les travaux de Fleuriot « sont à considérer comme caducs par excès d'hypothèses ». Ces formules assurent leur efficacité par la confiance du malade astreint rituellement à réciter patiemment et sans faute une suite de mots dont la compréhension n'est pas nécessaire. « Le reste est ou n'est pas indigène. Personne ne sait, en l'état actuel des recherches, d'où cela vient et ce que cela veut dire »[20].
Ces noms, conservés par quelques auteurs gréco-romains, représentent « le plus sûr de nos connaissances médicales celtiques continentales ». Les principaux mentionnés par Marcellus sont[21] :
Selon Guyonvarc'h, on est parfois plus proche de la sorcellerie que de la médecine. Si le nom des plantes est celtique, la formule d'emploi peut avoir une origine toute autre. Toutes les recettes curatives de l'antiquité mentionnant des noms de plantes gauloises ne sont pas forcément l'héritage d'une médecine druidique. Même si l'origine n'est pas claire, la plupart appartiendraient à un fond méditerranéen, voire proche-oriental, à l'image de l'Histoire naturelle de Pline[21].
On peut relever l'étrangeté de cet « empirisme » de Marcellus de Bordeaux. Son surnom « Empiricus » lui a été donné au XVIe siècle parJanus Cornarius, son premier éditeur ; à cause de la phrase qui figure au début de la préface du traité (Libellum hunc de empiricis quanta potui sollertia diligentiaque conscripsi ) et de l'insistance tout au long de l'ouvrage sur la notion d'experimentum[19].
Expertum ouexperimentum doit se rapprocher ici du français « essai, essayé », ou du franglais « test, testé », mais sans les précautions méthodologiques prises par les médecins empiriques grecs (conditions de validité et typologie des essais)[22]. Tout remède est bon s'il a donné un bon résultat, surtout s'il a été appliqué par l'auteur lui-même, un proche témoin, ou par un grand personnage[18]. Marcellus considère que ses lecteurs devraient se faire, comme lui,empirici, non pas disciples d'une doctrine (l'empirisme grec), mais experts du déjà utilisé comme ayant déjà réussi, y compris de la tradition guérisseuse locale, d'origine gauloise[9].
Les idées de Marcellus s'appuient sur l'idée romaine de nature guérisseuse (natura ouphysica) inspirées de celles dePline l'Ancien, et d'une littérature dupseudo-Démocrite. En cela il se rapproche deThéodore Priscien. La mère nature (natura omniparens), par son réseau de sympathies et d'antipathies, réunit tous les êtres en leur donnant le moyen de se guérir mutuellement. Les moyens magiques et les incantations, déjà testées, sont simples, bon marché et directement efficaces[23].
Marcellus est loin de toute école médicale :
« Il appartient à un courant puissant et typiquement romain, qui veut donner au père de famille le moyen de guérir autour de lui. Le seul bon critère pour un remède, c'est d'avoir déjà guéri quelqu'un. Ainsi, le vieil utilitarisme romain fraie la route à l'expertum médiéval[23]. »