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Lemanipule (latinmanipulus, au sens propre une « poignée », sous-entendue d'hommes ici) est unesubdivision de lalégion romaineantique, équivalente à unecompagnie de 120 à 160 combattants, en vigueur notamment à l'époque médio-républicaine. Elle remplace, à une date débattue dans le courant duIVe siècle av. J.-C., l'organisation en ligne continue — héritée de la phalange d'époque royale — qui prévalait alors dans l'armée romaine.
La manipule est remplacée à la fin du IIème siècle par lacohorte.
En, à l'occasion dusac de Rome par les Gaulois, la faiblesse de l'organisation de l'armée en ligne continue, garnie d'unephalange relativement statique à la manière de la phalange hoplitique grecque, fut mise en évidence. LesÉtrusques, les Romains et lesLatins combattaient alors en utilisant deshoplites disposées en phalanges, structure dont les Romains avaient hérité.
Lors de l'invasion gauloise et de labataille de l'Allia, l'armée romaine se porta à la rencontre des Gaulois à 16 kilomètres à peine de Rome, un peu au nord deFidènes[1], près de la rivièreAllia, affluent de la rive gauche du Tibre[2],[2]. C'est la première fois que les Romains affrontent les Gaulois[1]. Ces derniers, dispersés un peu partout sur le champ de bataille en groupes indépendants et disposés sur un front plus large, donnent l'impression aux Romains d'être beaucoup plus nombreux, et exposent la ligne romaine à l'encerclement immédiat. Cette situation entraîne de fait une déroute massive et un massacre de l'armée romaine.
La prise de conscience de l'inadaptation de l'armée composée de phalangistes aux nouveaux théâtres d'opération d'Italie centrale poussa vraisemblablement les Romains à imaginer une nouvelle forme d'ordre de bataille. Le principal terrain d'expérimentation de cette nouvelle organisation fut leSamnium durant lesguerres samnites. Les Romains adoptent alors un modèle plus souple, fondé sur une organisation en 3 lignes, composées chacune de 10 manipules de 2 centuries. Cette organisation est souvent décrite comme une « phalange articulée », reposant sur le commandement décentralisé, la mobilité et l'interversion des lignes en cours d'affrontement.
Le manipule était composé de deuxcenturies de 60 (ou 30) soldats de ligne, et d'un petit groupement de 40 javeliniers, des vélites disposés à l'avant pour grêler la première ligne adverse de projectiles lors de l'engagement. En rassemblant 3 manipules issus des 3 lignes différentes (hastati, principes, triarii), on forme unecohorte d'environ 480 hommes et 24 officiers et sous-officiers. Un manipule a pour un effectif entre 100 et 160 hommes au cours de laRépublique romaine, selon qu'il appartient à la ligne deshastati, desprincipes, ou destriarii.
Chaque centurie, composée de plusieurscontubernia, a à sa tête uncenturion (probablement élu par ses camarades au sein des combattants les plus aguerris), unoptio (second), un porte-étendard (signifer) et un messager chargé du mot de passe (tesserarius). Une hiérarchie existait entre ces deux centuries : la première centurie du manipule est appeléeordo prior, la deuxièmeordo posterior. Lecenturion de l'ordo prior était le supérieur du centurion commandant l'ordo posterior. Les soldats du manipule se considéraient entre eux comme frères d'armes (commanipulares). Cependant ils étaient moins proches que dans uncontubernium. Le manipule est aussi le nom de l'insigne porté par chaque unité.
Jusqu'àMarius, chaque manipule possède son enseigne (en latinsignum), une hampe terminée par un fer de lance, qui représente l'âme même de la formation, et porté par l'aquilifer / lesignifer. Après laréforme de Marius, en, le manipule devient une sous-unité de lacohorte qui peut, à l'occasion, se séparer en manipules si le terrain ou la tactique nécessite l'utilisation d'unités flexibles, c’est-à-dire plus petites. L'équivalent militaire français auXXIe siècle serait lacompagnie.
La légion manipulaire, en vigueur duIVe au IIe siècle av. J.-C. était ainsi composée de 10 manipules de 120hastati (équipés notamment de lances pour arrêter l'adversaire et le « fixer »), 10 manipules de 120principes et 10 manipules de 60triarii. Le combat était engagé par le premier rang, leshastati, qui étaient des unités avec le moins d'expérience et équipées le moins lourdement. Puis, si l'ennemi résistait trop, ces soldats reculaient pour laisser la place auxprincipes, dont les manipules se glissaient dans les interstices laissés libres entre les manipules deshastati. Lesprincipes sont des soldats plus expérimentés et mieux équipés. En dernier recours, on faisait venir en première ligne lestriarii, unités d'élites qui attendaient le genou à terre et montaient au front pour remplacer la seconde rangée. De cette pratique dérive l'expression « en venir aux triaires » (« ad triarios redisse »), pour désigner une situation désespérée dans laquelle il faut engager ses dernières forces[3].
Cavalerie alliée et romaine Equites Sociorum et Legionis | AileI des alliés AlaI Sociorum | LégionI LegioI | LégionII LegioI | AileII des alliés AlaII Sociorum | Cavalerie alliée et romaine Equites Sociorum et Legionis |
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900 cavaliers alliés 300 cavaliers romains | 1 200 vélites | 1 200 vélites | 1 200 vélites | 1 200 vélites | 900 cavaliers alliés 300 cavaliers romains |
Lors du combat, après l'engagement à distance par les vélites, chargés de faire pleuvoir desjavelots / dards /pila sur l'adversaire, la première ligne engage le combat au contact de la première ligne adverse. Chaque manipule laissait un espace de la largeur d'un autre manipule avec son voisin. Cela permettait aux premières lignes de se retirer sans gêner celles qui montaient au front, ou bien cela permettait aux lignes arrière de renforcer la première ligne en comblant les interstices.
Végèce, un auteur de l'Antiquité tardive qui compile les usages tactiques et stratégiques en vigueur dans l'armée romain, décrit ainsi les différentes manœuvres des soldats au sein du manipule, suggérant que l'écart juste entre manipules et entre combattants était crucial pour maintenir une liberté de mouvements[7] :
« Il est rigoureusement nécessaire à la guerre d'habituer les soldats, par des exercices continuels, à garder en ligne l'ordre des rangs, pour qu'ils n'aillent pas se pelotonner, ni s'étendre en sens inverse du besoin. Resserrés, ils n'ont pas l'espace nécessaire pour combattre et s'embarrassent mutuellement ; tandis qu'épars et clairsemés, ils ouvrent passage aux tentatives de l'ennemi. Or, l'épouvante amène bientôt une confusion générale, lorsqu'une armée coupée en deux se trouve prise par derrière. On aura donc soin de conduire fréquemment les recrues au terrain de manœuvre, de les disposer en bataille selon l'ordre matricule, en les allongeant d'abord sur une seule ligne, exempte de sinuosité et de courbure ; chaque soldat distant l'un de l'autre à des intervalles égaux et réguliers. On leur prescrira ensuite de doubler tout d'un coup les rangs, de manière à conserver, en pleine attaque, l'ordre qui leur est habituel. En troisième lieu, on leur fera former brusquement le carré, puis le triangle, autrement dit le coin ; manœuvre presque toujours décisive à la guerre. On leur fera aussi former le cercle, disposition qui, dans le cas où l'ennemi aurait fait une trouée à travers les lignes, permet à une poignée d'hommes exercés de lui tenir tête, d'empêcher la déroute de l'armée entière et de prévenir ainsi de funestes résultats. Grâce à des leçons assidues, les jeunes conscrits parviendront à exécuter aisément ces mouvements divers sur le théâtre même du combat. »
— Végèce, Epitomè Rei Militari