Northanger Abbey
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L'Abbaye de Northanger | ||||||||
![]() Page de titre de l'ouvrage regroupantNorthanger Abbey etPersuasion, 1818 | ||||||||
Auteur | Jane Austen | |||||||
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Pays | ![]() | |||||||
Genre | Roman | |||||||
Version originale | ||||||||
Langue | Anglais | |||||||
Titre | Northanger Abbey | |||||||
Éditeur | John Murray | |||||||
Lieu de parution | Londres | |||||||
Date de parution | 1817 | |||||||
Version française | ||||||||
Traducteur | Hyacinthe de Ferrières | |||||||
Éditeur | Pigoreau | |||||||
Lieu de parution | Paris | |||||||
Date de parution | 1827 | |||||||
Chronologie | ||||||||
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L'Abbaye de Northanger (Northanger Abbey, également connu en français sous le titreCatherine Morland) est unroman de lafemme de lettresanglaiseJane Austen, publiéposthumément en décembre 1817[N 1], bien que la page de titre soit datée de 1818. Cependant, il a été écrit entre 1798-1799 et s’intitulait alorsSusan. L'œuvre raille la vie mondaine deBath, que Jane Austen avait connue lors d'un séjour en 1797, etparodie lesromans gothiques fort appréciés à l'époque : son héroïne, la toute jeuneCatherine Morland, qui ne rêve que de sombres aventures se déroulant dans de vieux châteaux ou desabbayesgothiques, croit qu'elle pourra en vivre une lorsqu'elle est invitée à séjourner à l'abbaye de Northanger. Uneidylle s'y développe entre elle et Henry Tilney, le fils cadet du propriétaire des lieux.
La confrontation de ses idées romanesques à la réalité, ainsi que ses discussions avec Henry Tilney et Eleanor, la sœur de ce dernier, font sortir peu à peu Catherine Morland de l'adolescence, au travers d'un parcours initiatique qui fait deL'Abbaye de Northanger unconduct novel (roman d'apprentissage).
Au-delà des caractéristiques stylistiques de l'écriture de Jane Austen (ironie,discours indirect libre, etc.) et de l'aspect parodique de l'ouvrage, ce dernier, tout en critiquant l'influence des romans gothiques sur l'imagination fertile des jeunes filles, constitue une ardente défense des romans en général, qui étaient à l'époque principalement écrits par des femmes et considérés comme un genre littéraire de second ordre.
Northanger Abbey est le premier roman de Jane Austen à avoir été prêt à être publié, après sa rédaction en 1798 et 1799 selon sa sœurCassandra Austen[1]. Cependant, elle travaille aussi, dès 1796, àFirst Impressions, la première mouture dePride and Prejudice[2]. Quant àSense and Sensibility, elle en commence une première écriture dès 1795, sans doute sous forme d'unroman épistolaire, comme le rapporte la tradition familiale, et donc bien différente de la version finalement publiée[3].
Jane Austen, alors âgée de 23 ou24 ans, habite encore la maison familiale deSteventon où elle a vécu depuis sa naissance. Elle vient d'effectuer en 1797 un voyage àBath, une ville d'eau qui tient une place importante dans l'histoire[1]. Le roman est alors intituléSusan. Certains spécialistes y ont vu une référence au conte pour enfants,Simple Susan, écrit par Maria Edgeworth pour son recueil de contes de 1796,The Parent's Assistant[4].
En 1802, l'auteur fait une correction mineure, pour évoquer le roman deMaria Edgeworth,Belinda, paru l'année précédente[5].
Selon l'annonce rédigée par Jane Austen en 1816, le roman est entièrement terminé et prêt à être publié dès 1803. Au printemps de cette année, l'éditeur londonien Benjamin Crosby en achète les droits pour dixlivres sterling, annonce la publication, mais ne donne aucune suite. Six ans plus tard, Jane Austen[N 2] lui adresse par courrier une sèche demande d'explication, proposant une nouvelle copie du manuscrit au cas où la première aurait été perdue, tout en menaçant de contacter un autre éditeur s'il ne faisait rien. Crosby se borne à répondre qu'en pareil cas, il attaquerait cet éditeur, et ne se montre prêt qu'à rétrocéder les droits, au prix initial de dix livres[7]. Ce montant paraît alors trop élevé à Jane Austen, qui n'a encore rien publié.
Mais après la parution d’Emma, en, la romancière se résout à ce rachat, pour dix livres, par l'intermédiaire de son frèreHenry. Elle envisage en 1816 de le faire publier, en change le titre enCatherine et rédige une courte annonce (Advertisement)[8], où elle exprime son étonnement de la non-publication antérieure par Crosby et la crainte que les« treize années écoulées depuis son achèvement » aient rendu l'ouvrage obsolète,« l'époque, les lieux, les manières, les livres et les opinions ayant subi des changements considérables »[9].
Ce n'est qu'après la mort de Jane Austen, survenue le, que son frèreHenry fait publier le roman, à la fin du mois de (la date de 1818, sur la page de titre, résulte des impondérables des délais d'édition)[8], après que le titre en a été changé, probablement par Henry Austen, pour celui sous lequel il est connu aujourd'hui,Northanger Abbey[8]. Peut-être a-t-on ainsi voulu s'appuyer sur la vogue finissante des romans gothiques, souvent porteurs de titres évocateurs de châteaux ou d'abbayes mystérieuses[N 3].
On tient cependant généralement pour acquis aujourd'hui que Jane Austen avait renoncé au titre initial inspiré deThe Parent's Assistant,Susan, dès 1809, à la suite de la parution d'un roman anonyme du même nom. Sans doute avec quelques regrets, puisqu'on retrouve le nom de l'héroïne deMaria Edgeworth, Susan Price, dansMansfield Park, où il est celui de la jeune sœur deFanny Price, l'héroïne du roman[10].
La question de savoir dans quelle mesure le roman a été modifié par rapport au manuscrit vendu à Crosby n'a pas de réponse certaine. Cependant, Brian Southam, un des grands spécialistes de la critique austenienne, pense que l'auteur a pu apporter des changements significatifs à son œuvre en 1816 ; mais il n'est guère suivi dans cette voie par les autres spécialistes, qui penchent pour des modifications très limitées après 1803, lui opposant plusieurs passages du texte qui font manifestement référence à des événements antérieurs à cette date[11]. Et les nombreux romans cités dans le texte ont tous été publiés avant 1800, à l'exception de deux références à des œuvres de Maria Edgeworth, parues en 1800 et 1801[12].
Outre l'« annonce » (Advertisement) écrite par Jane Austen, la publication en 1818 deNorthanger Abbey et dePersuasion est préfacée par uneBiographical Notice of the Author, une notice biographique sur l'auteur. Écrite par Henry Austen et datée du, soit moins de cinq mois après la mort de sa sœur, cette notice revêt une grande importance, en dépit de son caractèrehagiographique : c'est tout d'abord un hommage chaleureux rendu à la femme et à l'écrivain, qui donne au public des informations sur sa vie et ses derniers instants, sa personnalité, ses goûts, ses lectures favorites, ou encore la façon dont elle lisait ses œuvres, jamais aussi bien mises en valeur que par sa propre voix (never heard to so much advantage as from her own mouth).
C'est aussi la première présentation de Jane Austen comme auteur, et comme auteur majeur digne de figurer dans une bibliothèque,« aux côtés d'uneD'Arblay[N 4] et d'uneMaria Edgeworth » (placed on the same shelf as the works of a D'Arblay and an Edgeworth), alors que sa réserve naturelle et ses doutes sur son propre talent avaient poussé toute sa vie l'écrivain à préserver le plus possible son anonymat. Cette notice, levant cet anonymat[14] et la faisant connaître du public, reste la seule information biographique disponible sur l'auteur pendant plus de cinquante ans, avant que ne soit publié en 1870A Memoir of Jane Austen, première biographie détaillée, écrite par son neveuJames Edward Austen-Leigh[15].
Au début duXXIe siècle, il n'existe que quatre traductions deNorthanger Abbey en français.La première traduction, signéeMme Hyacinthe de F*****, paraît en 1824 chez Pigoreau[N 5]. TitréeL'Abbaye de Northanger, cette traduction, précise mais assez terne, comportant des coupures, surtout vers la fin, ne voit pas toujours l'ironie et affaiblit les intentions parodiques de Jane Austen[17]. Elle est éclipsée par celle deFélix Fénéon, à la fin duXIXe siècle, une des rares traductions d'Austen par un écrivain, souvent décrite comme excellente[18], en tout cas la première véritable traduction française d'un roman de Jane Austen, réussissant à capter le style de l'auteur et son sens du rythme[19].
Ayant trouvé, en 1894Northanger Abbey dans la bibliothèque de la prison où il attendait, en tant qu'anarchiste présumé, leprocès des Trente, Fénéon en entreprend la traduction pour lutter contre l'ennui[20]. Il en change le titre enCatherine Morland, estimant que l'original « suinte » la religion[21], la fait relire par le poète anglaisJohn Gray[22], puis publier en 1898 parLa Revue Blanche, qu'il dirige. Pour le poète américainStuart Merrill, qui avait porté à Fénéon emprisonné le nécessaire dictionnaire anglais[20], c'est un « honneur » pour Jane Austen d'avoir été traduite par ce« strict, exact et méticuleux styliste »[23].Jean Paulhan trouve la traduction de Fénéon « admirable » et note qu'il traduit Jane Austen« moins qu'il ne la réinvente »[24]. Gallimard, qui en possède les droits, l'a rééditée régulièrement jusqu'en 1980[25].
Les traductions suivantes, celle de Josette Salesse-Lavergne[26] (Chez Bourgois) et celle de Pierre Arnaud[27] (chez Gallimard) sont bien plus récentes, datant respectivement de 1980 et de 2000. Ellen Moody, qui a comparé la traduction de Fénéon aux deux dernières, trouve qu'elle est plutôt uneparaphrase distanciée, amusée et parfois écourtée, qu'unemétaphrase ou reformulation littérale. Elle lui préfère celle d'Arnaud, qu'elle considère constamment proche de l'original, bien qu'un peu pédante et guindée, et juge en revanche celle de Salesse-Lavergne la plus faible des trois[18].
À 17 ans, après une enfance et une adolescence passées dans le presbytère de Fullerton à jouer aucricket avec ses nombreux frères[28] ou à parcourir la campagne anglaise à cheval[29], la jeune et naïve Catherine Morland commence à s'intéresser à la toilette et prend conscience que son allure gauche et sa silhouette anguleuse ont fait place à une apparence nettement plus féminine et plus attrayante. C'est alors qu'elle est invitée par des voisins de ses parents, Mr. et Mrs. Allen, à séjourner avec eux pendant quelques semaines àBath[30],ville thermale chic, très prisée de la bonne société anglaise.
Arrivée à Bath, Catherine fait la connaissance d'un jeune homme plein d'esprit, Henry Tilney, que lui présente Mr King, maître des cérémonies desLower Rooms de Bath[N 6]. Plus tard dans le roman, elle fera la connaissance d'Eleanor, jeune sœur d'Henry, belle et élégante jeune fille un peu réservée, mais très attachante[32].
C'est également auxAssembly Rooms qu'elle rencontre Isabella Thorpe[33], jeune fille charmante et avertie des choses du monde, ainsi que son frère John, fort imbu de sa personne, mais qui se révèle être un ami de James Morland, l'un des frères de Catherine. Outre ses vantardises, John Thorpe révèle bientôt une fâcheuse propension aux mensonges les plus éhontés, auxquels il recourt pour convaincre Catherine de l'accompagner dans songig[N 7] lors d'une excursion à Blaize Castle (chapitre XI)[34].
Après la piteuse conclusion de cette excursion avortée, Catherine répond avec empressement à la proposition d'Eleanor et d'Henry de se joindre à eux pour une promenade à pied à Beechen Cliff, la colline ombragée de verdure située juste au sud de Bath, de l'autre côté de l'Avon qu'elle surplombe.
Là, une longue discussion littéraire et philosophique se déroule entre Henry, Eleanor et Catherine, à laquelle cette dernière prend le plus grand plaisir (chapitre XIV).
Catherine et Isabella, devenues très vite les meilleures amies du monde et unies par un intérêt commun pour leroman gothique[35], voient leur amitié se porter à son comble lorsque Isabella apprend à Catherine qu'elle et James se sont mutuellement déclaré leur flamme[36]. John Thorpe en profite alors pour commenter l'événement à Catherine, en lui faisant remarquer que le mariage est décidément une bien belle chose (chapitre XV)...
À Bath toujours, Catherine Morland fait connaissance du frère aîné d'Henry Tilney, le capitaine Frederick Tilney, séduisant, mais sans les scrupules de son frère à l'égard des femmes. Aussi, lorsqu'il invite Isabella à danser, alors que James vient tout juste de partir demander le consentement de ses parents à son mariage avec Isabella, Catherine est-elle stupéfaite de voir son amie accepter, après s'être pourtant déclarée au désespoir du départ de son fiancé[37]. Mais Catherine n'est pas au bout de ses surprises : Isabella l'entreprend, pour le compte de son frère John, très épris d'elle et auquel, selon ses dires, elle aurait donné des signes très nets d'encouragement[38] (Volume II, chapitre III).
Le père d'Henry et d'Eleanor, le général Tilney, qui se montre décidément très aimable avec elle, l'invite peu après à séjourner à Northanger Abbey[39], vieille demeure anglaise où Catherine trouve bientôt de quoi satisfaire son imagination débordante nourrie par desromans gothiques commeLes Mystères d'Udolphe, et attisée par les remarques narquoises d'Henry. Son intérêt se porte tout d'abord sur un vieux coffre imposant, à la serrure d'argent ternie par l'âge, qu'elle découvre dans un recoin de sa chambre[40]. C'est ensuite un vieuxcabinet laqué noir et jaune qui attire son attention ; dans ses tiroirs, elle finit par découvrir un vieux manuscrit qui, au matin, s'avère n'être qu'une ancienne note de blanchisserie[41] (Volume II, chapitre VII)...
Peu après, lors d'une conversation avec Miss Tilney, Catherine entend pour la première fois parler de la mère d'Henry et Eleanor, morte alors que cette dernière n'avait que treize ans[42]. Les circonstances de ce décès, survenu brutalement neuf ans auparavant sans qu'Eleanor puisse revenir assister aux derniers instants de sa mère, et la froideur à l'égard du souvenir de son épouse que Catherine a cru discerner derrière le visage affable que lui présente toujours le général, l'amènent aussitôt à imaginer qu'il a pu assassiner sa femme[43]. Toute à son idée, la jeune fille s'en va en cachette explorer la chambre de Mrs Tilney, en quête de quelque indice, et manque d'y être surprise par Henry, qui, devinant les épouvantables soupçons qui l'ont menée là, la sermonne sur son imagination (Volume II, chapitre IX).
C'est pour Catherine une brutale prise de conscience : honteuse de ses excès, elle renonce à ses folles idées. Peu après, une lettre de son frère James lui apprend sa rupture d'avec Isabella, provoquée par la conduite légère de sa fiancée face aux avances du capitaine Tilney[44].
Cependant Catherine est enchantée par la visite à Woodston, du presbytère d'Henry, au charme si simple[45]. Elle découvre toute l'hypocrisie d'Isabella, rejetée par le capitaine Tilney et qui cherche en elle un avocat pour plaider son retour en grâce auprès de James[46]. Suit un séjour paisible à Northanger Abbey en la seule compagnie d'Eleanor, en l'absence du général ; mais un soir, à onze heures, bien après le souper, un carrosse arrive… Et c'est une Eleanor décomposée qui vient annoncer à Catherine que le général vient de revenir et qu'il la chasse de l'abbaye, sans un mot d'explication, l'obligeant à rentrer à Fullerton en affrontant seule les difficultés d'un tel voyage[47].
Revenue sans encombre chez ses parents, Catherine se morfond en pensant à Henry et Eleanor, perdus pour elle. Après deux jours passés dans une morne apathie, comme elle demeure, indifférente à ce qui l'entoure, dans une torpeur dont rien ne peut la sortir, sa mère s'inquiète des moyens de dissiper cette morosité. C'est alors qu'arrive Henry Tilney, venu lui donner des explications sur le comportement de son père : John Thorpe, avec son habituelle mythomanie, avait initialement présenté Catherine comme une riche héritière, pouvant espérer dix ou quinze mille livres de ses parents, et le domaine de Fullerton, que lui lègueraient bien certainement les Allen[48]. Lorsque ensuite, pour venger sa sœur et lui-même de leurs espérances matrimoniales déçues, il a expliqué au général qu'on l'avait trompé et que la situation de fortune de Catherine était plus que médiocre, ce dernier est entré dans une violente colère, chassant tout d'abord Catherine, puis ordonnant ensuite à son fils de l'oublier.
Mais tout se termine bien : Henry qui s'est révolté avec indignation contre la volonté de son père, est venu demander la main de Catherine. Et moins d'un an après, Eleanor obtient le consentement du général à son mariage et, du coup, à celui de Henry et Catherine, ce qu'il lui accorde lorsqu'il apprend que l'homme qu'elle aime vient d'hériter d'une fortune et d'un titre[49].
L'héroïne deNorthanger Abbey est une toute jeune fille de 17 ans, naïve et sans expérience de la société, lorsque commence le roman, en. C'est la quatrième enfant d'une famille qui en compte dix : trois filles (dont elle est l'aînée) et sept garçons[50]. Leur père, le Révérend Richard Morland, a la charge des âmes du village de Fullerton, dans leWiltshire.
Après une enfance où elle apparaît comme une sorte degarçon manqué un peu gauche - comportement bien excusable au demeurant, vu le nombre considérable de ses frères - Catherine Morland, est devenue, entre 15 et 18 ans, « presque jolie », et son amour de la boue a fait place à une inclination pour les beaux atours[29]. Elle est désormais prête à devenir l'héroïne du roman, ayant nourri son esprit de toutes les lectures propres à la préparer à cette haute destinée[51]. Derrière la jeune fille naïve, ignorante du monde, mais à l'imagination débordante, Catherine Morland cache en effet une âme sincère et sans arrière-pensée, qui la guidera à travers les embûches du monde extérieur qu'elle va devoir affronter.
Frère de Catherine, il est proche de John Thorpe, qui s'est lié d'amitié avec lui àOxford. Il est tombé amoureux de la sœur de celui-ci, Isabella, qui va à son tour devenir la plus proche amie de Catherine dès leur rencontre.
Ils habitent également Fullerton où ils sont les plus proches voisins des Morland. Aisés et sans enfant, ils ont beaucoup d'affection pour Catherine. Mr Allen devant aller prendre les eaux àBath pour soigner sagoutte, Catherine est invitée à tenir compagnie à sa femme pour un séjour de six semaines.
Fils cadet du général Tilney, c'est unclergyman de 26 ans qui vient juste d'êtreordonné. Il est cultivé, intelligent et intuitif, et aime à se montrer légèrement sarcastique. Il est cependant attentionné et droit, soutenant sa sœur, puis Catherine Morland, contre la tyrannie de leur père. Grand amateur de romans, à l'évidente satisfaction de Catherine, il n'hésite pas à reconnaître son intérêt pour cette forme de littérature, bien différent en cela de John Thorpe, qui fait profession de la mépriser.
Doté d'une bonne éducation appuyée par un solide esprit d'analyse, Henry Tilney, du haut de ses quelque vingt-cinq ans, s'improvisementor de Catherine, dont il oriente les réflexions sans pouvoir se retenir parfois de quelques taquineries à son encontre. Dans ce rôle, il est alors le porte-parole de Jane Austen dans le roman[52].
Sœur d'Henry Tilney, âgée elle-même de 22 ans, elle a un joli visage et la taille bien prise. Très élégante et de commerce agréable, elle est cependant beaucoup plus réservée qu'Isabella Thorpe et moins expansive. Elle se révèle pourtant une véritable amie, digne de confiance et dévouée pour Catherine, qui prend peu à peu conscience à son contact d'une certaine vulgarité de manières chez Isabella[53].
Frère aîné d'Henry Tilney, donc héritier du domaine, il sert au12eDragon léger (stationné alors à Northampton)[53]. C'est un bel homme, qui a grande allure ; mais Catherine le trouve moins engageant que son frère Henry, et son goût comme ses manières sont clairement inférieurs à ceux de son frère cadet[54]. Il n'est pas homme à dédaigner les occasions de conquêtes féminines qui s'offrent à lui ; mais il sait parfaitement où il est de son intérêt de s'arrêter, pleinement conscient que son père n'accepterait jamais un mariage avec une femme sans fortune.
Lorsqu'elle rencontre le général Tilney, le père d'Henry, Eleanor et Frederick, Catherine apprécie de trouver en face d'elle un homme plein de prestance qui se montre tout à fait charmant[55], fait le plus grand cas de ses remarques et tient à obtenir son approbation en toutes choses. Face à cette constante sollicitude qui ne manque pas de la surprendre, Catherine se fait une excellente opinion du général, et comprend mal les réticences et la gêne que semblent éprouver Eleanor et Henry Tilney en sa présence.
Elle comprendra beaucoup plus tard que le général ne voyait en elle, bien à tort, qu'une riche héritière qu'il souhaitait voir épouser son fils Henry.
Cette jolie blonde de21 ans, plus grande que ses deux sœurs, Anna et Maria, est pleine d'assurance, soucieuse d'être à la dernière mode, y compris par le vocabulaire dont elle émaille les brillants papotages dont elle étourdit la naïve Catherine[56]. Après les grandes manifestations d'amitié qu'elle lui prodigue, elle apparaît cependant bien meilleure amie en paroles qu'en acte, car elle est superficielle, volage et intéressée[N 8].
Isabella Thorpe est un personnage majeur du roman, par son activité omniprésente tout au long du premier volume, par la façon dont elle se pose dès le début en « maîtresse des cérémonies », organisant l'emploi du temps du quatuor formé par son frère, elle-même et les deux Morland[58], et enfin par sa relation amoureuse chaotique avec James, le frère de Catherine.
Frère d'Isabella, il poursuit des études àOxford, dans le même collège que son ami James Morland, le frère aîné de Catherine. John est un solide gaillard quelconque et sans attrait, défaut qu'il compense par la promptitude avec laquelle il vante sans retenue ses propres mérites[53]. Rustre et d'une vanité compulsive, il suit ses propres désirs sans aucune considération pour les sentiments des autres. Cette vanité l'aveugle tant qu'il pense Catherine sensible à son charme. Il croit même l'avoir vue lui donner quelques encouragements, au point qu'il charge sa sœur Isabella de s'entremettre pour lui afin de confirmer ses sentiments à son égard.
Le roman porte la marque de l'influence de plusieurs autres écrivains, et, plus particulièrement de trois romancières.
C'est sans doute le souvenir des romans deFanny Burney, la romancière préférée de Jane Austen, qui est le plus marquant dansNorthanger Abbey. Comme dansEvelina (1778), l'œuvre se passe en partie àBath ; comme dansCecilia (1782), le héros appartient à une famille aristocratique ; mais c'est certainement àCamilla, écrit en 1796 et auquel Jane Austen avait souscrit avant même sa publication, queNorthanger Abbey doit le plus[59].
C'est tout d'abord Camilla Tyrold, l'héroïne du roman, qui prête beaucoup de ses traits à Catherine Morland. Comme Camilla est prise en charge par son oncle Sir Hugh Tyrold, Catherine est confiée aux bons soins de Mrs Allen qui, elle non plus, ne sera guère présente ; comme pour Catherine, l'hypothèse qu'elle puisse être l'héritière de son protecteur lui vaut quelques ennuis dans la suite du roman. D'autre part, on retrouve également dansCamilla un mentor, comme l'est Henry Tilney pour Catherine, en la personne d'Edgar Mandelbert, et une belle jeune fille, Indiana, dont les défauts de caractère mettent en valeur les qualités de Camilla, comme ceux d'Isabella Thorpe soulignent celles de Catherine Morland[60].
L'influence de Maria Edgeworth se retrouve elle aussi dansNorthanger Abbey, avec son roman paru en 1801,Belinda. Mais il s'agit d'un ajout tardif, et c'est surtout avec son recueil de contes pour enfants,The Parent's Assistant, inspiré de fables françaises et de contes arabes, que Maria Edgeworth est présente dans le roman deJane Austen. OutreBelinda, celle-ci peut avoir accès, lors de la révision deSusan en 1802, à la deuxième édition, enrichie de nouveaux contes, du recueil de Maria Edgeworth[61].
Cependant, si les œuvres de Fanny Burney et de Maria Edgeworth s'inscrivent dans la trame du roman et lui confèrent son caractère de « roman d'apprentissage » marquant le passage à l'âge adulte de l'héroïne, celles d'Ann Radcliffe, et plus particulièrementJulia ou les Souterrains du château de Mazzini,La Forêt ou l'Abbaye de Saint-Clair etLes Mystères d'Udolphe en forment la toile de fond « gothique », en particulier dans le second volume. C'est à ces trois–là en effet qu'Henry Tilney fait allusion lorsqu'il décrit les péripéties qui attendent immanquablement les personnages des romans gothiques.
Ils lui servent ainsi d'exemples pour analyser l'apport d'Ann Radcliffe, par rapport à unHorace Walpole et d'autres auteurs moins imaginatifs : au lieu de décrire, ennarrateur omniscient, le déroulement des événements et les actions du « méchant » du roman, elle présente la situation en vision subjective, à travers les yeux de l'héroïne. Celle-ci, isolée, entourée d'ennemis ou de faux amis, trouve refuge en un vaste édifice (en général un château gothique...) qui, à la lumière du jour, lui parait offrir un abri face aux dangers extérieurs. Mais, une fois la nuit tombée, l'endroit devient un lieu étrange et hostile, évoquant certains dessins fantastiques dePiranese[62]. C'est alors que l'héroïne montre ses qualités d'âme en entamant, à minuit, l'exploration des sombres passages qui mènent par des portes dérobées à des lieux ignorés et interdits du château du tyran. Après une quête pleine de terreurs réprimées, elle découvre enfin un objet mystérieux - poignard taché de sang, portrait évoquant des traits familiers, ou coffre gigantesque recelant peut-être quelque squelette - véritable « clé » qui explique et ouvre les mystères du passé[63]...
La lecture, plus précisément celle de romans, apparaît comme un thème essentiel, sinonle thème majeur, deNorthanger Abbey, où elle joue des rôles multiples : distraction passionnante, sans pour autant porter à conséquence, elle est aussi un centre d'intérêt qui rapproche ceux qui s'y adonnent, encore assez peu nombreux du fait de la réputation mal établie des romans[59]. Elle est aussi un chemin initiatique, un moyen pour les jeunes esprits de s'ouvrir au monde[59], en les aidant à différencier peu à peu la réalité de ce qui est du domaine de la fiction, comme reconnaître une amitié véritable et ne pas la confondre avec l'apparence de celle-ci.
Northanger Abbey est généralement cité pour le traitement parodique qu'il fait duroman gothique, qui était alors l'un des genres les plus en vogue, visant à emplir le lecteur d'une délectable épouvante.
Ce sentiment s'appuie sur le décor (un vieux château, comme celui duChâteau d'Otrante ou une vieille abbaye, situés dans un cadre lugubre), sur l'intrigue dramatique, fertile en rebondissements (L'Orpheline du Rhin) et recourant fréquemment au surnaturel (The Necromancer), ainsi que sur des personnages emblématiques : le moine démoniaque (Le Moine,The Midnight Bell), le « méchant » sombre et tourmenté qui persécute l'héroïne (Montoni dansLes Mystères d'Udolphe, ou encore le comte Manfred dansLe Château d'Otrante[65]). Cette héroïne sera, par exemple dansLes Mystères d'Udolphe, la ravissante Emily St. Aubert[66], sauvée par le héros Valancourt. Tous ces thèmes et ces personnages parfaitement connus des contemporains de Jane Austen, constituent la trame deNorthanger Abbey.
De façon plus anecdotique,Northanger Abbey établit uneanthologie sélective du roman gothique d'alors. Isabella Thorpe, l'amie de Catherine Morland, a en effet relevé une liste de sept « romans abominables » (horrid novels) dans son petit carnet de poche[35], liste qu'elle recommande chaudement à son amie Catherine[67]. Les romans en question ont tous été formellement identifiés en 1927 par Michael Sadleir[68], et ont été réédités en 1968 parthe Folio Society sous le titreThe Northanger Set of Jane Austen Horrid Novels[69]. Ce sont :
Cette liste est souvent citée, puisqu'elle représente la quintessence desromans gothiques les plus effrayants de l'époque et que la sélection a été faite par Jane Austen. Elle constitue également une liste des meilleurs titres du genre chezMinerva Press, fondée en 1790 par William Lane, qui s'était fait une spécialité de la publication de romans gothiques « horrifiques », destinés à un public féminin de la petite classe moyenne : en effet, six des sept romans cités ont été publiés parMinerva Press, la seule exception étantThe Midnight Bell[71].
Northanger Abbey présente le caractère d'unconduct novel, ces « romans d'apprentissage » anglais dont le héros, ou l'héroïne, passe de l'adolescence à l'âge adulte en suivant un chemin initiatique. Au travers d'épreuves, de déceptions, de confiance trahie, Catherine Morland découvre la réalité de la vie, apprend à reconnaître l'amitié véritable en la distinguant du miroir aux alouettes des apparences, et s'avise enfin que le monde réel ne se conforme pas forcément aux conventions de la littérature qu'elle aime. D'ailleurs, plusieurs des livres évoqués dans le volume I deNorthanger Abbey, commeCamilla etCecilia, deFanny Burney,Belinda, deMaria Edgeworth (au chapitre V), ou encoreSir Charles Grandison, deRichardson (au chapitre VI) ont également pour thème la périlleuse entrée dans le monde des adultes d'une héroïne vulnérable et sans expérience[60]. Les romans gothiques d'Ann Radcliffe qui servent de toile de fond àNorthanger Abbey - tels queLes Mystères d'Udolphe,La Forêt ou l'Abbaye de Saint-Clair ouJulia ou les Souterrains du château de Mazzini - ont eux-mêmes recours à des intrigues analogues, amplifiant simplement les dangers qui parsèment le parcours de l'héroïne vers le monde adulte. Aussi n'est-il pas si aisé de séparer à cet égard les genres pourtant apparemment bien différents du roman gothique et des romans initiatiques de Richardson et Fanny Burney[61].
Jane Austen s'est également inspirée du recueil de contes pour enfants publié par Maria Edgeworth en 1796,The Parent's Assistant, qu'elle tenait en haute estime pour la façon dont il préparait les enfants aux réalités du monde moderne, tourné vers l'économie de marché, en les invitant à prendre conscience de la véritable valeur des choses, sans s'arrêter à leur seule séduction immédiate (comme dans le conteThe Purple Jar). Jane Austen montre ainsi, et moque la vaine agitation qui s'empare de Mrs Allen, d'Isabella, et même de Catherine, lorsqu'il s'agit de la coiffure qui orne leur tête, ou encore la façon dont Mrs Allen ne manque pas de remarquer ladentelle qui décore lapelisse de son amie Mrs Thorpe, se donnant ainsi, aux yeux du lecteur, le ridicule d'ériger dentelle etmousseline en mesure de l'importance des choses[72].
En plusieurs occasions, les héros de Jane Austen prennent la défense des romans. C'est particulièrement évident dansNorthanger Abbey, par la voix de Catherine Morland et de Henry Tilney, et dans le long développement, souvent commenté, de la fin du chapitre V (Jane Austen y utilise à peu près les mêmes termes qu'utilise plus tardMargaret Oliphant).
Les romans connaissent alors une grande vogue, en particulier auprès des femmes, dont l'éducation a considérablement progressé au cours duXVIIIe siècle[73]. D'ailleurs, ce sont elles qui se trouvent à l'origine de cette évolution, puisqu'on estime qu'entre 1692 et la fin duXVIIIe siècle, la majorité des romans est écrite par des auteurs féminins[73]. Mais la culture masculine, qu'incarnent à la fin duXVIIIe siècleSwift ouPope, voit d'un mauvais œil l'intrusion defemale wits (« de femmes d'esprit ») dans la littérature ; d'ailleurs, un jeu de mots facile permet de salir ces auteurs en assimilant les « femmes publiées » aux « femmes publiques », c'est-à-dire aux prostituées (female publication =public woman)[74].
Ce n'est que très progressivement, tout à la fin duXVIIIe siècle, que la réputation du roman commence à s'améliorer, avec Clara Reeves et son ouvrageThe Progress of Romance (1785) tout d'abord, puis avec Joanna Baillie etWilliam Godwin, précisément à l'époque où Jane Austen écritNorthanger Abbey (1797-1798)[75].
Aussi, la défense des romans constitue-t-elle du même coup chez Jane Austen un plaidoyer en faveur des romancières, d'autant plus nécessaire que certaines d'entre elles dénigrent elles-mêmes le genre : ainsiMaria Edgeworth, lorsqu'elle présenteBelinda, préfère l'appeler un « conte moral » (moral tale) plutôt qu'un « roman » (novel), considérant que« tant de sottise, d'erreur et de vice parsèment des livres catalogués sous cette [dernière] appellation, que j'espère que le choix de retenir [la première] qualification sera attribué à une intention louable et non au pinaillage »[76].
Car le roman, à son époque, n'a pas l'aura de la poésie, genre noble par excellence. Aussi,Margaret Oliphant, essayiste, historienne et mère de cinq enfants[N 10], note-t-elle en 1882 que, si la culture britannique célèbre les hommes pour être à l'origine du flux de noble poésie au tournant duXVIIIe et duXIXe siècle, « elle néglige l'émergence soudaine, à la même époque, d'une forme purement féminine du génie littéraire » (negligent of the sudden development of purely feminine genius at the same great era)[77].
Au cours du chapitre V, l'amitié de plus en plus forte qui lie Catherine Morland et son amie Isabella Thorpe se traduit, ditla voix narratrice, par le fait qu'elles s'enferment ensemble pour lire des romans. Et elle ajoute, dans un plaidoyerpro domo où la romancière intervient à la première personne :« Je ne ferai pas mienne cette habitude bien peu généreuse et bien peu politique si fréquente chez les romancières, de rabaisser par leurs critiques méprisantes les réalisations mêmes auxquelles elles ont elles-mêmes contribué »[78]. Dans cette défense des romans où elle prend elle-même position, Jane Austen veille à ne citer que ceux qu'elle tient en plus haute estime,Cecilia, etCamilla, deFanny Burney, ou encoreBelinda deMaria Edgeworth[79]. MaisAnn Radcliffe n'est pas admise dans ce panthéon[61].
Même si le roman a pour titreNorthanger Abbey, ce n'est pas à l'abbaye que se passe l'essentiel de l'action, mais bien àBath[80], oùCatherine Morland arrive dès le chapitre II du volume I - tôt au mois de février, alors que la saison bat son plein[81] - pour ne venir à l'abbaye de Northanger qu'au chapitre V du volume II.
Lorsqu'elle entreprend l'écriture deSusan, Jane Austen connaît Bath pour y avoir passé quelques semaines avec sa mère et sa sœurCassandra à la fin de l'année 1797[2]. Là, elles demeurent chez le frère deMrs Austen et sa femme, Mr et Mrs Leigh-Perrot, qui ont l'habitude de passer les mois d'hiver dans une haute maison de ville, sise auno 1,Paragon Buildings, qui surplombe la vallée de l'Avon[82],[N 11] Jane Austen et Cassandra s'installent d'ailleurs bientôt durablement à Bath, lorsque leur père, à la fin de l'année 1800, décide d'aller y prendre sa retraite[82]. Sans doute ce deuxième séjour a-t-il contribué à donner une vision assez différente de Bath dans l'autreBath novel (« roman de Bath ») de Jane Austen,Persuasion.
Ville d'eau bien connue comme telle depuis l'époque romaine, Bath est une ville touristique, même si son développement à l'époque où se situeNorthanger Abbey repose largement sur la visite qu'y a effectuée pour raisons de santé lareine Anne (1665–1714) au début duXVIIIe siècle. C'est également à cette époque qu'y arrive Richard « Beau » Nash (1674–1762), qui en devient bientôt le maître des élégances[83]. À la fin duXVIIIe siècle cependant, le succès même de Bath conduit déjà la ville vers son déclin, du fait des « nouveaux riches » et des nombreux retraités de la classe moyenne qui y affluent, attirés par sa réputation[84].
C'est dans ce contexte que les Allen, accompagnés de Catherine, viennent s'y installer, en principe pour six semaines, dans une confortable habitation deGreat Pulteney Street, nouvellement construite sur la rive est de l'Avon[86], qui la sépare du centre de Bath. Détail intéressant, voire révélateur, il semble que ni Catherine ni les Allen n'aillent prendre les eaux à aucun des établissements pourtant situés près de laPump Room, la Buvette[N 12] attenante aux thermes où chaque nouvel arrivant doit venir signer son nom dans lelivre d'or et boire un verre de l'eau des thermes[56].
Pour sa première sortie dans le monde, Catherine se rend auxUpper Rooms, situées dansBennet Street, tout au nord de la ville, près de la majestueuse placeThe Circus. Là, elle découvre la folle agitation mondaine de la ville, car la salle de bal est si pleine de monde qu'elle n'arrive ni à trouver un danseur, ni même à apercevoir ceux qui sont parvenus à atteindre la piste de danse. Ce n'est que plus tard, auxLower Rooms, situées au sud-est de la ville, tout près de l'Avon, pas très loin de laPump Room, qu'elle parvient finalement à danser avec Henry Tilney. Ces anciennesLower Rooms, situées à l'endroit où se trouvent maintenant lesParade Gardens, ont été détruites par un incendie en 1820[56].
Catherine Morland ayant ainsi découvert les hauts lieux de Bath, et lié connaissance à la fois avec la famille Thorpe et la famille Tilney, l'intrigue du roman peut alors se mettre en place.
Si Bath est le lieu où se déroule l'essentiel du volume I du roman, c'est à l'abbaye de Northanger que se déroule la plus grande partie du volume II.
L'abbaye de Northanger, la demeure familiale des Tilney, constitue pour Catherine Morland la réalisation d'un rêve : quel plus beau cadre peut-on imaginer pour un roman gothique qu'une vieille abbaye ? Comme elle se le dit elle-même,« Avec toutes les chances qu'elle avait contre elle que ce soit une maison, unHall, un lieu-dit, unPark, unCourt ou uncottage, Northanger se révéla être une abbaye » (« With all the chances against her of house, hall, place[N 13], park, court, and cottage, Northanger turned up an abbey[87]. »).
Comme le laisse entendre Eleanor à Catherine, l'abbaye a jadis été un couvent richement doté à l'époque de laRéforme, acquis par un ancêtre des Tilney lors de laDissolution des monastères, au milieu duXVIe siècle, dont de nombreux éléments ont été conservés lorsque Catherine Morland s'y rend[88]. À la suite de la dissolution en effet, de nombreux couvents avaient été remaniés par leurs nouveaux propriétaires pour en faire leur résidence, et Jane Austen était sans doute familière de telles abbayes reconverties, commeLacock Abbey dans leWiltshire, qu'elle avait pu visiter en se rendant àBath avec sa famille en 1797[89]. Elle visitera aussi en 1806 avec sa mère Stoneleigh Abbey, une très vaste demeure à l'allure de prison dans leWarwickshire, héritée cette année-là par le révérend Thomas Leigh, cousin de Mrs Austen[90].
L'un des arguments avancés par Brian Southam pour soutenir l'idée que Jane Austen a sensiblement remanié l'ouvrage bien après 1803, et probablement en 1816, est lié à la proximité des thèmes qu'il relève entreNorthanger Abbey etSanditon, le tout dernier roman de l'auteur, écrit, lui, en 1817.Sanditon développe en effet des thèmes d'un modernisme inattendu, évoquant une société de consommation où la promotion immobilière bat son plein[91], et où la spéculation et l'afflux des touristes génèrent une inflation qui en inquiète certains[92]. Sans aller aussi loin,Northanger Abbey aborde de nombreux aspects modernes, en particulier au travers du général Tilney, grand amateur des dernièrestechniques de pointe.
Au grand désespoir de Catherine, en effet, la vénérable abbaye de Northanger a subi aux mains de son propriétaire de nombreuses « améliorations » (improvements) technologiques : l'antique et majestueuse cheminée sculptée qu'elle espérait trouver dans le salon a été remplacée par un foyer sans fumée inventé deux ans auparavant parSir Benjamin Thompson[12] ; les fenêtres, dont le général lui avait dit avoir respectueusement préservé l'aspect gothique, ont certes conservé leur forme caractéristique, mais leurs vitraux, loin d'être revêtus de toiles d'araignée comme elle l'avait espéré, se révèlent être modernes et lumineux[93].
Le général Tilney s'adonne au modernisme dans bien d'autres domaines : il se livre ainsi à la culture de fruits exotiques, à grand renfort deserres chauffées, de façon à pouvoir les servir à sa table hors saison. Quant à l'organisation des cuisines, le général l'a voulue aussi rationnelle et performante que possible, au détriment du cachet de cette partie de l'ancienne demeure[94]. Sa quête systématique de l'efficacité témoigne de son appartenance à cette richegentry gagnée désormais aux idées du capitalisme[95].
De façon plus générale, Jane Austen oppose dansNorthanger Abbey l'esprit moderniste des « améliorateurs », lesimprovers, au sens des vraies valeurs traditionnelles dont font preuve Henry Tilney et Catherine Morland. Cette dernière témoigne de beaucoup plus d'intérêt pour la vie à Woodston, le village plein de vie où se trouve le presbytère d'Henry, que pour le confort moderne et froid qu'offre l'abbaye de Northanger, rénovée par les soins du général[96].La montée d'une riche aristocratie terrienne entraîne en effet dans les années 1790 un appauvrissement corrélatif des habitants des campagnes anglaises : c'est en particulier laquestion desenclosures[97], qui bouleverse la vie du monde agricole dans plusieurs régions d'Angleterre, avec l'étape de l’Enclosure (Consolidation) Act de 1801.
Pourtant, cette question desenclosures n'était pas la seule à échauffer les esprits d'alors : ainsi, en 1795, quatre ans à peine avant que Jane Austen ne s'attelle à son roman, une mauvaise récolte offrit l'occasion aux riches fermiers et aux marchands de grain d'accroître leurs profits en réduisant davantage encore leurs livraisons de blé dans l'espoir, couronné de succès, de faire monter le prix du pain. Cette manœuvre spéculative, connue sous le nom deforestalling, qui entraîna l'enrichissement visible des uns et l'appauvrissement, voire ladisette, chez les autres, est condamnée à deux reprises par Lord Kenyon, leLord Chief Justice, comme contraire au droit coutumier[97].
C'est avec cet arrière-plan à l'esprit que l'on doit interpréter l'opposition entre le général Tilney, riche propriétaire terrien épris de modernité, mais égoïste et calculateur, et son fils,clergyman bienveillant d'un petit village animé par l'industrie de ses habitants, dans un paysage bien agencé, varié et vivant (qu'on désigne alors par l'expression dewell-connected landscape[98]). Ces questions politiques sont d'ailleurs évoquées par Henry Tilney à la fin de la promenade à Beechen Cliff, lorsque la vue sur le paysage lui donne l'occasion de passer des chênes aux forêts, des forêts aux clôtures qui les entourent (inclosure), des terres en friche aux terres de la Couronne, et enfin, de tout cela à la politique en général[99].
Si le mariage d'amour finit par triompher dansNorthanger Abbey avec l'union de Catherine et de Henry, que permet celle d'Eleanor et de son prétendant de longue date, c'est d'abord et avant tout l'argent qui semble le moteur premier du mariage pour les autres protagonistes du roman, en particulier pour le général Tilney, qui a des conceptions très affirmées dans ce domaine, avec une approche totalement dénuée de romantisme et purement mercenaire du mariage. Bien que très fortuné lui-même, c'est l'argent qui est pour lui l'enjeu ultime : il accueille Catherine avec une politesse excessive quand il la croit riche, mais lorsqu'il apprend de John Thorpe qu'elle n'aurait en réalité aucun espoir de dot, une véritable panique le saisit (Jane Austen écrit :the terrified general[100]) avant que la rage ne le prenne[101]. Le général Tilney a d'ailleurs mis ses idées en application pour son propre compte, puisqu'il a épousé sa femme sans amour, seulement pour son argent.
De leur côté, Isabella et John Thorpe ont également une vision très mercenaire du mariage ; c'est rapidement évident dans le cas d'Isabella, et devient clair dans celui de son frère, lorsque l'on apprend les divagations financières que lui a inspirées la situation de Catherine Morland.
On a souligné le caractère de « roman policier sans policier » (a detective story without a detective)[N 14] d’Emma. À un moindre degré,Northanger Abbey présente ce même caractère[102]. En effet, il peut avec profit faire l'objet d'une relecture, en s'appuyant sur les indices relevés tout au long du roman.
C'est le rôle de la famille Thorpe et ses motivations qui permettent la relecture la plus fructueuse, en s'appuyant tout d'abord sur les fantasmes de John Thorpe touchant à la richesse potentielle de Catherine Morland en tant qu'héritière unique des Allen. L'intérêt qu'il manifeste, certes de façon grossière et sans grand détour, pour la riche héritière qu'il imagine en Catherine n'est-il que le fruit de ses propres réflexions ? N'est-ce pas plutôt le résultat de celles de sa sœur Isabella[102], voire de leur mère ?
Les deux jeunes Thorpe, en effet, orphelins de père, sont pauvres et sans doute à la recherche d'un beau mariage l'un et l'autre. Est-ce vraiment par une heureuse rencontre que les trois demoiselles Thorpe et leur mère arrivent à Bath en même temps que les Allen de Fullerton – riches amis de Mrs Thorpe et sans enfants – accompagnés de leur protégée Catherine ? Est-ce par hasard que John Thorpe les rejoint peu après à Bath, en compagnie de son ami James Morland, qui n'a pu manquer de parler tant de sa sœur Catherine que de l'intérêt des Allen pour celle-ci, lorsque les Thorpe l'avaient invitée chez eux àPutney pour les vacances deNoël ? Est-ce même par hasard qu'en tout premier lieu John Thorpe s'est lié d'amitié à Oxford avec une autre personne originaire de Fullerton, James Morland ? Et comment ne pas s'étonnera posteriori de l'intérêt immédiat que témoigne Isabella à la jeune Catherine, et de sa présence constante auprès de celle-ci tout au long des « huit ou neuf jours » qui précèdent l'arrivée de son frère John[102] ?
Dans la première partie du roman, Isabella apparaît donc comme une redoutable conspiratrice qui n'hésite pas à mettre en danger le bonheur de son « amie » Catherine, en cherchant constamment avec son frère à l'éloigner des Tilney au bénéfice de John, alors même que l'attachement de Catherine pour Henry leur est parfaitement connu[103].
De tous les romans de Jane Austen,Northanger Abbey est celui où l'aspect parodique a le plus d'importance. L'œuvre est surtout connue aujourd'hui pour son traitement desromans gothiques, qui la rapproche plus desJuvenilia bouillonnantes de moquerie parodique de la Jane Austen adolescente que des grands romans réalistes de sa maturité, tels queMansfield Park,Emma ouPersuasion[104].
Jane Austen parodie ouvertement les romans gothiques dans trois passages spécifiques[62] :
C'est tout d'abord la joie violente qui s'empare de Catherine lorsqu'elle comprend qu'elle va pouvoir vivre - avec celui qu'elle chérit - dans une ancienne abbaye gothique, un cadre idéal pour une aventure véritablement romanesque : elle pense alors à voix haute, évoquant ses attentes dans ce lieu magique, avec ses longs couloirs aux murs humides, sa chapelle en ruine, et, peut-être aussi, la chance de tomber sur quelque légende sortie du passé, voire « les souvenirs épouvantables de la présence en ces lieux d'une nonne blessée au tragique destin »[105].
C'est ensuite, dans la bouche de Henry Tilney cette fois, le passage (volume II, chapitre V) au cours duquel il expose à Catherine, avec une délectation taquine, les « horreurs » que recèle sans doute l'antique abbaye, la chambre isolée, gigantesque et aux sombres recoins, qui ne saurait manquer de lui être attribuée, tout à l'autre bout de la demeure[106], un portrait« dont le visage exerce sur vous une incompréhensible fascination, au point que vous ne pourrez en détacher les yeux » ou une porte dont« vous découvrirez, avec une terreur renouvelée, qu'elle n'a pas de serrure »[107]. Et Henry continue ainsi, devant l'intérêt que lui prête Catherine, à imaginer les aventures qui vont être les siennes à l'abbaye de Northanger, jusqu'au moment où, alors qu'elle retourne à sa chambre après avoir découvert un précieux manuscrit dans les entrailles de l'abbaye,« la mèche de votre lampe s'éteint soudain, vous laissant dans une totale obscurité »[108]. Toutes aventures imaginaires qui ne peuvent que conforter Catherine dans la certitude que de merveilleuses terreurs l'attendent, puisque la description qu'en fait Henry est en tous points conforme à l'approcheradclifienne du roman gothique[63].
Point d'orgue enfin à ces aventures gothiques, la mise en application de la théorie par Catherine (Volume II, chapitres VII et VIII). Après une première quête, accomplie de nuit dans sa chambre, qui ne débouche que sur un résultat décevant, Catherine se met en tête de prouver que le général est bien l'être maléfique, meurtrier de sa femme, qu'elle croit avoir deviné en lui. Après avoir soumis Eleanor à un feu roulant de questions sur sa mère, elle se lance alors dans une exploration qui la mène dans les appartements, clairs et sans mystères, de la défunte. Ses soupçons, quand il les réalise, lui valent les remontrances et un vrai sermon d'Henry Tilney, qui, arrivé sur ces entrefaites, la surprend en haut de l'escalier (volume II, chapitre IX). C'est alors que Catherine, rouge de honte, se rend compte qu'à trop vouloir assimiler certains personnages qu'elle côtoie aux archétypes des romans qu'elle lit, elle a perdu tout esprit critique en s'abandonnant à l'imagination la plus extravagante[109] (volume II, chapitre X).
Le roman de Jane Austen se conforme malicieusement au canon du roman gothique, en assignant à chacun de ses personnages l'un des rôles classiques de ces romans.
Il y a bien sûr l'« héroïne » elle-même, Catherine Morland, dont Jane Austen s'empresse dès les toutes premières pages de nous montrer tout le mal que la jeune fille a eu à endosser le rôle, auquel ses quinze premières années l'ont si peu préparée. C'est bien elle cependant qui est au centre du roman, elle au travers des yeux de qui le lecteur voit se dérouler l'intrigue. De son côté, Henry Tilney incarne le « héros » plein de mystère[110], qui s'éprendra d'elle et la sauvera.
Si le général Tilney est le « méchant » ultime, transposition du sinistre Montoni desMystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe[N 15] — rôle que lui attribue d'ailleurs explicitement Catherine Morland[111] — on retrouve également la figure du « ravisseur », qui enlève l'héroïne malgré sa résistance ; il ne s'agit cependant dansNorthanger Abbey que du personnage assez falot de John Thorpe, qui emmène Catherine contre sa volonté dans une excursion lointaine, au galop de son cheval[53].
Sa sœur Isabella, de son côté, apparaît dans le rôle de la « fausse bonne amie », dont les protestations d'amitié répétées abusent au début la crédulité de l'héroïne.
Cependant, la frontière entre rôles gothiques et réalité reste parfois assez théorique : on a fait observer que la seule « preuve » que nous ayons de l'innocence du général Tilney est l'argumentation suivante d'Henry à Catherine :« Nous sommes anglais, nous sommes chrétiens. [De telles atrocités] pourraient-elles être perpétrées sans qu'on le sache, dans un pays comme le nôtre »[112]? Tout repose donc sur le fait qu'Henry Tilney semble en général tenir aussi le rôle de « porte-parole de Jane Austen »[52]. On a d'ailleurs remarqué que l'âge d'Henry Tilney était très proche de celui de Jane Austen elle-même lors de l'écriture du roman (elle avait24 ans en 1799)[102].
Plus encore peut-être que dans ses autres romans - carNorthanger Abbey, œuvre de jeunesse, est plus proche du ton desJuvenilia - c'est peut-être la bonne humeur et l'ironie constantes qui frappent tout d'abord le lecteur lorsqu'il découvre ce premier grand roman de Jane Austen.
Il est ainsi parsemé de notations rapides, certaines relevant d'unhumour décalé, comme inconscient, qui n'en réjouit que plus le lecteur. À d'autres moments, les notations se font plus mordantes, allant jusqu'à se teinter d'un certain humour noir. Dès la première page, on apprend par exemple que Mrs Morland avait eu trois fils avant la naissance de Catherine« et que, au lieu de mourir en mettant celle-ci au monde, ainsi que chacun aurait pu s'y attendre, elle était restée en vie pour donner le jour à six autres enfants »[113].
De même, c'est par l'ironie que Jane Austen souligne la naïveté de Catherine, lorsqu'elle croit aveuglément son amie Isabella alors que celle-ci lui fait part de son amour pour son frère, James Morland :
« Isabella continua, « [...] Je me suis dit que jamais je n'avais vu quelqu'un d'aussi beau auparavant. »
Ici Catherine reconnut en secret le pouvoir de l'amour ; car jamais, malgré toute la grande affection qu'elle portait à son frère, [...] elle n'avait considéré de toute sa vie qu'il fût beau[114]. »
La sagesse et les connaissances acquises par Catherine Morland grâce à la lecture assidue des romans gothiques font elles aussi l'objet d'une remarque ironique de l'auteur :
« Versée comme elle l'était grâce à ses lectures dans l'art de dissimuler les trésors, la possibilité que les tiroirs comportent des doubles-fonds ne lui avait pas échappé, et elle passa la main dans chacun d'eux avec une consciencieuse application, mais en vain[115]. »
Quant à la fébrilité impatiente dont fait montre Catherine, tant son désir est grand d'aller visiter Woodston, le village où se trouve le presbytère de Henry Tilney, Jane Austen lui oppose le cours indifférent des jours :
« Si mercredi pouvait enfin arriver !
Mercredi arriva enfin et exactement au moment où l'on pouvait raisonnablement l'attendre[116]. »
Ce premier des grands romans de Jane Austen qu'estNorthanger Abbey est en même temps un roman de jeunesse, où l'auteur cherche encore son style. Elle y expérimente donc plusieurs formules narratives, qui s'entremêlent au point de créer parfois un certain sentiment de confusion ou de perplexité. A. Walton Litz souligne ainsi l'impression dérangeante qui résulte du fait que, si Jane Austen semble exprimer le plus souvent son opinion par la voix de Henry Tilney, il lui arrive aussi de prendre parfois directement la parole (intrusion de l'auteur dans la narration), ou même d'exercer son ironie aux dépens d'Henry. La perception de la place de chacun dans le roman en est alors affectée, ce que le lecteur perçoit comme « choquant » (jarring)[52].
À d'autres moments, Jane Austen a recours à ce qui deviendra l'une des marques distinctives de son style, lediscours indirect libre (free indirect speech) : il s'agit d'une forme narrative dont la particularité est de ne pas utiliser de verbe introductif (« parler », « dire », ou encore « penser »), présentant alors librement et sans intermédiaire les pensées des personnages. Jane Austen fait par exemple penser son héroïne Catherine Morland à voix haute, alors que son imagination endiablée métamorphose l'abbaye en un lieu ayant recelé de sombres drames, à l'instar des extravagances gothiques qu'elle apprécie tant :
« Le sang de Catherine se glaça à l'idée des horribles implications qu'évoquaient tout naturellement ces mots. Était-ce possible ? Le père de Henry avait-il pu … ? Et pourtant, qu'ils étaient nombreux les exemples justifiant jusqu'aux soupçons les plus noirs ! (…)[117],[N 16] »
Cette forme narrative empruntée auxfables deLa Fontaine[118], a été introduite, comme le rappelle Margaret Anne Doody, dans lalittérature anglaise parFanny Burney et quelques autres écrivains femmes de la fin duXVIIIe siècle, dont Jane Austen a ainsi recueilli l'héritage[119].
Le style indirect libre, par son fil que n'interrompt plus le narrateur, a pu être perçu comme une forme d'ironie, dans la mesure où l'auteur fait semblant d'adhérer aux propos du personnage ; à l'inverse, on peut aussi y voir une marque de sympathie[119], et d'invitation à l'empathie du lecteur. Ce ton ironique est évident dansNorthanger Abbey, où Jane Austen laisse libre cours à l'imagination juvénile de Catherine Morland.
Le roman a connu plusieurs adaptations sous diverses formes. Depuis 1949 il y en a eu plusieurs radiophoniques à la BBC. On compte aussi de nombreuses adaptations théâtrales[120], la première, par Miss Rosina Filippi, datant de 1895, la plus récente en 2008 par la Dorset Corset Theatre Company. L'auteure de comicsAnne Timmons l'a transposé en bande dessinée en 2007[121].
Il n'existe que deux adaptations à l'écran :
En 2023, l'université de Greenwich lance une « alerte » sur le roman parce qu'il véhiculerait des « stéréotypes de genre ». Elle met en garde les étudiants contre le « sexisme » et les « relations toxiques » dont celui-ci ferait montre[122]. L'initiative a suscité une polémique étant tournée en ridicule par une partie de la presse anglaise, celle-ci faisant remarquer que Jane Austen pratique une ironie qui semble échapper aux responsables de l'université de Greenwich[122],[123]. Ainsi, Dennis Hayes à la tête du mouvementAcademics For Academic Freedom, a engagé les universités à cesser « d'infantiliser » leurs étudiants[122].
Cette alerte touche un roman d'Austen, dont l'auteur est largement considéré comme l'une des premières féministes s'étant rebellée contre les rôles de genre dans un monde littéraire dominé par les hommes[123]. Le livre est enseigné dans le cadre du module de littérature gothique de Greenwich, qui est lui-même accompagné d'un avertissement général indiquant que le cours contient « des éléments que les étudiants pourraient trouver dérangeants »[123]. Le fait qu'Austen gère ironiquement et avec humour les rôles de genre dansNorthanger Abbey et ses autres œuvres a au contraire conduit à affirmer que l'« alerte » sur le roman de l'université Greenwich est inappropriée[123]. PourThe Independent, l'université s'est ridiculisée pour avoir dit aux étudiants que Jane Austen était offensante[124].
N. B. : Les références à l'ouvrage deJane Austen sont faites sur la base de la pagination de l'édition en ligne deNorthanger Abbey indiquée en bibliographie (édition de 1856).
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