Connu sous son nom de naissance pour ses romans publiés dans laCollection Blanche desÉditions Gallimard, il l'est également sous les pseudonymes deJohn Amila, puisJean Amila, utilisés pour ses romans policiers parus dans la collectionSérie noire. Il publie également d'autres romans populaires sous les pseudonymes d'Édouard, Edmond ou de Guy Duret, d'Albert Duvivier, deMariodile et deMarcel Pivert.
Jean Meckert naît à Paris dans un milieu modeste, d'un père employé de laCompagnie des omnibus. Le départ de ce père du foyer familial en février 1920, pour vivre avec sa maîtresse, marque un tournant précoce dans sa vie[4].
Alors que sa mère est internée auVésinet et sa sœur dans une pension àNeuilly, il est placé dans unorphelinatprotestant àCourbevoie, l'asile Lambrechts, jusqu'en 1923. Meckert gardera de ce séjour la détestation de l'enseignement religieux, le souvenir de la faim et du froid, mais surtout le sentiment de l'humiliation et de l'abandon[5].
Les petits boulots et le début de l'écriture (1923-1939)
Obtenant soncertificat d'études primaires avec un an d'avance, Jean Meckert commence son apprentissage dans un atelier de construction de moteurs électriques dans le20e arrondissement, en 1923. En 1927, il devient employé de bureau auCrédit lyonnais, puis connaît le chômage et les petits boulots. Parce qu'il « crevait de faim », il s'engage dans l'armée, entre et, au sein de la compagnie du camp deSatory deVersailles, où il obtient le grade decaporal[6].
À son retour de l'armée, Jean Meckert travaille un an dans une carrosserie et se marie. Ce mariage ne dure que quelques années. Il enchaîne alors divers petits métiers – vendeur de stylos sur la voie publique, photo minute dans les foires,bobineur, camelot, détective dans une agence de renseignements[7] – jusqu'à la déclaration de guerre en 1939[8].
C'est dans lesannées 1930 que Meckert a commencé à écrire, notamment cinq contes, en 1935, qu'il décrit comme des « histoire(s) authentique(s) », tirées de son expérience et largement autobiographiques[9]. Il rédige également des pièces de théâtre et un roman,Les Coups, en 1936. Trois ans plus tard, Meckert envoie un premier essai,Message livide, àGeorge Duhamel. Ce dernier le juge trop hybride (entre le récit et l'essai) et d'une écriture trop influencée parLouis-Ferdinand Céline[10].
L'expérience de la guerre et premières publications (1939-1945)
Jean Meckert est mobilisé le dans la cinquième compagnie duGénie, section deBouzonville enMoselle. Il consigne dans un cahier les déplacements de son régiment durant la « drôle de guerre », dont la mission est de récupérer du matériel sur la ligne de chemin de fer longeant le front[11]. Capturé par l'armée allemande, il est interné enSuisse avec 38 000 soldats français, d'abord àBaden, puis àMoosleerau[12].
De retour en France en, Meckert passe différents concours, avant d'être finalement admis aux écritures dans les bureaux de l'état civil à la préfecture de laSeine.
En, il envoieLes Coups, roman écrit en 1936, auxéditions Gallimard qui le publient en. Cette histoire de Félix, manœuvre dans une entreprise mécanique qui« essaie d'expliquer son désarroi, désarroi d'être incompris, de mal comprendre »[13], et finit par battre sa femme, est saluée par la critique, notamment parAndré Gide[14],Henri Poulain[15] etRaymond Queneau, et devient un succès commercial, la première édition étant rapidement épuisée.
Abandonnant son métier pour se consacrer à l'écriture, Meckert rédige dans la fouléeL'Homme au marteau, que fait paraître Gallimard en 1943[16]. C'est pendant cette période que Jean Meckert, à l'instar d'unLéo Malet, publie une vingtaine de livres sous le pseudonyme deDuret, nom de jeune fille de sa mère.
Alors que son troisième roman,La Lucarne, est publié en 1945, Jean Meckert signe en avec Gallimard un contrat pour la publication deLa Marche au canon, prévue pour l'été. Cependant, l'opposition deRoger Martin du Gard, qui affirme que« Meckert a trop de talent et de personnalité dans le talent, pour qu'on le laisse se couler en publiant cela », bloque le projet[17]. Dans les années qui suivent, Meckert modifie à de nombreuses reprises son manuscrit (ajout de chapitres, modification du temps de narration). Mais Gallimard le refuse à nouveau en 1955[18].
En effet, si cet éditeur continue à publier des romans de Meckert (Nous avons les mains rouges en 1947 etLa Ville de plomb en 1949), le succès n'est plus là. C'est d'ailleurs à partir de 1946 que Meckert cesse d'écrire sous pseudonyme sesromans populaires.
La rencontre avec Marcel Duhamel : la naissance d'Amila (1950-1970)
À la demande deMarcel Duhamel, Jean Meckert écrit un roman noir dans laSérie noire,Y'a pas de Bon Dieu !, publié en 1950 sous le pseudonyme de John Amila, diminutif de Amilanar, que l'auteur avait proposé et qui signifie « effronté » enespagnol ou l'« AmiAnar(chiste) ». Il devient ainsi le deuxième Français a écrire dans la collection, aprèsSerge Arcouët (sous le pseudonyme deTerry Stewart). L'édition originale deY'a pas de Bon Dieu ! indique« adapté de l'américain par Jean Meckert »[19]. Les cinq premiers titres parus enSérie noire sont signés John Amila, puis les suivants Jean Amila, car« c'est devenu Jean, après, parce que je... ne suis pas américain »[20].
Il publie en 1971La Vierge et le Taureau, dans lequel il dénonce l'administration coloniale française et lesexpérimentations nucléaires enPolynésie, après avoir séjourné àPapeete l'année précédente afin de faire des repérages pour un film avec André Cayatte qui ne verra jamais le jour. Profondément antimilitariste, ce romanpamphlétaire dénonce lenéocolonialisme de la France, l'armée et les services secrets français.
En sortant des studios de l'ORTF en, Jean Meckert est agressé par des inconnusrue de Belleville. Une théorie souvent relayée évoque la possibilité de représailles à la suite de son livreLa Vierge et le Taureau, qui remet en cause la nécessité desessais nucléaires français dans lePacifique[21]. L'éditeur, les Presses de la Cité, retire d'ailleurs cet ouvrage de la vente. Les médecins de laPitié-Salpêtrière, où Meckert est soigné, diagnostiquent plutôt des crises d'épilepsie. Devenu en partieamnésique à cause des coups reçus[22], assommé par legardénal, l'écrivain entre dans une longue période dedépression. Alors que sa mère et sa sœur décèdent au début desannées 1980, que sa femme le quitte, et qu'il s'est retiré àLorrez-le-Bocage-Préaux, Jean Meckert rédige unrécit autobiographique en 1985, qui reprend de nombreux textes écrits au cours de sa vie. IntituléComme un écho errant, l'ouvrage relate à la troisième personne les souvenirs de sa jeunesse en guise de thérapie. Les éditions Gallimard reçoivent le manuscrit en 1986, mais le refusent. Il sera publié de manière posthume, en 2012, par Joseph K. Éditions.
C'est sans doute le dernier livre que Meckert soumet à un éditeur, puisque ses derniers romans policiers, sous le pseudonyme de Jean Amila, sont publiés entre 1981 et 1985 (Le Pigeon du Faubourg en 1981,Le Boucher des Hurlus en 1982,Le Chien de Montargis en 1983 etAu balcon d'Hiroshima en 1985). À propos de ce dernier roman, il explique que« Hiroshima annonce l'époque où le monde entier est à la merci d'une caste qui peut disposer de la vie de milliards d'hommes. C'est contre ça que j'essaie de me battre, même en écrivant des romans noirs »[23].
« Je suis un ouvrier qui a mal tourné... je me suis mis à raconter des histoires populistes d'abord, puis, dans ce langage qui était le mien, j'ai raconté des histoires noires. »
Pendant de longues années, l'œuvre de Jean Meckert a sombré dans l'oubli.
Des auteurs de romans policiers reconnaissent pourtant leur filiation avec Jean Meckert. C'est le cas deDidier Daeninckx qui lui rend hommage dansNazis dans le métro (1996) – où André Sloga, écrivain et homme libre de 78 ans est tabassé dans un parking, et se réveillera avec un trou de mémoire – et dans12, rue Meckert (2001). De même,Patrick Pécherot situe l'action deTiuraï (1996) à Papeete et a pour objet les expérimentations nucléaires sur lesquelles enquête le journaliste Thomas Mecker, que l'on retrouve dansTerminus nuit (1999)[24].
En 1993,Jean-Jacques Pauvert réédite au Terrain vague le premier livre de Jean Meckert,Les Coups, avec une postface deAnnie Le Brun. Puis à partir de 2005, la collection Arcanes des éditionsJoëlle Losfeld réédite peu à peu ses romans, ce qui permet de le redécouvrir. Cependant, la majeure partie de son œuvre est indisponible, notamment ses romans policiers, car seul un petit nombre a été réédité dans la collectionFolio policier par Gallimard.
1985 :Pitié pour les rats, téléfilm français réalisé parJacques Ertaud et diffusé sur TF1 dans le cadre de la série téléviséeSérie noire, saison 1, épisode 10 (adaptation du roman éponyme)
1985 :La Lune d'Omaha, téléfilm français réalisé parJean Marbœuf et diffusé sur TF1 dans le cadre de la série téléviséeSérie noire, saison 1, épisode 15 (adaptation du roman éponyme)
↑À la suite de la parution de son romanLe Boucher des hurlus en 1982, Jean Meckert accréditera auprès des journalistes la légende d'un père fusillé pour l'exemple lors des mutineries de 1917, ce qui explique que sa notice biographique ait longtemps comporté cet élément fictif (Jean Tulard (dir.),Le Dictionnaire du roman policier, 2005).
↑"Meckert / Amila. En noir et blanc. Entretien de Franck Lhomeau avec Jean Lebras",Temps Noirs,no 15, juin 2012,p. 155-184,
↑Selon le témoignage de Jean Meckert dans le quotidienAujourd'hui (28 janvier 1942) etLe Figaro (17 mars 1942).
↑Le romanLa Lucarne (publié en 1945), dont le protagoniste, Édouard Gallois, est vendeur de cravates devant l'usineRenault est largement autobiographique et dévoile les années 1930 de Jean Meckert.
↑Parmi ces contes,Abîme,Bon Samaritain etUn meurtre sont publiés pour la première fois en 2012 (Abîme et autres contes inédits, Joseph K.)
↑Les carnets de ses souvenirs de guerre, plusieurs fois remaniés, sont publiés sous le titre deLa Marche au canon en 2005 par les éditions Joëlle Losfeld qui marque la réédition des œuvres de Jean Meckert.
↑Selon la présentation de Jean Meckert dansCahiers des éditions NRF de février 1942.
↑Dans un papier duFigaro Littéraire intitulé "Interview imaginaire. Aux grands mots les petits remèdes II", publié le 2 juin 1942.
↑Je suis partout, 4 février 1942, p.6 : "Les Coups sont l'un des meilleurs romans de débutant parus depuis l'Armistice... Le mérite de cet ouvrage c'est moins son style résolument inspiré par Céline - mais la musique d'ouragan du génial Ferdinand ne s'imite pas - que certains tableaux d'une exacte vérité sur la bêtise parlante des apprentis bourgeois, avides de s'ennuyer au bal de l'Opéra-Comique, phraseurs aussi vides que satisfaits."
↑Comme pourLa Marche au canon, le narrateur deL'Homme au marteau est Augustin Marcadet. Travaillant dans l'administration, Marcadet quitte son métier et se trouve confronté au chômage et aux petits boulots, dissimulant cette situation à sa femme.
↑Lettre deRoger Martin du Gard à Gallimard du 27 février 1946, citée dans "Meckert / Amila. En noir et blanc",Les Temps Noirs, juin 2012 (page 171).
↑La Marche au canon ne sera publié qu'après la mort de Jean Meckert, en 2005.