Jacques Villeglé est né dans une famille d'ancienne bourgeoisie : la famille Mahé de La Villeglé, originaire deBretagne. Elle est issue de Maître Charles (I) Mahé, sieur de Saint-Michel (1622-1668), notaire et procureur àMoncontour (Côtes-d'Armor)[2].
Charles (II) Mahé, sieur des Perrières et du Bourblanc (1652-1720), était procureur, notaire et syndic de la ville de Moncontour.
Joseph Marie Julien Mahé, sieur des Perrières et du Bourblanc (1697-1760), était procureur, sénéchal du Colombier enHénon.
Jacques Mahé de La Villeglé est le fils d'Yves Mahé de La Villeglé, caissier à laBanque de France,médaille de la Résistance, et d'Elisabeth Gaultier de Carville. Il épouse Françoise de Faultrier.
Résidant avec sa famille rue Dauphine àSaint-Servan, aujourd'hui quartier deSaint-Malo, Jacques Villeglé étudie la peinture et le dessin à l'école des beaux-arts de Rennes où il fait la connaissance deRaymond Hains (1945), avec qui il liera une complicité définitive. Il travaille quelque temps chez un architecte, où il se familiarise avec les questions d'urbanisme et d'espace public, avant d'étudier l'architecture auxbeaux-arts de Nantes (-). Dès 1947, il se met à récolter àSaint-Malo des débris duMur de l'Atlantique, qu'il regarde comme des sculptures[4].
De 1950 à 1954, il réalisePénélope, film conçu parRaymond Hains qui restera inachevé. Sur les déchets des pellicules surexposées, avec de l'encre de Chine grasse, qui craquellera en séchant, Villeglé, suivant son habitudead-hociste, fera des graffiti. Ce qui en a subsisté, monté en 1980 parJean-Michel Bouhours, sera diffusé par leCentre Georges-Pompidou sous le titre « Paris - Saint-Brieuc 1950-1952 »[5].
Il a créé une œuvre sur l'un des murs de lapiscine Molitor située dans le16e arrondissement de Paris[8]. Pour la cinquième édition de Lille Art Fair, il était l'invité de l'exposition organisée du 12 au au Grand Palais[9].
Depuis 1957, date de sa première exposition à la galerieColette Allendy (Paris)[10], l'œuvre sélective de Villeglé a fait l'objet de plus de 200 expositions personnelles en Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique. L'artiste a participé à des manifestations collectives sur les cinq continents.
En 2016, une de ses œuvres,,, est présentée dans le contexte de l'exposition « Jacques Chirac ou Le dialogue des cultures » aumusée du Quai Branly - Jacques-Chirac.
En, à l’occasion de laFoire internationale d'art contemporain (FIAC) à Paris, il est invité à inscrire une phrase au sol de l’avenue Winston-Churchill, rendue piétonne le temps de la foire[11]. Avec les lettres de son alphabet socio-politique, il écrit au pochoir, en blanc, sur le bitume, une phrase d’Henri Michaux :« L’art est ce qui aide à tirer de l’inertie[12] ».
À partir de avec Hains, Jacques Villeglé commence à récolter des affiches lacérées. Leur première affiche, « Ach Alma Manétro », est une œuvre commune[16]. Il limite son comportement appropriatif aux seulesaffiches lacérées. Pour lui, le véritable artiste est le « lacérateur anonyme », la collecte pouvant être effectuée par n'importe qui.
Il souhaite s’effacer derrière son œuvre, il aime ainsi citerAndré Breton disant qu'« un artiste doit vivre à l’ombre de son œuvre ».
Cette volonté explique le parti pris par Jacques Villeglé de titrer ses œuvres du lieu et de la date de leur trouvaille[17],[18]. Et ceci depuis 1949[19], Villeglé s’en est expliqué dans son livre « Cheminement »[20]. Lors de leur première exposition chezColette Allendy en 1957, Hains et Villeglé décident de ne pas mentionner leurs noms sur les cartels.« Le titre de l’affiche, ses dimensions, sa date nous suffisaient[21] », explique-t-il.
Dans sa dernière période, Jacques Villeglé ajoutera, presque systématiquement, à ses titres, les noms des musiciens, ou d’autres éléments visibles sur les affiches restant toujours ainsi dans le domaine concret.
Toujours dans l’idée de s’effacer, ce n’est pas la date de son intervention sur l’affiche que Jacques Villeglé choisit de prendre en compte, mais celle de son arrachage[22]. Son intervention se borne à son cadrage, c’est-à-dire un découpage dans l’affiche arrachée, celui-ci pouvant être rectangulaire, carré, mais aussi rond, en forme de losange… (par exemple :Quai Marcel Boyer,, diamètre 150 cm).
Poussant encore plus loin l’idée de l’effacement de l’artiste, il ne signe ses œuvres que lorsqu’il les vend pour respecter les désirs d’une société qui veut posséder des valeurs patrimoniales et donc des œuvres signées[n. 1].
En, il adhère au mouvement desNouveaux réalistes créé sous l’égide du critique d’artPierre Restany. Il s’associe à ce groupe d’artistes composé deKlein,Arman,Dufrêne,Hains,Tinguely,Spoerri,Raysse, auxquels s’ajoutent en 1961César,Rotella,Niki de Saint Phalle,Deschamps. Ces artistes ont des pratiques très différentes mais perçoivent comme point commun une démarche d’appropriation directe du réel. Villeglé s’en distingue notamment par le caractère exclusif de l’objet choisi (l’affiche).
Il crée donc des œuvres à partir d'affiches lacérées par des passants anonymes ou abîmées par les conditions climatiques en les décollant de leur support dans la rue. Après avoir fait un choix dans les affiches ramassées, il opère dans l’affiche, comme un photographe, un cadrage, parfois, mais rarement, il recompose une affiche à partir de différents morceaux d’affiches, puis les maroufle sur toile et les signe lorsqu'il les cède. L'enjeu est bien de faire une œuvre populaire avec ces affiches de rue « reflets de la culture dominante ». Cette superposition, à travers les différentes affiches, révèle une infinité d'associations et de nouvelles significations. Son ouverture thématique est totale : des affiches lacérées monochromes, abstraites et lyriques, des images politiques protestataires (des affiches traitant de l'actualité comme la guerre d'Algérie avec des ajouts par les passants au marqueur ou à la bombe avec notamment le sigle des anarchistes, Giscard / Mitterrand 1974 ou 1981), des affiches marketing détournées, des affiches de spectacles ou des journaux remplis de graffitis (« L'Humanité c'est la vérité » en 1957).
En 1961, il créeCarrefour Sèvres / Montparnasse, une affiche lacérée aux couleurs éclatantes repérée par les Américains et permettra à l'artiste d'obtenir l'étiquette de précurseur dupop art. Il se différencie d'Andy Warhol ou deRoy Lichtenstein par l'importance accordée à la dimension formelle, aux qualités plastiques de l'affiche et non aux slogans et aux marques. Pour lui,« un artiste se doit d'apporter une nouvelle beauté ». La recherche sur la couleur est constante chez cet artiste :
« L'affiche, émanation de la propagande des pouvoirs politiques et financiers, c'est par les couleurs qui débordent des déchirures qu'elle devient fleur de la vie contemporaine, affirmation d'optimisme et de gaieté. »
Jacques Villeglé se transforme en archéologue de la rue en restituant une part de la mémoire collective dévolue à l'oubli ou à la destruction. Ses sources d'inspiration se multiplient avec l'émergence et le développement de la société de consommation avec la domination progressive de la publicité. Les affiches officielles ou sauvages sont d'une grande diversité formelle avec une large palette de couleurs. En utilisant ces affiches, il était nécessaire que le slogan soit illisible en retirant un mot, une lettre pour qu'il ne soit plus reconnaissable. Il ne s'agit pas de faire de la propagande mais de raconter des histoires. L'image doit devenir une œuvre avec des allusions commerciales ou politiques.
« Ravir, collectionner, signer des affiches lacérées, vivre chez soi avec elles, les exposer dans les galeries, les salons, les musées, ce n'est pas la mise en question de l'œuvre d'art au sens duready-made deMarcel Duchamp, mais bien une mise en question de l'artiste traditionnel et professionnel[23] ». Il remet en cause le statut de l’artiste et condamne le mythe de la création individuelle. Sa devise « Le ravir plutôt que le faire », le dispense du geste créatif purement personnel. Ces œuvres révèlent à quel point notre regard est conditionné par cet environnement visuel quotidien idéologiquement biaisé, et réactive notre mémoire de façon critique, mais aussi ludique.
Il intervient rarement sur les images trouvées. Il s'agit de révéler dans la superposition de différentes épaisseurs de papiers lacérés la beauté d'une forme, d'une couleur, d'une épaisseur de déchirures, d'une trace laissée par la main d'un anonyme avec un graffiti ou une écriture pour faire percevoir la dimension sauvage et réactive de la vie urbaine et civilisée. En prélevant les affiches dans la rue, il s'approprie ces « reflets de la culture dominante » et en révèle des composantes typographiques devenues abstraites. Pour l'artiste, la lacération transforme les mots et les images comme une écriture automatique. Ces œuvres sont la mémoire vivante de périodes dans leur déroulement et leur épaisseur illustrant la fuite de l'illusion urbaine de la vie exprimée sur les murs de lieux géographiques précis. Si Villeglé, en arrachant, dessine une carte de Paris, tel un artiste géographe[24], il précise néanmoins :« En prenant l'affiche, je prends l'histoire[25]. ». Peintre d'histoire donc l'affichiste ? L'artiste se joue des codes.
« Nous sommes saturés de communiqués, de lectures, d'humanisme. Vive le courant d'air de l'illisible, de l'inintelligible, de l'ouvert ! En écrivant Hepérile en mots inconnus, je criais organiquement sans référence au vocabulaire- cette police des mots… Aujourd'hui, grâce àRaymond Hains et à Jacques Villeglé, les deux Christophe Colomb des "ultra-lettres", voici le premier livre heureusement illisible… Hepérile éclaté, nouveau degré poétique, fait réapparaître le non-humain inexplicable à travers le machinisme dépassé… le premier poème à dé-lire. »
En 1958, il rédige une mise au point sur les affiches lacérées intitulée « Des réalités collectives », préfiguration du manifeste dunouveau réalisme ; il est considéré comme l'historien duLacéré anonyme, entité qu'il crée en 1959.
En, avec Raymond Hains, il fait la connaissance du poètelettristeFrançois Dufrêne, qui se met à travailler sur les affiches lacérées dont il interroge l'envers (les « dessous »). François Dufrêne les présente àYves Klein, puis àJean Tinguely et àPierre Restany. Après leur participation commune à la premièreBiennale de Paris, ils constituent en 1960 le groupe desnouveaux réalistes. En 1957, Villeglé fait la connaissance deGérard Deschamps qui expose à la galerieColette Allendy, et qui sera membre des nouveaux réalistes en 1961, au retour de son service militaire.
Si Jacques Villeglé est féru du monde des images, il témoigne aussi d'un grand intérêt pour la typographie, la recherche graphique et la poésie. Releveur de traces de civilisation, plus particulièrement lorsqu'elles sont anonymes, Villeglé imagine, à partir de 1969, un « alphabet socio-politique » en hommage àSerge Tchakhotine, auteur en 1939 d'un essai intituléLe Viol des foules par la propagande politique. La création de son Alphabet socio-politique débute avec le repérage en 1969 d'un graffiti particulier sur un mur de métro. Le nom de Nixon est composé de la lettre N avec trois flèches qui renvoient à l'ancien parti socialiste, le I rappelle la croix de Lorraine, le X est une croix gammée et le O est un cercle enfermant une croix celtique. Les lettres de son alphabet sont transformées par des signes porteurs le plus souvent de sens totalitaire ou autoritaire, deux D accouplés forment le support de la croix celtique, le V est porteur de la croix de Lorraine, le F se mue en svastika, etc., interrompant à étapes régulières l'épellation par le signe $. Il affiche son invention telle quelle ou l'applique à la bombe, Alphabet guérilla, (1983), Il introduit de plus en plus de figures dans son alphabet et s'intéresse depuis 2010 à la cryptographie.
En 2014, Jacques Villeglé réalise avec Cristel Éditeur d'Art la sculptureSaint-Malo, là où tout a commencé.... Un bronze original et muséal tiré à 12 exemplaires pour rappeler que c'est en, chaussée des corsaires, que l'artiste a jeté les bases de son œuvre. Soixante-sept années plus tard, il boucle ainsi la boucle avec une sculpture énigmatique, marquant non seulement l’idée de la ville et de la mer, mais aussi la présence des hommes, des signes et des symboles qui ont personnifié l'ensemble de son action artistique[27].
En 2019, Jacques Villeglé réalise la sculptureLumière noire. Il s'agit d'un bronze parallélépipédique patiné à la main, tiré à 8 exemplaires (+ 4 épreuves d'artiste). Chaque face utilise l'alphabet socio-politique de l'artiste ainsi que lacryptographie pour révéler un message[28].
Le lieu d'art contemporain de la ville deSaint-Gratien (95) porte depuis le son nom (espace Jacques-Villeglé).
L’Éclatement des célestins, œuvre de 1964 a inspiré les physiciens Eugenio Hamm (université de Santiago), Pedro Reis (MIT) et Benoît Roman (ESPCI ParisTech) qui ont publié une étude des motifs des affiches arrachées dans la revue scientifiqueNature en 2008[29].
Décentralisation, Lille, 1991 — Paru à l'occasion d'une exposition à la Galerie Épreuve d'Artiste, ce livre présente les documents offset d'affiches lacérées prélevées à Lille dont certains détails sont repris en sérigraphie suivis d'un texte calligraphié par l'artiste.
Un homme sans métier, collection « L'art en écrit », éditions Jannink, Paris, 1995.
Benjamin Péret,Le Déshonneur des poètes, suivi de « Péret/Villeglé. En dehors de toute préoccupation esthétique ou morale » parDominique Dussol, Centre d'art contemporain Istres-Ouest, 2004 — ouvrage composé par Jacque Villeglé en Socio-Politique corps 8 et en Times corps 9,5 par les Ateliers d'Aquitaine à Calignac à l'occasion de l'exposition de l'artiste « L'art est fait par tous et non par un » au centre d'art contemporain Istres-Ouest Provence.
Bas de casse, poèmes deTita Reut sur des affiches lacérées originales de Villeglé, Les Éditions de l’Ariane, 2006.
Voyou des voyelles, caractères socio-politiques, pochoirs, tampons et fragments d’affiches originaux accompagnant les poèmes de Tita Reut, Les Éditions de l’Ariane, 2008.
Jacques Villeglé. Artiste et démiurge, portfolio tiré à 250 exemplaires rassemblant une estampe originale de Jacques Villeglé et un livret biographique de Christophe Penot numérotés et signés à la main par l’artiste et l'auteur, Cristel Éditeur d'Art, 2014.
Jacques Villeglé. La Comédie Urbaine, textes de Sophie Duplaix, Laurence Bertrand-Dorléac, Roxane Jubert, Catherine Francblin, Fanny Schulmann, Arnaud Labelle-Rojoux, Rita Cusimano, Éditions du Centre Pompidou, 2008.
Jacques Villeglé. Alphabet socio-politique, textes d’Arnaud Labelle-Rojoux, Jacques Villeglé,Musée Sainte-Croix, Poitiers-Calignac, éditions Vers les arts, 2003.
↑Cette règle ne s’applique qu’aux affiches lacérées, elle ne s’applique pas pour les multiples, à la demande de ses galeristes et éditeurs, ni aux dessins, estampes…
↑ab etcL'expression« Atelier d'Aquitaine » désigne pour lui un atelier utilisé entre 1997 et 2012 et situé àCalignac enLot-et-Garonne, ainsi qu' une thématique de ses œuvres, selon un classement par origine géographique[34].
↑Jacques Villeglé – Pierre Restany, un demi-siècle de jeu existentiel dans l’art, Entretien de Jacques Villeglé par Henry Périer, catalogue de l'exposition Jacques Villeglé au musée d’art contemporain de Marseille [mac], 2012