Considéré comme un pionnier de laméthode scientifique et le fondateur de l'optique moderne[7], il s'illustre par ses travaux novateurs dans toutes les branches de l'optique[8], principalement en optique géométrique et physiologique[9].
Il a également apporté des contributions notables dans le domaine des mathématiques qui représentent près de la moitié de ses travaux et en astronomie[10]. Il a contribué à l'introduction du langage mathématique dans les sciences physiques[11].
Alhazen est né vers965 àBassora dans l'actuelIrak où il reçut une éducation qu’il compléta cependant dans la ville deBagdad. À l’époque, Bassora était sous le contrôle de la dynastie desBuwayhides qui régnèrent sur laPerse. C’est pourquoi il est parfois mentionné sous le nom d’al-Bassri, bien que cette version ne soit pas acceptée par tous.
Alhazen commença sa carrière de scientifique dans sa ville natale de Bassorah. Il fut cependant convoqué par le califeHakim qui voulait maîtriser les inondations duNil qui frappaient l’Égypte année après année. Après avoir mené une expédition en plein désert pour remonter jusqu’à la source du fameux fleuve, Alhazen se rendit compte que ce projet était pratiquement impossible. De retour auCaire, il craignait que lecalife qui était furieux de son échec ne se vengeât et décida donc de feindre la folie. Il fut alors assigné à résidence[12].
Il profita de ce loisir forcé pour écrire plusieurs livres sur des sujets variés comme l’astronomie, lamédecine, lesmathématiques, laméthode scientifique et l’optique. Près de 200 ouvrages ont été attribués par les biographes mais une soixantaine nous est parvenue[13]. Peu de ces ouvrages, en effet, ont survécu jusqu’à nos jours. Quelques-uns d'entre eux, ceux sur la cosmologie et ses traités sur l’optique notamment, n’ont survécu que grâce à leur traduction latine.
Après la mort du calife Hakim, en 1021, Alhazen cessa de feindre sa folie et put sortir de sa résidence. Il en profita donc pour entreprendre quelques voyages, notamment enAl-Andalus (nom donné, à l'époque, à l'Espagne musulmane)[14]
Dans l'introduction de ses ouvrages (Traité d'optique etDoutes sur Ptolémée) il expose ce qui représente pour lui la démarche scientifique faite d'expérimentations et de doutes.
« La vérité est recherchée pour elle-même...Ce n'est pas celui qui étudie les livres de ses prédécesseurs et laisse libre cours à sa disposition naturelle à les considérer favorablement, qui est le chercheur de vérité. Mais plutôt celui qui pense à eux et est rempli de doutes, celui qui suit la preuve et la démonstration plutôt que l'affirmation d'un homme dont la disposition naturelle est caractérisée par toutes sortes de défauts et de lacunes. Une personne qui étudie les livres scientifiques en vue de connaître la vérité, devrait se transformer en un critique hostile de tout ce qu'il étudie... Il devrait le critiquer à tous les points de vue et sous tous ses aspects. Et engagé ainsi dans l'esprit critique, il devrait aussi se méfier de lui-même et ne pas se permettre d'être laxiste et indulgent envers l'objet de sa critique. S'il s'engage dans cette voie, la vérité lui sera révélée et les failles... dans les écrits de ses prédécesseurs ressortiront clairement. »
— Doutes sur Ptolémée - Introduction (traduction deShlomo Pinès)[15]
Les travaux d'Alhazen sont multiples, ils touchent l'optique, mais également les mathématiques et l'astronomie. Savant ayant assis sa réputation dans le monde arabe médiéval, il est également connu en Europe à travers les traductions en latin, hébreu et italien de ses travaux en optique et astronomie[10].
Alhazen a réalisé une profonde réforme dans le domaine de l'optique, en en faisant un sujet relevant de plusieurs sciences (physique, mathématiques, physiologie, psychologie)[16].
Dans sonTraité d'optique, il étudie autant les conditions de propagation de la lumière que les conditions de la vision des objets[16].
La lumière se déplace en ligne droite, à vitesse variable selon les milieux traversés, et s'affaiblit avec la distance. Elle irradie à sa source et un objet éclairé irradie aussi de la lumière dans toutes les directions (lumière seconde). Il définit avec précision les lois de laréflexion et tente de faire de même pour celles de la réfraction mais sans reprendre lesrésultats obtenus parIbn Sahl[17].
La couleur est une propriété interne d'un objet qui est activée quand il est éclairé et elle se déplace alors selon les mêmes lois que la lumière[18]. Cette conception de la couleur explique son échec relatif à traiter correctement de l'arc-en-ciel, étude qui sera réalisée avec succès par son commentateur Kamāl al-Dīn al-Fārisī[19]
La vision naturelle s'effectue au moyen des deux yeux. Reprenant les travaux de Ptolémée, Ibn al-Haytham étudie les conditions de fusion des images binoculaires à l'aide d'une tablette expérimentale[20]
La vision est produite par des rayons pénétrant dans l’œil (théorie de l'intromission). L’œil est seulement un instrument d'optique chargé de reproduire l'image selon les lois de l'optique géométrique. Mais l'interprétation de l'image est une activité cérébrale faisant intervenir reconnaissance, comparaison, discernement, jugement et inférence[21] conduisant parfois à des erreurs d'interprétation.
Ces études l'amènent à s'intéresser à l'illusion lunaire : pour lui, le fait que la lune semble plus grosse à l'horizon est principalement dû à une erreur d'interprétation du cerveau[22].
Il valide presque systématiquement ses hypothèses à l'aide d'expériences ce qui en fait un précurseur dans la mise en pratique de laméthode scientifique. À cette occasion, il fait un usage fréquent de lachambre noire. Dans son traité surLa forme de l'éclipse, il l'utilise comme unsténopé et donne une étude mathématico-expérimentale complète des images qui apparaissent à l'intérieur de la chambre[24],[25].
Mais, le traitéSur le Crépuscule et l'Aube dans lequel il est établi que l'aube et le crépuscule correspondent à un passage du soleil à 19° sous l'horizon et où est fixée l'épaisseur de l'atmosphère terrestre à 52 000 pas, attribué jusqu'en 1967 à Alhazen, est en réalité l'œuvre d'un mathématicien andalou duXIe siècle,Abū ʿAbd Allāh Muḥammad Ibn Muʿādh[26].
Son champ d'étude est principalement la géométrie et non l'algèbre. Il se situe dans l'héritage desfrères Banou Moussa etThābit ibn Qurra, il s'intéresse aux transformations géométriques et à la projection[10]. Concernant les fondements de la géométrie, il s'interroge sur l'existence des objets manipulés[27] et tente de démontrer lecinquième postulat d'Euclide, utilisant pour ce faire un quadrilatère à trois angles droits (quadrilatère de Lambert)[28].
Exploitant le système de calcul d'aires et de volumes mis en place parThābit ibn Qurra et s'appuyant sur ce qui deviendra lessommes de Riemann, il reprend le calcul du volume duparaboloïde de révolution déjà trouvé par Thabit ibn Qurra puis s'intéresse au solide engendré par la rotation d'un segment de parabole autour de son ordonnée (droite perpendiculaire à l'axe de la parabole et passant par l'extrémité de l'arc de parabole) et démontre que son volume est égal à8⁄15 du volume du cylindre circonscrit[29] . Il s'intéresse également au calcul d'aire deslunules[30].
Travaillant sur la sphère, il s'attaque aux problèmes d'isopérimétrie et d'isosurface, faisant dans ces domaines des avancées qui ne seront pas égalées durant plusieurs siècles[16]. Il met en place à cet effet une notion d'angle solide[31] et travaille sur les figures géométriques dessinées sur une sphère[32].
Concernant lesconiques, il reprend les travaux d'Apollonius et use d'intersections de coniques pour résoudre des problèmes non constructibles à la règle et au compas (construction de l'heptagone régulier,problème d'Alhazen). Il discute des conditions d'existence de ces intersections[16].
En théorie des nombres, il travaille sur un théorème nommé sept siècles plus tard "théorème de Wilson ". Il l'utilise dans la résolution d'unproblème des restes chinois[33] faisant intervenir un système de congruences :
oùp est premier etni inférieur àp.Sur lesnombres parfaits, il tente de démontrer la forme des nombres parfaits pairs[16]. Il connait également laméthode de Ruffini-Horner de recherche de racine, méthode héritée des mathématiques indiennes et pour laquelle il cherche à fournir une justification mathématique[34].
Sélection d'ouvrages:
Maqāla fī’l-taḥlīl wa‘l-tarkīb (Analyse et synthèse)
Kitāb fī al-ma ‘lūmāt (Sur les choses connues)
Sharḥ Uṣūl Uqlīdis fī ‘l-handasa wa ‘lʿadad wa talkhīṣuhu (Commentaires sur les Éléments d'Euclide)
Kitāb fī Ḥall shukūk Kitāb Uqlīdis fi ‘l-uṣūl wa-sharḥmaʿānīh (Résolution des doutes sur Euclide)
Ses travaux en astronomie sont également notables, en particulier son livreDoutes sur Ptolémée dans lequel il remet en question son modèle astronomique mais aussi sa théorie sur l'optique[35]. Il corrige les travaux dePtolémée sur le diamètre apparent du soleil[36], remet en question la position de la Terre par rapport à un centre supposé de l'univers, la méthode de calcul de Ptolémée sur l'inclinaison, son modèle lunaire qui lui semble s'appuyer sur des prémisses contradictoires. C'est la même objection qu'il fait sur le modèle ptolémaïque des planètes extérieures et le problème de l'équant, dans lequel Ptolémée utilise une rotationuniforme d'une sphère autour d'un axe qui n'est pas un diamètre, mouvement qui semble à Ibn al-Haytham en contradiction avec le monde physique réel[37]. Ce sont donc les contradictions internes du modèle de Ptolémée qui poussent Ibn al-Haytham à mettre en doute sa validité :
« Ptolémée fait l'hypothèse d’un ordre qui ne peut exister, et le fait que cet ordre reconstitue pour son imagination des mouvements qui sont ceux des planètes ne l’exonère pas de l'erreur qu’il a commise en faisant l’hypothèse de cet ordre ; car les mouvements réels des planètes ne peuvent résulter d’un ordre qui n'existe pas[38]. »
Cette remise en question va ouvrir le champ aux études postérieures de l'école de Maragha et à la proposition de modèles alternatifs[39]. Un des fondateurs de cette école,al-Urdi, reconnaît d'ailleurs la dette qu'il a envers l'ouvrage d'Ibn al-Haytham[40].
Au début duXXIe siècle, un ouvrage récemment découvert (traité surLe Modèle des Mouvements) permet de cerner sa vision de la cinématique céleste[41]. Il y présente un des premiers modèles planétaires non ptolémaïque. Il s'agit d'une proposition étrangère auxpréoccupations cosmologiques de son temps , car elle présente unecinématique céleste purementgéométrique ; mais elle suscite diverses innovations degéométrie infinitésimale[41]. Ce nouveau modèle rejetteéquants[42] etcercles déférents[43], extrait l’astronomie de laphilosophie naturelle, délivre la cinématique céleste de la cosmologie, et abstrait les entités physiques en entités géométriques. Il fait aussi intervenir unerotation de la Terre autour de l'axe des pôles[44] et considère les centres des orbites comme des points géométriques sans signification matérielle particulière, comme le fera des siècles plus tardJohannes Kepler[45]. Alhazen développe également une version primitive du « rasoir d'Ockham », en tâchant de faire le minimum d'hypothèses sur les propriétés caractéristiques des mouvements astraux, dans la mesure où il essaye d’éliminer de son modèle planétaire leshypothèses cosmologiques qu'on ne peut observer de laTerre[46].
Il a écrit également un ouvrage d'astronomie et de trigonométrie sphérique[47] sur la détermination de laqibla (direction de la Mecque).
En relation avec l'optique et l'étude de la lumière, Alhazen a rédigé un traité intituléMaqala fi daw al-qamar (Sur l’éclat de la Lune) certainement avant 1021. Il y dément l'opinion, jusqu'alors reçue, selon laquelle laLune réfléchirait lalumière du Soleil comme unmiroir et conclut qu'elle émet plutôt « de la lumière par les portions de sa surface que la lumière duSoleil frappe. » Pour démontrer que « la lumière est émise depuis chaque point de la surface illuminée de la Lune », il fabrique un « ingénieuxdispositif expérimental ». Alhazen a « formulé une conception claire des rapports entre un modèle mathématique idéalisé et la complexité des phénomènes observables». En particulier, pour montrer que l’intensité de la tache de lumière projetée sur un écran par la clarté lunaire à travers deux petitsdiaphragmes diminue constamment lorsque l'on referme régulièrement l'un des deux diaphragmes, il conçoit une expérience dans laquelle il fait varier de façon uniforme et reproductible les conditions expérimentales[49].
Alhazen a aussi réfuté les idées d’Aristote concernant la nature de laVoie lactée[50]. Aristote croyait qu'elle résultait de « l’ignition d'exhalaisons violentes de nombreuses étoiles de grande taille serrées les unes contre les autres » et que « l’ignition a lieu dans la partie supérieure de l’atmosphère, dans la sphère sublunaire, une région de l'univers qui touche à la sphère céleste des fixes[51]. » Alhazen réfute cette opinion en entreprenant de mesurer laparallaxe de la Voie lactée[52] et peut ainsi établir que,« puisque la Voie lactée ne présente aucune parallaxe, elle est extrêmement éloignée de laTerre et ne peut donc appartenir à l’atmosphère »[53].
Alhazen fut l'un des premiers à se servir d’une méthode d’analyse scientifique et influença grandement des scientifiques commeRoger Bacon etKepler.
LeDe Aspectibus est mentionné parBartholomeus Anglicus dansDe proprietatibus rerum (1254) puis parBacon dansDe scientia perspectiva (1265). Alhazen est mentionné par Jean de Meung dansLe Roman de la Rose (vers 1270). L'ouvrage original d'Alhazen est traduit en italien vers 1350. Sa théorie a influencé le travail de la lumière et des reflets dans les tableaux deJan van Eyck[54]. Sa théorie atteint une diffusion plus large en Europe avec la traduction latineDe perspectiva deVitellion[55].
Il est cité par le docteurPierre Amalric, chercheur en ophtalmologie, pour avoir noté quetoute lumière directe blesse l'œil, prouvant ainsi qu'elle est étrangère à l'individu, et donné du crédit à la vieille croyance populaire selon laquelleon ne peut regarder Dieu et le Soleil en face[56].
« It seems to have been under the influence of the Fatimid proselytizing mission (...) that white became [its dynastic] color, in deliberate opposition to the black of the Abbasid establishment. »
« C'est apparemment sous l'influence de la mission de prosélytisme fatimide (...) que le blanc est devenu [sa] couleur [dynastique], en opposition délibérée au noir de l'établissement abbasside. »
↑Abū ʿAlī al-Ḥassan ibn al-Ḥassan ibn al-Haytham (enpersanابن هیثم, enarabeابو علي، الحسن بن الحسن بن الهيثم), aussi connu parfois sous le nom d'Al-Hassan et, sousforme latinisée, d'Alhazen.
↑(en)Shlomo Pinès,Collected works of Shlomo Pines: Studies in Arabic Versions of Greek texts and in Medieval Science,vol. 2, Brill,(présentation en ligne),p.547-548 (traduction en anglais deShlomo Pinès :Truth is sought for its own sake...It is not the person who studies the books of his predecessors and gives a free rein to his natural disposition to regard them favourably, who is the seeker after truth. But rather the person who is thinking about them [and] is filled with doubts(...) who follows proof and demonstration rather than the assertion of a man whose natural disposition is characterised by all kind of defects and shortcomings. A person who studies scientific books with a view to knowing the truth, ought to turn himself into a hostile critic of everything that he studies ...He should criticize it from every point of view and in all its aspects. And while thus engaged in criticisme he should also be suspicious of himself and not allow himself to be easygoing and indulgent with regard to the object of his criticism. If he takes this course, the truth will be revealed to him and the flaws ... in the writings of his predecessors will stand out clearly.)
↑DominiqueRaynaud, « Ibn al-Haytham sur la vision binoculaire: un précurseur de l’optique physiologique »,Arabic Sciences and Philosophy,vol. 13,,p. 79-99
Le traité d'optique de Vitellion fut imprimé en 1535, réimprimé en 1551 ; une traduction latine de l'optique d'Alhazen parut sous le titreDe aspectibus en 1572. Roger Bacon et Vitellion avaient fait connaître les idées d'Alhazen dès leXIIIe siècle, sans traduire exactement son livre.
Le livre sur l'analyse, trad. A. Djebbar et K. Jaouiche, Berlin, Birkhaüser, 2001.
Perspective, trad. partielle en an. A. Mark Smith,Alhacen's Theory of Visual Perception, Philadelphie, 2001, 2 t.
Épître sur la forme de l'éclipse, ed. et trad. D. Raynaud,A Critical Edition of Ibn al-Haytham's On the Shape of the Eclipse. The First Experimental Study of the Camera Obscura, Cham: Springer International, Sources and Studies in the History of Mathematics and Physical Sciences, 2016.
Épître sur les miroirs ardents, trad. an. R. M. Ehsan Elahie, in H. M. Said,Ibn al-Haitham: Proceedings of the Celebration of 1000th Anniversary, Karachi, 1970.
Les configurations coniques, trad. an. J. P. Hogendijck,Ibn al-Haytham's Completion of the Conics, New York, Springer Verlag, 1985.
Pierre Amalric, « Mythes et réalités de la lumière »,Société française d'Histoire de la Médecine et de la Société d'Histoire de la Pharmacie au Val-de-Grâce,,p. 131-141(lire en ligne, consulté le).