Le mouvementhippie, également appelé en Francemouvement baba-cool, est un courant decontre-culture apparu dans lesannées 1960 auxÉtats-Unis, avant de se diffuser dans le reste du monde occidental. Les hippies, issus en grande partie de la jeunesse nombreuse dubaby boom de l'après-guerre, rejetaient les valeurs traditionnelles, le mode de vie de la génération de leurs parents, en majorité des classes moyennes, et lasociété de consommation. L'épicentre du mouvement se trouvait àSan Francisco, théâtre duSummer of Love de l'été 1967.
Le désir de s'émanciper de la culture occidentale et de s'ouvrir à d'autres cultures, dont celles des Amérindiens, pour accéder à la fois à une nouvelle compréhension du monde et à de nouveaux modes de vie et d'expression artistique les mena à expérimenter les perceptions sensorielles et les états de conscience modifiés dupsychédélisme. Dans leurscommunautés, ils espéraient vivre librement, dans des rapports humains qu'ils voulaient plus authentiques et non possessifs. En rupture avec les normes des générations précédentes, le mouvement a eu une influence culturelle majeure, en particulier dans ledomaine musical. La diffusion d'une partie des valeurs issues de ce courant a accéléré l'évolution des mœurs de la société occidentale dans son ensemble, même si le mouvement lui-même a perdu progressivement de son ampleur.
Le lexicographeJesse Sheidlower, principal éditeur américain de l’Oxford English Dictionary, considère que les termeshipster ethippie dérivent du mothip, dont l'origine est floue. Cependant, selon lui, le termehippie trouverait son origine dans un vocable africainhip, dérivé du termewolofhipi signifiant « ouvrir les yeux »[1], également repris dans le mot afro-américainhipster, forgé par Harry Gibson en 1940[2] et désignant les amateurs blancs de jazzbebop desannées 1940. Il pourrait être également unjeu de mots avechype signifiant « décontracté, branché, dans le coup ». Comme lehipster, le hippie se montre « cool »[3].
SelonMalcolm X, dans son autobiographie publiée en 1964, le mot hippie était utilisé dans les années 1940 dans le quartier noir de Harlem pour désigner un certain type de blancs qui se comportaient comme « plus nègres que les nègres »[4]
Une origine connexe du terme parfois donnée est une dérivation de l'acronymeH.I.P., faisant référence auHaight-Ashbury Independent Property, une association de bailleurs et de commerçants de ce quartier, plus bienveillante que laHaight-Ashbury Merchants Association, mais aussi inquiète de la mauvaise réputation qui menaçait le quartier, et qui s'organisa en conséquence pour faire campagne afin d'en préserver l'attractivité commerciale et locative au moment de l'affluence déjà observable dans un quartier voisin, debeatniks, alors très vite rebaptiséshippies, et constituant l'essentiel de leur clientèle[5],[6]. Ironie du sort, c'est sous ce nom qu'ils se firent connaître dans le monde entier[7].
D'autre part la première occurrence du mot dans les médias, antérieure à cette époque, semble être trouvée dans un numéro duTime de 1958« Le personnage Beat central qui apparaît involontairement est un psychopathe moderne. Le hippie abhorre la vie de famille et les relations suivies.... »[8], suivi par multiples autres dontTime de novembre1964 évoquant l'usage de drogue d'un jeune homme de 20 ans qui avait fait scandale[9]. C'est ce magazine qui selon l'historienRonald Creagh« fixe l'épicentre du mouvement dans le quartier de Haight-Ashbury » et leSan Francisco Chronicle qui annonce en 1967 en page une que cent mille hippies vont envahir San Francisco pendant l'été à venir en réponse à l'appel de leaders du mouvement[10].
Cependant, les hippies n'utilisaient pas ce terme pour se désigner eux-mêmes, l'acteur américainPeter Coyote qui fut un des créateurs desDiggers (San Francisco) en 1966 (groupe de services gratuits, nourriture, soins médicaux, etc.) déclare :« On ne s'est jamais appelé hippies, c'est un mot qui a été créé par Herb Caen, chroniqueur auSan Francisco Chronicle, pour nous infantiliser »[11]. Après avoir été leshipsters, ou lesdiggers, ils se disaient plutôtflower children (« enfants fleurs »),beautiful people (« belles personnes » ou « le peuple superbe »), ou plus ironiquementfreaks ouheads voireacid heads (respectivement : « monstres », « têtes » ou encore « têtes à l'acide »)[12]. Dans son ouvrageOh, hippie days ! Carnets américains 1966-1969, le journaliste français Alain Dister écrit :« les hippies n'ont jamais existé. »[13]
De manière générale, les hippies contestaient lematérialisme et leconsumérisme croissant des sociétés occidentales ainsi que tout ce qui y était lié. Ils rejetaient en particulier les valeurs associées au travail, à l'ambition et à la réussite professionnelle et le primat des biens technologiques sur les biens traditionnels. Ils aspiraient à une sorte defraternité universelle pour laquelle ils espéraient trouver idées et pratiques dans des sociétés traditionnelles[14]. Ce complexe idéologique, essentiellement constitué en unepraxis, n'a pas réellement été théorisé et n'a jamais fait l'objet d'une homogénéité pratique parmi celles et ceux se reconnaissant commehippies.
Beaucoup étaient des étudiants de laclasse moyenne[15], issus de la génération nombreuse du baby boom de l'après-guerre. Jack Weinberg, membre du « Free Speech Movement » dans les années 1960, était l'auteur de la célèbre phrase :« Ne faites pas confiance à quelqu'un de plus de trente ans »[16] qui traduisait sans équivoque la volonté de se distancer de la génération précédente.
Mais les prémices les plus claires se manifestent auXIXe siècle.La Désobéissance civile (1849), œuvre deHenry David Thoreau théorisant un radicalisme qui refuse l'autorité de l'État est une référence pourles pacifistes des années soixante[citation nécessaire][20].Walden ou la Vie dans les bois, pamphlet contre le monde occidental et roman du retour à la nature et de la conscience environnementale publié un peu plus tard, en 1854, par le même, est une référence pour la pensée écologiste des années soixante. Les milieux de la contre-culture incluent ainsi d’avides lecteurs de Thoreau.
EnAllemagne, dès1896, laLebensreform, inspirée dupaganisme ancien, avec seswandervogel et sesnaturmenschen (hommes de la nature), précéde les hippies de plusieurs décennies.Adolf Just ouvre son sanatoriumJungborn en 1896 au pied des montagnes duHarz et publie la même année son livre best-seller intituléRetourner à la nature !, qui devient le modèle des « enfants de la nature » la même année[21]. Les photographies de l’époque, si elles n’étaient pas en noir et blanc, pourraient donner l’impression d’avoir été prises dans une communauté hippie des années 1960 aux États-Unis[22].
En 1906, un immigrant allemand,William Pester, s'installe àPalm Canyon enCalifornie dans unehutte pour vivre un mode de vie en tout point identique à celui qui allait surgir au sein de la société américaine soixante ans plus tard[22]. Un autre Allemand,Maximilian Sikinger, s'installe àSanta Monica Mountains à partir de1935 pour inspirer les Américains à devenir des « nature boys » (des « garçons de la nature ») et est très actif au sein du mouvement hippie des années 1960[22].
Les précurseurs directs des hippies sont les membres du mouvement littéraire de laBeat generation, des années 1950 dont les figures emblématiquesJack Kerouac,Allen Ginsberg et dans une moindre mesureWilliam Burroughs furent des références pour le mouvement hippie.
Le mouvement hippie est considéré par l'historien de l'anarchismeRonald Creagh comme la dernière résurgence spectaculaire dusocialisme utopique[23], caractérisée par une volonté de transformation de la société non pas par une révolution politique.ou une action réformiste impulsée par l'État, mais par la création d'une contre-sociétésocialiste au sein même du système capitaliste, en mettant en place des communautés idéales plus ou moinslibertaires. Cette filiation est par ailleurs revendiquée par certains d'entre eux[a 1],[a 2], comme lesDiggers de San Francisco dont le nom est une référence à uncollectif de squatteurs duXVIIe siècle.
Les débuts du mouvement se situent autour de l'année 1965 aux États-Unis. C'est en tout cas là que les journaux et magazines de l'époque commencent à utiliser le terme « hippie »[24] et que des prises de position plus affirmées contre le gouvernement commencent à apparaître en opposition au tournant dans laguerre du Viêt Nam qui provoque des réactions de plus en plus vives depuis 1964, le tout dans un contexte de contestation et de refus de l'ordre établi. Les manifestations contre laguerre du Viêt Nam d'une part et les émeutes des Noirs dans les grandesvilles américaines d'autre part fédèrent en effet une partie de plus en plus grande de la jeunesse. Et cette génération, née juste après laSeconde Guerre mondiale, rejette de plus en plus l'« American way of life » et sonconformisme, la soumission au pouvoir et aux canons sociaux. Elle cherche à fuir lasociété de consommation en mettant en avant des valeursécologistes etégalitaires inspirées desphilosophiesorientales[14].
Beaucoup des aspirations hippies sont héritées des écrivains de laBeat Generation, également considérés comme des précurseurs du mouvement car eux aussi expriment une rupture avec la société de production de masse et de consommation. Ils menaient une vie libérée, faite de déplacements constants.Sur la route (On the Road,1957) est un livre emblématique de cette quête et le reste pour les hippies, bien queKerouac se désintéresse des hippies.Allen Ginsberg en revanche en est proche, et inspire entre autresBob Dylan.Gary Snyder, au travers de ses écrits et de son expérience personnelle, contribue grandement à la promotion des philosophies orientales et bouddhistes qui ne sont pas encore populaires à cette époque.
À l'idéal d'une vie centrée sur la liberté, une sexualité sans tabou et la musique, les hippies ajoutent lepsychédélisme et sa recherche de nouvelles perceptions par l'usage de drogues.Timothy Leary, par sa formule « turn on, tune in, drop out »[25], prône la révolution psychédélique par leLSD — à cette époque encore légal —.
De leur côté, l'écrivainKen Kesey et sesMerry Pranksters, installés dans sa villa des environs de San Francisco depuis 1962, où ils organisent de fréquentes fêtes arrosées de LSD, alors légal, entreprennent de traverser les États-Unis jusqu'à New-York dans un bus décoré par leurs soins en continuant à organiser desacid tests sur leur trajet sonorisé par des enregistrements durock psychédélique desGrateful Dead. La médiatisation de ce périple accélére la croissance de communautés psychédélique àHaight-Ashbury (San Francisco) et àGreenwich Village (New-York city)[26] À San Francisco, où, à partir de 1965, de nombreux hippies commencent à s'installer. lesdiggers, assurent le ravitaillement des hippies désargentés, en récupérant des surplus de la ville, et en distribuant gratuitement nourriture, soins et... LSD.
L'essor des communautés hippies, leur consommation de drogues, et l'attrait qu'elles exercent sur les mineurs en fugue finit par inquiéter les autorités californiennes. LaCalifornie interdit l'usage du LSD le 6 octobre 1966, et est rapidement suivie par le reste du pays. L'image populaire du LSD change et devient celle d'un produit dangereux[26].
En1967, de grandes réunions oulove-in (oube-in également) et des concerts gratuits sont organisés au Golden Gate Park, à proximité deHaight-Ashbury. Lehappening géant duHuman Be-In du 14 janvier de cette année-là, est considéré avec le recul comme un instant de grâce du mouvement, rassemblant des centaines de personnes, issues des différentes « tribus » de la contre-culture de l'époque, venues lire de lapoésie, être ensemble et écouter lamusique de groupes comme lesGrateful Dead,Jefferson Airplane ouCountry Joe and the Fish[27]. Au coucher du soleil, la foule se dirigea vers la plage pour y passer la soirée. Au même moment, lapolice profite de l'absence des habitants de Haight-Ashbury pour y arrêter cinquante personnes, ce qui est le début d'une période de traque auxdealers de drogues douces[28].
Des étudiants descolleges (les universités) ethigh schools (les lycées) commencèrent à arriver sur place durant leurs vacances de printemps 1967. Bien que les dirigeants de la municipalité aient été déterminés à arrêter l'afflux futur de jeunes gens pour les vacances dété, ils attirent malgré eux l’attention sur l'attraction qu'exerce la ville. Une série d'articles d'actualité dans les journaux locaux alerte les médias nationaux sur le mouvement hippie grandissant et sont repris par eux[29]. Certains membres de la communauté de Haight Ashbury y répondent en formant leCouncil of the Summer of Love, donnant ainsi un nom officiel à un mouvement créé par lebouche-à-oreille[30].
L'événement de l'été est lefestival international de musique pop de Monterey qui rassemble 200 000 personnes du 16 au 18 juin 1967 et oùJimi Hendrix etThe Who jouent pour la première fois aux États-Unis. L'évolution personnelle et artistique desBeatles à cette époque joue également un rôle dans la portée duSummer of Love :All You Need Is Love, écoutée dans le monde entier, insiste sur les idéaux d'amour, de paix et d'unité véhiculés par la contre-culture. L'albumSgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, sorti en juin 1967, synthétise par ses influencespsychédéliques, l'usage des instruments indiens, sa pochette aux couleurs vives, l'essence même duSummer of Love[31].
Durant l'été 1967, pas moins de 100 000 jeunes originaires du monde entier convergent dans le quartier d'Haight-Ashbury de San Francisco, àBerkeley, et dans d'autres villes de la région, pour se joindre à l'expérience hippie[32].
Haight-Ashbury est alors victime de son succès et tandis que des hippies, de plus en plus jeunes, continuent d'affluer, lesdrogues dures y font leur apparition et les descentes de police se multiplient[33]. Les hippies estiment alors leur nombreà 300 000 dans tout le pays[14].
Pendant la fin desannées 1960, le mouvement hippie est encore peu présent en Europe continentale. Il commence à s'introduire par le biais de la musique[a 3]. EnFrance, les relais du courant hippie sont le magazineRock & Folk créé en 1966 ainsi que les émissions de radiolePop Club créé en 1965 surFrance Inter, animé parJosé Arthur etPatrice Blanc-Francard etCampus surEurope Nº 1, animé parMichel Lancelot de 1968 à 1972 et[34]. Le magazineActuel, la référence du mouvement en France, est créé en1970. Les propos d'un jeune hippie français de ces années-là, recueillis par Bernard Plossu, ne sont pas différents de ceux d'outre-Atlantique :
« Ainsi vont les choses dans nos sociétés dites de consommation : passée l’adolescence, âge irrécupérable mais dont on sait qu’il n’a qu’un temps, une certaine image de vous-même vous attend, tirée d’ailleurs à plusieurs millions d’exemplaires ; elle vous guette d’autant plus tôt que votre famille ne dispose pas des ressources financières qui, quelques années encore, vous garantiraient le droit à l’irresponsabilité. Gare à vous si vous ne marchez pas ensuite. On vous culpabilisera d’abord ; quelques bonnes lois feront le reste[35]. »
Alors qu'aux États-Unis, sous l'influence d'activistes commeJerry Rubin etAbbie Hoffman, une partie du mouvement hippie se radicalise en mouvement Yippie et parle de révolution[36], dans de nombreux autres pays du monde, la fin des années 1960 voient également fleurir une contestation de l'ordre établi plus vaste et plus violente que celle prônée par les hippies.
Ainsi, en Europe, alors que la proportion de la population née après 1945 dépasse 25 %, les dirigeants sont soit issus des mouvements de résistance aux occupants allemands soit comme en Allemagne suspectés d'avoir fait partie de l'administrationnazie, voire pire[37].
Les manifestations étudiantes au Mexique finissent par lemassacre de Tlatelolco en 1968.
AuxPays-Bas, lesprovos d'Amsterdam se font remarquer en organisant des manifestations lors du mariage de la reineBeatrix avecClaus von Amsberg, ancien membre desJeunesses hitlériennes. Ce mouvement degauche prône la gratuité et invite chacun à peindre sonvélo en blanc et à le laisser à la libre disposition des habitants[38]. Plus provocateurs, plus politisés et militants que les hippies, ils sont parfois crédités des changements survenus à cette époque en Europe[39]. PourDaniel Cohn-Bendit,« sans lesprovos et l'exemple qu'ils ont donné aux jeunes des autres pays, l'Europe d'aujourd'hui ne serait pas ce qu'elle est devenue »[40].
L'année 1968 est marquée, dans un contexte d'ébullition générale de part et d’autre duRideau de fer, par l'explosion de cesmouvements de révolte dans les milieux étudiants et ouvriers d'un grand nombre de pays, notamment en Allemagne, en France, en Italie, aux États-Unis, au Japon, au Mexique et au Brésil ainsi que dans la Tchécoslovaquie duprintemps de Prague.
En France,mai 1968 voit se déployer une contestation de toutes les formes d'autorité. Une partie active du mouvement lycéen et étudiant revendique notamment la « libéralisation des mœurs » et, au-delà, conteste la « vieilleUniversité », lasociété de consommation, lecapitalisme et la plupart des institutions et valeurs traditionnelles. Si ces revendications sont proches des siennes, l'ouvriérisme et les arguments liés à la « lutte des classes » sont en revanche étrangers à la contre-culture hippie qui se situe plus dans ce qu'Edgar Morin appelle un « gauchisme existentiel » visant à changer la vie quotidienne plus que le système politique[20].
Répondant à ces contestations violentes, le retour à l'ordre est brutal, et certains militants basculent dans l'action armée. D'autres renoncent à changer la société et adoptent les principes hippie, expliquant que« le personnel est politique »[20] ; certains partentsur la route ou rejoignent des communautés hors des villes.C'est à partir de 1968, que de jeunes européens prennent laroute, d'abord versIbiza, et versAmsterdam, qui devient la capitale européenne des hippies (C'est là queYoko Ono etJohn Lennon organisent en 1969 le premier « Bed-in for Peace ».) puis vers l'Inde et le Népal.C'est après lemassacre de Tlateloco en 1968 que nait le mouvement hippie mexicain, lesJipitecas[41].
En août 1969 a lieu le festival de Woodstock, unfestival de musique et un rassemblement emblématique de la culture hippie, àBethel,sur les terres du fermier Max Yasgur[42], à une soixantaine de kilomètres deWoodstock dans l'État de New York.
Organisé pour se dérouler du au et rassembler 50 000 spectateurs, il en accueille finalement plus de 500 000, et beaucoup de spectateurs ne paient pas leur place ; il se poursuit un jour de plus que prévu, soit jusqu'au au matin. Le festival propose lesconcerts de 32 groupes et solistes de musiquespop,folk,rock,soul etblues[43]. C'est durant ce festival queJimi Hendrix interprétel'hymne américain à la guitare électrique.
En dépit d'orages et d'une organisation totalement dépassée par les évènements, le festival reste dans les mémoires comme un moment exceptionnel, épargné par toute violence, et devient un mythe.Joe Cocker sort de scène sur ces mots :« Aucun de ceux qui étaient ici n'aura plus jamais besoin de se sentir seul »[a 4] et quarante ans plus tard,Arlo Guthrie évoque encore son« sentiment d’avoir retrouvé foi en l’individu »[44].
Contrairement aux États-Unis et à l'Angleterre, les grands festivals rock n'ont pas en France le même caractère rassembleur. En 1967, le premier spectacle psychédélique àParis,La Fenêtre rose, n'attire que peu de monde. Le premier festival français, refusé par plusieurs municipalités françaises, a finalement lieu àAmougies, en Belgique, fin 1969[a 5]. En 1971, un festival gratuit est organisé àAuvers-sur-Oise, mais s'il ressemblait bien à celui deWoodstock à cause de la pluie et de la boue, il est finalement stoppé pendant la nuit à cause de divers problèmes techniques alors que 20 000 personnes y sont rassemblées[34].
De nombreux hippies sont présents lors des grands rassemblements duRajal del Guorp sur le plateau du Larzac[45] du 25 et[46] et du 17 et qui rassemblent chacun quelque 100 000 participants, ainsi que la marche vers Paris du qui rassemble à l'arrivée 40 000 manifestants. Ces rassemblements sont liés à une résistance depaysans duLarzac[47] contre une vaste expropriation de leurs terres et différent en cela des festivals. Ils ont séduit les hippies car ils sont centrés, selon eux, autour des thèmes du pacifisme, de l'émancipation sexuelle et du retour à la terre.José Bové en a parlé comme d'un « Woodstock français »[48].
Les révoltes contre l'ordre établi ont également des conséquences sur le mouvement hippie. Outre les poursuites pour usages ou possessions de drogues, des condamnations pour outrage aux mœurs répondent à leurs provocations en ce domaine.
Aux États-Unis, des personnalités hippies faisaient scandale, commeGrace Slick réputée « capable de tout », comme de chanter lesseins nus plutôt que mouiller ses vêtements quand il pleut, lever le poing avec lesBlack Panthers, ou d'amener duLSD lors d'une invitation à laMaison-Blanche[49],[50].Jim Morisson pour le même genre « d'outrage aux bonnes mœurs » et « d'exhibition indécente » est condamné en 1970 à huit mois de prison ferme[51]. Les communautés hippies plus anonymes connaissent aussi diverses tracasseries, qu'elles soient ou non des squats.
La « société de consommation » tant décriée des hippies s'accommode en revanche fort bien de ce mouvement qu'elle exploite comme une mode. Les productions décrivant la vie de hippies font des succès commerciaux, comme la comédie musicaleHair. Lesmajors étaient largement présents à Woodstock[52] ; le film du festival fut présenté à Cannes, et les idoles pop connurent la gloire à Hollywood. Cette utilisation commerciale est vue par les hippies comme contraire à leurs idéaux[a 6] ; dès lefestival de Monterey,Grateful Dead la refusait en ces termes :« Personne ne sait exactement comment, mais nous savons par expérience que quelqu'un, quelque part, va gagner de l'argent avec toute cette musique gratuite et tout cet amour libre […] »[27].En France, après avoir moqué les « cheveux longs, idées courtes »Johnny Hallyday lui-même s'affiche un temps en look hippie pour chanterJésus Christ est un hippie.
Sur la tombe deJim Morrison, aucimetière du Père-Lachaise à Paris, une inscription en grec, ΚΑΤΑ ΤΟΝ ΔΑΙΜΟΝΑ ΕΑΥΤΟΥ, traduite par « fidèle à ses démons » ou « fidèle à son esprit ».
Le concert gratuit desRolling Stones àAltamont en décembre 1969, qui se voudrait un secondWoodstock, moins de quatre mois après celui-ci, rassemble 300 000 personnes à l'est de San Francisco. Tout aussi mal organisé que Woodstock, il connait contrairement au premier un déroulement catastrophique : le service d'ordre a été confié auxHells Angels comme au temps de certains concerts deGrateful Dead. Ils déclenchent des bagarres avec des spectateurs et poignardent l'un d'eux,Meredith Hunter, un jeune homme de 18 ans, qui aurait pointé un revolver en direction deMick Jagger[53].
À la même époque, après avoir adopté un certain style de vie hippie en 1967,Charles Manson et sa « famille » se livrent la 9 août 1969 au massacre que l'on sait dans une villa deLos Angeles, dont l'assassinat deSharon Tate. Cela, et d'autres assassinats similaires porte un coup fatal à l'image « Peace and Love » du mouvement. L'Amérique est choquée et une bonne partie des jeunes hippies eux-mêmes commencent à prendre leurs distances, sans pour autant que le mouvement disparaisse tout à fait.
Le passage aux « drogues dures » et la mort deJimi Hendrix, deJanis Joplin, puis deJim Morrison, à la suite d'abus d'alcool, de médicaments ou paroverdose, contribuent grandement à l'impression de chute.Neil Young écritThe Needle and the Damage Done (L'Aiguille et les dommages causés) pour évoquer, tardivement, le problème.
Avec la fin de laguerre du Viêt Nam en1975, les médias perdent leur intérêt pour les hippies. Ils sont plus tard désignés en France par le terme de « baba cool »[54].
Pour autant, la fin du mouvement hippie n'est datée avec précision par personne. Certains pensent l'avoir vue dès 1967, d'autres à la fin desannées 1970[55].
Les hippies remettaient en cause toute idée d'autorité, et en premier lieu l'autorité parentale[56], et tout ce qui en découlait : toute domination de l'un sur l'autre. Cherchant à établir d'autres rapports avec leurs propres enfants, les hippies adoptèrent lespédagogies anti-autoritaires ; dans les communautés naquirent des « écoles sauvages » ou « écoles parallèles »[a 7], et le livre d'A. S. NeillLibres enfants deSummerhill, traduit en français en1971, fut un succès pendant toute la décennie[57].
Ils refusaient bien sûr les violences policières. Le mot « pigs » (« porcs ») était régulièrement utilisé à l'encontre des forces de l'ordre aux États-Unis[58].
Ils n'avaient pas le désir de participer aux conflits sociaux, contrairement aux rébellions des générations précédentes, comme celles deswobblies ou des activistes de lanouvelle gauche américaine. Bien que très critiques, ils étaient perçus comme ne proposant pas d'alternative à la société et obéissant plutôt au mot d'ordre« faites ce que vous voulez faire et ne vous préoccupez pas de ce que les autres en pensent » (« do your own thing and never mind what everyone else thinks »)[14].
Selon Chuck Hollander, expert en drogues pour laNational Student Association au début des années 1960,« S'il existait un code hippie, on pourrait le présenter ainsi : faites ce que vous avez envie de faire, où vous le voulez et quand vous le voulez. Lâchez la société que vous avez connue. Explosez l'esprit de toutes les personnes rigides que vous rencontrez, branchez-les, sinon par la drogue, au moins par la beauté, l'amour, l'honnêteté et la rigolade »[14].
Pour les hippies, la révolution de la vie privée passait avant la lutte pour la réforme de la société[20] ; ils considéraient que les politiciens, fussent-ils « de gauche », étaient avant tout desstraight, des « réacs », des conformistes.Lesyippies sont des représentants notoires de cette prise de position anti-politique. Un de leurs fondateurs,Jerry Rubin, initiateur de manifestations contre laguerre du Viêt Nam, fut arrêté et condamné pourconspiration et incitation à l'émeute, il écrivit en particulierDo it! scénarios de la révolution[59] en1973, parfois qualifié de « manifeste » du mouvement yippie[60],[61],[62]. Perçus comme des « hippies avec des fusils », ils étaient aux États-Unis la frange la plus radicale du mouvement[a 8].
Flower Power, « le pouvoir des fleurs », est une autre expression pacifique qui trouve son origine dans leSummer of Love de 1967 àSan Francisco. Consigne était alors donnée de « porter des fleurs dans les cheveux », comme l'illustre la chanson deScott McKenzieSan Francisco (Be Sure to Wear Flowers in Your Hair). Les hippies furent dès lors communément appelésflower children, les « enfants-fleurs ». L'ensemble de ces expressions cherchaient à traduire une opposition à la guerre et à la violence en général, sans pour autant que les revendications soient toujours plus élaborées ou véritablement théorisées.
Les communautés considérées comme « hippies » se comptaient par milliers aux États-Unis vers 1969, au point que leurs membres furent près d'élire un des leurs commeshérif dans un comté desMontagnes Rocheuses. En France, on en dénombraitenviron 500 au début desannées 1970[a 9]. En Italie, elles ont contribué àl'émergence touristique de la région de Gallura et Baronìa[64], où l'artiste françaisClaude Challe, futur cofondateur duBuddha Bar dans les années 1990, a vécu dans une communauté hippie isolée et installée dans des grottes durant deux ans, en 1968 - 1970[65], dans le futur Parc national de l'archipel de La Maddalena.
SelonJean-Pierre Bouyxou et Pierre Delannoy,« les communautés sont l'expression par excellence dumovement : son infrastructure, l'ancrage social sans lequel il aurait vite été réduit à une simple mode aussi extravagante qu'éphémère. Les communautés sont sa signature au bas de l'histoire duXXe siècle ».
Il n'y eut pas d'unité d'organisation entre ces communautés ; les unes étaient des communautés urbaines, notamment en Allemagne de l'Ouest et en région parisienne, d'autres tentaient de vivre d'agriculture et d'élevage et certaines n'étaient que des lieux de passage[a 9]. Confrontées aux problèmes de subsistance, et aux difficultés d'une vie commune basée sur de nouvelles relations interpersonnelles, la plupart eurent une durée d'existence assez brève[a 10].La plus longue expérience européenne fut celle de la commune libre deChristiania, àCopenhague : créée en septembre 1971, elle existe toujours[66],[67].Au début duXXIe siècle, il existait encore une quarantaine de communautés hippies en Allemagne[68].En France, il n'en resterait qu'une àCharleval, en Provence[69]. En Sardaigne, elles existent toujours.
Oz, magazine « psychédélique hippie » fut plusieurs fois en procès pour obscénité en Australie et en Angleterre
C'est peu avant ou durant lesannées hippies selon le cas qu'est adoptée la progressive légalisation de lapilule contraceptive et que l'accès à l'avortement se généralise aux États-Unis[75], alors que la « liberté de choix » est une idée prégnante de la contre-culture[76], ce qui s'oppose, auxÉtats-Unis, à l'idéologie conservatrice de certains courants religieux issus duchristianisme, combattant notamment l'« immoralité » et l'« obscénité » depuis la fin duXIXe siècle[77]. Les hippies vivant en communauté avaient des pratiques sexuelles diverses, s'inspirant parfois duKama sutra hindou[78],[79],[80], rejetant le mariage traditionnel[81] et, à l'instar des utopies de la contre-culture, l'institution de la famille[82]. Une évolution qui contribue à faire de la liberté sexuelle une composante de l'« utopie hippie ».
Le mot d'ordre était « Free Love » (« amour libre »)[a 9], que l'on retrouve dans l'appellation du « Summer of Love », rassemblement à la suite duquel les valeurs et le mode de vie du mouvement hippie commencent à se diffuser[83]. Symbole du refus de la discipline, l'amour libre hippie est véhiculé par lerock[84].
En plus de la liberté exprimée dans les relations amoureuses, les premierssex-shops vendant divers jouets sexuels (l'enseigne Good Vibrations à San Francisco était le premier) ainsi que la diffusion desfilms pornographiques et leurs projections en salle de cinéma apparaissent au sein de la communauté hippie[a 12], à une époque où lamasturbation était publiquement condamnée et où personne n’aurait jamais ouvertement fait la promotion duplaisir sexuel[85]. Les hippies considéraient également les relations entre personnes de même sexe comme une expérience parmi d'autres et non comme un tabou[a 13] ; c'est à cette époque que la premièreGay Pride a lieu à New York, et San Francisco demeurera la capitale des deux tendances.
Les hippies recherchaient un sens à la vie dans desspiritualités qu'ils jugeaient plus authentiques que les pratiques religieuses dont ils avaient hérité, s'aidant parfois de substancespsychotropes[89]. Le livreLes Portes de la perception (The Doors of Perception) d'Aldous Huxley (1954) fut une inspiration pour beaucoup (il a, entre autres, inspiré le nom du groupeThe Doors). Huxley y prône l'usage des drogues pour atteindre une nouvelleperception du monde, préliminaire à un sentiment de plénitude et de communion avec lecosmos. Sa contribution est également éthique et est liée à la critique dupositivisme scientifique :
« Aujourd'hui, après deux guerres mondiales et trois révolutions majeures, nous savons qu'il n'y a pas de corrélation nécessaire entre la technologie plus avancée et la morale plus avancée. »
LeLSD (communément appelé « acide ») est découvert en1938 parAlbert Hofmann[91] dans le laboratoire suisseSandoz et est déclaré illégal aux États-Unis le, et classéstupéfiant par l'ONU dans une convention de 1971. Jusqu'à cette interdiction sur le sol américain, la firme Sandoz mit le LSD à disposition des chercheurs sous la forme d'une préparation appeléedelysid. Le LSD était d'abord apparu comme prometteur dans le traitement de certaines maladies psychiatriques au point d'être popularisé comme un traitement miraculeux par les médias à partir du milieu des années 1950. Dès les années 1960, il est devenu un ingrédient du courant hippie.
Un groupe de hippies partageant un « joint », en 1969, en Californie.
L'esthétiquepsychédélique,« véritable insurrection de l'imaginaire »[92] prend ses racines dans les visions provoquées par le LSD qui induit une déformation de la vision et entraîne un état halluciné où réalité et rêve sont confondus (hypnagogie). Le psychologueTimothy Leary, le chimisteAugustus Owsley Stanley III et le romancierKen Kesey ont, parmi d'autres, encouragé la consommation de LSD. À cette époque, « l'acide » a notamment été distribué gratuitement lors desacid tests desMerry Pranksters. Le point culminant de l'usage du LSD aux États-Unis fut atteint à l'été 1967, au cours duSummer of Love (« Été de l'amour »).
Il est possible de rattacher de nombreux courants artistiques à la consommation depsychotropes, aussi bien en musique (rock psychédélique,acid rock) que dans le dessin et la mode. Outre le LSD, lecannabis était aussi massivement consommé par les hippies, en particulier sous sa forme la plus répandue, laMarijuana (qu'ils appelaient « maryjane » ou « thé »)[14]. Pour les hippies, le but de cette consommation de psychotropes est présenté comme une volonté d'ouverture de l'esprit et d'abolition des frontières mentales, suivant le précepte d'Aldous Huxley. Une étude des années 1960 de l'université du Sud de la Californie avait dégagé trois tendances dans la communauté hippie de l'époque : les « groovers » (« les fêtards »), qui prenaient duLSD pour faire la fête et trouver des partenaires, les « mind trippers » (« les touristes de l'esprit »), qui portaient des vêtements à fleurs et cherchaient unethérapie, et les « cosmic conscious » (« les mystiques »), « planant », dont la consommation de drogue était « par nature eucharistique »[14].
Dans un tout autre registre, l'écrivainWilliam S. Burroughs "confesse" dans son premier ouvrage,Junky (1953) sa pratique dedrogué impénitent et témoigne sans fioritures de sa vie d'addict à l'héroïne, prisonnier de l'« équation de la came ». Sa prise de drogues lui ouvre incidemment d'autres portes de la perception qui inspirent sa création artistique.
Le symbole duyin et du yang, associé au tao, que les hippies ont contribué à populariser.
Selon certains témoins de l'époque, c'est au moment duSummer of Love de 1967 que sont fondées les prémices duNew Age[93]. Les hippies avaient commencé à explorer les traditions orientales — lebouddhisme, l'hindouisme et letaoïsme — et certains ouvrages populaires tentaient d'en faire une analyse syncrétique « libre »[94], une manière d'aborder laspiritualité qui allait devenir la marque du New Age.
Participant aurainbow gathering de Russie en 2005 ayant l'apparence traditionnelle du hippie.
En partie par rébellion contre les usages, le hippie, homme ou femme, portait lescheveux longs pour dénoncer la guerre du Viêt Nam où les soldats avaient tous le crâne rasé. Les femmes les portaient le plus souvent défaits, sans aucun apprêt ; la liberté du corps (body freedom) étant complémentaire de la liberté de l'esprit que préconisait le hippie. Les relations sexuelles libérées et lenaturisme étaient des valeurs mises en avant dans le mode de vie hippie[95]. Aller pieds nus dans la poussière heurtait également les valeurs d'hygiène mises en avant dans le modèle américain[96].
Chemisetie and dye.
Les vêtements du hippie, aux couleurs vives, étaient contrastés et parfois choquants à une époque où les tenues étaient assez uniformes et sombres. Les pantalons étaient à « pattes d’éléphants », style lancé par les hippies californiens, et l’influence de l’Orient avait donné aux hippies le goût des sandales, des gilets afghans, des tuniques indiennes aux motifs très fleuris et colorés. Ils pouvaient tout aussi bien être nus quand la situation le permettait[97],[a 15]. En cohérence avec l'idée d'anticonsommation, les hippies achetaient souvent leurs vêtements dans des friperies ou les fabriquaient eux-mêmes. Par exemple, leTie and dye, une technique de teinte des tissus en couleur vive en forme de ronds et plus ou moins aléatoire, était très répandue chez les hippies. Leblue-jeans, pantalon traditionnel des ouvriers américains auXXe siècle, déjà popularisé par lesbeats et les personnages de mauvais garçons dans certains films (James Dean ouMarlon Brando dansL'Équipée sauvage), fut également un vêtement emblématique de la génération hippie, laquelle le fit évoluer : il était souvent porté peint, brodé, cousu, couvert de coquillages, destrass, de bijoux, de fleurs, et toujours avec les pattes d'éléphant. Le vêtement devint un mode d'expression de la personnalité[15].
Quand elles n'étaient pas enminijupes ou en jupes, les femmes adoptaient fréquemment ce même type d'habillement. Ce caractèreandrogyne réactualisé par la culture hippie[98], notamment dans l'habillement, était également surprenant à cette époque : hommes comme femmes portaient sans distinction des bandeaux dans les cheveux, des colliers et des bracelets de perles et se parfumaient aupatchouli[99],[15]. À la fin desannées 1970, de nombreux aspects vestimentaires hippies seront récupérés par lamode disco, adaptés sous une forme plus urbaine. Par la suite, les tuniques indiennes ou les vêtements brodés de fleurs sont réapparus périodiquement. Finalement, le pantalon enjeans est probablement le seul attribut vestimentaire hippie à avoir résisté au temps et aux diverses modes qui se sont succédé, puisqu'il est toujours resté très présent. Mais c'est surtout la décontraction dans la façon de s'habiller qui est le changement marquant hérité de cette époque, ainsi que la personnalisation du vêtement[15].
Le phénomène hippie fut une période d'expérimentation musicale (le style deThe Doors, par exemple, emprunte à la fois aublues, aujazz mais aussi auflamenco et aux musiques de fanfare) et de créativité. La plupart des courants musicaux issus de cette génération prospèrent encore aujourd'hui. La liberté de ces créations musicales est considérée comme une révolution dans l'histoire de la musique[52].
Lefestival de Woodstock en 1969 reste un des plus grands moments de l'histoire de la musique populaire et a été classé parmi les « 50 Moments qui ont changé l'histoire du rock and roll »[43]. Il a rassemblé de nombreux musiciens célèbres de l'époque commeJimi Hendrix etJanis Joplin. ÀCustrin, enPologne, à la frontière de l'Allemagne, le festivalPrzystanek Woodstock est organisé chaque année depuis 1995. Il a rassemblé un public aussi important que le premier du nom, soit 500 000, en 2009[101]. D'autres festivals furent aussi de véritables événements :Monterey en 1967,l'Île de Wight en 1970, rassemblant des centaines de milliers de spectateurs à chaque occasion. Ainsi que le festival d'Amougies en Belgique, du 24 au 28 octobre 1969, avec entre autres Gong, Pink Floyd, The Nice, Frank Zappa, Soft Machine, etc. Une nouvelle génération de chanteurs apparaît à la suite deBob Dylan, renouvelant le genre musical de laprotest song et créant une nouvelle musique populaire exprimant leurs révoltes[102], leur refus du racisme, leur refus de la guerre au Viêt Nam, leur refus de la répression ou leur désir d'un nouveau monde. La reprise sous forme depot-pourri de deux chansons deHair :Aquarius/Let the sunshine in parThe 5th Dimension eut un succès considérable en 1969, les paroles annonçant un nouvel âge à venir.Blowin' in the Wind deBob Dylan, inspiré d'unnegro spiritual, fut reprise par les 250 000 manifestants de lamarche sur Washington organisée par les leaders des droits civiques ; plus tard vinrentOhio deCrosby, Stills, Nash and Young, ouAlice's Restaurant d'Arlo Guthrie.
Stand du Café Lafayette à l'édition 2009 de l'Oregon Country Fair.
Ceux qui se disent hippies aujourd'hui[105] ou « néo-hippies »[106],[107] ont perpétué la tradition des festivals musicaux et desécofestivals, comme lefestival du Burg Herzberg[108], après une période à vide, le rassemblement pour les « Freaks, Hippies und Blumenkinder »[109], d'abord interrompu entre 1973 et les années 1990, se tient depuis annuellement près deBreitenbach am Herzberg en Allemagne. D'autres n'ont pas cessé d'exister depuis les années 1970, le plus célèbre étant lesRainbow Gatherings[110]. Créés en 1972 aux États-Unis, « les rassemblements arcs-en-ciel », organisés par laRainbow Family of Love and Living Light, sont des rencontres éphémères en pleine nature qui se sont depuis multipliées en Europe et dans le monde. Le terme « Babylone »[111] y est utilisé pour décrire le monde conventionnel desstraights.
Aux États-Unis, plusieurs municipalités abritent des communautés hippie qui trouvent ces dernières tolérantes à leur égard[112].Eugene dans l'Oregon, dont la devise est « la plus grande ville du monde pour les arts et la nature », propose tous les ans l'Oregon Country Fair, un festival qui a lieu en forêt depuis 1969 et qui tente de retrouver « leZeitgeist des années 60 »[113].
Il est difficile de déterminer dans les changements de mœurs survenus dans les années 1960 et 1970 ce qui peut être attribué aux hippies, à la jeunesse en général, ou aumouvement féministe. Mais ils ont joué un rôle considérable à cette époque dans l'évolution des mentalités concernant la sexualité[114]. Selon une enquête de l'institut Gallup, le nombre d'Américains pensant qu'il était « mal de faire l'amour avant le mariage » avait chuté de 68 % en 1969 à 48 % en 1973[115], un changement généralement attribué aux bouleversements initiés par le courant hippie[116].
Une jeune Française en 2008 dont la tenue vestimentaire peut évoquer celle des hippies.
Le « mouvement hippie », bien que peu structuré, portait en lui les germes d'un bouleversement du mode de vie des années d'après-guerre qui arrivait, à la fin desTrente Glorieuses, à un essoufflement particulièrement perceptible par la jeunesse. Dans différents domaines, des idées nouvelles perçaient comme l'autogestion, l'écologie et le rejet, attitude rarement affichée à cette époque aux États-Unis, desreligions traditionnelles. Il est difficile de déterminer précisément quelle influence peut être exclusivement attribuée aux hippies, mais ils sont, entre autres, crédités de l'émergence des communautés écologiques et des coopératives[85]. Le collectif « Don't make a wave », qui est devenu ensuiteGreenpeace, a été fondé par des hippies à Vancouver en 1971[117] et lesécovillages peuvent être vus comme l'aboutissement de certaines de leurs propositions[118].
Plus récemment, les adeptes de lapermaculture ont repris de nombreuses valeurs du mouvement hippie.
La plupart des hippies finirent par abandonner leur envie de régénérer le « vieux monde » et se rangèrent dès la fin desannées 1970 et le courant desannées 1980. La trentaine venue, ils trouvèrent du travail, fondèrent une famille et s'intégrèrent dans la société de consommation qu'ils dénonçaient auparavant. Une étude américaine a estimé que 40 % des hippies californiens s'étaient rangés, un peu moins de 30 % restant cependant toujours « en marge »[a 16].Jerry Rubin, devenu un des premiers actionnaires d'Apple[121], déclarait en 1985 :« Non, je ne lutte plus contre l'État. Ce n'est plus la peine, ce n'est plus le bon combat […]. La meilleure, la seule façon aujourd'hui de combattre l'État, c'est de le remplacer. Et nous sommes assez nombreux pour le faire »[40].
Selon certaines analyses, la « révolution hippie », rapidement éteinte malgré ses apports à la société de l'époque, aurait souffert principalement d'un manque de discernement dans son attaque en bloc des institutions[122]. En se détournant ainsi de possibles ressources, à cause de la crainte de la survenue de ce qui pourrait être perçu comme une forme deparanoïa, le mouvement était condamné à disparaître. La prédominance des drogues dans la culture et les communautés hippies ainsi que les décès qui en ont résulté ont contribué à ternir l'idéal des premiers temps[122]. L'explosion de liberté s'est faite au détriment d'un projet structuré dont l'absence a fini par provoquer la dissolution du mouvement[123].
Le sénateur deNew York,Robert Kennedy, présentait en 1967 la revendication hippie de cette manière :
« Ils veulent être reconnus comme des individus dans une société où l'individu joue un rôle de moins en moins important. Voilà une combinaison difficile »
L'individualisme est pourtant passé dans les mœurs et lenéolibéralisme aurait pour certains récupéré, en les dénaturant, les valeurs hippies. SelonCharles Shaar Murray,« Le chemin qui mène des hippies aux yuppies n'est pas aussi tortueux que beaucoup aiment le croire. Une bonne partie de la vieille rhétorique hippie pourrait parfaitement être reprise par la droite pseudo-libertaire, ce qui s'est d'ailleurs produit. Rejet de l'État, liberté pour chacun de faire ce qu'il veut, cela se traduit très facilement par un yuppisme « laissez-faire ». Voilà ce que cette époque nous a légué »[124].
Force est de constater que de nombreux leaders hippies sont devenus dans lesannées 1980 de parfaitsyuppies, notamment le grand leaderJerry Rubin, devenu militantreaganien et républicain néo-libéral convaincu[125][source détournée]. En France,Michel Clouscard fut le principal penseur à avoir prédit cette transformation, en voyant dans le mouvement hippie une simple crise interne du capitalisme américain, qui, loin de se trouver menacé, ne devait sortir que plus fort de ces événements. Il cristallisa notamment cette idée dans son concept de « libéral-libertaire ».
↑Voir Tanguy L'Aminot, "Rousseau et les hippies",La Pensée, n° 370, avril-juin 2012, p. 141-152.
↑abc etdMarie-Christine Granjon, « Révolte des campus et nouvelle gauche américaine »,Matériaux pour l'histoire de notre temps,vol. 11,no 1,,p. 10-17(lire en ligne, consulté le).
↑Ronald Creagh,Laboratoires de l’utopie. Les communautés libertaires aux États-Unis, Paris,Payot,(présentation en ligne),p. 11. Pour lui, il y aurait eu deux phases de floraison de communautéslibertaires, l’une avant 1860, l’autre après 1960.
↑Cops=Pigs :« Pour manifester leur mépris de la politique, les manifestants avaient amenés un cochon qu'ils présentaient comme leur candidat, quand les forces de l'ordre tentèrent de les disperser, les porte-parole, s'adressant aux agents de police, dirent « Maisvous êtes les vrais porcs ! ». » L'expression circula et tout le monde se mit à chanter « Pigs, Pigs}. Les journaux reprirent l'expression en titre et elle se diffusa dans tout le mouvement ensuite.
↑Rebels: Youth and the Cold War Origins of Identity Par Leerom Medovoi, p. 210
↑, Between Marx and Coca-Cola: Youth Cultures in Changing European Societies, de Axel Schildt, p. 61
↑Tout est bruit pour qui a peur, Pierre Albert Castanet, 1999
↑George Alexander Legman serait le créateur de la formule, lors d'une conférence à l'Université de l'Ohio.Love and death (and schmutz) : G. Legman's second thoughts Village Voice,p. 41-43.
↑"La Sardaigne, Le bijou caché de la mer Méditerranée" par Cynthia Rhéaume, le 17 décembre 2014 dansLe Journal de Montréal[1]
↑"Gonflés à bloc" par Jean-Michel Selva, dansSud-Ouest le 08/08/2013[2]
↑Le monde hippie: de l'imaginaire psychédélique à la révolution informatique, Frédéric Monneyron, Martine Xiberras, Imago, 2008 « les hippies aménagent des ruines, des fermes, des squats, des villages, des quartiers entiers, comme Christiana à Copenhague »
↑A short history of Denmark in the 20th century, par Bo Lidegaard « the spirit of Christiania became synonymous with the hippy and squatter movements »p. 283.
↑(en) University of South California, « The birth of the pill », surscf.usc.edu(consulté le), « Anthony Comstock was the early force behind restrictions on birth control. He was a devout Christian who believed that the majority of American society was becoming licentious due to the contraceptive industry. Comstock headed for Washington in 1872 to further his cause. In 1873, Congress passed theComstock Act, which was aimed at stopping trade in "obscene literature" and "immoral articles." It also targeted information on birth control devices, sexually transmitted diseases, human sexuality, and abortion. » (”Anthony Comstock a été la force la plus ancienne derrière les restrictions sur le contrôle des naissances. C'était un chrétien dévot qui croyait que la majorité de la société américaine devenait licencieuse à cause de l'industrie contraceptive. Comstock alla à Washington en 1872 pour faire avancer sa cause. En 1873, le Congrès a adopté leComstock Act, qui avait pour but de mettre un terme au commerce de la « littérature obscène » et des « articles immoraux ». Il ciblait également l'information sur les dispositifs de contrôle des naissances, les maladies sexuellement transmissibles, la sexualité humaine et l'avortement. »).
↑(en) Vinay Rai,Think India, Penguin,(présentation en ligne) « Les hippies sont venus en Inde en masse, et des jeunes gens libérés, des filles autant que des garçons, étalaient leurs exemplaires du Kama Sutra, le manuel de l’amour illustré, qui leur offrait des discussions sur le baiser, les préliminaires, l’acte sexuel, l’art de courtiser, le mariage, et sa fameuse liste de 64 positions pour l’acte sexuel »
↑a etb(en) Rory MacLean,Magic Bus : On the Hippie Trail from Istanbul to India, Ig Publishing,(présentation en ligne), « Hundreds of thousands of young westerners in search of enlightenment blazed the “hippie trail” that ran through Turkey, Iran, Afghanistan, Pakistan, India, and Nepal » (« Des centaines de milliers de jeunes occidentaux en quête d'illumination ont ouvert la « piste hippie » qui traversait la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde et le Népal »).
↑(en) Skip Stone,Hippies From A to Z : Their Sex, Drugs, Music and Impact From the Sixties to the Present, Hip,(présentation en ligne), « The following is a list of places where there exists a sizable hippy population, where there is tolerance towards hippies, where hippies are free to pursue their lifestyle with community support. »(« Ce qui suit est une liste d'endroits où il existe une population hippie importante, et où il y a une tolérance envers les hippies, où les hippies sont libres de poursuivre leur mode de vie avec le soutien de la communauté. »).
La version du 13 octobre 2010 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.