Les hadiths sont les recueils de tous les dires, faits et gestes deMahomet et constituent avec leCoran le socle théologique et législatif de l'islam. Ils apportent des détails précis sur lafaçon de faire tous les actes islamiques (prières, vêtements, pèlerinage, etc) et sont à la base de lacharia, la loi islamique. Leur masse littéraire est beaucoup plus importante que le Coran lui-même mais l'authenticité de tous est très discutée car ils auraient été transmis oralement après la mort de Mahomet et n'auraient été mis à l'écrit qu'environ deux siècles plus tard. Certains contredisent le Coran ou d'autres hadiths, et de nombreux rapportent des actes superstitieux qui avaient cours dans l'Arabie duVIIe siècle.
Unhadith ouhadîth[1] (enarabe :حديث,ḥadīṯ,/ħadíːθ/Écouterⓘ, plurielأحاديث,ʾaḥādīṯ) est une action du prophète de l'islam,Mahomet, rapportée par une chaîne de transmetteurs selon la tradition musulmane. Par extension, le terme désigne l'ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles de Mahomet et de sescompagnons. Les hadiths sont aussi désignés sous le nom de « traditions » de Mahomet ou de « traditions prophétiques ».
Alors que le nombre de versets normatifs dans leCoran est relativement concis, les hadiths apportent non seulement des éclaircissements sur Dieu (Allâh), le Coran, Mahomet et la vie après la mort, mais ils donnent également des directives sur tout ce qui organise la vie des fidèles, allant des détails des obligations religieuses (ablutions,prière,jeûne,pèlerinage) aux exhortations au bon comportement (devoirs et interdits, vertus et vices, règles de bienséance, nourriture, habillement, etc.)[2]. Ainsi, la majeure partie des règles de la loi dite islamique (charia) est dérivée des hadiths, plutôt que du Coran[3]. La discipline cherchant à étudier les traditions attribuées à Mahomet pour les distinguer de celles qui lui seraient faussement attribuées est ditescience du hadith.
Les hadiths peuvent être considérés comme l'« épine dorsale » de lacivilisation islamique[4] et leur autorité comme source de la loi religieuse et de l'orientation morale occupe le deuxième rang après leCoran (considéré comme la parole de Dieu)[5]. Il y eut une pluralité particulièrement importante dans les approches théologiques et juridiques du hadith dans l'histoire de l'islam, les différentes écoles et courants de pensées ne considérant pas les hadiths de la même façon et certainesles rejetant. Leur importance dans la définition du dogme et dans la définition des lois différait et continue de varier en fonction des orientations religieuses au sein même de l'islam.
Étymologiquement, le mot hadith signifie ce qui est « transmis ». La référence à ce qui est « dit » est secondaire[6]. Lorsque le termehadith (« propos ») est utilisé sans complément d'attribution, il désigne celui de Mahomet[7]. Certains hadiths sont classés en hadith qoudousi, « sacrés », qui sont considérés comme étant les paroles deDieu adressées directement àMahomet[8].
Viennent ensuite les hadiths des faits et paroles des compagnons du Prophète. Certaines traditions, néanmoins, utilisent le termeQu'ran pour désigner toutes les paroles dites par Mahomet[7]. Par extension, les hadiths intègrent des paroles mais aussi des actes ou des silences de Mahomet[7].
Exemple de hadith classé comme authentique (« sahîh ») où Mahomet parle : « Un jour, l'Apôtre d'Allah est allé à Musalla pour Id-al-Adha ou la prière d'Al-Fitr. Puis il passa devant les femmes et [leur] dit : "Ô Femmes ! Faites l'aumône parce que j'ai vu que la majorité des occupants du feu de l'enfer sont vous (les femmes)." Elles demandèrent : "Pourquoi en est-il ainsi, Ô Apôtre d'Allah ?" Il répondit : "Vous maudissez fréquemment et vous êtes ingrates envers vos maris. Je n'ai jamais rien vu de plus déficient en intelligence et en religion que vous. Un homme sensé pourrait être égaré par quelques-unes d'entre vous. " Les femmes demandèrent : "Ô apôtre d'Allah ! Qu'y a-t-il de déficient dans notre intelligence et notre religion ? Il dit : "La preuve apportée par deux femmes n'est-elle pas équivalente à celle d'un seul homme ? " Elles répondirent par l'affirmative. Il dit : "C'est l'insuffisance dans leur intelligence. N'est-il pas vrai qu'une femme ne peut ni prier ni jeûner pendant ses règles ?" Les femmes répondirent par l'affirmative. Il dit : C'est l'insuffisance dans leur religion." » —Sahih al-Bukhari, Volume 1, livre 6, N°301[9]
Exemple de hadith classé comme authentique où Mahomet ne parle pas : « Le prophète alapidé deux juifs, et je faisais partie de ceux qui les lapidaient. J'ai vu l'homme essayer de protéger la femme contre les pierres » — Sunan Ibn Majah 2556[10]
Le terme « hadith » peut ainsi inclure non seulement les paroles, les conseils, les pratiques, etc. de Mahomet, mais aussi ceux de sescompagnons[11],[12]. Cela concerne surtout les trois premiers siècles de l'Hégire, la distinction entre les traditions attribuées auxsahaba et celles attribuées à Mahomet n'est pas établie systématiquement[13]. Dans l'islam chiite spécifiquement, les hadiths concernent à la fois les paroles et les actions de Mahomet, ceux de sa famille (Ahl al-bayt), mais aussi ceux des imams considérés comme saints par les différents courants chiites[14].
Les hadiths ont fait l'objet de nombreux débats entre chercheurs, en particulier autour de leur authenticité. Un des premiers[note 1] à avoir soulevé la question de la présence de falsifications estAloys Sprenger en 1869[6]. Celui-ci rejeta l'efficacité de la critique traditionnelle. Il comprit que les variantes permettraient d'étudier les datations des hadiths mais resta « conservateur » en acceptant lesisnad comme source[15]. Les premières recherches restent concentrées sur le textematn et non sur la chaîneisnad, considérée comme secondaire[15].
Néanmoins, le premier nom important est celui d'Ignaz Goldziher, qui, en 1888, publie un travail important sur le sujet. Sans rejeter l'ensemble des hadiths, il démontre que beaucoup de traditions sont le reflet de la pensée des deux premiers siècles et demi de l'islam[6]. Son étude change le paradigme des recherches sur les hadiths[15] et a marqué un véritable tournant dans les recherches sur le sujet. Jusqu'alors, les chercheurs considéraient que leshadiths contenaient un noyau historique qu'il était possible de distinguer par un « bon tamisage ». Les recherches de Goldziher ont permis de montrer que les traditions étaient tardives et qu'elles étaient, souvent, plus légendaires qu'historiques. En cela, elles illustrent plutôt la société musulmane du milieu duVIIIe siècle. Ces travaux ont été confirmés par ceux deLeone Caetani et deHenri Lammens[16]. Ce point de vue fut finalement accepté parTheodor Nöldeke[16] etJoseph Schacht[17]. Dans la pratique, un certain nombre de chercheurs (Watt,Rodinson...) ont ignoré les recherches de Goldziher, puisque cela réduisait fortement ce qui devenait possible de dire sur Mahomet[15]. Néanmoins, les recherches de Goldziher ont permis de montrer que la littérature hadithique était peu utile pour étudier leVIIe siècle. Les recherches postérieures sur les hadiths chercheront donc à combler le vide de notre connaissance sur les débuts de l'islam[15].
En 1950, le travail de J. Schacht intégrait l'étude des chaînes de transmission[6]. Celui-ci a démontré la non-fiabilité des parties anciennes desisnads[16]. D'autres auteurs commeFuat Sezgin ou Motzki ont suivi[6]. Une méthode de « critique de l'isnad » a ainsi été relancée par certains savants, en se basant sur des « modèles de transmission supposée »[16]. En 1989, un des premiers chercheurs à utiliser cette méthode diteIsnad-cum-matn est Iftikhar Zaman qui a fait remonter, en étudiant plus de 100 versions différentes, une tradition à al-Zuhri et al-Thawri et donc à la fin du 1er siècle ou au début du second siècle de l'Hégire. L'étude de cette tradition a été reprise et les auteurs concluent qu'"au milieu du troisième siècle AH, le texte de la tradition dite « Sa'd-will » a été stabilisé et 150 ans de développement textuel ont pris fin"[18]. Un des buts de cette méthode est de repérer le chaînon par lequel la chaîne de transmission passe du légendaire au souvenir grâce à l'étude de la même tradition dans des sources différentes. Lorsque tous les isnads différents convergent vers un « lien commun », il est possible de supposer que cet auteur est le premier à avoir mis en circulation la tradition. Cette méthode peut faire l'objet d'erreurs en cas d'altération de l'isnad au cours du processus de transmission[16]. Cette méthode a été utilisée par Juynboll et Motzki qui parviennent à remonter au débutIIe siècle de l'Hégire[note 2],[16]. Juynboll, à la différence de Schacht ne considère pas le « lien commun » comme un faussaire mais juste comme l'auteur du texte et Motzki comme un collecteur[15],[note 3]. Cette méthode pourrait remonter à la fin du 1er siècle de l'Hégire pour certaines tradition sur les expériences visuelles et auditives de Mahomet ou sur l'accusation d'adultère portée contreAisha[16]. Schoeler accepte néanmoins l'existence de forgeries, la construction tardive de la chronologie de la vie de Mahomet, la dimension exégétique de certaines traditions[15]...
Entre l'optimisme de Motzki ou le scepticisme bien plus courant de Cook, Berg et Shoemaker, tous les auteurs sont d'accord sur le fait que les hadiths renseignent davantage ledéveloppement de l'islam queses origines,« à moins que nous ne redéfinissions aussi ce que nous signifions par origine »[15].
L'origine orale, ou écrite, des hadiths a été débattue par les islamologues. Pour Schoeler, le terme « oral » est à utiliser avec précaution, celui-ci n'excluant pas l'usage de l'écrit[19]. Des hadiths contradictoires remontent à Mahomet sur la question de la mise par écrit de ses paroles[19]. La transmission était effectuée de maître à élèves. Après leur apprentissage, les meilleurs étaient envoyés chercher de nouvelles traditions prophétiques[6]. Il semblerait que la mémorisation des hadiths a parfois pu être accompagnée de notes écrites[6], que certains maîtres demandaient d'effacer leurs notes écrites une fois mémorisées[19]. Néanmoins, la mise par écrits des traditions a connu de nombreux opposants, possiblement sous l'influence du judaïsme qui tenait à conserver une distinction entre Écriture et Tradition[6]. Pour Marie-Thérése Urvoy, s'il a été longtemps cru que le hadith appartenant au monde de la pure oralité, cette approche n'est plus juste[7].
Sihadiths etQur'an sont des paroles énoncées par Mahomet, la distinction entre les deux a été progressive et s'est faite selon des critères, avant tout formels. PourA. de Prémare, « en ce sens originel, le Coran est un ensemble dehadiths sélectionnés pour la récitation publique, et qui est destiné à représenter le Livre de Dieu. La constitution du Coran semble avoir consisté pour une grande part en cette composition sélective ». Le lien entre les deux se retrouve dans les hadiths et dans leCoran qui précisent de manière presque identique que « le Livre de Dieu est le plus beau deshadiths »[7]. La sélection entre ce qui a intégré le corpus des hadiths et celui du Coran a été menée par les scribes mais « la frontière entre les deux reste floue », comme l’atteste l'existence de hadiths réputés être des paroles divines[7].
Les penseurs musulmans ont, très tôt, eu conscience de l'existence de faux hadiths, chaque groupe politico-religieux créant ses propres hadiths. Ainsi, un hadith attribuant à Mahomet une critique desqadarites -mouvement n'existant pas du vivant de celui-ci- a pourtant été intégré aux recueils de traditions dites « authentiques »[6]. Hilali remarque que même les hadiths considérés comme « forgés » ont continué à être transmis et utilisés[20]… La première compilation écrite date seulement de 735, est celle de Zayd Bn 'Ali[17]. À partir duIXe siècle apparaissent des recueils qui se veulent critiques, comme celui d'al-Bukhari[7] ou deMuslim[21].
Selon certains auteurs, l'usage de l'isnad existait, dans certaines mesures, dans la transmission de la poésie arabe préislamique. Son importance ne culminera néanmoins qu'avec la littérature des hadiths[22]. Ce procédé est utilisé dans le monde juif[23]. Selon une tradition, en partie anachronique, attribuée àIbn Sirin , la mise en place des chaînes de transmission date de laFitna. Si l'existence de certaines chaînes à la fin du 1er siècle de l'islam est vraisemblable, le système n'est alors pas généralisé[6].Nabia Abbott cite l'exemple de Makhoul (mort en 112 de l’Hégire) qui aurait constaté que les Irakiens étaient plus stricts que les Syriens dans l'usage de l'isnad, alors que le Médinois Zuhri (mort en 124) reprochait souvent à ses interlocuteurs de ne pas en donner[24]. Si des traditions font remonter la critique du Hadith à l'époque des Compagnons[note 4], l'existence d'un examen critique formalisé est plus tardif[13]. L'examen critique des transmetteurs, lui, n'apparaît qu'à la fin duVIIIe siècle. La distinction entre les transmetteurs « fiables » et « faibles » est alors principalement basée sur des critères moraux et doctrinaux (ou d'utilité[25]) et non sur des critères objectifs[6],[26]. L'exigence d'unisnad complet est exigé à partir d'al-Shafi'i (m. 820)[7].
PourJacqueline Chabbi, « les chaînes de transmissions de ces propos […] sont surtout un alibi pour croire »[29]. Certains hadiths anachroniques ont pour autant été insérés dans des ouvrages de hadiths soi-disant « authentiques »[6]. En 1991, l'universitaire allemand Harald Motzki notait que rejeter la littérature hadithique comme sources historique fiables pour la connaissance du1er siècle de l'islam prive l'étude des débuts de l'islam de sources utiles[note 5]. Néanmoins, elle ne doit pas être« regardée comme complètement véridique »[30]. Pour Shoemaker, l'altération des isnad à grande échelle « ne fait pas de doute ». Pour l'auteur, « toute trace de transmission remontant au premier siècle de l'islam est très probablement artificielle et mythifiée »[16]. Pour Amir-Moezzi, « afin de justifier ces exactions, le pouvoir califal mit au point un système complexe de propagande, de censure et de falsification historique. Il altéra tout d'abord le texte coranique et forgea tout un corpus de traditions attribuées faussement au prophète »[31]. En cela, les traditions doivent être étudiées, comme sources anciennes, « mais elle[s] ne di[sen]t pas nécessairement le réel des faits qu’elle[s] invoque[nt] »[29].
Pour l'historienne Jacqueline Chabbi, « la fidélité présumée, tant revendiquée aujourd’hui par beaucoup, à une période de pureté initiale, à Mahomet et au Coran, s’adosse à un déni radical de l’histoire »[29]. Chabbi considère qu’il peut « être rassurant de se situer dans l’illusion d’une littéralité qui affirmait que le savoir musulman se référait toujours une base textuelle et reconnue, qui remontait à la période fondatrice de l’islam »[29].
Lesmusanaf sont les premiers ouvrages de collecte de hadiths, ils sont divisés par sections thématiques. Zuhri est réputé être le premier à utiliser cette méthode. Souvent, lesmusanafs intègrent également des traditions non-prophétiques, rapportant aussi les paroles et décisions desCompagnons et des Successeurs. Le célèbreMuwatṭa deMalik ibn Anas en est une illustration[32].
Parmi les sujets les plus abordés, figure celui de l'excellence du comportement, duzuhd. Dans ce type particulier de recueils, sont rassemblés toutes les traditions prophétiques relatives à la piété et à l'ascèse ainsi que des histoires sur les musulmans au comportement exemplaire aux premiers temps de l'islam ou encore celles des prophètes mentionnées dans le Coran[13].
Un nouveau genre apparaît avec lesmusnad. Les traditions attribuées à Mahomet y sont répertoriées en fonction de leur rapporteur. Chaque chapitre correspond à un des transmetteurs connus deschaînes de transmission où lui sont associés tous les hadiths qu'il a transmis. Les anciensmusanaf continuent d'être utilisés par les savants et du droit et les savants du hadith. Les premiers pouvaient les consulter pour s'informer des décisions prises par tel ou tel Compagnon par rapport à une question légale. Quant aux seconds, ils pouvaient vérifier si telle parole prêtée à Mahomet n'était pas plutôt prononcée par un de ses proches[13].
Les hadiths vont connaître un processus de canonisation, similaire à celui duCoran. Celle-ci prend principalement place auXe siècle, « période de canonisation intensive »[25]. Gilliot remarque que ce siècle est une période de « codification dans pratiquement tous les domaines : grammaire, poésie, littérature, critères pour accepter les traditions prophétiques, exégèse, jurisprudence, théologie, etc. »[25]. Les hadiths ont acquis une dimension normative, désignée sous le terme desunna, ce qui a été à l'origine de hadiths permettant d'interpréter le Coran « en fonction des besoins du moment »[7]. Les réflexions musulmanes sur les dits de Mahomet et sur la Sunna ont eu lieu dans un contexte de réflexions théologiques (comme sur la nature du message divin) et la critique des hadiths a dû être balancée entre la rigueur des historiens et les besoins et attentes de la communauté[33].
Les penseurs musulmans sunnites se sont mis d'accord sur un petit nombre de livres (six ou neuf) qui vont devenir canoniques. Ceux deBukhârî etMuslim sont très fortement estimés par les sunnites, « à telle enseigne qu'[ils] ont acquis au fil des siècles une aura similaire à celle du Coran. »[34]. Ces compilations étaient, pour leur époque, un « acte révolutionnaire », voire une « innovation douteuse », par le rejet des traditions que ces auteurs ne considéraient pas comme authentiques. Traditionnellement, comme chezIbn Hanbal, les traditions faibles étaient conservées « en raison de leur utilité ou de l'absence de traditions authentiques pouvant leur être substituées. »[34]. La canonisation s'est donc accompagnée d'une réflexion sur l'authenticité de ces traditions, en particulier par ‘Abd al-Raḥmân al-Râmahurmuzî (m. 360/971)[25].
Ces révolutions ont participé à faire évoluer l'autorité des hadiths écrits, au détriment de la « transmission vivante », traditionnellement considérée comme plus légitime. C'est pour cette raison que ces compilateurs ont fait l'objet de résistances, leur travail étant rejeté par les « grandes autorités de leur époque »[34]. Ainsi, « si l'originalité de leurs ouvrages a été immédiatement perçue, elle a été reçue non comme un « progrès » mais comme le signe de leur vanité »[34]. Ces résistances ont occasionné un intérêt pour ces compilations et ont paradoxalement participé à leur canonisation. Elles vont être à l'origine d'ouvrages compilant des listes de transmission, ce qui aura pour motivation de ne pas se séparer d'une forme de transmission et d'établir un lien direct entre le fidèle etMahomet[34],[35].
Il y a six principaux recueils de hadiths considérés comme références chez lessunnites ; on les appelle les « six livres » (kutub al-sitta)[37]. Les « six livres » sont lesahîh deal-Bukhârî (810-870), lesahîh deMuslim ibn al-Hajjaj (819-875), le recueil d'An-Nassa'i (830-916), le recueil deAbû Dâwud al-Sijistānī (817-889),Kitâb as-Sunnan, le recueil d'At-Tirmidhi (824-893),Sunan At-Tirmidhi, et le recueil d'Ibn Majah (824-887),Sunan Ibn Majah[32].
En raison du fait que certains hadiths contiennent des déclarations douteuses et même contradictoires, l'authentification des hadiths est devenue undomaine d'étude majeur dans l'islam[38]. Dans sa forme classique, un hadith comprend deux parties : la chaîne des narrateurs qui ont transmis le récit (isnad) et le texte principal du récit (matn)[39],[40][41][42]. Les hadiths individuels sont classés par les savants musulmans en catégories telles quesahih (« authentique »),hasan (« bon ») ouda'if (« faible »)[43]. Cependant, différents groupes et différents savants peuvent classer un hadith différemment.
Les spécialistes musulmans de la science du hadith ont mis en place plusieurs types de classifications : selon la fiabilité, selon la référence d'une autorité particulière, ou selon « l'étendue » de la chaîne de transmission (c'est-à-dire le nombre de transmetteurs distincts connus). Celles-ci ne sont pas applicables dans le cadre d'une critique historique. En effet, pour l'islamologueClaude Gilliot, la distinction entre hadiths dits « authentiques » et hadiths dits « faibles » relève plus souvent d'une interprétation doctrinale et juridique, que d'une approche objective ou scientifique[6].
Le terme « hadīth » est le mot arabe pour désigner des choses comme un discours, une transmission ou un récit[44][45],[46]:471. Contrairement au Coran, tous les musulmans ne croient pas que les récits des hadiths (ou du moins pas tous) soient une révélation divine. Ils n'ont pas été mis à l'écrit par les disciples de Mahomet de son vivant ni immédiatement après sa mort, mais plusieurs générations plus tard lorsqu'ils ont été collectés, rassemblés puis compilés dans des corpus . Différents recueils de hadiths viendraient différencier les différentes branches de la foi islamique[47]. Il existe de nombreux musulmans modernes (la plupartcoranistes ousubmitters) qui croient que la plupart des hadiths sont en réalité des fabrications (pseudépigraphe)[28] créées aux 8e et 9e siècles de notre ère, etfaussement attribuées à Mahomet[48],[49],[28].
Au milieu du deuxième siècle de l'islam, les savants musulmans doivent maîtriser plusieurs disciplines pour étudier les hadiths. Un siècle plus tard, la figure du savant s'est spécialisée, certains étudiant l'isnad, d'autres les narrateurs[21]. Ce n'est qu'auIIIe siècle que les principes de lacritique des hadiths apparaissent comme un genre distinct, mais qui reste hasardeux jusqu'au travail duchaféiteIbn al-Salah (v. 1181-1245). Ces travaux sont approfondis par les théologiens et juristes chaféitesal-Dhahabī (1274–1348) etIbn Ḥajar (1372–1449). Les principes de ces trois auteurs restent majoritairement utilisés par les musulmans[21]. Après Ibn Ḥajar, l'étude sunnite des hadiths se concentre sur leur interprétation. Pour les auteurs musulmans, Ibn Hajar et ses contemporains ont suffisamment questionné la question de la fiabilité des hadiths pour pouvoir établir des règles[21] : il reste donc à les étudier pour les interpréter « d'une manière qui aurait du sens dans le cadre des décisions de leurs écoles »[21].
C'est le théologien et militantsalafisteNāṣir al‐Dīn al‐Albānī (1914-1999) qui fait évoluer, à partir des années 1980, les études autour des hadiths. S'appuyant sur les principes du salafisme, il encourage à s'éloigner des traditions coutumières pour retrouver un islam dit « originel », celui du Coran et des hadiths. Sa pensée fait qu'il devient interdit de citer un hadith sans l'évaluer selon les principes critiques[21] : « le résultat le plus important a été qu'une génération d'étudiants universitaires a essayé d'évaluer tous les hadiths qu'ils utiliseraient dans leurs thèses ». Cependant, cette exigence de réévaluation des hadiths par chacun est rejetée par certains musulmans et des savants contemporains réinterrogent les principes de critique des hadiths[21].
Lechiisme considère également le corpus des hadiths comme deuxième source de la loi, intégrant leur étude dans l'enseignement religieux. Sunnites et chiites partagent l'idée que le Coran doit être interprété à la lumière des hadiths. Cependant, auVIIIe siècle, les chi'ites ont commencé par ne reconnaître que les hadiths qui remontent à Mahomet par l'intermédiaire d'Ali[50], de sorte queʿAïcha n'est pas considérée comme une source[51]. Un hadith « est cité par les érudits chiites non seulement pour donner une autorité parallèle aux hadiths aux côtés du Coran, mais aussi d'accorder l'autorité aux hadiths de la maison du Prophète comme un moyen de bien comprendre le Coran ». Les chiites élargissent le champ des hadiths aux paroles de Mahomet et à celles desdouze imams. Les hadiths reçus des imams sont parfois appeléskhabar[52] (akhbâr au pluriel).
Les chiites distinguent la critique des hadiths qui provient du monde chiite de celle qui en est extérieure. Ils ne reconnaissent pas les hadiths provenant des « six livres » dont ils doutent de l'authenticité. Un accent est mis dans le monde chiite sur le risque de perte de contexte des hadiths[52].
Les compilations de hadiths par les chiites durant les premiers siècles ont mené à la création des « Quatre livres » formant un ensemble de référence. Le premier de ces ouvrages estal‐Kāfı, deMuh ̄ ̣ammad ibn Yaʿqūb Kulaynı, dont l'importance peut être comparée à celle deBukhari[52].
Lecoranisme rejette en bloc tous les hadiths et ne reconnait que leCoran comme source religieuse unique car Dieu le déclare à l'intérieur comme complet, parfait et pleinement détaillé.
Les coranistes ne voient cependant rien de mal à utiliser les hadiths pour se faire une idée des événements historiques. Ils soutiennent que la plupart des sources utilisées sur l'histoire ne sont pas fiables, tout comme les hadiths, et donc il n'y a aucun mal à les utiliser comme référence historique, sans prendre les récits pour des faits. Selon eux, un fait historique dans un hadith peut être vrai ou faux, mais un hadith ajoutant des règles à la religion est toujours complètement faux[53]. Ils croient que la fiabilité du narrateur n'est pas suffisante pour donner de la crédibilité au hadith, car il est indiqué dans le Coran queMahomet lui-même ne pouvait pas reconnaître qui était un vrai croyant et qui était hypocrite dans leur esprit[54].
Le hadith est une parole ou un fait en lien avecMahomet. Il lui est intrinsèquement relié et semble nous permettre de mieux connaître la figure de Mahomet. Du point de vue de la tradition musulmane, les hadiths nous informent implicitement ou explicitement sur Mahomet et sur sa pensée. Certains hadiths, presque accidentellement, fournissent des données sur Mahomet lui-même. Ainsi, on y trouve des descriptions physiques (qui en font un idéal de beauté), des traits de caractères, des miracles qu'il aurait effectués[55]. Cela contraste avec la faiblesse des descriptions coraniques. « Les traditions qui ont été transmises et recueillies par les savants des hadiths différaient dans une certaine mesure de ce que les savants de la biographie du Prophète jugeaient pertinents pour leurs études, et des observations similaires peuvent être faite à l'égard des commentateurs du Coran »[55].
Néanmoins, les sources datent de 200 ans après Mahomet et d'importantes réserves existent quant à la fiabilité de celles-ci. L’intérêt pour les descriptions de Mahomet n'a émergé qu'avec le temps et devient important lorsque Mahomet devient le « beau modèle ». Si l'existence de déclarations authentiques n'est pas improbable dans les hadiths, divers intérêts (juridiques, théologique...) ont été à l'origine d'inventions ou de transformations de traditions. Il est néanmoins très difficile d'extraire le noyau historique[note 6] des hadiths[55].
Malgré des incohérences, les hadiths présentent une image idéale de Mahomet, ce qui contredit l'image de Mahomet qui pourrait être tirée duCoran ou desSira. Néanmoins, par l'autorité supérieure des hadiths à celle des sira, cette image qui apparaît dans les hadiths est importante pour l'histoire de l'islam puisqu'elle a servi dans les écrits des savants musulmans et dans l'imitation de Mahomet comme modèle[55].
Lekalam est un courant de pensée dont les partisans cherchent à partir de moyens rationnels et à partir d'éléments révélés comme les hadiths, à étudier les questions théologiques. Néanmoins, les savants dukalam et ceux des hadiths se sont fortement opposés, les seconds considérant lekalam comme une innovation, tandis que les premiers diminuaient l'importance des hadiths et accusaient les seconds de ne pas comprendre le sens réel de la religion[56].
Lekalam apparaît « vers la fin de la période des compagnons du Prophète », à la suite de conflits politiques, de guerres civiles et, dans ce contexte, l'apparition de nouvelles questions religieuses. Les premiers savants se sont limités au Coran et à la Sunna mais des tendances anthropomorphiques sont apparues[note 7],[56]. L'emploi de la Raison a alors été intégré à ces réflexions. LesMuʿtazilistes ont ainsi défendu une interprétation métaphorique de ces passages coraniques. Le Muʿtazilisme a été interdit au4e siècle del'Hégire et celui-ci a été remplacé par les vues d'al-Ash'ari, proches de celles des savants du hadith (qui n’approuvèrent pour autant pas la méthode d'al-Ash'ari)[56].
Les oppositions d'approches entre les érudits du kalām et ceux des hadiths ont compromis l'usage et la valeur probante des hadiths dans la théologie musulmane[56].
Le Coran est un texte qui a fait l'objet d'interprétations (tafsir) et une grande partie de celles-ci se sont faites sous la forme de hadiths et d'éléments remontants,via un isnad, à Mahomet ou à ses compagnons. À la différence des hadiths construisant laSira, la plupart des hadiths exégétiques sont censés remonter aux compagnons et montrent une diversité dans l'interprétation[57].
Si la méthode de Motzki a pu être utilisée pour dater des hadiths législatifs, les hadiths exégétiques se prêtent moins en raison d'un moins grand nombre de variations[57]. Pour l'auteur, les autorités à l'origine des hadiths exégétiques sont Abū Ẓabyān, Saʿıd ibn Jubayr, al‐D ̄ ̣aḥḥāk, Mujāhid, Qatāda, et Muḥammad ibn Abı Muh ̄ ̣ammad, et non Ibn ʿAbbās. Cela implique qu'une partie de l'isnad ait été inventée[57].
La loi est au cœur de la pensée religieuse musulmane. La première littérature sur la loi musulmane apparaît auVIIIe siècle. En raison des contradictions entre hadiths, chaque école a eu tendance à utiliser son propre corpus de hadiths pour soutenir ses lois[58]. Ainsi, les malikites acceptent le témoignage d'un seul Compagnon de Mahomet. Les chaféites ne le considèrent pas comme valable. Ces derniers sont plus exigeants quant à la continuité de l'isnad : il ne doit manquer aucun intermédiaire dans la chaîne des transmetteurs ; tandis que Malik et Hanifa acceptent une lacune si le témoin est réputé[59]. Le hadith est davantage discuté dans la littérature sur la jurisprudence que dans les livres de règles[58].
↑W. Muir est aussi un des premiers auteurs de la critique occidentale à se pencher sur les hadith en 1856 : D. W. Brown, « Western Hadith Studies »,The Wiley Blackwell Concise Companion to The Hadith, 2020,p. 39-57.
↑Voir la partie sur les hadiths comme sources historique et la note sur les recherches de Motzki.
↑Les recherches de Motzki ont été critiquées par Melchert (2004) et Gledhill (2012) : [Brown 2020]
↑L'auteur cite l'existence de très nombreux hadiths (et isnad) forgés à des fins politiques (Propagande...), à des fins théologiques ou légales (afin de soutenir une opinion comme l'incréation du Coran...), chauvinistes (racisme...) ou littéraire (intégration de récits populaires...).
↑Il faut probablement le rechercher dans les données qui n'ont pas été affectées par des considérations légales, comme le fait que Mahomet aurait aimé les sucreries, qu'il était colérique ou qu'il oublia une fois une partie de la prière...
↑Le Coran évoque, en effet, les mains et le visage d'Allah. Par exemple, LI, 47 : « Le ciel, Nous l'avons édifié avec Nos mains » (d'autres traductions disent « par Notre puissance »). Ou II, 115 : « Où que vous vous tourniez, la Face (direction) d'Allah est donc là ». Ou encore, LV, 27.
↑David F.Forte, « Islamic Law; the impact of Joseph Schacht »,Loyola of Los Angeles International and Comparative Law Review,vol. 1,,p. 2(lire en ligne, consulté le).
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