Ne doit pas être confondu avecGuerre dacique de Domitien.
Date | 101-102 et105-106 |
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Lieu | Dacie etMésie romaine |
Issue | Annexion du royaume dace par l'Empire romain et création de la province deDacie romaine. |
Daces | Empire romain |
Décébale | Trajan |
~40 000 guerriers à la première guerre[N 1]. ~15 000 guerriers à la seconde[N 1]. AlliésBures,Roxolans etBastarnes à la première, peut-être lesIazyges à la deuxième. | ~150 000 légionnaires, prétoriens et auxiliaires engagés à la première guerre. ~200 000 légionnaires, prétoriens et auxiliaires engagés à la seconde. |
L'armée dace et une partie de son peuple vendus comme esclaves[N 2]. | Inconnues[N 3]. |
Guerres daciques de Trajan
Batailles
Troisième bataille de Tapae (101)
Bataille d'Adamclisi (hiver 101/102)
Siège de Sarmizegetusa (106)
Lesguerres daciques de Trajan sont deux campagnes militaires de l'empereur romainTrajan contre leroyaume dace deDécébale en101-102 et105-106. Elles aboutissent, en l'an106, à l'annexion du royaume dace et à la création d'une nouvelleprovince, laDacie romaine.
Les campagnes de Trajan font partie du conflit plus large opposant le peuple desDaces, qui occupe les montagnes desCarpates, à l’Empire romain sous les règnes des empereursDomitien etTrajan : lesguerres daciques. Entre85 et89, Domitien a menéplusieurs campagnes contre les Daces à la suite de l'attaque de ces derniers, mais elles furent difficiles et se conclurent par un traité plutôt avantageux pour le royaume dace unifié.
Une première guerre est engagée par Trajan pour venger la défaite subie quinze ans plus tôt parDomitien lors de lapremière bataille de Tapae. Il entreprend de pénétrer dans le territoire des daces pour les intimider et peut-être, si possible, l'annexer. Après une contre-attaque enMésie romaine des daces et de leurs alliés, qui sont notamment vaincus à labataille d'Adamclisi, le roiDécébale doit capituler mais préserve son pouvoir et la majorité de son territoire. Une deuxième guerre se déclare quelques années plus tard à la suite de l'attaque des territoires daces sous contrôle romain et de laMésie par Décébale. C’est à l’issue de cette guerre que le royaume dace est finalement annexé, Décébale s'étant suicidé, et laprovince romaine deDacie est créée.
Cette annexion, cependant, a posé au fil des années un problème stratégique qui ne connaît pas de solution définitive. La région annexée, située au nord duDanube, est difficile à défendre contre les incursions barbares et nécessite la mobilisation de nombreux soldats, jusqu’à 50 000, ce qui génère des dépenses que l’exploitation desmines d’or daces ne suffit plus à couvrir.
Rome est maîtresse de tout lebassin méditerranéen. EnEurope centrale, ses conquêtes se sont stabilisées autour des deux grands bassins fluviaux duRhin et duDanube. Le royaume de Dacie est le seul état organisé dans cette région, profitant de territoires riches en mines d’or et d’argent.
Les deux premières années du règne deDomitien sont marquées par des problèmes de politique interne qui conduisent à une première vague de déportations et d’exécutions. Parmi les victimes de cette première purge, on trouveTitus Flavius Sabinus et un certain nombre de proches du défunt frère de Domitien,Titus[s 1].Domitien adopte une politique extérieure extrêmement agressive, principalement en Occident, où il entreprend une série de longues guerres sur lesconfins de l’Empire, voulant ainsi rendre plus sûres ses frontières et se couvrir de gloire militaire[s 2].
En83, Domitien se rend à Mayence, d’où il dirige une expédition contre lesChattes, en réponse à l’attitude de plus en plus menaçante de ce peuple qui devient dangereux pour la province frontalière et conquiert la région des montsTaunus et desChamps Décumates. Cette expédition offre à Domitien l’occasion de renforcer sa position grâce à la gloire qu’il tire de ses victoires militaires[c 1]. L’expédition est un succès et se conclut par la reddition sans condition des Chattes. Domitien prend le surnom deGermanicus et des pièces de monnaie sont frappées de la devise « Germania capta[c 2] ». Bien que les gains territoriaux ne soient pas très importants, Domitien parvient à propager l’idée qu’il a réussi là oùAuguste lui-même a échoué[s 2].
La politique de plus en plus sévère suivie par Domitien à l’encontre des tribus barbares vivant le long de la frontière a pu conduire un certainDiurpaneus[N 4], un chef des Daces, à former une coalition contre Rome et, durant l’hiver84/85[a 1],[1] ou pendant l’été85, à mener l’invasion de laprovince de Mésie[s 3]. Les circonstances exactes de cette invasion et les motivations du chef dace demeurent néanmoins mystérieuses[s 4],[c 3]. Le gouverneurCaius Oppius Sabinus est tué dans les combats et de nombreux forts auxiliaires le long du Danube sont détruits. La province de Mésie est livrée aux pillages.
Domitien réunit immédiatement les troupes des provinces environnantes, y compris celles dePannonie et deGermanie supérieure, et se rend en personne enMésie. Les acclamations de Domitien par ses troupes suggèrent que les envahisseurs sont repoussés au-delà duDanube en85. Domitien retourne ensuite à Rome où il célèbre untriomphe début86[s 5].
Durant l’été86 est lancée une expédition punitive enDacie, menée par lepréfet du prétoireCornelius Fuscus, afin de venger la mort de Sabinus et le ravage de la province romaine. L’armée traverse le Danube sur un pont de bateaux, probablement àOescus. Elle longe ensuite le cours de l’Olt et atteint lecol Turnu Roșu qui permet d’accéder au cœur du royaume dace. L’armée est alorsprise en embuscade et défaite par les Daces. Cornelius Fuscus est tué dans les combats. Les Daces deDiurpaneus s’emparent de tout l’équipement de la troupe romaine et font de nombreux prisonniers. La nouvelle de la défaite se propage rapidement au sein des tribus du Danube ennemies de Rome et affaiblit la position de l’empereur Domitien. La même année, ce dernier retourne enMésie afin de mettre sur pied une nouvelle expédition. Celle-ci est commandée parMarcus Cornelius Nigrinus et a pour objectif l’élimination deDiurpaneus. Fin 86, Domitien rentre de nouveau à Rome mais s’abstient cette fois-ci de célébrer un triomphe[s 6]. L'empereur subdivise l'importante province deMésie en deux : la province supérieure à l'ouest et la province inférieure à l'est[r 1].
Pendant ce temps, en Dacie,Duras, chef des tribus du sud-ouest du royaume, se retire au profit de son parentDécébale[s 7]. Certains historiens pensent queDuras etDiurpaneus sont la même personne[2],[3], hypothèse soutenue par Karl Christ[c 3] mais rejetée fermement par Karl Strobel[s 8], par ailleurs Décébale se nomme aussiDiurpaneus et est souvent considéré comme étant une seule et même personne.
AvecDécébale, c’est un roi charismatique et fin négociateur, politiquement et militairement hautement qualifié, qui monte sur le trône. Décébale adopte à l’égard de Rome une attitude d’abord neutre mais il est vite devenu évident qu’aucun accord ne pourrait être trouvé. Domitien répond à cet événement par une restructuration massive des provinces danubiennes et de nouveaux projets de guerre[s 8],[c 3].
Un an plus tard, le légatLucius Tettius Iulianus entre dans leBanat et se dirige versSarmizegetusa, centre du pouvoir dace. Malgré plusieurs succès, entre autres lavictoire à Tapae, Tettius Iulianus n’est pas en mesure de profiter de son avantage[r 1], peut-être à cause de pertes trop importantes ou parce que la saison est trop avancée[c 3].
Pendant la guerre en Dacie, les tribus germaniques desQuades et desMarcomans n’ont pas respecté leur obligation de fournir des troupes aux Romains, ce qui annule de fait lesfoedera conclut avec ces peuples. Le danger représenté par ces tribus rebelles a été anticipé par Domitien avant la guerre en Dacie et celui-ci lance une expédition punitive en89 (première guerre de Pannonie). Cette expédition est un échec aux multiples conséquences : lesIazyges, témoins de la défaite des troupes romaines, se décident à entrer en guerre[c 3],[r 1] et la réputation de Domitien s’affaiblit encore à Rome où, étant présent sur le terrain, on le tient pour personnellement responsable. L’écart entre la représentation en général victorieux de l’empereur et la réalité sur le terrain devient évident[c 4].
Après avoir essuyé ces nombreux revers,Domitien n’a d’autre choix en89 que de trouver un compromis de paix avecDécébale pour gagner du temps. Le point central de ce compromis est la reconnaissance de Décébale comme roi vassal de toute la Dacie. Le traité comprend également le versement de subsides et l’envoi d’ingénieurs romains. Décébale est alors en mesure d’unir tout le royaume de Dacie, une première depuis le règne deBurebista, mort en44av. J.-C.[s 9]. Il s'agit d'unstatu quo pour l'Empire romain[r 1].
Une fois la paix signée avec les Daces, Domitien tente, par voie diplomatique, d’attaquer par l’arrière lesMarcomans et lesQuades. Ceux-ci répliquent en renouvelant leur alliance avec lesIazyges et en pénétrant dans l’Empire en92. Après qu’ils ont anéanti laLegio XXI Rapax, Domitien se rend personnellement sur le front afin de stabiliser la situation. Sa victoire sur les Iazyges est complète, ces derniers resteront confinés sur leur territoire jusqu’en 105/106 ou 107/108[s 4]. Cependant, des batailles ultérieures contre les Quades et les Marcomans ne sont pas décisives et aboutissent à un cessez-le-feu (seconde guerre de Pannonie).
De nombreux événements ayant eu lieu durant les guerres daciques de Trajan sont représentés sur lacolonne Trajane à Rome[r 2]. Cependant, l’interprétation de cesreliefs n’est pas chose aisée car les représentations ont servi à des fins de propagande et sont souvent idéalisées[4]. De plus, de nombreuses références écrites à l’époque deTrajan sont perdues, notamment lesCommentarii De Bellis Dacicis, écrits par Trajan lui-même[s 10]. Les sources écrites qui nous sont parvenues donnent assez peu de détails. Il s'agit notamment des fragments et résumés byzantins de l’œuvre deDion Cassius, parfois obscurs et très incomplets[r 2],[p 1]. Quelques données archéologiques viennent compléter et permettent de confronter les sources disponibles[r 2].
Une fois la pourpre impériale obtenue,Trajan reste pendant plus d’un an et demi le long dulimes rhéno-danubien, de sorte que son entrée dans Rome, capitale de l’Empire, n’a lieu qu’en octobre99. Durant tout ce temps, Trajan a eu le temps de réfléchir à la politique étrangère qu’il allait adopter et notamment de la conquête possible du royaume de Dacie dont la montée en puissance constitue une menace de plus en plus pesante si près des frontières de l’Empire. La paix signée par Domitien avecDécébale, avec le versement de subsides et l'aide d'ingénieurs romains, est une situation humiliante pour l'Empire, tout comme la reconnaissance d'un seul et unique roi des Daces, qui permet l'union de tout un royaume à la frontière des provinces romaines. L’empereur a également besoin d’un succès militaire pour asseoir sa légitimité[s 11].
« Après un séjour de quelque temps à Rome, [Trajan] entreprend une expédition contre les Daces, songeant à leur conduite, affligé du tribut qu'ils reçoivent tous les ans, et voyant avec leurs troupes s'augmenter leur orgueil[N 5]. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 6, 1 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Selon les empereurs romains, seule une « guerre juste » peut être menée (bella iusta). Officiellement, c’est donc le comportement duroi daceDécébale qui provoque la guerre, accusé d’avoir violé les dispositions dutraité de paix de 89[s 12].
Cependant, les causes profondes de la guerre sont plutôt à chercher dans la volonté d’éviter la formation d’un royaume dace trop puissant qui constitue une menace pour la stabilité de la frontière danubienne et pour la sécurité des provinces danubiennes et balkaniques[5]. L’occupation des montagnes de Dacie entraînerait la désorganisation et donc l’affaiblissement des peuples du bassin desCarpates, ce qui permettrait un développement pacifique des provinces frontalières deMésie et deThrace. Les riches gisements en or et en divers minerais de la Dacie ont peut-être été un argument supplémentaire incitant à la conquête de la région[a 2].
Mais cet aspect ne doit pas être surestimé[s 11] : il semble qu'il n'ait pas été le principal objectif deTrajan. Ce dernier estime d’abord comme son devoir de punirDécébale, roi des Daces, qu’il tient pour responsable des résultats désastreux descampagnes de Domitien en85 et86[b 1],[a 3].Trajan compte aussi tirer profit également de la gloire qu’il tirera de ses victoires militaires et qui lui serviront à légitimer son règne[s 13]. Il cherche en effet à apaiser les tensions entre le sénat et le princeps en imposant saVirtus, l'assassinat deDomitien en 96, ayant chamboulé la vision de l'ordre sénatoriale quant à la description du « mauvais Prince ». Qui plus est la conquête de laDacie serait un moyen exceptionnel de protéger laGrèce et l'Anatolie, créant autour de ces régions, unglacis de protection idéale, ainsi que la fin des provocations Daces sur les dits régions.
Une guerre de cette ampleur, déjà projetée à maintes reprises depuis l’époque deJules César, nécessite cependant une préparation minutieuse et la réorganisation du limes le long duDanube et duRhin dontTrajan va retirer de nombreux effectifs. Lescampagnes de Domitien, menées quinze ans plus tôt, ont appris aux Romains que les Daces savent combattre, qu’ils sont bien formés, difficiles à vaincre, qu’ils n’ont jamais été soumis et qu’ils peuvent compter sur d’importantes ressources militaires et financières[s 14].
Ces préparatifs de guerre prennent la forme d’une réorganisation importante des infrastructures des provinces danubiennes avec, par exemple, la réfection et le prolongement de la voie romaine le long du Danube dont les travaux avaient commencé sousTibère. Cette route permet de traverser les zones rocheuses de la rive sud du Danube dans la région desPortes de Fer, comme en témoigne encore aujourd’hui laTabula Traiana[r 2]. Les rapides des Portes de Fer demeurent un obstacle à la navigation et c’est pour les contourner que Trajan fait creuser un canal de 3,2 km de long et 30 mètres de large[s 14],[r 2].
Trajan réunit une armée composée deslégions danubiennes ainsi que d’unités auxiliaires et devexillations d’autres légions[N 6]. Au total, ce sont environ 150 000 hommes qui sont déployés par l’Empire, dont 75 à 80 000 légionnaires et 70 à 75 000 auxiliaires[6],[b 2],[r 2].
LesMarcomans et lesQuades ont retrouvé leur statut de fédérés à l’issue d’une troisième guerre de Pannonie en98. Cette fois-ci, quandTrajan leur demande d’honorer leur engagement en fournissant des troupes à l’Empire, les Marcomans et les Quades restent fidèles. C’est un point important dans les préparatifs de guerre pour Trajan car il n’a pas à craindre qu’un nouveau front s’ouvre ailleurs dans l’Empire, surtout à cette époque où le front parthe est calme. Ainsi Trajan a pu être en mesure de réunir une grande armée pour les guerres daciques à venir[s 15].
Concernant les Daces, il est difficile d'avoir une estimation des forces en présence. Selon les données fournies parStrabon, les Daces et les Gètes unifiés sousBurebista au milieu duIer siècle av. J.-C. peuvent former une armée de 200 000 hommes, mais il n'y aurait plus que 49 000 guerriers tout au plus au début duIer siècle[a 4]. Selon des études modernes, basées sur la population estimée, on est autour de 40 000 hommes disponibles pour la première guerre. Certains auteurs donnent tout de même jusqu'à 200 000 hommes à la disposition deDécébale[r 2].
Décébale obtient le soutien desRoxolans du Danube inférieur, desBastarnes et desBures, peuple germanique situé au nord desIazyges. Ces alliances de Décébale menacent toute la frontière des provinces dePannonie et deMésie[p 1]. Pendant la guerre, le roi dace essaie en vain de trouver de nouveaux alliés parmi les tribussuèves,quades etmarcomanes[b 3].
Le[I 1],Trajan quitte Rome et l’Italie[I 2], peut-être parAncône puisIader après une traversée de lamer Adriatique[7].
Il est à la tête de lagarde prétorienne[I 3], accompagné de sonpréfet du prétoireTiberius Claudius Livianus[a 5] ainsi que d’un certain nombre de compagnons parmi lesquelsLucius Licinius Sura[a 5],Quintus Sosius Senecio[I 4],Lusius Quietus[a 6],Cnaeus Pompeius Longinus[b 4],Publius Aelius Hadrianus et peut-êtreDecimus Terentius Scaurianus, qui devient plus tard gouverneur de Dacie[I 5], et se dirige vers la province deMésie supérieure. Pour soutenir l’expédition, Trajan nomme de nouveaux gouverneurs dans les provinces limitrophes :Caius Cilnius Proculus devient gouverneur de Mésie supérieure,Manius Laberius Maximus gouverneur de Mésie inférieure etLucius Iulius Ursus Servianus dePannonie[b 5].
Nous connaissons le plan stratégique suivi parTrajan par ses propres mots[N 7],[s 10] : « Berzobim puisAizi[a 7] ». Ces deux sites sont situés le long de la plus occidentale des routes menant en Dacie. Elle part deLederata, sur le Danube près deViminacium, où l'empereur traverse le fleuve sur un pont flottant[s 16] et conduit àTibiscum. Puis, à partir de là, par le trajet le plus court possible, la route mène àTapae et au passage desPortes de Fer, à l’emplacement actuel d’Oțelu Roșu[b 6], avant d’entrer au cœur du royaume de Dacie. C’est cette route qui avait déjà été emprunté parLucius Tettius Iulianus lors de la campagne de88[c 3].
Il est possible qu’une deuxième colonne ait traversé le Danube àDierna et ait emprunté la route passant parTeregova pour rejoindre la première colonne commandée parTrajan versTibiscum[b 7]. Cette hypothèse provient d’une analyse des scènes IV et V de lacolonne Trajane qui montrent deux ponts de bateaux parallèles enjambant le Danube, l’un emprunté par les légionnaires et l’autre par les prétoriens. Ces deux ponts pourraient être un moyen utilisé par le sculpteur pour indiquer que l’armée est divisée en deux colonnes qui ont traversé le Danube au même moment[f 1],[8].
La division de l’armée en deux colonnes a pu servir à diviser les forces daces qui doivent alors protéger plusieurs points stratégiques, manœuvre tactique qu’utilisera Trajan lors de laguerre contre les Parthes lorsqu’il fera progresser son armée à la fois le long de l’Euphrate et le long du Tigre. Pour faciliter la progression des troupes et leur approvisionnement, le cours du Danube a été aménagé l’année précédente, avec notamment la construction d’un canal bordé d’une route permettant de contourner un passage étroit du fleuve formant une cataracte, nommée égalementPortes de Fer[I 6],[9].
« Décébale est saisi de crainte à la nouvelle de sa marche ; il sait bien, en effet, qu'auparavant ce n'est pas les Romains, mais Domitien qu'il a vaincu, et qu'à présent il va avoir à combattre contre les Romains et contre l'empereurTrajan »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 6, 2 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Après avoir traversé le Danube, l’armée romaine progresse en territoire dace sans rencontrer une grande résistance. Les Daces adoptent une tactique de retraite vers l’intérieur du pays, reculant au fur et à mesure que l’armée romaine avance, reprenant la même stratégie que lors de la campagne deCornelius Fuscus en86. Les Daces espèrent ainsi forcer les Romains à quitter leurs lignes de communications et d’approvisionnement et les isoler dans les montagnes deTransylvanie. Lesreliefs de la colonne montrent des forteresses désertes, des troupeaux anéantis, des collines abandonnées. Au cours de cette approche, aucun affrontement sérieux n’est signalé[a 8].
« LorsqueTrajan est près de Tapae, où campent les barbares, on lui apporte un gros champignon, où est écrit en caractères latins que les autres alliés et les Bures engagent Trajan à retourner en arrière et à conclure la paix. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 8, 1 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Malgré tout,Trajan, bien que n’ayant rencontré aucune résistance, continue à progresser vers l’intérieur du royaume avec précaution, craignant les embuscades. L’avancée de l’armée s’accompagne de la construction de routes, de ponts et de forts le long du chemin[b 8]. Jusqu’àTapae, unique bataille de cette première campagne,Décébale évite tout affrontement armé.
Après avoir atteintTibiscum,Trajan établit un campement puis attaque les forteresses daces protégeant le passage desPortes de Fer (bataille de Tapae). Celui-ci est forcé après des combats acharnés[a 9].
Il ne s’agit pas pour autant d’un combat décisif[r 2], les Daces pouvant encore se replier dans lesbastions des monts d’Orastie, bloquant ainsi la route menant àSarmizegetusa Regia.
L’arrivée de l’hiver rend imprudent une attaque de ces forteresses, l'offensive est alors ralentie,Trajan faisant hiverner ses troupes en territoire ennemi et établir des garnisons aux alentours de ce système défensif, tentant d'empêcher son ravitaillement[f 2].
En récompenses de leurs services dans la première année de campagne,Lucius Licinius Sura etLucius Iulius Ursus Servianus retournent à Rome pour devenirconsuls éponymes[b 9].Quintus Sosius Senecio remplace le gouverneurCaius Cilnius Proculus en Mésie[10].
Au cours de l’hiver101/102,Décébale décide de passer à l’offensive afin de desserrer l'étau romain autour de Sarmizegetusa. Comme en85, il attaque laMésie inférieure, soutenu par lesSarmatesRoxolans[f 3],[s 17],[r 2] menés par le roiSusagus[a 10]. Les deux armées, dace et sarmate, traversent le Danube, mais le généralManius Laberius Maximus, gouverneur de la province, parvient néanmoins à faire face à leur raid[f 2].
Trajan est cependant obligé d'intervenir et doit quitter lesmonts d’Orastie, tout en y laissant une garnison suffisante pour ne pas totalement abandonner le terrain conquis, et grâce aux routes et à la flotte danubienne, laClassis Moesica[f 4], arrive rapidement en soutien de Laberius Maximus[f 2].
Les forces daces et roxolanes sont totalement arrêtées, et les Roxolans, peut-être après avoir vainement assiégé le fort légionnaire deNovae, subissent une défaite nocturne près de l’endroit où sera fondée la ville deNicopolis ad Istrum par Trajan pour honorer la victoire[a 11]. Les Daces sont défaits à labataille d'Adamclisi[I 7],[r 2],[p 1].
« [Le] combat [...] voit un grand nombre des siens blessés et fait un grand carnage parmi les ennemis ; les bandages étant venus à manquer, il n'épargne pas, dit-on, ses propres vêtements, et les coupe en morceaux ; de plus, il ordonne d'élever un autel en l'honneur de ses soldats morts dans la bataille, et de leur offrir tous les ans des sacrifices funèbres. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 8, 1 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Le lieu de la bataille est d'abord marqué d'un autel puis par la construction en 109 d’un grand trophée, leTropaeum Traiani[r 2].
Vers le mois de mars102, Trajan reprend l’offensive et avance sur trois fronts : une première colonne traverse le Danube au niveau dulimesOescus-Novae et continue le long de la vallée de l’Ost jusqu’au col suffisamment large et accessible deTurnu Roșu[r 2]. Deux autres colonnes progressent selon des itinéraires parallèles dans le secteur desPortes de Fer. Le point de jonction des trois colonnes se situe à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest deSarmizegetusa[b 10].
Après trois batailles mineures mais victorieuses, Trajan tente de prendre la forteresse deCostesti, le général romainManius Laberius Maximus s’empare de la place forte deTilisca[s 17] et y capture la sœur du roi Décébale, comme on peut le voir sur les reliefs de la colonne[f 5],[a 12].
Décébale, affaibli par sa défaite à Adamclisi et déstabilisé par la progression des trois puissantes armées romaines, décide de négocier la paix et envoie deux ambassades devant Trajan. Ce dernier refuse de recevoir la première mais finit par accepter d’écouter la deuxième, composée de nombreux nobles daces[a 6] (reconnaissables sur les reliefs à leurs chapeaux de feutre). Il chargeLucius Licinius Sura etTiberius Claudius Livianus de discuter des conditions de paix, c'est-à-dire une reddition totale des daces. Ceux-ci n’ayant pas encore subi de pertes irréparables, et ayant conscience du funeste sort qui les attend s'ils capitulent, les négociations échouent et la guerre continue[a 13],[s 18].
« Décébale, envoyant alors en ambassade à l'empereur les principaux des Daces portant le bonnet, et le faisant implorer par eux, de montre disposé à traiter à n'importe quelle condition. [...] [L'empereur envoie à Décébale]Licinius Sura etClaudius Livianus, préfet du prétoire. Mais on n'obtient aucun résultat. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 8, 4 et 9, 2 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Les troupes romaines poursuivent alors leurs progressions et parviennent à libérer des ingénieurs romains prisonniers, à récupérer uneAquila perdue (probablement celle d’une cohorte prétorienne engagée dans la campagne deCornelius Fuscus en 86[a 14]). Elles franchissent lecol Turnu Roșu. On sait avec certitude que l’une des colonnes, dirigée parLusius Quietus, compte dans ses rangs des cavaliers maures[11],[f 6].
Costesti et toutes les citadelles tombent les unes après les autres, l’armée dace est défaite et anéantie[12].
« Comme [Trajan] s'efforce d'arriver sur les hauteurs, enlevant les collines l'une après l'autre au prix de mille dangers, il arrive près de la résidence des rois daces, en même temps queLusius Quietus, qui a attaqué par l'autre côté, fait un grand carnage et un grand nombre de prisonniers. [...]Trajan s'empare de montagnes fortifiées, et il y trouve les armes, les machines, les captifs et l'enseigne prise surCornelius Fuscus.Laberius Maximus a pris [la] sœur [de Décébale] et une place forte. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 8, 3 et 9, 3 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
La route versSarmizegetusa est désormais ouverte etDécébale capitule, espérant éviter le massacre de la population de la capitale. Cette scène est représentée sur les reliefs de lacolonne Trajane : les ambassadeurs envoyés par le roi, une fois dans le camp militaire de Trajan, près de la ville d’Aquae, se prosternent devant l’empereur, implorant l’arrêt des hostilités et la pitié[f 7],[a 15],[I 8].
Les conditions de paix sont évidemment contraignantes, mais Sarmizegetusa, qui n'a pas été conquise, reste la capitale dace :
« On exige de [Décébale], en effet, qu'il livre les machines, les machinistes, qu'il rend les transfuges, qu'il démolit ses fortifications, évacue les territoires conquis, et, de plus, qu'il tient pour ennemis et pour amis ceux qui le sont des Romains ; [qu'il n'en reçoit aucun, et qu'il ne prend à son service aucun soldat levé dans l'Empire romain. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 9, 5 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Par ce traité, il accepte en fait l’établissement de garnisons romaines proches deSarmizegetusa[s 18],[N 8] et deBerzobis[N 9], la restitution de toutes les armes et machines de guerre[a 16], le retour de tous les ingénieurs et déserteurs romains[a 16], la destruction desfortifications dans la région des monts d’Orastie[a 16],[p 1], la cession d’une partie du territoire à l’Empire romain qui est annexé aux provinces voisines deMésie supérieure et inférieure et qui comprend leBanat oriental, l’Olténie, la vallée deHațeg enTransylvanie[r 3],[p 1], des vétérans sont installés àApulum[I 9] et la plaine valaque deMunténie[13], avec la construction de nouveaux forts àBuridava etPiroboridava[a 16], le statut de roi client de Rome, c’est-à-dire que le royaume de Dacie renonce à avoir une politique étrangère indépendante[a 16],[14],[15] et l’interdiction de donner asile à tout déserteur ou de recruter des soldats romains[a 17].
« [Décébale] consentit, bien malgré lui, à ces conditions, après être allé trouverTrajan, s'être précipité à terre, l'avoir adoré et avoir jeté ses armes. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 9, 6 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Ce traité de paix marque la fin de la première guerre dacique. Malgré les succès remportés, il est clair que la grande victoire romaine attendue n’a pas eu lieu, en raison de l’affaiblissement des troupes romaines qui a empêché Trajan de pousser plus loin son avantage[s 19]. Malgré des conditions de paix qui semblent très dures,Décébale préserve son pouvoir, maintient l'unité de son royaume ainsi que la majeure partie de son territoire[r 4],[16].
Une ambassade dace est envoyée à Rome pour la ratification du traité de paix par leSénat[a 18], afin de permettre à Trajan de quitter son quartier général près deSarmizegetusa Regia[a 19] au début de l’hiver 102 et de retourner à Rome[a 19]. À son arrivée à la fin du mois de décembre, il célèbre untriomphe, prend le titre de « Dacicus[r 3],[a 19],[I 10] » et fait frapper des monnaies célèbrant la « Dacia victa[17] ».
À la suite de ce premier traité, les Romains fortifient leurs positions dans les territoires occupés. Une autre réalisation importante est la construction d’unpont de 1,2 km de long enjambant leDanube àDrobeta sous la direction d’Apollodore de Damas, entre103 et105, un chef-d’œuvre de l’architecture antique, permettant de relier aisémentSirmium auBanat nouvellement annexé[s 20],[r 2].
« Trajan construit un pont de pierre sur l'Ister, pont à propos duquel je ne sais comment exprimer mon admiration pour ce prince. On a bien de lui d'autres ouvrages magnifiques, mais celui-là les surpasse tous. Il se compose de vingt piles, faites de pierres carrées, hautes de cent cinquante pieds, non compris les fondements, et larges de soixante. Ces piles, qui sont éloignées de cent soixante-dix pieds l'une de l'autre, sont jointes ensemble par des arches. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 13, 1 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Trajan s'emploie aussi sur le long du Danube moyen, sur la frontière panonienne, se méfiant desMarcomans, desQuades et desIazyges qui n'ont pourtant pas soutenu les Daces mais restent menaçants[p 1].
Il est possible que le cours du Danube soit réorganisé militairement et la province voisine dePannonie divisée en deux : la Pannonie supérieure et inférieure[18],[p 2], bien que cette réorganisation soit plus souvent datée de106, après la deuxième guerre[r 5],[p 2].
Les préparatifs de guerre des Romains n’étant pas passés inaperçus,Décébale fait relever les forteresses détruites, reconstruit les fortifications autour de la capitale et forme une nouvelle armée. Il cherche à nouer de nouvelles alliances[a 20], avec notamment le roi des ParthesPacorus II[a 21].
En105, les Romains subissent l'attaque des Daces[r 3].Décébale reprend leBanat, alors sous contrôle romain, autour du cours moyen et supérieur de la Tisza[s 21],[p 3],[16] puis attaque laMésie romaine. Le fait que Décébale ne semble vouloir respecter aucune condition du traité de paix rend légitime et juste une deuxième guerre aux yeux de Rome. LeSénat déclare alors la guerre pour la deuxième fois au royaume de Dacie[a 22].
« Lorsqu'on annonce [à Trajan] queDécébale contrevient à plusieurs articles du traité, qu'il fait provision d'armes, qu'il reçoit des transfuges, qu'il élève des forteresses, qu'il envoie des ambassades chez ses voisins, qu'il ravage le pays de ceux qui ont précédemment pris parti contre lui, qu'il s'est emparé de terres appartenant aux Iazyges, terres que Trajan refuse depuis de leur rendre lorsqu'il les lui redemandent ; alors le Sénat déclare une seconde fois Décébale ennemi de Rome, et Trajan, une seconde fois aussi, se charge de lui faire la guerre en personne, et non par d'autres généraux. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 10, 3 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Trajan réunit une armée plus importante que lors de la première guerre pour la campagne de106, quatorze légions et de nombreuses unités auxiliaires[s 22],[r 2], dont deux nouvelles légions : laII Traiana Fortis et laXXX Ulpia Victrix[a 23]. Cela représente environ 175 à 200 000 hommes qui sont déployés par l’Empire, pour moitié deslégionnaires, pour moitié destroupes auxiliaires. Pour cette campagne, Trajan fait appel à des renforts, notamment des contingents d'Hispanie et d'Afrique[r 4]. Il s'agit de près de la moitié des effectifs militaires de l’Empire[r 2].Lucius Licinius Sura accompagne à nouveau l'empereur en tant que conseiller, ainsi queLusius Quietus et ses Maures, et les généraux de l’empereur sontQuintus Sosius Senecio etCaius Iulius Quadratus Bassus[10].
Concernant les Daces deDécébale, selon diverses études modernes, basées sur la population estimée, ainsi que les nombreuses défections, on est autour de 15 000 hommes pour cette deuxième guerre, sans grande certitude. Ces alliés de la première guerre, lesBures, lesRoxolans et lesBastarnes, l'abandonneront. Il semble que lesSarmatesIazyges, qui restent neutres durant la première campagne, entrent en guerre contre l’Empire romain, menant des incursions enPannonie inférieure, vers107, mais peut-être avant, entre105 et106[I 11],[a 24],[19], alors qu'ils sont quasiment encerclés, sauf au nord, par l'Empire romain[p 4].
Trajan repart pour la Dacie en juin105[a 25],[20] et doit adapter sa stratégie avant de pouvoir reprendre l'offensive[r 3].
L’itinéraire suivi par l’armée romaine est détaillé sur les reliefs de la colonne. Trajan semble avoir franchi l’Adriatique selon trois itinéraires possibles. DeClasse, port deRavenne où mouille laClassis Praetoria Ravennatis, jusqu’auDanube en passant parAquilée,Emona,Sava,Siscia,Singidunum et enfinViminacium ; d’Ancône[21],[22],[23] jusqu’à la côte d’Illyrie romaine puis parAquilée pour suivre ensuite l’itinéraire précédent ; deBrindisium, l’armée romaine atteintDyrrachium puis remonte vers le Danube en passant parNaissus[f 8],[b 11], mais le parcours reste incertain et discuté.
Pendant ce temps,Décébale ne reste pas inactif, de sorte queTrajan, en arrivant sur les rives du Danube, fait sans doute face à une situation difficile. Les incursions daces ont dévasté la province deMésie inférieure. Selon les reliefs de la colonne Trajane, Décébale serait même parvenu à prendre possession de plusieurs forts auxiliaires. Le grand camp légionnaire construit près de Sarmizegetusa a été endommagé mais n’a pas pu être pris d’assaut[s 23]. De nombreux forts romains enValachie sont occupés ou assiégés par les Daces[I 12], tout comme ceux construits le long du Danube. C’est probablement durant l’année 105 que Décébale fait construire un grand camp militaire sur le site de ce qui deviendraApulum, espérant ainsi barrer la route vers le nord du royaume[s 23].
Décébale a fait prisonnier le gouverneur des territoires nouvellement occupés[24], le consulaireCnaeus Pompeius Longinus[25], lors d’une tentative de négociation feinte. La tentative de faire pression sur Trajan en menaçant la vie de Longinus et de ses hommes échoue, Longinus mettant fin à ses jours lui-même. La capture et le suicide de Longinus sont racontés parDion Cassius[a 26].
Certains forts romains attaqués semblent résister aux assauts daces. La triple ligne de fortifications peut être identifiée aulimes de laDobroudja construit durant lapremière campagne de Domitien, entre85 et89, et renforcé parTrajan entre103 et104[f 9]. Le travail de reconquête dure tout l’été de105, repoussant l’invasion du territoire dace à l’année suivante[b 11].
Trajan lui-même atteint le front, probablement enDobroudja. Il vient renforcer les troupes du gouverneur de Mésie inférieure,Lucius Fabius Iustus[I 12],[b 11], et repousse les Daces.Décébale a même tenté de faire assassiner Trajan par un transfuge, une tentative qui a cependant échouée[a 27].
« Décébale échoue par la force, mais il faillit faire périr Trajan par la ruse et la trahison : il lui envoie en Mésie des transfuges chargés de l'assassiner, attendu que, d'un abord facile en tout temps, il reçoit alors sans distinction, à cause des besoins de la guerre, quiconque veut lui parler. Mais ils n'y peuvent réussir, l'un d'eux ayant été arrêté sur un soupçon et ayant avoué tout le complot à la torture. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 11, 3 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Les reliefs de la colonne décrivent bien certaines phases de ces mois de guerre. L’empereur, à la tête de lagarde prétorienne, arrive, après un long voyage depuis Rome, sur des territoires daco-gètes. Il est acclamé par la population[f 10], puis Trajan offre dans une ville de la même région un sacrifice propitiatoire pour la prochaine campagne, devant une foule composée de Romains et deDaces ou deGètes[f 11]. Les reliefs de la colonne montrent qu’une grande partie de la population dace et les anciens alliés de Décébale l’ont abandonné, acclamant Trajan sur son passage, scènes à analyser en gardant à l’esprit l’objectif de propagande[s 24].
Pour l'année 106,Trajan réunit son armée et traverse le Danube sur legrand pont de Drobeta, construit sous la direction d’Apollodore de Damas pendant la brève période de paix[a 28].
Les alliés deDécébale, lesBures, lesRoxolans et lesBastarnes, à l’annonce des préparatifs de guerre de Trajan, abandonnent le roi dace. Celui-ci fait plusieurs tentatives de pourparlers infructueuses. Avant de lancer la dernière invasion de la Dacie, Trajan convoque dans son quartier général deDrobeta de nombreux chefs des peuples « amis et alliés du peuple romain », parmi lesquels lesQuades, lesMarcomans, certaines tribus daco-gètes et peut-être même lesIazyges, afin de leur demander une aide militaire et un soutien stratégique et de s’assurer de leur loyauté[f 12],[26],[b 12].
Le roi dace, attaqué sur plusieurs fronts comme le montre aussi les reliefs de la colonne[f 13], par lesPortes de Fer et par lecol Turnu Roșu, oppose une résistance désespérée et acharnée qui fait de nombreuses victimes.Décébale refuse de capituler et est contraint de quitterSarmizegetusa[s 25].
Finalement, après un long et sanglantsiège, la capitale cède sous les coups des armées romaines qui se sont réunies depuis la fin de l’été[r 3]. Les principales étapes de ce siège sont également représentées sur lacolonne Trajane[f 14]. Toutes lesforteresses des monts d’Orastie (Popesti,Cetateni,Piatra Neamt,Pecica,Piatra Craivii,Capâlna,Costesti,Banita,Balanesti et finalementTilisca) sont tombées[27].
Trajan décide de ne pas accorder des conditions de paix semblables à la précédente paix. La soumission définitive de la Dacie est nécessaire et pour cela, il faut construire des routes, des forts et isoler l’ennemi sans lui concéder aucun avantage[r 3].
« Trajan, avec le temps et non sans peine, vainc les Daces, après maint prodige de sa part et comme général et comme homme, après maint danger affronté ou fait d'armes accompli par ses soldats. »
— Dion Cassius,Histoire romaine, livre LXVIII, 14, 1 - Étienne Gros, Paris, Firmin-Didot, de 1845-1870.
Décébale cherche d’abord à trouver refuge dans le nord, dans les montagnes desCarpates[s 25], mais une colonne romaine le poursuit dans la haute vallée duMarisus, une région alors difficilement accessible. Les chefs des tribus du nord de la Dacie, conscients de leur annexion imminente, rejoignent le roi en fuite dans une tentative désespérée de renverser le cours de la guerre. Mais la défaite est inévitable : Décébale est rattrapé par uneunité auxiliaire de l’armée romaine àRanistorum[a 29], au nord de la nouvelle colonie de vétéransApulum.
Une fois encerclé,Décébale se suicide[a 29],[f 15],[s 26], imité par de nombreux nobles daces qui l’accompagnent. La tête du roi est rapportée à Trajan par le chevalierTiberius Claudius Maximus qui a mené l’expédition de capture[I 13],[f 16]. En guise de récompense, pour avoir rapporté la tête de Décébale à Trajan, Maximus est promu au rang dedécurion d'aile des troupes auxiliaires[r 3].
C’est la fin de la guerre. Pendant plusieurs mois, l’armée romaine est encore engagée dans des actes de répression qui permettent de calmer l’agitation de la population locale[f 17]. La monnaie de l’année célèbre la« Dacia capta[28] ».
Le cœur du royaume dace, l’Olténie et leBanat, est intégré dans une nouvelle province romaine, laprovince de Dacie[a 29],[f 15], qui se limite à la bordure de l'arc desCarpates, à laTransylvanie et aux massifs occidentaux[r 3],[p 3]. Le royaume dace ne disparaît donc pas totalement, quelques régions demeurent libres. La ville nouvellement fondée deColonia Ulpia Traiana Augusta Sarmizegetusa Dacica[s 27] devient la capitale de la nouvelle province. Elle est très rapidement reliée àApulum etPorolissum où stationnent d'importantes garnisons romaines[p 3].
Une grande partie des plaines deValachie et laMoldavie sont intégrées à la province deMésie inférieure qui est agrandie[29],[30],[p 3]. La création de la province de Dacie en106 est très probablement accompagnée par la réorganisation militaire du cours du Danube. C'est probablement à cette occasion que la province voisine dePannonie est divisée en deux : d'une part la Pannonie supérieure et d'autre part la Pannonie inférieure[r 5].
Récemment, des découvertes archéologiques ont remis en cause le mythe de l'extermination, de la déportation ou du bannissement des Daces par les Romains[31],[32]. Néanmoins, on ne peut nier les importants bouleversements démographiques qui ont eu lieu[s 28],[c 5].
Bien qu’une grande partie de la population et de l’élite daces ait finalement abandonnéDécébale au profit de l’armée romaine, l’ancienne aristocratie est éliminée. Les populations des villes daces du cœur du royaume, région montagneuse et difficile à surveiller, sont déplacées vers les plaines[33]. Les villes sont détruites et les Romains fondent à la place de nombreuses colonies, plus petites, dans lesquelles s'installent des colons romains issus de provinces avoisinantes[b 13]. De même, toutes les résidences royales sont détruites[s 29].
Le phénomène le plus impressionnant reste la disparition presque complète de l’anciennereligion dace[s 29].
Selon Criton, médecin de Trajan, ce sont près de 500 000 prisonniers daces qui sont ramenés à Rome pour participer aux spectacles donnés lors de la célébration du triomphe de Trajan mais cette estimation semble avoir été exagérée d'un facteur dix et les Romains auraient en réalité fait 50 000 prisonniers[b 13],[34]. Une grande partie des hommes aptes au travail et qui ne font pas partie des prisonniers de guerre sont enrôlés dans l’armée romaine, une procédure qui permet de diminuer le risque de révolte et d’augmenter les effectifs de l’armée[s 30].
L'annexion du royaume dace semble précipitée et contraire aux habitudes romaines qui traditionnellement la font précéder par l'établissement d'un royaume client. Il s'agit peut-être de stabiliser au plus vite la frontière face à la menace barbare qui pèse sur la région du moyen Danube mais il s'agit peut-être aussi pour Trajan de prendre rapidement le contrôle des riches mines d'or et d'argent que compte le territoire, ainsi que des trésors du roi[35].Quoi qu'il en soit, cette nouvelle province apporte à l'empereur d'importantes ressources qui sont vite épuisées dans la préparation descampagnes contre les Parthes[p 3] et dans des constructions grandioses célébrant la victoire de Trajan comme les reliefs desarcs de triomphe de Bénévent etd’Ancône, ceux duforum de Trajan à Rome ou comme leTropaeum Traiani érigé àAdamclisi en109.
D'après les sources antiques, la conquête de la Dacie a en effet permis de rassembler un butin impressionnant estimé à 163,6 tonnes d’or, le double d’argent[a 30],[f 18] et un demi-million de prisonniers de guerre. Il s’agirait en partie du fabuleux trésor deDécébale que le roi avait dissimulé dans le lit d’une petite rivière, laSargieta, près de sa capitale,Sarmizegetusa Regia[a 30],[f 18],[a 31]. En outre, la création d’une nouvelle province a contribué à une augmentation continue des revenus de l’État grâce notamment à l’exploitation des mines de l’ouest de la Dacie[35].
Trajan semble avoir tiré de son butin environ 2 700 millions desesterces. S'étant vu accordé l’honneur d’un grandtriomphe, il utilise une partie du butin pour donner de grands spectacles degladiateurs, près de 5 000 duels ont lieu[36], et des courses de chars dans leCircus Maximus. Les spectacles sont étalés sur plus de cent jours[r 6], entre108 et109[I 14].
Il finance égalemente manubiis (littéralement « grâce au produit du butin ») la construction d'unnouveau forum et confie la direction des travaux à l’architecteApollodore de Damas[b 14]. C'est dans ce forum qu'est érigée la célèbrecolonne Trajane sur laquelle figure une frise longue de deux cents mètres qui s’enroule en spirale autour du fût et qui raconte les exploits militaires de Trajan et de ses généraux[b 14]. Sa construction a été menée par Apollodore qui a dirigé jusqu’au jour de l’inauguration, le, de nombreux sculpteurs qui ont travaillé sur 155 scènes où figurent près de 2 500 personnages[b 14].
De nombreux monuments à travers l’Empire célèbrent la victoire deTrajan comme les reliefs desarcs de triomphe de Bénévent et d’Ancône, ceux duforum de Trajan à Rome ou comme leTropaeum Traiani érigé àAdamclisi en109.
Trajan récompense ses plus fidèles lieutenants qui ont joué un rôle de premier plan lors des campagnes commeLucius Licinius Sura qui se voit accorder l’extraordinaire honneur d’un troisième consulat en107[37] etQuintus Sosius Senecio qui obtient son deuxième consulat éponyme en107 et à qui on octroie les décorations militaires doubles (dona militaria). Il reçoit aussi les insignes triomphaux[38] et est honoré de son vivant d'une statue de bronze dans leforum d'Auguste[a 32].Caius Iulius Quadratus Bassus est également récompensé et reçoit lesornements triomphaux[39] ainsi queLusius Quietus qui est élevé à lapréture, lui permettant ainsi d'accéder auSénat[a 33], pour son action déterminante à la tête de la cavalerie auxiliaire maure[a 33].
La conquête de la Dacie modifie profondément les données stratégiques de l’Empire romain, la plus forte concentration de légions romaines passant dunoyau rhénan auxrives danubiennes et à laDacie romaine[r 7]. En effet, il n'y a plus que quatre légions dans les provinces de Germanie contre huit auIer siècle[r 7], alors que les provinces danubiennes en ont dorénavant onze : trois enPannonie supérieure, une enPannonie inférieure[r 8], deux dans chacune des provinces deMésie[40] et trois enDacie[r 8].
La colonisation massive de la province avec descitoyens romains provenant des provinces danubiennes[a 34] permet à l’Empire de créer une importante tête de pont au sein du « Mare Barbaricum » qui s’étend de laTisza à laValachie et laMoldavie.
La province connaît sa première grande crise en116 avec le soulèvement desIazyges et desRoxolans. Comme les troupes romaines sont alors occupées en grande partie à mater lagrande révolte juive ou engagées dans lacampagne de Trajan contre les Parthes, le soulèvement n’a pas pu être immédiatement réprimé[s 27]. Il faut attendre l’intervention d’Hadrien et deQuintus Marcius Turbo en118 pour que la situation se stabilise de nouveau enValachie et dans la plaine deMunténie[s 31]. Hadrien abandonne alors quelques territoires à l'est de la Dacie.
La Dacie reste une province romaine jusqu’à ce que l’empereurAurélien (270-275) l’abandonne définitivement[s 32].
Même si elle dure moins de deux siècles, l’intégration de la Dacie dans l’Empire, après celle de laMésie (qui, elle a duré six siècles), marque durablement la région, de sorte que laromanisation des autochtones a perduré au cours des siècles, malgré l’isolement de la région, peuplée successivement deslaves et demagyars, par rapport au reste deslangues romanes. Lesromanophones ont continué à s’auto-désigner comme « romains »[41] et c’est sans surprise que l’État moderne qui occupe l’ancienne province de Dacie porte le nom deRoumanie.
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