Date | Desannées 1960 auxannées 1980 |
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Lieu | Amérique du Sud |
Mouvement nationaliste Tacuara (1960-1965) Alliance anticommuniste argentine (Années 1970) Alliance américaine anticommuniste (Années 1970) Bataillon d'Intelligence 601 | Mouvement nationaliste révolutionnaire Tacuara (1965-1973) Forces armées péronistes Montoneros Concentración Nacional Universitaria ![]() | ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Soutenus par ![]() CIA ![]() |
Stefano Delle Chiaie Klaus Barbie | ![]() ![]() Joe Braxter Mario Firmenich Enrique Gorriarán Merlo |
La« guerre sale » (espagnol :guerra sucia,portugais :guerra suja) est larépression d'État qui a lieu dans lesannées 1960,1970 et1980 enAmérique latine, d'abord enArgentine, auBrésil, et dans l'ensemble duCône Sud dans les années 1970, puis enAmérique centrale.
EnArgentine, lacommission nationale sur la disparition de personnes (CONADEP), constituée par le présidentRaúl Alfonsín en 1983, après le retour de la démocratie, a compté près de 10 000 disparus(desaparecidos) dans le pays; d'autres études comptèrent trente mille disparus[1]. Les « archives de la terreur », découvertes dans un commissariat au Paraguay en 1992 et qui concernent l'opération Condor menée par les dictatures duCône Sud, comptent au total 50 000 personnes assassinées, 30 000 « disparus » et 400 000 personnes incarcérées[2].
LeRapport Valech au Chili, rendu public en 2004, compte 30 000 personnes torturées pour le seul Chilipinochettiste. La justice argentine a parlé pour la première fois de « génocide » (bien que le mot soit mal appliqué) lors du procès deMiguel Etchecolatz, un membre notoire de lapolice métropolitaine de Buenos Aires, jugé pour crimes contre l'humanité en 2006. Trente ans après le coup d'État ayant amené les militaires au pouvoir en Argentine, ce procès a vu la disparition deJorge Julio López, qui devait témoigner contre Etchecolatz. Jorge Julio López n'a toujours pas été retrouvé, tandis que les responsables éventuels de sa disparition n'ont pas été non plus identifiés. Beaucoup des partisans des anciens membres ou des parentés des anciens membres des mouvements qui appuyaient aux années 1970 la « révolutioncastriste » ou « castro-guévariste » soupçonnent de l'action des membres des forces de l'ordre, de l'armée ou des agences de renseignement.
L'expression a été contestée, notamment lors du procès de la junte argentine en 1983 en raison de sa teneur idéologique, qui prétend légitimer laterreur d'État comme moyen de s'attaquer à la subversion communiste. Le terme est resté et est souvent utilisé[réf. nécessaire] pour désigner, en référence à cette période, tout ce qui se réfère à un programme deterrorisme d'État en réponse à une dissidence perçue comme un danger pour le peuple et le gouvernement. Ce type de « guerre », qui fait appel principalement à des opérations de « police », inclut typiquement une répression violente (enlèvements, tortures, assassinats,disparitions forcées, etc.) à l'égard des civils qui rangées dans les guérillas urbaines et suburbaines, y compris les femmes si c'était le cas.
Les juges argentins ont rejeté le concept de « guerre sale », car il repose sur le postulat que le pays était sous une menace révolutionnaire justifiant tous les moyens possibles pour l'éradiquer, notamment au nom de la dite « doctrine de sécurité nationale » élaborée contre l'expansion du communisme dans le cadre de laguerre froide. Or les magistrats ont retenu qu'il n'y avait pas de telle menace ; que les diverses guérillas ne représentaient pas réellement une menace pour l'État, qu'elles n'étaient pas soutenues par un État extérieur (voir Cuba et l'OLAS, Organisation Latino-américaine de Solidarité)), et qu'on ne pouvait donc parler de véritable insurrection justifiant l'illégalité des moyens employés par les divers États et services de sécurité argentins. De ce fait, on ne peut, à proprement parler (c'est-à-dire sur le plan juridique, et selon ce tribunal), évoquer une « guerre », mais bien une répression étatique menée par des moyens illégaux.
La Cour a, en outre, insisté sur les nombreux vols de droit commun commis par les services de sécurité à l'encontre des victimes de cette soi-disant guerre[3]. De nombreux actes detorture, deviol, ainsi que devol de bébés ont été répertoriés. Enfin, près de la moitié des victimes argentines de la répression d'État étaient de simples syndicalistes, voire des prêtres proches des associations des droits de l'homme, comme dans le cas des nonnes françaisesLéonie Duquet etAlice Domon, qui travaillaient aux côtés desMères de la place de Mai, ou de simples touristes, commeBoris Weisfeiler, mathématicien russe, juif dissident naturalisé américain, qui disparut au Chili aux abords de laColonia Dignidad dePaul Schäfer. On peut encore citer ce couple d'Uruguayens, proches duFrente Amplio (centre-gauche), exilés en Argentine après le coup d’État de et devenus fleuristes dans ce pays, dont les restes ont été récemment identifiés par l'Équipe argentine d'anthropologie légale[4] qui, du début de ses travaux en 1985 jusqu'à fin 2009, a exhumé les corps de 600desaparecidos en Argentine, réussissant à en identifier 42[5]; ou encore la centaine de journalistes « disparus » ou/et assassinés par les militaires argentins[6].
La « guerre sale » désigne ainsi une répression d’État violente, exercée par des dictatures militaires par des moyens illégaux et anti-démocratiques, dans le contexte international de la guerre froide, et dans le contexte régional de conflits sociaux exacerbés, menant notamment à l’arrivée au pouvoir deSalvador Allende au Chili, mais aussi du président bolivienJuan José Torres (assassiné à Buenos Aires en 1976), ou encore de la mise en place duFront large enUruguay. L’historien argentin Hugo Moreno, exilé en France, recense pas moins de 600 conflits sociaux, grèves etoccupations d'usines lors des premiers mois du gouvernement du péroniste de gauche,Héctor Cámpora, de mai à[7].
L'une des spécificités de la terreur d'État des années 1970 a été la coordination des services secrets des dictatures militaires de droite de l'Argentine, duChili (sousAugusto Pinochet), de laBolivie (sousHugo Banzer Suárez), duBrésil (sousErnesto Geisel,João Baptista de Oliveira Figueiredo), duParaguay (sousAlfredo Stroessner) et de l'Uruguay (sousJuan María Bordaberry) au sein de l'Opération Condor. Les États-Unis fournissaient une base d'information auPanama[réf. souhaitée]. Jusqu'à sa mort,Henry Kissinger était ainsi dans l'impossibilité de voyager au Brésil, où il risquait l'arrestation, en raison du rôle prêté à la Maison Blanche dans le soutien aux dictatures, sous la présidence deRichard Nixon en particulier.
Au Brésil, ladictature militaire s'instaure avec lecoup d'État de 1964 mené par lemaréchal Castelo Branco contre le présidentJoao Goulart. L'Acte institutionnelno 5 suspend la Constitution, dissout le Congrès et abroge les libertés individuelles, tandis qu'un code de procédure pénale militaire autorise l'armée et la police à arrêter, puis à emprisonner, hors de tout contrôle judiciaire, tout « suspect »[8]. Selon la journalisteMarie-Monique Robin, l'implémentation de ces décrets résulte, entre autres, de l'influence du « modèle » de labataille d'Alger (1957) sur les militaires, lorsque les pleins pouvoirs ont été accordés aux militaires français et les forces de police soumises à l'armée, qui s'est accordée le rôle de poursuivre les missions de police, en dehors de tout contrôle judiciaire[8]. Lesannées de plomb au Brésil s'étendent de 1968 à 1974, Brasilia participant ensuite à l'opération Condor.
En, le généralGarrastazú Médici remplaceCosta e Silva et intensifie la « guerre sale » contre la population civile. Il lance, dans le plus grand secret, unecampagne anti-insurrectionnelle dans la région de Goias, qui mobilise quelque 5 000 soldats pour 69 guérilleros, dontJosé Genoíno, détenu en 1972 (qui deviendra par la suite président duPartido dos Trabalhadores (PT) dans les années 1980), et une quinzaine de paysans qui rejoignirent le mouvement. En,Carlos Marighella, fondateur en 1968 de l’Ação Libertadora Nacional (ALN), guérilla qui lutte contre la dictature, est assassiné par unescadron de la mort lors d'une embuscade montée par le commissaireSergio Fleury.
Au lendemain ducoup d'État du 11 septembre 1973 au Chili, des militaires brésiliens seront envoyés àSantiago. L'ambassadeur brésilienCâmara Canto conseille les généraux putschistes, tandis que le généralOrlando Geisel,ministre de la Guerre de la junte de Brasilia, envoie par avion, dès le au matin, des officiers de renseignement et agents de la police fédérale, que l'on retrouve le soir même dans les stades de Santiago où sont détenus les premières victimes du coup d'État[9].
La coopération entre le Chili et le Brésil continue par la suite.Manuel Contreras, le premier chef de laDINA (la police politique dePinochet), déclarera à la journalisteMarie-Monique Robin avoir envoyé « tous les deux mois (…) des contingents de la DINA », auCentre d'instruction de la guerre dans la jungle de Manaus, « pour qu'il [Paul Aussaresses ] les entraîne » : « Il fut aussi l'instructeur d'officiers brésiliens. Il travaillait surtout à l'École de renseignement de Brasilia, mais il allait régulièrement à Manaus »[10].
Contrairement aux autres pays duCône Sud, il n'y a toujours eu aucun procès contre des responsables de violations des droits de l'homme sous la dictature, en raison de la loi d'amnistie de 1979. On estime à environ 400 le nombre de victimes (morts et « disparus ») de la dictature[11].
EnUruguay, la guerre sale commence dès les gouvernements constitutionnels deJorge Pacheco Areco, qui proclame des mesures d'exception continuellement réitérées (lesmedidas prontas de seguridad (es)) à partir de, alors que le pays est sous l'effervescence de conflits sociaux provoqués à la fois par la crise économique importante (hyperinflation, etc.), et l'influence dumai 68 parisien. Ainsi, desescadrons de la mort (dont l'Escadron de la mort proprement dit, laJuventud Uruguaya de Pie, etc.) agissent alors, organisant des attentats et des assassinats contre les personnes liées à la coalition de gauche duFront large, qui se présentait auxélections générales de 1971. Les tensions augmentent, avec la présence de la guérilla desTupamaros, culminant dans lecoup d'Etat de juin 1973 qui mène les militaires à prendre le contrôle complet du pays, et établissent le triste record mondial du nombre de prisonniers politiques.
Ce vif mouvement social des années 1960-70 (qui trouve des échos à l'échelle internationale) a été brisé par la force. En Argentine, lemassacre de Trelew, en, sous la dictature de la « Révolution argentine », signale l'émergence des assassinats de groupe en tant que technique duterrorisme d'État. Selon certains témoignages récents, l'armée américaine, en particulier des unités deRangers, auraient entraîné en 1967, un an après le coup d'État ayant instauré ladictature de la Révolution argentine, des militaires argentins à l'usage de latorture (dont celle de lagégène et de plusieurs techniques d'asphyxie)[12].
Après lesélections de mars 1973 mettant fin à la « Révolution argentine » et le retour dugénéral Perón en, lemassacre d'Ezeiza du marque la scission entre les péronistes de gauche (Montoneros,Forces armées révolutionnaires,Forces armées péronistes, et les diverses organisations de laJeunesse péroniste) et la bureaucratie syndicale de droite (José Ignacio Rucci,Lorenzo Miguel (es), etc.) ainsi que l'extrême droite, dont toute une partie soutient alors Perón - et que Perón soutient.José Lopez Rega, ministre de la Santé sous le gouvernementCampora (mai-),Raúl Alberto Lastiri, Juan Perón (1973-1974), puisIsabel Perón (1974-1976), et secrétaire particulier de ces deux derniers, met alors en place laTriple A (Alliance Anticommuniste Argentine), un escadron de la mort qui fit plus de 1 500 victimes. De même, àMar del Plata, ville où laConcentración Nacional Universitaria (CNU), un groupe péroniste d'extrême-droite, eut une influence importante, dès 1974 les organisations de gauche sont en recul, tandis qu'à partir de 1975 se met en place la tactique des enlèvements de nuit, sans interférence de la police, modalité qui fut par la suite généralisée par lesescadrons de la mort[13].
La répression d'État commence donc avant lecoup d'État de mars 1976 qui mène la junte militaire au pouvoir et déloge Isabel Perón, troisième femme du général. LaTriple A échoue, le, à assassiner le sénateurHipólito Solari Yrigoyen par le biais d'une voiture piégée. En 1974, elle assassine le jésuiteCarlos Mugica, un ami deMario Firmenich, membre desMontoneros, une organisation péroniste de gauche, catholique et nationaliste. Elle vise aussiSilvio Frondizi, recteur de l'Université de Buenos Aires et frère de l'ancien présidentArturo Frondizi, etc. Leurs menaces de mort poussent à l'exil de nombreux artistes et autres intellectuels, tels queManuel Sadosky,Luis Brandoni,Nacha Guevara, etc. Une estimation souvent avancée, à propos de la Triple A, compte 220 attaques terroristes de juillet à, qui font 60 morts et 44 blessés graves, ainsi que 20 enlèvements[14].
D'autre part, la guerre civile larvée entre l'extrême-droite péroniste et la « Tendance révolutionnaire » du péronisme, représentée par l'organisation de masse de laJeunesse péroniste, qui devient la « quatrième branche » duParti justicialiste en 1972, a commencé sous la dictature de la « Révolution argentine ». Dès 1971, par exemple, l'étudianteSilvia Filler était assassinée àMar del Plata par un groupe d'extrême-droite.
Opposés à la mainmise de l'extrême-droite sur leParti justicialiste, certains péronistes fondèrent alors, en, leParti péroniste authentique, présidé parOscar Bidegain, gouverneur de la province de Buenos Aires de 1973 à 1974. D'autres personnalités, telles queRicardo Obregón Cano (es), gouverneur de la province de Cordoba de 1973 à 1974, et proche d'Hector Campora, ou encoreMiguel Bonasso (es) (aujourd'hui député) ou le poèteJuan Gelman, furent membre de ce parti, qui disparut en 1977: la plupart de ses membres étaient alors en exil, et participèrent à la fondation, à Rome, duMovimiento Peronista Montonero.
En outre, le gouvernement d'Isabel Perón passe en l'ordre d'éliminer par tous les moyens lefoco créé par la guérilla guévaristeERP au nord-ouest de l'Argentine dans la province misérable de Tucuman. Le généralAcdel Vilas, chargé de l'opération, met alors en place un système decontre-insurrection s'inspirant en tous points de labataille d'Alger : quadrillage, pouvoir remis aux militaires qui établissent l'état d'urgence, torture systématique des opposants visant à briser le moral de la population et à casser tout soutien vis-à-vis de la guérilla (réponse exacte à la théoriemaoïste de laguerre révolutionnaire), etc[15].
En, le gouvernement d'Isabel Perón organise un raid à Santa Fe qui mobilise 4 000 membres des forces de sécurité, police et armée. Cent cinquante militants et dirigeants syndicaux sont arrêtés[16]
En qualité de président par intérim (Isabel Perón étant pour une courte durée indisposée),Italo Luder signe en les décrets dits d'« annihilation », qui étendent à tout le pays le régime auquel était déjà soumis la province de Tucuman. Bien que le coup d'État n'ait eu lieu qu'un an après, la répression d'État est déjà bien entamée. C'est en raison de ces décrets qu'Isabel Perón a été arrêtée en en Espagne et extradée en Argentine pour y être jugée, tandis queRodolfo Almiron, autre chef de la Triple A, a aussi été arrêté en Espagne et extradé fin 2006. Rodolfo Almiron avait été par la suite chef personnel de la sécurité du ministre franquisteManuel Fraga, ministre de l'Intérieur lors de la transition démocratique espagnole et aujourd'hui président de laGalice[17]. Almiron est soupçonné d'avoir participé, aux côtés du terroriste italienStefano Delle Chiaie, ayant participé activement à la « stratégie de la tension » dans la péninsule italienne, aumassacre de Montejurra en Espagne lors de la transition démocratique[18].
Ainsi, lorsque les militaires s'emparent du pouvoir un an plus tard, la guérilla de l'ERP est déjà complètement démantelée, de même que les Montoneros, qui, malgré des attaques venant de la Triple A et des critiques du général Perón lui-même, dès le lendemain du massacre d'Ezeiza, qui dénonce ces « idéalistes imberbes » (bien qu'ils les avaient soutenus lors de son exil en Espagnefranquiste), attendront néanmoins la mort du général pour passer à l'action (à l'exception notable du péroniste de droite, José Ignacio Rucci, qui dirige les syndicats et a aussi fait partie des membres créateurs de la Triple A). En, toute prétendue « subversion » n'est donc déjà plus que le fruit de l'imagination des secteurs de l'extrême droite, présent aussi bien dans l'armée que dans l'Église (avec par exemple l'archevêque de La PlataAntonio José Plaza ou l'aumônier de lapolice de la province de Buenos AiresChristian von Wernich, condamné en 2007 à la perpétuité pour meurtres, tortures et enlèvements[19] ; voir aussi la controverse au sujet du CardinalJorge Bergoglio, accusé d'avoir participé à l'enlèvement de deux jésuites en 1976, ou le rôle obscur du cardinalAntonio Caggiano, archevêque de Buenos Aires de 1959 à 1975 et initiateur des cours de contre-insurrection à l'ESMA. Caggiano a écrit le prologue auMarxisme-Léninisme, ouvrage deJean Ousset, secrétaire particulier deCharles Maurras et fondateur de laCité catholique, organisation intégriste qui regroupa de nombreux anciens de l'OAS. Selon le journalisteHoracio Verbitsky, célèbre pour avoir recueilli les aveux deAdolfo Scilingo, Jean Ousset aurait été le créateur du concept de « subversion », désignant un ennemi essentiel qui ne se définit pas par ses actes, mais par son existence même - Verbitsky ne met pourtant pas ce concept en relation avec la doctrine deCarl Schmitt définissant le critère de la politique comme distinction de l'« ami » et de l'« ennemi », c'est-à-dire, en dernière instance, la guerre[20]).
En1975, la présidenteIsabel Martínez de Perón, sous la pression de l'état-major, nommeJorge Rafael Videla commandant en chef de l'armée argentine. Il fut un des dirigeants militaires ducoup d'État qui l'obligea à démissionner le. À sa place fut érigée une junte militaire qui était contrôlée par l'amiralEmilio Eduardo Massera, le généralOrlando Agosti et Videla lui-même.Roberto Eduardo Viola,Leopoldo Galtieri et dans une moindre mesureReynaldo Bignone en feront aussi partie, le chef d'État variant au fil des années.
La junte prétendit mettre en œuvre un « Processus de réorganisation national », autre euphémisme désignant le massacre des opposants et des civils. La répression avait cependant commencé avant :Hipólito Solari Yrigoyen (es), le sénateur victime de deux tentatives d'assassinat de la Triple A, rappelle qu'avant le « il y avait déjà 900disparus », sans compter les innombrables prisonniers politiques, « presque tous péronistes » et « pas nécessairement Montoneros »[21]. Pour Yrigoyen,José López Rega tirait déjà les ficelles, Isabel Peron ayant été, selon lui, trop faible pour savoir ce qui se tramait réellement[21].
Le22 juin 1976, leHCR lance un appel demandant que desvisas soient accordés pour permettre auxréfugiés de quitter l'Argentine, la junte s'opposant à l'exil des opposants[22]. Dès 1977, la Commission argentine des droits de l'homme (CADHU), à laquelle appartenait notamment l'avocatRodolfo Mattarollo (es), exilé à Paris et qui travaillera à l'OFPRA, dénonce les crimes de la dictature, dans un rapport intituléArgentina: proceso al genocidio, cité parEl País au moment même de sa parution et dédié à quatre membres de la Commission assassinés par la dictature[23]. La même année, la disparition des nonnesLéonie Duquet etAlice Domon, arrêtées en même temps que trois fondatrices desMères de la place de Mai (Azucena Villaflor, Esther Ballestrino de Careaga et Maria Ponce de Bianco), une association protestant contre la disparition de leurs enfants arrêtés par la dictature, cause des remous à l’étranger.
LaCONADEP établie par le présidentRaúl Alfonsín lors de la transition démocratique a pu compter, en nommant chaque cas, environ 10 000 disparus. Mais la nature même du crime de disparition rend de tels recensements extrêmement difficiles ; sans compter que nombre de victimes, particulièrement en province, n’osent pas se présenter dans des commissariats alors que la quasi-totalité des fonctionnaires ayant travaillé sous la dictature sont encore en place[24]. Dans certains cas, des militaires étaient au pouvoir (ainsi le généralAntonio Domingo Bussi, gouverneur deTucumán de 1995 à 1999, condamné pour crimes contre l’humanité en 2008).
Le même problème a eu lieu au Chili avec les deux Commissions de réconciliation, dont la dernière qui aboutit auRapport Valech en 2004. De même, comme au Guatemala, ou en Espagne pour les victimes de laguerre civile de 1936-1939, des équipes d'anthropologues-légistes expertes s'essaient à identifier les corps, un travail de longue haleine. Aussi, mis à part le recensement, cas par cas, établi par la CONADEP, les estimations des associations des droits de l'homme comptent plutôt 30 000 disparus en Argentine - sans compter les nombreux exilés[24]. Selon des documents de l'ambassade des États-Unis, l'Argentine faisait savoir à laDINA chilienne, en 1978, que le nombre de victimes s'élevait déjà à 22 000[24]. Latorture a été systématisée dans les 500centres clandestins de détention tels que l'ESMA àBuenos Aires[24].
La junte généralisa la méthode desdisparitions forcées, séquestrant opposants, syndicalistes et membres des familles, y compris de nombreux mineurs. On[Qui ?] estime à 30 000 le nombre dedesaparecidos (disparus) en Argentine, qui étaient torturés dans descentres de détention clandestins après avoir été enlevés (presque toujours par des agents d'équipes militaires et policières spéciales, lesGrupos de Tareas, GT, à bord deFord Falcons qui devinrent vite des symboles de la répression), avant d'être jetés en mer, drogués, à bord d'hélicoptères (les « vols de la mort »). La journalisteMarie-Monique Robin a montré que cette technique dérivait directement de celle employée lors de labataille d'Alger, les dites « Crevettes Bigeard », la France ayant un accord de coopération militaire secret avec l'Argentine de 1959 à 1981[15].
Par ailleurs, près de 500 bébés desdesaparecidas ont été placées dans des familles de militaires et de policiers[25], dont la petite-nièce du poèteJuan Gelman, donnée à despoliciers uruguayens, ceci dans un objectif de purification idéologique de la population (les enfants ignorant bien entendu leur statut d'enfant adopté, et étant élevé par des personnes proches de l'idéologie d'extrême-droite de la junte). Paris avait probablement connaissance de ces agissements, puisque l'ambassadeur français serait intervenu en au moins une occasion pour rendre deux enfants (3 ans et 6 mois) d'une Française assassinée, Françoise Dauthier, à ses grands-parents[25],[26].
Le capitaineAdolfo Francisco Scilingo, condamné en par la justice espagnole à la prison à vie pourcrimes contre l'humanité[27], déclarait :
« En 1977, j'étais lieutenant de vaisseau affecté à l'ESMA. J'ai participé à deux transferts aériens de subversifs (sic). On leur annonçait qu'ils allaient être transportés dans une prison du sud du pays et que, pour éviter les maladies contagieuses, ils devaient être vaccinés. En fait, on leur injectait un anesthésique à l'Esma puis une deuxième dose dans l'avion, d'où ils étaient jetés à la mer en plein vol. Il y avait des transferts chaque mercredi. »[28] »
— Adolfo Francisco Scilingo
Avec l'élection du démocrateJimmy Carter en 1977 à la présidence des États-Unis, un coup d'arrêt fut mis aux opérations spéciales de laCIA. Ce sont alors les services secrets argentins, qui avaient déjà participé au plan Condor, qui prirent le relais, en se posant en défenseurs du « monde libre » contre le communisme. De 1977 à 1984, l'armée argentine exporta ainsi les méthodes de contre-insurrection (torture, disparitions forcées, etc.), qu'elle avait elle-même apprise de l'armée française, dans toute l'Amérique latine. Ainsi, des forces d'unité spéciales, telles que lebataillon d'Intelligence 601, dirigé en 1979 par le colonelJorge Alberto Muzzio, ont entraîné la contre-guérilla desContras auNicaragua dans les années 1980, en particulier dans la base deLepaterique[29]. L'Opération Charly était dirigée par le GénéralCarlos Alberto Martínez, à la tête duSIDE et l'homme de Videla dans les services secrets, avec les généraux Viola etValín[30].
Avec les secteurs les plus réactionnaires américains, les généraux argentins ont prétendu que Washington avait abandonné la lutte anti-communiste. Ils participèrent alors activement aux « sales guerres » auGuatemala, auHonduras[31], auSalvador, et auNicaragua[30]. Les services argentins ont alors créé des services secrets à l'intérieur des services secrets alliés, afin de transférer les 19 millions de dollars fournis par la CIA[30].
Les Argentins participèrent ainsi au coup d'État en Bolivie de 1980 deLuis García Meza, avec l'aide de mercenaires tels que le terroriste néo-fasciste italienStefano Delle Chiaie etKlaus Barbie, le « boucher de Lyon » pendant l'Occupation[30],[32].
Jimmy Carter autorisa ensuite, fin, la création d'un programme secret de la CIA de soutien à l'opposition desContras au gouvernementsandiniste, envoyant un million de dollars. La CIA collabora alors avec le bataillon d'Intelligence 601, qui avait une base enFloride[30]. Au milieu des années 1980, l'ex-directeur adjoint de la CIAVernon Walters et le chef des Contras Francisco Aguirre ont rencontré les généraux argentins Viola, Davico et Valin afin de coordonner les actions en Amérique centrale[30]. Après l'accession deRonald Reagan à la présidence en 1981, l'armée argentine se mit aux ordres de Washington[30], qui intensifia les actions, notamment auNicaragua.
Le présidentRaúl Alfonsin, qui initia latransition démocratique en Argentine, mis d'abord sur pied uneCommission de vérité et de réconciliation (laCONADEP), présidée par l'écrivainErnesto Sábato. Il organisa ensuite le « Procès de la junte », en 1983 (Juicio a las Juntas), qui jugeaVidela et les principaux responsables de la dictature, ainsi que des membres desMontoneros, dontMario Firmenich, etEnrique Gorriarán Merlo, membre de l'ERP. La « théorie des deux démons » était alors en vigueur, et prétendait mettre sur le même plan le terrorisme d'État et les guérilleros. Pourtant, lors du Procès de la junte, les juges démontreront qu'il n'y avait pas d'état de guerre (ni même deguerre civile), que la guérilla ne représentait pas une réelle menace pour l'État argentin, et que dès lors l'expression même de « sale guerre », utilisée par la junte pour légitimer la terreur d'État, n'était pas fondée.
En 1986 et en 1987, sous la présidence de Raúl Alfonsin, furent adoptées les lois dites « duPoint final » et « duDevoir d'obéissance », qui assuraient l'impunité des militaires ayant participé à la « sale guerre » durant la dictature argentine (1976-1983). Ces lois donnent 60 jours aux victimes pour déposer leurs plaintes ; passé ce délai, elles seront irrecevables. Pourtant, l'extrême droite, bien présente encore au sein de l'armée, ne supporte même pas cette condition. En 1987, 1988 et 1989, elle se soulève par trois fois, manquant d'emporter l'Argentine dans un nouveau coup d'État et une nouvelle dictature : c'est la rébellion desCarapintadas. À la suite de celles-ci, qui culminent en 1989 avec lemassacre de la Tablada, lorsque Enrique Gorriaran, au nom du Movimiento Todos Por la Patria (MTP), dirige une attaque contre un régiment militaire qu'il affirmera par la suite avoir soupçonné de préparer un coup d'État pour les jours suivants. L'armée argentine écrase les insurgés qui prétendent agir au nom de la Constitution, en utilisant notamment l'arme chimique duphosphore blanc, en violation des Conventions de Genève[33],[34]. Les insurgés seront condamnés à perpétuité, avant d'être gracié deux jours avant l'arrivée au pouvoir, en 2003, deNéstor Kirchner, péroniste de gauche victime de la dictature. En raison de cette opposition de l'armée, le présidentCarlos Menem amnistia par décrets des centaines d'autres militaires, dont des généraux, en 1990. Jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Kirchner, aucune poursuite n'était donc possible.
Malgré la mobilisation, dès les années de la dictature, desMères de la place de Mai, les militaires argentins échapperont ainsi à toutes poursuites, jusqu’en 2005, date à laquelle laCour constitutionnelle argentine déclare anti-constitutionnelle les lois d’amnistie passées sous Menem. L’inculpation d’Augusto Pinochet par l’Espagne, en 1998, puis l’arrivée au pouvoir deNestor Kirchner, qui abrogea en juillet 2003 certains décrets d'amnistie, soumettant la non-extradition des militaires argentins requise par le magistrat espagnolBaltasar Garzón à leur inculpation en Argentine, ne fut pas étrangère à ce revirement. Une soixantaine de personnes ont ainsi été condamnées, depuis 2005, pour violation des droits de l'homme (contre 277 au Chili)[35], le premier étantMiguel Etchecolatz, main droite du généralRamón Camps, responsable de laPolice de la province de Buenos Aires, qui avait déjà été inculpé et amnistié dans les années 1980, l'amnistie n'ayant toutefois pas couvert le « vol de bébés ». Sa condamnation à la prison perpétuelle, en 2006, s'est accompagnée de la « disparition » choquante du témoin principal,Jorge Julio López, qui n'a à ce jour toujours pas été retrouvé.
En, le premier procès intenté par l'enfant clandestinement adopté d'un couple lié au pouvoir a eu lieu, les faux parents de María Eugenia Sampallo Barragán ayant écopé de 7 et 8 ans de prison et le militaire leur ayant donné le bébé de 10 ans[36],[37].
En, la présidenteCristina Kirchner se déclare scandalisée par la décision de la Chambre nationale de cassation pénale qui avait ordonné la libération de 21 militaires accusés decrimes contre l'humanité, dont le généralDíaz Bessone[38],Jorge Acosta et le capitaineAlfredo Astiz, au motif que ladétention provisoire avait excédé une durée de trois ans. Ce faisant, elle rejoignait le sentiment des organisations de défense des droits de l'homme. Finalement, le secrétaire aux droits de l'hommeEduardo Luis Duhalde a sollicité leConseil de la magistrature pour qu'il initie une procédure de destitution des magistrats ayant voté cet arrêt (en particulier de Guillermo Yacobucci et de Luis García), tandis que le procureur Raúl Pleé faisait un appel suspensif de la décision[39]. La décision judiciaire ne couvre de toute façon pas l'ensemble des affaires concernant les militaires, qui demeurent donc en détention[39].
Début,Cristina Kirchner a signé le décretno 4-2010 avec les ministresJulio Alak (Justice) etNilda Garré (Défense) quidéclassifie l'ensemble desarchives entre 1976 et 1983 (à l'exception de ceux concernant laguerre des Malouines et tout conflit interétatique), permettant leur utilisation par les magistrats; le décret pourrait couvrir des violations des droits de l'homme commises par la suite, et, peut-être, avant[41].
Adolfo Scilingo avait auparavant été jugé et condamné pour crimes contre l'humanité en Espagne - le jugeBaltasar Garzón, le même qui avait inculpé Pinochet à Londres en 1998, étant chargé de l'affaire. Plusieurs hauts militaires ont depuis été condamnés pourcrimes contre l'humanité, dont le généralAntonio Domingo Bussi en (qui purge sa peine à domicile), le généralSantiago Omar Riveros, responsable ducentre clandestin de détention deCampo de Mayo, condamné à la prison perpétuelle pour crimes contre l'humanité en, ou le généralLuciano Benjamín Menéndez, commandant du3e Corps de l'Armée de 1975 à 1979, basé àCórdoba, et condamné en 2008 à la prison perpétuelle pour la disparition forcée de trois militants duParti révolutionnaire des travailleurs (PRT) àLa Perla, et re-condamné (pour la troisième fois), en[42].
L’amiral argentinLuis Maria Mendia, idéologue des « vols de la mort », a demandé en, lors de son procès, en Argentine, pour crimes contre l’humanité, la présence deValéry Giscard d’Estaing, ainsi que de l’ancien Premier ministrePierre Messmer, de l’ex-ambassadrice à Buenos AiresFrançoise de la Gosse et de tous les officiels en place à l’ambassade de Buenos Aires entre 1976 et 1983, de comparaître devant la cour en tant que témoins. Tout commeAlfredo Astiz, l’« ange de la mort », avant lui, Luis Maria Mendia a en effet fait appel au documentaire de la journalisteMarie-Monique Robin,Escadrons de la mort, l'école française, qui montrait comment la France (et notamment des anciens de laguerre d’Algérie), par un accord secret militaire en vigueur de 1959 à 1981, avait entraîné les militaires argentins. Ils ont par ailleurs aussi demandé la présence d'Isabel Peron (arrêtée début 2007),Italo Luder,Carlos Ruckauf etAntonio Cafiero. Luis Maria Mendia a accusé un ancien agent français, Bertrand de Perseval, membre de l'OAS, d'avoir participé à l'enlèvement des nonnesLéonie Duquet etAlice Domon. Celui-ci, réfugié en Thaïlande, a nié les faits, tout en admettant avoir fui en Argentine après lesaccords d'Évian de[43],[44],[45].
LeTribunal fédéral suprême duBrésil a accordé, le, l'extradition du colonel uruguayenManuel Cordero vers l'Argentine, où celui-ci a été inculpé dans le cadre d'une enquête conduite par le magistrat Norberto Oyarbide relative à l'opération Condor[46]. Cordero est notamment inculpé de ladisparition forcée de Washington Cram,Alberto Mechoso,León Duarte, Ruben Prieto, Ary Cabrera, Adalberto Soba, Hugo Méndez, Francisco Candia,María Islas Gatti de Zaffaroni et Jorge Zaffaroni (un couple séquestré en Argentine le29 septembre 1976 par lebataillon 601, soupçonnés d'être desTupamaros, et délivrés à l'OCOA uruguayenne[47]) et María Claudia García de Gelman, la belle-fille du poèteJuan Gelman[46]. Cette décision judiciaire brésilienne constituerait un précédent important, en déclarant le crime de disparition forcée imprescriptible, ce qui permettrait une nouvelle mise en examen des colonels brésiliensCarlos Alberto Brilhante Ustra, condamné en 2008 pour torture, et d'Audir Santos Maciel, tous deux membres de la police politiqueDOI-CODI (pt)[48].
Par ailleurs, début, l'ex-pilote militaire Julio Alberto Poch, détenu en Espagne, accepta d'être extradé pour répondre des accusations l'impliquant dans les « vols de la mort », dans lesquels il nie avoir eu toute participation[49].
La guerre sale a aussi touché l'Amérique centrale :