L’expressionfrançaiseGrande Hongrie (enhongrois :Nagy-Magyarország) ne doit pas être confondue avec son équivalentlatinMagna Hungaria, dufrère Julien, qui désigne le pays de l’Oural où les tribusmagyares vécurent dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, parmi d’autrespeuples finno-ougriens.
Grande Hongrie en français (et d’autres langues vivantes) est le nom informel donné auterritoire hongrois entre l’établissement dudualisme austro-hongrois (1867) et la fin de laPremière Guerre mondiale, territoire comptant soixante-quatrecomitats.
Dans l’imaginaireidentitaire hongrois, qui doit beaucoup à lanoblesse hongroise même si celle-ci n’existe plus comme institution, la « Grande Hongrie » est la « Hongrie historique » (történelmi Magyarország), expression qui désigne leterritoire hongrois unitaire des années 1867-1918 et son organisation, censés remonter à l’Honfoglalás : l’installation desMagyars dans lebassin du moyen Danube auIXe siècle. Le mouvement politique découlant de ce concept vise à « restaurer l’unité dupeuple hongrois », nonobstant la présence d’autres peuples dans ce périmètre (présence qui servit de motif auprésident américain Wilson pour demander, par le dixième de ses14 points, la division de la Grande Hongrie après 1918).
Dans le concept de « Grande Hongrie historique » (történelmi nagy-Magyarország), laconfiguration territoriale de la Hongrie des années 1867-1918 est mythifiée en une géographie immuable, « millénaire et naturelle », bornée à l’Ouest par la limite occidentale duBurgenland en Autriche, au Nord et à l’Est par l’arc desCarpates, au Sud par lafrontière entre la Croatie et la Slovénie (à l’Istrie près), lamer Adriatique et les cours d’eau de l'Una, de laSave et duDanube entre la confluence du Save et lesPortes de Fer. Ce périmètre dessine une silhouette cartographique caractéristique divisée en 64comitats (vármegye) où seuls les toponymes hongrois sont considérés comme « historiques »[1] (alors que beaucoup sont d’origine slave, comme lelac Balaton qui vient du slaveblato : « marais »,Debrecen : « bonne terre » ouCsongrad : « ville noire »[2]).
Les promoteurs de la « Grande Hongrie » présentent lesMagyars comme une composante de l'Empire hunnique dès leIVe siècle et duKhaganat avar auVIe siècle, anticipant ainsi de cinq sièclesleur arrivée dans lebassin du moyen Danube et présentant laPannonie comme un État proto-hongrois précédant à la fois lesSlaves et lesValaques dans ce périmètre[3],[4].
Le point de vue « Grand-Hungariste » est négationniste quant à la présence, au moment duHonfoglalás, de populationsslaves ouromanes à l’intérieur de l’arc desCarpates : c’est la thèse du « Désert desAvars » (enallemand :Avarenwüste, enhongrois :Avar sivatag) défendue auXIXe siècle par Edouard Robert Rössler[5] pour délégitimer les revendicationsaustroslavistes ouroumaines. Selon la thèse du « Désert desAvars », les Magyars ont trouvé le bassin du moyen Danube vide d’habitants sédentaires depuis les guerres entreCarolingiens et Avars. Cette thèse nie que des Étatsslaves comme laMoravie ou laBlatnozérie aient pu s’étendre sur le territoire de la « Hongrie millénaire » (millenniumi Magyarország)[6].
Cette thèse, ré-adoptée par l’historiographie hongroise depuis lachute du communisme en 1990, affirme que lesMagyars d'outre-frontières actuels (devenus un enjeu dans lapolitique intérieure hongroise sur le thème de leurs droits historiques) sont les « îlots résiduels » d’une population hongroise initialement uniforme dans tout lebassin du moyen Danube (appelé « Bassin Pannonien » en Hongrie, improprement car laPannonie s'étendait seulement sur la rive droite du Danube). Cette « population exclusivement magyare » aurait été progressivement submergée à partir duXIIIe siècle par« l’arrivée massive d’immigrants allogènes »slaves ouvalaques, et la diversité des populations de laHongrie d’avant 1918 serait le fruit d’une « immigration tardive », de sorte que letraité de Trianon serait l'injuste aboutissement d’un processus de« submersion de la population originelle »[7]. Beaucoup d’auteurs et de cartographes hongrois considèrent toute autre thèse comme « fausse » et « inventée »[8] alors que la thèse du « Désert des Avars » n’est que l’une destrois thèses existantes, qui ont, toutes trois, des arguments et sont présentées dans des sources secondaires universitaires :
Pour l’histoire plus récente, l’historiographie « grand-Hungariste » minimise les diversités internes duroyaume de Hongrie (banatsserbes ouvalaques,Croatie etTransylvanie avec leurs « sièges », leurs autonomies et leurs statuts à part, division en trois auxXVIe – XVIIe siècle avec laHongrie habsbourgeoise à l’ouest, laHongrie ottomane au centre et laHongrie orientale à l’est, statut particulier desconfins militaires, diversité linguistique et religieuse…)[15].
Les controverses suscitées par le « grand-Hungarisme » et le dénigrement réciproque des historiens impliqués, par laméthode hypercritique, donnent raison àWinston Churchill quand il disait : « La région des Balkans a tendance à produire plus d'histoire qu'elle ne peut en consommer »[16].
La réalisation de l’idéal de la « Grande Hongrie » est un enjeu de lapolitique hongroise moderne dans la négociation ducompromis austro-hongrois en1867 avec les Habsbourg, la politique demagyarisation menée entre 1867 et1918, la négociation dutraité de Trianon en1920[17], la politiqueirrédentiste de l’entre-deux guerres (que lesAlliés occidentaux et leurs états-satellites de la « Petite Entente » appelaient « révisionnisme »), les deuxarbitrages de Vienne en1939 et1940, ainsi que dans lapolitique intérieure hongroise depuis la fin durégime communiste en1989. Le concept de la Grande Hongrie est ainsi lié à l’hungarisme duParti des Croix fléchées ainsi qu’à la stratégie d’alliance deMiklós Horthy avec l’Allemagne nazie.
Depuis lachute du communisme, la thématique de la « Grande Hongrie historique » a été reprise d’abord de façon diluée puis de manière de plus en plus explicite dans le discours duFidesz-Union civique hongroise deViktor Orbán, mais de façon véhémente dans celui duJobbik. Cette thématique reste cependant à vocation surtoutélectorale, car sur le plan des relations de la Hongrie avec ses sept voisinsautrichien,slovaque,ukrainien,roumain,serbe,croate etslovène, le gouvernement Orbán respecte les traités bilatéraux et se garde de toute revendication territoriale, se bornant à la défense desMagyars d'outre-frontières auBurgenland autrichien, enHaute-Hongrie slovaque, enRuthénie subcarpatique ukrainienne, enTransylvanie roumaine, enVoïvodine serbe, enSlavonie croate et enPrékmurie slovène[18].
Concepts nationaux d’irrédentisme dit de « Grande patrie » | |
---|---|
Afrique | |
Asie | |
Europe | |
Amérique |