Legrand cachalot (Physeter macrocephalus ouP. catodon), communément appelécachalot et parfoiscachalot macrocéphale, est uneespèce decétacés à dents de lafamille desphysétéridés et unique représentant actuel de songenre,Physeter. Il est l'une des trois espèces encore vivantes de sasuper-famille, avec lecachalot pygmée (Kogia breviceps) et lecachalot nain (K. sima). Il a unerépartition cosmopolite, fréquentant tous les océans et une grande majorité des mers du monde. Cependant, seuls les mâles se risquent dans leseaux arctiques etantarctiques, les femelles restant avec leurs jeunes dans les eaux plus chaudes.
Le mâle peut atteindre plus de 20 m de long, ce qui fait de l'espèce le plus grandcarnassier au monde. À elle seule, la tête peut représenter le tiers de la longueur de l'animal. Ce mammifère se nourrit en grande partie decalmars, ainsi que depoissons, en des proportions variables selon l'emplacement géographique. Il est connu pour ses records de plongée enapnée, atteignant les 2 250 mètres de profondeur[2],[3], performance qu'aucunmammifère, mis à part labaleine de Cuvier[Note 1] et l'éléphant de mer austral, ne peut réaliser. Sesvocalisations en cliquetis sont les sons les plus forts produits par un animal. Elles sont utilisées dans le but de communiquer, de s'identifier et de se localiser entre eux[4].
Les cachalots se rassemblent en groupes nommés « pods ». Les femelles vivent avec leurs jeunes, séparément des mâles, et s'entraident pour protéger et allaiter les juvéniles. Elles mettent bas tous les trois à six ans et s'occupent de leur progéniture durant plus d'une dizaine d'années.
Le cachalot n'a pas de prédateurs naturels assez forts pour attaquer avec succès un adulte en bonne santé, seules lesorques peuvent essayer de se fondre dans un pod pour y tuer les plus jeunes. Cependant, duXVIIIe siècle jusqu'à la fin duXXe siècle, lachasse au cachalot par l'homme, qui a inspiré le romanMoby-Dick, a été une industrie majeure pour extraire lespermaceti, l'huile de cachalot, l'ambre gris et l'ivoire de l'animal. En raison de sa taille, le cachalot pouvait parfois se défendre efficacement contre lesbaleiniers. L'exemple le plus célèbre est celui d'un cachalot de 25 m[5] ayant attaqué et coulé le baleinier américainEssex en 1820. Les populations de cachalots sont lourdement touchées par cette chasse intensive et diminuent de 67 %. Lacommission baleinière internationale proclame en 1985 la pleine protection de l'espèce, qui est depuis classée commevulnérable.
Dessin d'un grand cachalot avec un squelette.La queue à la verticale lors du « sondage » d'un cachalot au large deKaikoura (Nouvelle-Zélande).
L'énormetête de l'animal est très distinctive. Quasimentparallélépipédique, elle représente près du tiers du cétacé et peut peser 16 t. L'évent est situé très près de l'extrémité de la tête et est déporté sur le côté gauche[7]. Cela donne au souffle de l'animal un angle de pulvérisation caractéristique, orienté à la fois vers l'avant et vers la gauche, cas unique chez lescétacés.
La queue de l'animal est triangulaire et fendue par une profonde encoche caudale. Très épaisse et puissante, elle mesure jusqu'à 4 m de large et le cétacé la lève hors de l'eau lorsqu'il plonge[7]. Le cachalot n'a pas denageoire dorsale à proprement parler, mais une série de crêtes sur le tiers postérieur du dos. La plus grande de celles-ci — une bosse triangulaire — peut être confondue avec une nageoire dorsale en raison de sa forme[6]. Lesnageoires pectorales sont, quant à elles, petites.
Lecorps est gris foncé ou noir avec quelques taches sur leventre. Sa surface peut comporter des marques rectilignes et de nombreuses cicatrices, dues aux combats entre les mâles ou avec descalmars géants. Contrairement à la peau lisse de la plupart des grandes baleines, la peau du dos est habituellement noueuse et peut être comparée à celle d'unpruneau[11]. La peau est normalement d'un gris uniforme, mais peut paraître brune en plein soleil. Des individusalbinos ont également été signalés[12],[13]. Dans les eaux chaudes, les cachalotsmuent en permanence, perdant de grands lambeaux de peau souvent consommés par lespoissons des alentours et permettant ainsi aux cétacés de se débarrasser de certains de leursparasites. Cette mue est moins fréquente dans les plus hautes latitudes[14]. Les cachalots peuvent parfois en groupe se frotter les uns contre les autres pour mieux se débarrasser de leur épiderme[15].
Les lèvres du cachalot sont blanches, les dents sont coniques et peuvent atteindre le kilogramme pour une longueur de 20 cm[16],[17]. L'animal a 20 à26 dents de chaque côté de samâchoire inférieure[7]. Leur utilité est globalement inconnue puisqu'elles ne semblent pas être nécessaires pour capturer ou manger les calmars, des individus édentés et pourtant bien portants ayant été signalés. On a avancé l'idée que les dents sont principalement utilisées lors d'affrontements entre mâles[18]. Ceux-ci présentent souvent des cicatrices qui semblent être causées par des dents. Des dents rudimentaires peuvent garnir la mâchoire supérieure, mais elles poussent rarement[19]. L'ivoire de ces animaux — lorsqu'il était disponible — a occasionnellement été utilisé dans l'artisanat.
Sculpture de Dirk Claesen auxPays-Bas en bois, aluminium et polyester, représentant un cachalot échoué, gueule ouverte.
Comme les autres baleines à dents, le cachalot peut rétracter ses yeux.
Les cachalots sont, avec lesbaleines à bec et leséléphants de mer, parmi lesmammifères marins plongeant le plus profondément (depuis 2018, la baleine de Cuvier s’est placée au premier rang avec un record de profondeur de 2 992 mètres et une durée en immersion de 138 minutes). Ce cétacé peut rester immergé durant 90 minutes et on a démontré, grâce à des enregistrements vidéo, que les cachalots mâles peuvent approcher le kilomètre (3000 pieds) de fond[20]. Du reste, l'analyse des contenus stomacaux laisse à penser qu'ils pourraient atteindre la profondeurabyssale de 2 000 m[21],[22]. Pour autant, l'animal chasse généralement entre 300 m et 1 000 m[23], les plongées typiques ayant une profondeur moyenne de 400 m pour une durée de 35 minutes[7]. Dans ces grandes profondeurs, des cachalots se sont d'ailleurs emmêlés dans lescâbles téléphoniques transocéaniques, provoquant leurnoyade[24]. Horizontalement, sa vitesse de croisière ne dépasse pas8km/h, mais il peut faire des pointes jusqu'à près de30km/h[25].
Cachalot sur le point de « sonder » au large de laDominique.
Le cachalot présente plusieurs adaptations pour faire face aux énormes différences de pression lors de ses plongées. Lacage thoracique flexible permet d'éviter l'écrasement des poumons et le métabolisme peut être ralenti (bradycardie) pour économiser l'oxygène[22],[26],[27]. Les veines sont grosses et élastiques, lesretia mirabilia peuvent stocker de grandes quantités de sang et combler les vides créés par la compression de l'air[28]. Lamyoglobine, qui stocke l'oxygène dans lestissus musculaires, est beaucoup plus abondante que chez les animaux terrestres[29],[Note 2]. Pour comparaison, chez un cachalot, on trouve 5,7 g de myoglobine pour 100 g de muscle, contre 0,5 g chez l'humain[30]. Le sang a un taux élevé deglobules rouges qui contiennent l'hémoglobine transportant l'oxygène. Le sang oxygéné peut être redirigé vers le cerveau et d'autres organes essentiels quand le niveau d'oxygène général décroît[31],[32],[33]. L'organe du spermaceti peut également ajuster laflottabilité[34] (voir la section « Spermaceti »).
Bien que les cachalots montrent de telles adaptations, les plongées répétées à de grandes profondeurs ont des effets à long terme. Des lésions aux os, dues à des bulles d'azote mal éliminées et creusant de petites cavités, sont les séquelles demaladies de décompression, comme celles retrouvées chez leshumains. Les squelettes âgés présentent davantagece type de nécroses, tandis que les jeunes ne présentent aucune lésion. Ces observations indiqueraient que les cachalots sont également sujets aux accidents de décompression et qu'une remontée trop rapide vers la surface pourrait leur être fatale[35].
Vues de la face supérieure (à gauche,Fig.1) et de la face ventrale (à droite,Fig.2) de l'encéphale d'un adulte.
Avec une masse moyenne de huit kilogrammes, lecerveau du cachalot détient le record de masse du monde animal actuel et même fossile[37],[38]. Cependant, le cachalot a uncoefficient d'encéphalisation plus faible que de nombreuses autres espèces debaleines etdauphins, encore inférieurs à celui des singesanthropoïdes et beaucoup plus faible que celui de l'humain[38],[39]. Son intelligence et ses capacités cérébrales sont très mal connues, car il est très difficile de l'étudier vivant. Les recherches actuelles laissent penser qu'il pourrait dormir totalement (des deux hémisphères du cerveau) pendant de courtes périodes, en se positionnant à la verticale, la tête juste au-dessous de la surface de l'eau[40],[17].
En raison des matières en suspension qui limitent lechamp visuel, mais aussi du fait que les yeux des cachalots ne peuvent pas pivoter dans leurs orbites et que lachambre antérieure de l'œil estvestigiale, il est fort probable que l'écholocation soit un sens plus important que la vision pour ces animaux[41]. Comme les autresbaleines à dents (sous-ordre des odontocètes), les cachalots utilisent donc le principe dusonar pour trouver des proies, leur habitat présentant des caractéristiques acoustiques et une absorption par l'eau favorables. Le son sortant est généré par la vibration de l'air poussé dans les narines osseuses au travers deslèvres phoniques (aussi appelées « museau de singe »), une structure située dans le sommet de la tête[42]. Lecrâne, lemelon et les divers sacs aériens de sa tête jouent tous un rôle important dans la formation et la focalisation du son. La mâchoire inférieure est la principale voie de réception de l'écho. Un canal entièrement rempli de graisse transmet celui-ci à l'oreille interne[43],[44].
Lespermaceti, principalement constitué d'estercétylique depalmitate (unlipide de la classe descérides) et d'alcool cétylique[45], est stocké dans l'organe à spermaceti. Cet organe est constitué de deux grands sacs placés au-dessus de la mâchoire supérieure et protégés dans leur partie supérieure par une couche delard[30]. L'organe du mâle est beaucoup plus grand que celui de la femelle. Cela peut être un cas desélection sexuelle, permettant aux mâles de disputer les femelles en se concurrençant par leurs productions sonores[46]. Un cachalot adulte peut avoir jusqu'à une tonne de spermaceti[47]. Anatomiquement, une narine débouche vers l'extérieur et forme l'évent tandis qu'une narine interne s'appuie contre la poche contenant le spermaceti[48].
L'organe à spermaceti peut servir au cétacé à ajuster saflottabilité : avant la plongée, l'eau froide entre dans l'organe et la substance cireuse se solidifie, celle-ci cristallisant aux alentours des31 °C[34],[49],[30]. L'augmentation de ladensité relative engendre une force vers le bas d'environ 392 newtons et permet à l'animal de plonger avec moins d'effort. Au cours de la chasse, la consommation d'oxygène produit de la chaleur qui fait fondre le spermaceti, ce qui augmente la flottabilité et permet au cachalot de remonter à la surface plus facilement[50].
Dans le romanMoby Dick deHerman Melville, il est suggéré que l'organe contenant le spermaceti ait évolué comme une sorte debélier que les cachalots mâles utilisent pour combattre[51]. Cette hypothèse est cohérente avec les naufrages bien documentés de l'Essex et de l'Ann Alexander, navires coulés par des individus ne pesant probablement pas plus que le cinquième de leur masse[52].
L'organe qui est unmelon évolué, pourrait également faciliter l'écholocation. En effet, la forme variable de l'organe peut concentrer ou étendre le faisceau sonore[48].
Les cachalots sontgrégaires, formant des groupes de tailles différentes principalement en fonction du sexe. Les femelles sontphilopatriques et vivent en groupes comptant 20 à40 individus avec leurs petits et les jeunes mâles. Elles sont souvent attachées à leur pod[53], pouvant rester plus d'une dizaine d'années dans un même groupe. Les jeunes mâles quittent ces regroupements à partir de l'âge de 4 à21 ans et rejoignent des groupes de jeunes de leur âge et de leur taille comptant au maximum une cinquantaine d'individus[54]. En vieillissant, ils ont tendance à se disperser en petits groupes, et les plus vieux mâles mènent généralement une vie solitaire. Toutefois, certains mâles d'âge mûr se regroupent, ce qui suggère un degré de coopération qui n'est pas encore bien compris[7]. Parfois, différents troupeaux s'unissent pour former des hardes de plusieurs centaines d'individus[55].
Hormis lachasse d'origine humaine, d'autres prédateurs peuvent s'en prendre au cachalot, principalement l'orque (Orcinus orca) ou même lesdauphins-pilotes (Globicephala) et lafausse orque (Pseudorca crassidens), attaquant parfois les femelles et les jeunes, qui sont particulièrement vulnérables[56],[57]. La plupart de ces prédateurs essayent d'isoler un juvénile du groupe, mais les mâles cachalots repoussent ces attaques en encerclant leur progéniture. Les adultes contrent les orques, soit à l'aide de leurnageoire caudale en orientant leurs têtes vers l'intérieur du cercle, soit en se battant avec leurs dents en orientant leurs têtes vers l'extérieur[7]. Cette formation en « marguerite » est également utilisée pour protéger un individu blessé. Un comportement que les baleiniers ont su exploiter : en blessant un seul cachalot, ils attiraient le groupe entier dont il est issu[58]. Si les orques sont suffisamment nombreuses, elles peuvent parfois tuer une femelle adulte. Quant aux grands cachalots mâles, il est probable qu'ils n'ont pas d'autres prédateurs que l'humain, leur grande corpulence et leur force redoutable les laissant à l'abri d'attaques d'orques[59].
Les cachalots ne produisent pas les « chants » des grandesbaleines à fanons mais utilisent des cliquetis (ou clics) organisés en séquences types appelées « codas »[60]. Ces clics portent à plusieurs kilomètres et servent à l'écholocation ainsi qu'à la communication[17]. Les sons, pouvant avoisiner les 230 décibels à un mètre[61], ont également été soupçonnés de servir à étourdir les proies du cachalot (voir la section « Prospection ») ; en phase de chasse, il produit des clics très rapprochés formant des « bourdonnements » (buzz). Deuxcétologistes de l'université Dalhousie, Luke Rendell etHal Whitehead sont parvenus à identifier en 2002 des « clans vocaux » (vocal clans), des groupes sociaux réunis par un même « langage », ou plus prosaïquement et plus prudemment des groupes d'individus socialement unis et dont les vocalisations partagent une structure ou des motifs propres au groupe[62].
Les cachalots, qui peuvent vivre jusqu'à plus de70 ans[6],[12],[63], sont un excellent exemple d'espèce à stratégie K. La stratégie K est une stratégie de reproduction liée à un environnement stable, un faibletaux de natalité, une aide importante des parents apportée à la descendance, lamaturation lente et unelongévité élevée[7].
Leur manière de choisir leur partenaire n'a pas été définitivement établie. Il est prouvé que les mâles possèdent des relations hiérarchiques et il est également prouvé que le choix des femelles a une influence sur l'accouplement[64]. Les mâles se livrent à de violents combats de janvier à juin pour établir leur dominance avant la saison de reproduction[17]. Lepénis est rétractable, invaginé au repos, et lestesticules sont internes pour favoriser l'hydrodynamisme. Les mamelles se situent dans des sillons latéraux de chaque côté de la vulve[17],[65]. Après unegestation de 14 à16 mois, la femelle met bas d'un unique jeune de 4 m et de plus d'une tonne[6], de couleur plus claire que les adultes[17]. Pour prévenir des attaques d'orques ou de grands requins, les jeunes restent constamment aux côtés de leur mère, sauf si celle-ci plonge profondément. La période delactation dure généralement de 19 à42 mois, mais les jeunes peuvent téter jusqu'à13 ans., parfois même auprès d'autres que leur mère. Les femelles ont généralement des intervalles entre les naissances de trois à six ans[6]. Les jeunes sont nourris d'unlait quinze fois plus gras que lelait de vache et mettent sept à huit ans pour doubler de longueur[17].
Les femelles atteignent leurmaturité sexuelle entre 7 et13 ans, tandis que les mâles l'atteignent à partir de18 ans. Après avoir atteint la maturité sexuelle, ces derniers se déplacent vers les hautes latitudes où l'eau est plus froide et les ressources alimentaires sont plus abondantes[6] alors que les femelles sont plutôt sédentaires et restent à des latitudes plus basses. Elles sont seulement rejointes par les mâles pour copuler entre la fin de l'hiver et le début de l'été[66]. Ce semi-grégarisme est à l'origine d'unbrassage génétique plus important des matériels mâles[67]. Les mâles atteignent leur taille adulte à environ50 ans et peuvent alors constituer un groupe ets'accoupler[7].
Le grand cachalot se nourrit de nombreuses espèces decalmars de toutes tailles, notamment lecalmar géant et lecalmar colossal, depieuvres ainsi que de divers poissonsdémersaux, comme lesraies et parfois depinnipèdes (phoques). Bien que la composition de leur alimentation varie selon leur lieu de vie et que certaines proies puissent être ingérées accidentellement, leurrégime alimentaire est principalement composé de calmars de taille moyenne — on qualifie ainsi le cachalot deteuthophage[75]. La plupart des connaissances sur les calmars en haute mer ont été obtenues à partir de spécimens extraits de l'estomac de cachalots, bien que des études plus récentes aient été menées sur les matières fécales. Concernant ses proies plus rares, on suppose que le cachalot puisse être un prédateur durequin grande gueule (Megachasma pelagios), une espèce rare, de grande taille, découverte dans les années 1970[76],[77]. En effet, on a observé trois cachalots en train d'attaquer ou de jouer avec un requin grande gueule[78]. Dans un cas exceptionnel, on a découvert unrequin pèlerin (Cetorhinus maximus) de 2,5 m dans l'estomac d'un cachalot desAçores[25].
Les études présentent des résultats sensiblement différents selon le lieu. À partir du nombre et de la taille desbecs de calmar trouvés dans l'estomac du cétacé, parmi la chair déjà bien digérée, la masse des « propriétaires » de ces resteschitineux peut être estimée, donnant une appréciation intéressante de la consommation de céphalopodes car exprimée en unités de masse. Diverses études sont résumées dans le tableau ci-contre. Une étude réalisée auxGalápagos qui n'est pas reportée car se restreignant au nombre de becs, a constaté que les calmars desgenresHistioteuthis (62 %),Ancistrocheirus (16 %) etOctopoteuthis (7 %), pesant entre 12 et 650 grammes, étaient les prises dominantes[79]. Une étude menée au sud de l'Australie utilise les contenus stomacaux de spécimenséchoués et a conclu que les variations constatées ne sont pas liées à l'âge mais à l'emplacement géographique (lieu de l'échouage en l'occurrence) et au sexe. La même étude a également constaté la présence en abondance denématodes, et ce dans tous les estomacs, ainsi que des matièresplastiques relativement peu rares, descrustacés et autresinvertébrés[68]. Une étude plus ancienne, par l'examen de cachalots capturés par la flotte baleinière deNouvelle-Zélande dans la région dudétroit de Cook, a trouvé un rapport de masse calmar/poisson de 1,69:1[80]. Lebec d'un calmar peut parfois conduire à la production d'ambre gris dans lecæcum du cétacé, sous forme deconcrétions et de manière analogue à la production deperles par certainsmollusques ou desbézoards des ruminants[81],[82]. L'irritation de l'intestin causée par les becs de calmars stimule la sécrétion de cette substance comme lubrifiant.
Les quelques poissons consommés par le cachalot sont notamment lethon, lebarracuda et lerequin[25]. Les cachalots ingurgitent autour de 3 % de leur masse corporelle par jour. Les quelque 85 000 cachalots vivant près de l'Antarctique dans les eaux froides de l'océan Austral, pourraient consommer en quatre mois près de12 millions de tonnes de céphalopodes[25] ; la consommation annuelle totale de proies des cachalots dans le monde est estimée à environ100 millions de tonnes, un chiffre supérieur à la consommation totale d'animaux marins par l'homme chaque année[83].
Une scène peu commune de chasse en surface : le cachalot tient un gros poisson dans sa gueule. Photographie réalisée àKaikoura,Nouvelle-Zélande.
On ne sait pas bien pourquoi la tête du cachalot est si grande par rapport à la mâchoire inférieure. Une théorie suppose que la capacité du cachalot à utiliser l'écholocation avec sa tête lui permet de chasser dans les grandes profondeurs. Cependant, les calmars — ses proies principales — peuvent avoir des propriétés acoustiques trop semblables à celles de l'eau de mer pour réfléchir leson[86]. La tête du cachalot contient une structure, appelée « museau de singe », par laquelle passe l'air qu'il expire. Cela peut créer des clics qui ont un niveau d'émission maximal à une distance d'un mètre de230décibels — par rapport à une pression acoustique d'un micropascal —, de loin le son le plus fort produit par un animal[61]. Les scientifiques pensent que ces clics permettraient d'étourdir les proies, mais les études expérimentales étant incapables de reproduire les lésions supposées, cette hypothèse reste douteuse[87].
Une hypothèse plus ancienne ferait du cachalot unchasseur à l'affût : stagnant en profondeur entre deux eaux ou sur le plancher océanique, stabilisé grâce à son spermaceti, il attendrait immobile ses proiesbioluminescentes attirées par les taches blanches parsemant ses mâchoires ; cette hypothèse serait par ailleurs confortée par la présence de cachalots noyés empêtrés dans lescâbles sous-marins[17],[25]. Les cachalotsvolent parfois de lamorue charbonnière et de lalégine au bout des longues lignes de pêche. Les pêcheurs à lapalangre dugolfe d'Alaska se plaignent que les cachalots profitent de leurs campagnes de pêche pour manger le produit de leur labeur, s’épargnant ainsi l'effort de la chasse[88]. Pourtant la quantité de poissons ainsi saisie par le cachalot est moindre par rapport à ses besoins quotidiens.
Positionné au sommet de la pyramide alimentaire marine et cela jusqu'à de grandes profondeurs, le grand cachalot est unsuperprédateur qui joue un rôle majeur dans le milieu marin, en régulant notamment les populations de pieuvres et de grands calmars. En effet, il n'existe pratiquement pas de compétiteurs dans saniche écologique, il profite donc de l'importante source deprotéines que constituent cescéphalopodes. Sa chasse avait par ailleurs causé sa régression qui a affecté la répartition et certains équilibres au sein des populations halieutiques.
Par un phénomène de cause à effet, il semble que cette régression puisse aussi participer audérèglement climatique, lequel peut à son tour affecter les populations de tout ou une partie des cétacés. L'océan Austral est naturellement assez pauvre enfer, unoligo-élément vital et puissant stimulant de la photosynthèsephytoplanctonique à la base de la « pompe à carbone » océanique, ce qui devrait limiter sa productivité et ses fonctions depuits de carbone. En 2010, des chercheurs australiens de l'université Flinders ont montré que les grands cétacés jouaient un rôle important dans le recyclage du fer au sein de l'écosystème marin : en chassant à grande profondeur, les 12 000 cachalots de l'Antarctique remontent via leursexcréments de la matière organique et des oligo-éléments dont quelque 400 000 tonnes decarbone. Cette quantité suffit à stimuler unpuits de carbone environ deux fois plus important que l'émission de CO2 de ces animaux parrespiration. Ce phénomène aurait pu être dix fois plus important si l'espèce n'avait pas été pourchassée durant deux siècles[89]. En outre, en renforçant ainsi le « recyclage du fer » de laproduction primaire, les cachalots de la zone australe contribuent aussi à permettre et entretenir une importantechaîne alimentaire.
Comme sa densité est plus faible que celle de l'eau, contrairement à d'autres cétacés, le cachalot flotte à la surface une fois mort. Ainsi, il ne participe pas ou peu à la création d'écosystèmes éphémères créés par lescarcasses de baleines qui tombent sur laplaine abyssale[47].
Lesparasites externes comme lescyamidés ou « poux des baleines » (iciCyamus ovalis) s'ancrent très solidement sur la peau du cachalot grâce à leurs puissants crochets.
Comme toutes les baleines, le grand cachalot constitue un support pour de nombreuxparasites. On distingue les parasites internes et externes :
les parasites internes, de petits invertébrés tels que desvers plats (trématodes,cestodes), desnématodes ou desacanthocéphales, peuvent même pour certains se révéler dangereux pour leur hôte : en se multipliant dans les conduits auditifs, ils provoquent le dysfonctionnement du sonar ; n'ayant plus de repères, le cachalot s'échoue, ne peut plus chasser ou n'arrive plus à éviter les obstacles ;
les parasites externes évoluent sur l'épiderme du cachalot en mangeant leur peau ou en nettoyant les plaies purulentes. Ce sont en général descrustacés, notammentcopépodes ouamphipodes. Ces derniers peuvent être dotés de puissants crochets qu'ils ancrent très solidement dans la peau, laissant de grosses cicatrices[17]. Ils ciblent les zones où la peau est la plus tendre, au niveau par exemple des parties génitales, de l'évent ou des paupières et sucent le sang du cétacé[90]. Parmi eux, lecyamidéNeocyamus physeteris est spécifique au cachalot : il est le plus commun desectoparasites, trouvé uniquement sur les femelles et les jeunes[91], mais chez toutes les populations et est parfois lui-même porteur d'épizoaires[92],[93]. Les grands mâles sont, quant à eux, la cible d'un autre cyamidé,Cyamus catodontis[91]. D'autres crustacés, lescirripèdes, sont de simples épizoaires du cachalot ; tel est le cas desanatifes et despouces-pieds. Si l'animal ne sert que de substrat, la fixation de ces organismes reste gênante, surtout en cas de prolifération excessive, en particulier dans les eaux froides[90]. Parmi les vertébrés, lesqualelet féroce (Isistius brasiliensis) peut découper de pleines bouchées dans la chair du cachalot[94].
Le cachalot compte parmi les espèces les pluscosmopolites. Il vit en une certaine abondance dans tous lesocéans et presque toutes lesmers, dont laMéditerranée. Il préfère les eaux libres de plus de 1 000 m de profondeur[1]. On trouve plus volontiers l'animal dans les eauxéquatoriales outropicales, les femelles et leurs jeunes ne dépassant notamment pas les50e parallèles (nord et sud) pour rester dans des eaux chaudes, mais les mâles adultes remontent jusqu'aux merspolaires[12]. Les mâles peuvent descendre au sud jusque vers l'Antarctique : rares enGéorgie du Sud, ils se cantonnent aux eaux profondes, évitant les côtes[95]. Ils sont présents dans lepassage de Drake au large ducap Horn et ont été observés dans de nombreuses baies de laTerre de Feu ouvertes à l'océan, le pourtour côtier de lapéninsule Mitre, lecanal de Beagle, ainsi que ledétroit de Magellan[96] ; ils occupent toutes les eaux jusqu'au75e parallèle nord. Cependant, les changements d'hémisphères sont peu fréquents, un mâle particulier restant toujours du même côté de l'équateur[25].
On le trouve enmer Méditerranée, mais pas enmer Noire[6] et sa présence dans lamer Rouge est incertaine[1]. Les entrées peu profondes à la fois en mer Noire et en mer Rouge pourraient expliquer son absence[97]. Les basses profondeurs de la mer Noire sont égalementanoxiques et contiennent de fortes concentrations de composéssoufrés, tels que lesulfure d'hydrogène[98]. Les populations sont plus denses à proximité desplateaux continentaux et descanyons sous-marins[12]. Les cachalots se trouvent généralement dans les eaux profondes au large des côtes, mais on peut les voir près de la côte dans les zones où le plateau continental est bas et diminue rapidement à des profondeurs de 310 à 920 m[6]. Les zones côtières qui comprennent d'importantes populations de cachalots sont lesAçores et l'île des Caraïbes de laDominique[99].
Les cachalots suivent un calendrier demigration avec des motifs similaires à ceux desrorquals : les mâles se rapprochent chaque hiver de l'équateur afin de rejoindre les pods de femelles. Une fois la reproduction achevée, ils repartent vers les pôles où la nourriture se fait plus abondante[25].
Gravure de 1577 représentant des cachalots échoués. Le dessin est assez grossier. On peut noter que l'auteur a représenté (par erreur) deux narines (ouévents) au bout du melon de chaque animal, des yeux haut placés et des nageoires dorsales plus saillantes que de nature.
Le terme « cachalot » est d'origineibérique. Toutefois, on retrouve dans les textes français l'occurrence decachalut dès 1628, où cette appellation était employée àSaint-Jean-de-Luz pour décrire l'animal considéré comme « le m[â]le de la baleine ». Le terme actuel, trouvé à l'écrit en 1694, est emprunté au portugaiscachalote oucacholote auXVIIe siècle, désignant le même animal, mais dont l'origine n'est pas claire. Il semble provenir du portugaiscachola, signifiant « grosse tête »[100]. Le terme est aussi attribué augasconcachau ou decaichal, relevé àCarcassonne, au sens de « grandes dents »[101],[102]. Dans son dictionnaire étymologique,Joan Coromines propose que les termes ibériques soient issus du latin populairecappula, pluriel decappulum, le manche de l'épée[103]. Bien que seul le terme « cachalot » désigne originellement et généralement l'espècePhyseter macrocephalus, il peut également être utilisé pour désigner tous les membres de la super-famille desPhyseteroidea, qu'ils soient vivants ou fossiles, et notamment les cachalotsnain etpygmée.
Lesanglophones l'appellent généralementsperm whale,apocope despermaceti whale, lespermaceti étant une substance semi-liquide, cireuse, trouvée dans l'organe éponyme occupant un volume important dans la tête de l'animal et servant deballast lors des plongées (voir la section « Spermaceti »).Spermaceti signifie en latin « sperme de baleine », la substance blanchâtre ayant été confondue initialement avec du liquide séminal. Un autre nom pour l'animal, en ancien français, était « physétère » parfois dérivé en « physale », simple francisation du nom scientifique de son genre,Physeter et provenant dugrec ancien pour le mot « souffleur », construit à partir deφυσώ (physo) signifiant « souffler ». Ce terme, aujourd'hui complètement désuet, se retrouve, par exemple, sous la plume deFrançois Rabelais sous la graphie de « Physetère » dans les chapitres 33 et 34 de sonQuart Livre de 1552 où réapparaîtPantagruel[104]. Ladénomination spécifiquemacrocephalus vient également du grec, construit à partir deμακρός (makrós) et deκεφαλή (képhalế) et signifiant littéralement « grosse tête » ; son alternative,catodon signifie « dents sur la mandibule », du grecκατά (katá) pour « en bas » etὀδούς (odoús) pour « dent »[17].
Le grand cachalot est placé dans le genrePhyseter, de lafamille desPhyseteridae, elle-même placée dans lasuper-famille desPhyseteroidea, regroupant tous les cachalots[105]. Deux espèces actuelles proches, du genreKogia — à savoir lecachalot nain (K. sima) et lecachalot pygmée (K. breviceps) — sont parfois aussi placées dans cette famille, ou bien dans leur propre famille desKogiidae[106]. Si lemonotypisme de la famille n'est pas fixé, l'unicité de l'espèceP. macrocephalus au sein de son genre est avérée. Cela n'a pas toujours été le cas, puisqueCarl von Linné, descripteur de l'espèce en 1758 dans son ouvrageSystema Naturae décrit quatre espèces dans legenre[107] :P. catodon,P. macrocephalus,P. microps etP. tursio. Sur la base d'une étude de 1836 deFrédéric Cuvier suivie par tous lescétologistes, les quatre espèces seront ramenées à une seule, mais il subsistera de la description originale une ambiguïté pour l'appellation de l'espèce,P. macrocephalus etP. catodon, tous deux utilisés par Linné ayant été repris indifféremment. L'espèce est, au début, généralement connue sous le nom deP. catodon, jusqu'à ce que Husson et Holthuis proposent en 1974 pour nom correctP. macrocephalus[108], le deuxième nom décrit originellement dans le genrePhyseter par Linné et en même temps queP. catodon, mais se fondant sur le fait que les deux noms étant des synonymes publiés simultanément, le « principe du premier réviseur » duCINZ devait s'appliquer, conduisant en l'occurrence au choix deP. macrocephalus, une vue répétée par Holthuis en 1987[109]. La plupart des auteurs ont suivi ce constat, bien que Schevill (en 1986 et 1987) ait fait valoir queP. macrocephalus avait été publié avec une description inexacte et que, par conséquent, seulP. catodon pouvait être considéré comme valide, rendant le principe du « premier réviseur » inapplicable[110],[111]. Cependant, aujourd'hui, la plupart des auteurs acceptent dorénavantmacrocephalus commenom valide, faisant decatodon un simple synonyme de second plan.
L'espèce connaît de nombreux synonymes, et compte même certainessous-espèces décrites, même si elle est aujourd'hui considérée commemonotypique.
Bien que les données fossiles soient pauvres[113], plusieursgenres éteints ont été affectés à la super-famille parfaitementmonophylétique desPhyseteroidea qui comprend le dernier ancêtre commun du cachalot moderne, ducachalot pygmée et ducachalot nain, et tous les descendants de cet ancêtre.Ferecetotherium, trouvé enAzerbaïdjan et datant de l'Oligocène (environ 28 à 23 millions d'années), est le fossile le plus primitif qui a été trouvé, possédant des caractéristiques spécifiques aux cachalots comme unrostre asymétrique[114]. La plupart des cachalots fossiles datent de la période duMiocène, il y a de 23 à 5 millions d'années de cela.Diaphorocetus, en provenance d'Argentine, qui a été daté du Miocène inférieur. Les fossiles du Miocène moyen comprennentAulophyseter,Idiorophus etOrycterocetus, qui ont tous été trouvés sur la côte occidentale des États-Unis,Leviathan melvillei trouvé en 2010 plus au sud, auPérou, etScaldicetus qui fut trouvé en Europe et au Japon[114],[115]. Les fossiles deOrycterocetus ont également été trouvés dans l'océan Atlantique Nord et lamer Méditerranée, en plus de la côte occidentale des États-Unis[116].Placoziphius, trouvé en Europe, etAcrophyseter au Pérou, sont datés de la fin du Miocène[117],[114].
Les fossiles de cachalots diffèrent du cachalot moderne, notamment par le nombre de dents, ainsi que par la forme de la face et de la mâchoire[114]. Par exemple,Scaldicetus a un rostre effilé[115]. Les genres de l'Oligocène et du début du Miocène moyen, à l'exception possible d'Aulophyseter, avaient des dents dans la mâchoire supérieure[114].Acrophyseter, de la fin du Miocène, avait également des dents dans la mâchoire supérieure et celle inférieure, ainsi qu'un rostre court avec une mâchoire inférieure (mandibule) courbée vers le haut[117]. Ces différences anatomiques suggèrent que les espèces fossiles ne sont pas nécessairement des chasseurs d'eaux profondes, comme le cachalot moderne, mais que certains genres mangeaient principalement du poisson[114].Zygophyseter, vivant au milieu à la fin du Miocène, avait des dents dans les deux mâchoires et semble avoir été adapté pour se nourrir de proies de grande taille, un peu comme l'orque moderne[86].
Arbre phylogénétique du grand cachalot[118], incluant les branches simplifiées des groupes éteints (†)[86]
La théorie la plus largement admise affirme que lesmysticètes (baleines à fanons) etodontocète (baleines à dents) dérivent des baleines primitives du début de l'Oligocène, et que la super-famille desphysétéroidés, qui contient le cachalot, le cachalot nain et le cachalot pygmée, ont divergé des autres baleines à dents peu de temps après, il y a plus de 23 millions d'années[113],[114]. Effectuées entre 1993 et 1996, des analyses moléculaires phylogénétiques ont suggéré que les cachalots sont plus étroitement proches des baleines à fanons qu'ils ne le sont d'autres baleines à dents, ce qui aurait signifié que le sous-ordre desodontocètes n'était pasmonophylétique, en d'autres termes qu'il ne constituait pas un groupe d'espèces comprenant une baleine à dents ancestrale et tous ses descendants[119],[118]. Cependant, les études ultérieures d'anatomie comparée et dephylogénie moléculaire, utilisant un ensemble de caractères morphologiques et des marqueurs moléculaires plus nombreux, ont contesté ces résultats pour des raisons techniques (enracinement des arbres et alignements utilisés) et conclu à la monophylie des odontocètes[118],[120],[121],[122].
Ces analyses confirment également qu'il y a eu une diversification rapide de la super-famille des physétéroidés durant leMiocène[86]. La famille deskogiidés (les cachalots nains et pygmées) s'est séparée de celle du grand cachalot il y a au moins 8 millions d'années[120].
Un échantillon de cire de spermaceti, une bougie de spermaceti et une bouteille d'huile de cachalot.Extraction du spermaceti sur le pont d'un baleinier.
Avant le début duXVIIIe siècle, la chasse était traditionnelle et majoritairement pratiquée par les autochtonesindonésiens du village baleinier de Lamalera sur l'île deLembata[123]. Elle avait pour but de tirer parti de la viande, de l'huile et dulard (« blubber ») des cachalots. Concernant la première chasse « occidentale », une chronique maritime rapporte que vers 1712, le baleinier du capitaine Christopher Hussey qui cherchait desbaleines franches près des côtes, fut drossé vers le large. Il y croisa un pod de cachalots et tua l'un d'eux[124]. Le juge Paul Dudley, dans sonEssay upon the Natural History of Whales de 1725 affirme qu'un certain Atkins, actif depuis dix ou douze ans dans le domaine, a été parmi les premiers à exploiter les cachalots au large de laNouvelle-Angleterre aux environs de 1720[125].
Ces exemples marquent les prémices de la chasse commerciale, car durant lesXVIIIe,XIXe et XXe siècles, le spermaceti et l'huile de cachalot sont alors très recherchés par lesbaleiniers qui se diversifient ou bien se spécialisent dans la capture du cétacé à dents. Ces produits animaux acquièrent à l'époque un large éventail d'applications comme dans la fabrication debougies, desavon, decosmétiques, d'huile moteur ; d'autres lubrifiants spéciaux pour les machines de larévolution industrielle, leshuile pour lampe, lescrayons ; d'imperméabilisant pourcuir ; pour la protection contre larouille et dans de nombreux composés pharmaceutiques. L'ambre gris, substance cireuse, solide et inflammable a également été utilisée comme fixateur enparfumerie.Au vu des nombreuses applications pour ces matières à l'époque de la Révolution industrielle, la chasse devint indispensable par l'absence de substituts[126],[127],[128],[129]. Le nombre de baleiniers dédiés à la chasse au cachalot augmenta rapidement jusqu'à quasi industrialiser les méthodes de pêche et d'extraction de produits animaux.
Gravure des années 1850 représentant une scène de chasse au cachalot.
Seules quelques captures sont enregistrées pendant les premières décennies de la chasse au cachalot en pleine mer (de 1709 aux années 1730). Leschaloupes se concentrent plutôt auxNantucket Shoals pour chasser labaleine franche ou autour dudétroit de Davis, région pour trouver labaleine boréale. Au début des années 1740 (avant 1743), avec l'avènement de bougies au spermaceti, les navires américains commencent à s'intéresser aux cachalots. La chasse américaine s'étend rapidement depuis la côte orientale des colonies américaines jusqu'auGulf Stream, lesGrands Bancs, l'Afrique de l'Ouest dès 1763, lesAçores en 1765 et l'Atlantique Sud en 1770. De 1770 à 1775, les ports duMassachusetts, deNew York, duConnecticut et deRhode Island produisent 45 000 barils d'huile de cachalot par an, contre 8 500 d'huile de baleine[130]. La même décennie, lesBritanniques commencent la chasse au cachalot en utilisant des navires et du personnel américain ; la décennie suivante, lesFrançais entrent dans ce commerce et font appel également aux connaissances américaines[131].
Le cachalot attaquant l'Essex, dessin tiré des carnets de Thomas Nickerson.
L'activité baleinière diminue des années 1880 jusqu'aux années 1940, notamment parce que le pétrole se substitue aux produits issus des grands mammifères marins. En ce sens, on peut dire que l'« or noir » a protégé les populations de cétacés d'une exploitation plus grande[133],[134]. Mais la chasse reprend de plus belle aux abords de laSeconde Guerre mondiale, notamment de la part de l'Allemagne nazie. Les moyens modernes se révèlent plus efficaces, les chasseurs employant des navires à vapeur et desharpons explosifs[135]. La pêche aux cétacés s'axe en priorité sur les grandesbaleines à fanons, mais le cachalot devient plus recherché à mesure que les populations de mysticètes décroissent. Les industries des cosmétiques, du savon et de l'huile mécanique sont à cette époque les principaux acheteurs. L'huile des cétacés est par ailleurs indispensable pour la production denitroglycérine[135]. Après que les populations diminuent de manière significative, laCommission baleinière internationale proclame la pleine protection de l'espèce en 1985. Cependant, la chasse continue sous sa forme traditionnelle auxAçores jusqu'en 1984[136] et auJapon dans le Nord de l'océan Pacifique jusqu'en 1988[134].
La chasse au cachalot a culminé dans les années1830 puis1960.
Il est estimé que la population mondiale de cachalots comptait aux environs de 1 100 000 individus avant la chasse commerciale. En 1880, ce chiffre avait diminué de près de 29 %[1]. Jusqu'en 1946, les effectifs semblent récupérer quelque peu avec la pression moindre de la chasse. Mais après la Seconde Guerre mondiale, la population diminue encore davantage pour atteindre seulement 33 % de l'effectif initial, d'avant l'ère de la chasse[1]. Il a été estimé que, durant leXIXe siècle, entre 184 000 et 236 000 cachalots ont été tués par les différentes nations baleinières[137], tandis que la vague moderne de la chasse a pris au moins 770 000 individus à la mer, la plupart entre 1946 et 1980[Note 3]. Un impact périphérique a été constaté sur les populations de cachalots : les grands mâles ayant été chassés en priorité, voire surexploités, une diminution de la longueur moyenne a, au moins localement, été relevée[141].
Les populations restantes de cachalots sont assez grandes pour que lestatut de conservation soit défini par l'UICN commevulnérable (VU)[1]. Néanmoins, le repeuplement après les années de chasse est un processus lent, en particulier dans le Pacifique Sud, où le tribut fut lourd à payer pour les mâles en âge de reproduction[142]. Le nombre actuel de cachalots dans le monde entier est incertain, mais les scientifiques supposent qu'il peut y en avoir environ 360 000, chiffre des années 1990 dont on ne peut pas affirmer s'il a bougé depuis. Ce chiffre représente une réduction de 67 % vis-à-vis de la population d'avant le début de l'exploitation par l'être humain. Les perspectives de conservation sont plus claires que pour beaucoup d'autres baleines, mais il n'y a pas de preuves que la population ait augmenté depuis l'interdiction de la chasse, ni qu'elle se soit réduite, sauf exceptions régionales[1].
L'espèce est protégée pratiquement partout dans le monde et la chasse commerciale a quasiment cessé. Il est cependant avéré que certains pays contournent le moratoire, comme leJapon qui prélève dix grands cachalots par an dans le Pacifique. Jusqu'en 2006, des dizaines de cachalots ont été chassés au large de l'Indonésie[135]. Les pêcheurs ne ciblent pas les espèces que le cachalot mange ; ainsi, la pêche n'a pas d'impact sur ses ressources alimentaires. L'enchevêtrement dans les filets de pêche et les collisions avec les navires représentent les plus grandes menaces pour les populations de cachalots[12]. D'autres menaces actuelles comprennent l'ingestion des débris marins, la pollution sonore des océans et la pollution chimique[143]. L'impact éventuel de l'industrie touristique basée sur l'observation des cachalots en mer, a été étudié àKaikoura (Nouvelle-Zélande). Il semble effectivement que cette activité modifie le comportement des animaux, mais dans des proportions si faibles que les conséquences biologiques n'en sont sans doute pas à redouter[144].
Lorsqu'un cachalot vient à s'échouer sur le rivage, la viande de couleur rouge foncé mise à nu devient rapidement noirâtre à l'air libre, la rendant peu appétissante. Ainsi, les habitants desAçores, sur le site d'échouage du mammifère, ne prélevaient pas la viande et se contentaient d'extraire les dents pour leurs rites culturels[145]. Cependant, le grand cachalot, comme les autres baleines, rentre dans lerégime alimentaire de l'humain. Il y apparaît de manière occasionnelle, dans la plupart des cultures. En effet, sa grande taille fait du grand cachalot une manne alimentaire considérable, bien que seul lelard soit vraiment comestible. Cette viande n'a pas de valeur gastronomique particulière. Elle est plutôt quelconque et servait donc surtout à l'alimentation animale. Les baleiniers américains débitaient les planches de lard en petits pavés et en faisaient des boulettes qu'ils plongeaient ensuite dans l'huile bouillante, dont ils se régalaient. Mais la majorité de ces pavés étaient desséchés à l'aide d'un cuiseur pour être ensuite broyés enfarine animale pour le bétail[145].
Les baleines étant auparavant confondues avec les poissons, l'Islam autorise la consommation de cachalot. D'ailleurs, celle-ci est décrite dans laSunna durant l'« expédition vers la côte », menée parAbu Ubayda ibn al-Djarrah, accompagné de trois cents hommes[146]. Aujourd'hui, la chasse du grand cachalot étant interdite, sa viande n'est plus consommée, sauf au Japon où l'on trouve de la viande d'une grande variété de baleines dans les assiettes. Cette consommation s'inscrit dans une tradition remontant à avant leXVIIe siècle[147]. S'agissant du cachalot, les Japonais cuisinent le lard (honkawa本皮) en le faisant cuire dans un bouillon appelékoro oden (コロおでん). De nombreuses autres parties sont toujours consommées, et même prisées, depuis la tête (lekabura-boneかぶら骨, cartilage du rostre) jusqu'à la queue (l'onomi尾の身, la base de la queue), le rein (mamewata豆腸) et même le pénis (takeriたけり)[135],[148].
Des études récentes suggèrent que la graisse contient naturellement desPCB, substances cancérogènes qui endommagent les systèmes nerveux, immunitaire et reproducteur de l'humain[149],[150]. La source des concentrations de PCB est inconnue. Les baleines à dents, comme le grand cachalot, sont généralement au sommet de lachaîne alimentaire et sont ainsi susceptibles d'emmagasiner de grandes quantités depolluants industriels parbioaccumulation. Toutefois, le cas du grand cachalot semble plus complexe, étant donné qu'il trouve sa nourriture à de grandes profondeurs.
Les grands cachalots ne sont pas les cétacés les plus faciles àobserver, notamment à cause de leurs longues apnées et leur capacité à parcourir de longues distances sous l'eau. Toutefois, en raison de leur aspect particulier et de leur grande taille, l'opportunité de les observer dans leur milieu naturel est de plus en plus convoitée. Les observateurs des cachalots utilisent souvent deshydrophones pour écouter les clics des baleines afin de les localiser avant qu'ils fassent surface. Parmi les endroits les plus connus pour observer des cachalots, on peut citerKaikoura, sur l'île du Sud deNouvelle-Zélande, où leplateau continental est si étroit que les baleines peuvent être observées depuis la rive ;Andenes etTromsø enNorvège ; et enfin auxAçores où l'on peut en voir tout au long de l'année[151]. LaDominique est considérée comme la seule île desCaraïbes possédant un groupe résidant toute l'année, composé de femelles et de jeunes[152].
Depuis 2013, une équipe de plongeurs et plongeuses pratique une observation sous-marine régulière d'une population de grands cachalots au large del'Île Maurice afin d'étudier leur structure sociale[153].
Objetkanak (Nouvelle-Calédonie), constitué d'une dent de cachalot percée de deux trous et munie d'un cordon de suspension en liane tressée. Collection d'ethnographie duMuséum de Toulouse.
Les dents de cachalot sont des objets culturels importants dans tout le Pacifique. EnNouvelle-Zélande, lesMaoris les appelaient « rei puta » et elles étaient rares, car les cachalots n'étaient pas chassés dans la société traditionnelle[155]. Les dents et les os provenaient alors de cachalots échoués. AuxFidji, les dents sont connues sous le nom « tabua » où elles étaient traditionnellement données en cadeau ou bien pour l'expiation (appeléesevusevu). Elles étaient ainsi importantes dans les négociations entre les chefs rivaux[156].Friedrich Ratzel dansThe History of Mankind signale en 1896 que, dans les îles Fidji, les dents de cachalots étaient des objets d'ornements très précieux. On y taillait dedans des perles pour réaliser des colliers[157]. Aujourd'hui, letabua reste un élément important dans la vie fidjienne. Les dents étaient initialement rares dans les îles Fidji et Tonga, mais avec l'arrivée des Européens, les dents ont inondé le marché et cette « monnaie » s'est effondrée. L'offre excédentaire a conduit à son tour au développement de l'art européen duscrimshaw[158]. On a également retrouvé des traces de ces dents datant de l'époque gauloise enVendée[159] et duXIIe siècle av. J.-C. enAssyrie[160].
Lescrimshaw s'exprime aussi sur des dents de cachalot.
L'histoire deMoby Dick (the White Whale) d'Herman Melville est fondée sur l'histoire authentique du cachalot ayant attaqué le baleinierEssex et peut-être sur un cachalot blanc duPacifique connu pour sa férocité, un mâle baptiséMocha Dick. Melville a associé le cachalot avec leLéviathan de laBible. Cependant, alors que le drame de l'Essex est cité dans le roman comme dans la correspondance de l'auteur, Mocha Dick, lui, n'y apparaît jamais. Il peut donc s'agir d'une coïncidence, les cas d'albinisme n'étant pas rares chez ces animaux-là, non plus que les prénoms (Dick étant Richard) donnés par les chasseurs aux spécimens particulièrement combatifs, et dont fait état Melville dans un chapitre de son roman. La redoutable réputation perpétuée par Melville a été fondée sur la capacité des cachalots à se défendre farouchement contre les attaques des premiers baleiniers, allant même à les briser. En 1869,Jules Verne, dansVingt Mille Lieues sous les mers, mentionne des cachalots (peut-être à tort) qui s'attaquent à d'autres baleines[161]. L'animal apparaît également sous des traits farouches d'un certain Monstro dans le film deDisney de 1940,Pinocchio. Il avaleGeppetto avec son bateau, de façon analogue au récit deJonas, prophète biblique avalé par une baleine. Bien que la présence de dents dans la mâchoire de cet immense cétacé ne laisse qu'une interprétation possible quant à son identité, la représentation reste approximative et l'animal possède certains grands traits desmysticètes[162]. En 2006, un longdocu-fiction enimages de synthèse lui est consacré, intituléDeep ocean, au royaume des cachalots[163]. Leséchouages ont aussi inspiré certains auteurs : dans la bande dessinéeLe Bal du rat mort par exemple, un cachalot échoue àOstende et une masse grouillante de rats sort de son ventre. Deuxsous-marins de laUnited States Navy ont porté le nom de l'animal : leUSS Cachalot(SS-33) (renomméUSS K-2(SS-33) en 1911) et leUSS Cachalot(SS-170) de la « classe Cachalot ». Le cétacé est, par ailleurs, le symbole de lapréfecture de Yamanashi au Japon et de l'État duConnecticut aux États-Unis.
Ce livre retrace des dizaines d'heures de plongée, et des centaines d'heures d'observation de la vie sociale et du comportement singulier de ces géants des mers, animaux paisibles et étonnants.
↑Une baleine de Cuvier a été rencontrée par 2 992 mètres de profondeur par une équipe en 2018, voirl'article consacré
↑L'abondance, entre autres, de la myoglobine du cachalot lui a valu d'être la premièreprotéine dont la structure tridimensionnelle a été déterminée parcristallographie auxrayons X, par les travaux deJohn Kendrew (aux côtés deMax Perutz).
↑Plus de 680 000 saisies ont été officiellement déclarées[138], mais des études ont relevé que les rapports officiels de l'URSS avaient sous-estimé les captures d'au moins 89 000 individus[139]. De plus, il est avéré que d'autres pays tels le Japon, ont sous-estimé également les captures[140].
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