Le mot « gilbertin » désigne, en français, lenom du peuple desîles Gilbert, partie principale de la république desKiribati, ainsi que de tout ce qui s'y rapporte, en particulier lalangue. En gilbertin, l'ancien nom, peu usité de nos jours, étaittungaru[3]. Le nom moderne de cette langue estte taetae ni kiribati (la langue des Kiribati ;kiribati n'étant autre que le motanglaisGilberts adapté à laphonologie du gilbertin), mais le nom usuel estte taetae n aomata, « la langue des gens ».Le terme « gilbertin » est apparu en français en1885[4], un peu avant la traduction deIn the south seas (Dans les mers du Sud,Robert Louis Stevenson,1892). Il doit être utilisé de préférence à « gilbertais » (calque de l'anglais moderneGilbertese, nettement moins usité) - on trouve également unKiribatese, ou encorekiribatien, ce dernier recommandé par un arrêté officielfrançais determinologie (l'arrêté du 4 novembre 1993). Une des toutes premières listes du vocabulaire de cette langue a été publiée par laRevue coloniale en1847, sur la base de mots recueillis par un chirurgien auxiliaire, Ch. Fabre, sur lacorvetteLe Rhin en1845, notamment auprès d'un jeune Gilbertin recueilli à bord (deKouria, naufragé au large deTabiteuea).
Le gilbertin est également la langue parlée àRabi (îlesFidji) par des déportés de l'îleBanaba (anciennementOcean), par les habitants deNui (Tuvalu) ainsi que dans une ou deux petites îles desSalomon (Wagina etGhizo notamment) et duVanuatu (personnes déplacées par les Britanniques, notamment après l'échec du peuplement desîles Phœnix). La langue est encore pratiquée aujourd'hui par d'importants groupes de Gilbertins émigrés enNouvelle-Zélande et aux îlesHawaï.
Cette langue est parlée par 103 000 personnes en 2010 aux Kiribati pour un total de 119 881 dans le monde[1].
Il existe peu de variations dialectales (entre les îles du nord et du sud), davantage entre le gilbertin et les dialectes deBanaba et deRabi. Les atolls septentrionaux deButaritari et deMakin ont un accent et un vocabulaire spécifique. La langue parlée àNui (Tuvalu) est influencée par letuvaluan.
LeKiribati Language Board qui siège àTarawa-Sud réglemente les évolutions de la langue et son enseignement. LeDictionnaire Gilbertin-Français du PèreErnest Sabatier,Tabuiroa (Abaiang),1952-1954, reste le seul ouvrage d'importance (984 pages, + xii pages) entre cette langue et une langue occidentale[5]. Traduit en anglais, il est reprisin extenso par Steve Trussel sur son site internet[6].
« A » représente deux sons différents, chacun pouvant être bref ou long (une voyelle longue = une voyelle double). Après B et M, l'insertion de W qui ne se prononce pas, permet de conserver le son /a/.
« A » ouvert : le plus proche du son « a » en français [a], par exemple :
bref :tan tano kam taku nano kai rua raka ;
long :taan (pluriel detia)kaaki naano (pluriel)kaai waa taai.
« A » fermé : pas de son correspondant en français, [æ], proche de l’anglais « a » danscat (chat), par exemple :
bref : comparer le gilbertinbati (beaucoup) avec l’anglaisbat (chauve-souris),
le gilbertinman (animal) avec l’anglaisman (homme),
le gilbertinanti (esprit) avec l’anglaisant (fourmi),
autres exemples :raba (caché),aba (terre),bata (cabane),bai (main),tai (temps),mai (fruit),
long :maan (animaux),maan (longtemps),ba (foudre),ba (feuille).
Quand un « A » ouvert est précédé d’un B ou d’un M, on obtient ce que le P.Ernest Sabatier appelle le « A gras » (cf. Sabatier, p. III). Auparavant écrit à l’aide d’un signe diacritique sur le A, il est désormais écrit « wa », comme danstabwakea (tortue, ancienne graphie :tabakea) ou encoremwaneaba. Cet « A gras », qui ne doit pas être confondu avec la semi-consonne W précédant un A, comme danste wa (la pirogue), rend la lecture parfois malaisée.
il se prononce presque comme « mwa ». Faire prononcer par un Gilbertin :
Unediphtongue est composée de deux voyelles successives différentes ne formant qu’une seule syllabe, deux sons distincts prononcés d’une seule émission de voix. Il n’existe pas de vraies diphtongues enfrançais.
Il existe deux sortes de diphtongues en gilbertin :
il existe destriphtongues, des syllabes composées de trois voyelles :
iaicf.iai (il y a)
ioicf.kioina (puisque)
iaucf.tiau (ma limite)
ieucf.kieu (ma natte)
uaucf.kuau (poisson)
ieicf.iein (mariage)
il existe des voyelles composées (deux voyelles ne formant qu’un son)
ae : son entre « a » et « e », différent du « a fermé ».
par exemple bae (dette) taetae (parler) maem (doux)
ao : son entre « a » et « o »
par exempleao (ligne de pêche)tao (scie)baoki (box)
Nota Bene : Les diphtongues et les triphtongues (mais aussi les voyelles composées) peuvent aussi se prononcer en séparant les voyelles, surtout dans le chant, la déclamation et pour faire ressortir le sens d’un mot.
Récapitulation : donc, en tout, huit sons voyelles, à savoir six voyelles simples pouvant être longues ou brèves : a ouvert, a fermé, e, i, o et u ; deux voyelles composées : ae et ao.
« B » représente les sons B et P et les sons intermédiaires.Il y a de vrais [b] (sonores) (c’est même le cas le plus fréquent).par exemple : buro (bouillir) bure (faute) buri (pus) buta (extraire) buti (marcher) bubuti (requête) bue (brûler) et tous lesbu- sauf en fin de mot.benu (…) beti (collier) biro (tordre) bita (changer), etc.Il y a de vrais [p] (sourds) (moins fréquents).par exemple : bai (chose) biri (courir) ben (coco) beku (ouvrage) bon (terreau) bono (bouché) rebwe (résonner).Souvent le son est intermédiaire (même les « p » ne doivent pas être prononcés trop énergiquement…). Une bonne prononciation se situerait entre les deux. C’est ce que les linguistes appellent un « p sonore » ou un « b sourd ». Pour la prononciation de « ba/bwa », cf. la voyelle « a », 3). Le « b » remplace parfois le « v » dans les mots étrangers.
« K » comme en français ou anglais, mais moins énergique.Il peut être légèrement guttural et se rapprocher de « g » devant « a » (un « k sonore »).
« M » comme en français.Cependant, pour « ma/mwa », cf. la voyelle « a », 3).
« N » comme en français, mais plus en avant du palais : c’est une dentale.Surtout quand le « n » est géminé (doublé) et final.
« NG » pas de correspondant en français.Ressemble à l’anglais « ng » danssing (chanter) ousinger (chanteur) mais pas à finger, où l’on entend le g.par exemple : kanganga (difficile), rongorongo (nouvelle, rumeur), rengerenge (bout), nganga (empoisonnement), ngongo (gratter), ngongo (parler), ngenge (mendier).
« R » différent du français et de l’anglais — battu [ɾ], légèrement roulé, prononcé du bout de la langue sur l’avant du palais, presque dental. Exercice en partant de « L » ou mieux de « D ». Les enfants disent « madudung » pour marurung, « didi » pour riri, etc.R remplace « R », « L » et « D » dans les mots introduits.
« T » comme en français devant A, E, O et U (peut-être plus dental). Comme S devant I (et devant U dans le Nord) (1°).
« W » différent du V et du W anglais.
devant A, comme V : prononcé uniquement du bout des lèvres, sans les fermer :Tarawa, kawakawa, wanawana, wareware ;
spécial dans les groupes BWE, MWE, par exemple :bwe, bwebwe, rebwe, mwemwe, iremwe, mweaka. Dans ces deux groupes, c’est presque un O consonnantique ;
presque V dans les autres groupes WE, par exemple :wene, were, karewe.
Quelques anciens d’Abemama et de Kuria disent :oene, oete, etc.
NB : Inutile d’employer deux lettres W et V bien que V eût été plus représentatif.
Actuellement, l’emploi de V distinct de W devient fréquent.
Notes :1° évolution du « TI » depuis les vieux temps : ti, tsi, si ;2° WI devrait s’écrire UI ; c’est sans doute l’influence du W anglais qui a décidé de l’usage.
« A »Il ne peut pas y avoir plus de deux A à la suite à l’intérieur d’un mot. Si trois A consécutifs risquent d'apparaître, il faut intercaler un E euphonique avant le3e. Un A ne peut pas être supprimé.
Exemple : au lieu debutimaa-a, on dirabutimaaea.
Au lieu deka-a-ai,kaaeai.
« I »Il ne peut pas y avoir plus de deux I à la suite dans un seul mot. Trois I ou plus se réduisent à deux (I long).
Seules les consonnes M, N et NG peuvent être doublées (géminées) ;seules ces trois consonnes peuvent terminer un mot ; tous les mots se terminent soit par une voyelle, soit par une de ces trois consonnes ;un mot ne peut pas se terminer par une consonne double. Si la règle veut une consonne double finale, on intercale un I euphonique entre les deux ;par exemple :ran (eau de puits)ranna, maisranin te kai (et pas,×rann te kai)ou après les deux consonnes, suivant la règle ci-après :par exemple :ranin te mata maisranni matau.
Il est possible de distinguer trois sortes d’accents :
les syllabes longues qui font accent, non par l’intensité mais par la longueur, par exemple :
Boti mange : rassemble les balayures
Buti mane man te bua : sors les sous du sac
il y a des syllabes qui, sans être longues ni plus fortes, ont un accent purement rythmique (quelque chose comme l’ictus rythmique enplain-chant), par exemple :maräwa, wänawäna, täratära, tékatéka, tékatékäna, tékétékanâki
il y a la syllabe plus accentuée que les autres mais dont l’intensité n’égale pas l’accent anglais ou italien. Se rencontre surtout devant une consonne doublée, par exemple :ngkanne, kitanna, tuangnga, nimma.
NB : pas de règle connue pour savoir où mettre l’accent ; il peut changer suivant la place du mot dans la phrase ou la longueur du mot, par exemple :ko a rôko, ko â tia, uôta te bâei.
Souvent, il y a deux syllabes accentuées consécutives :
longues :karaaii, kaootaa, kamimia ;
une longue et une brève :kaakaki, kamiaki, kaootaira ;
C'est unelangue flexionnelle (avec davantage de suffixes que de préfixes) pour quelques catégories grammaticales mais où les particules (préposées pour l'essentiel) jouent un rôle non négligeable et qui pratique aussi uneeuphonie limitée.
L'ordre des mots est la plupart du temps de typeVOS (Verbe-Objet-Sujet), avec un objet qui suit immédiatement le verbe.
Exemples de phrases simples :
e bati te aine (il y a beaucoup de femmes, verbebati précédé d'un préfixe pronominale, 'il/elle', et suivi dete, article, et deaine, 'femme', cognat de vahiné)
I kana te ika (je mange du poisson, verbekana précédé d'un préfixe pronominalI, en lettre capitale comme en anglais,ika poisson)
matau (mon œil) ;matan Timon (l’œil de Simon) ;wana (sa pirogue) ;wan Toma (la pirogue de Thomas) ;am auti (ta maison) ;ana auti tamau (la maison de mon père).
devant certains noms considérés comme collectifs (au pluriel) :
karawa (ciel) ;tai (soleil) ;marawa (océan) ;namwakaina (lune) ;taari (mer, litt. « les sels ») ;mone (enfer, abîme).
devant certains noms indiquant la direction (points cardinaux, orientation) :
meang (Nord)tanimeang (partie Nord)
maiaki (Sud)tanimaiaki (partie Sud)
mainiku (Est)tanrake (côté Est)
maeao (Ouest)tanrio (côté Ouest)
eta (le haut)
katea (côté sans balancier de la pirogue, « tribord »)
nano (le bas, la mer)
rama (côté balancier de la pirogue, « bâbord »)
devant certains noms composés indiquant latopographie (en vertu de la règle 2) :
En plus des noms de personnes et d’objets, on peut employer comme noms tous les verbes et ce qu’on peut appeler « adjectifs » (il n'existe pas de véritables adjectifs en gilbertin).
ababaki (grand, être grand)te ababaki (la grandeur)
amarake (manger)te amarake (le manger, la nourriture)
En réalité, la grammaire gilbertine ne distingue pas le nom du verbe. Ce sont desprédicats. Cependant certains « noms », notamment ceux désignant les êtres animés, ne peuvent pas être employés comme des verbes.
Il y a une distinction entre les noms d’êtres animés et les noms d’êtres inanimés.
Les noms ne changent pas de forme au pluriel (invariables) mais on supprime toujours l’article et en général (cf. plus loin) lamore initiale est allongée (voyelle deux fois plus longue, ce qui n'apparait pas forcément à l'écrit) :
te aomata / aomata
te mwaneaba / mwaneaba
Les noms d’une ou de deux syllabes allongent leur première syllabe au pluriel.
te ben / been
te boki / booki
te tina / tiina
Cet allongement n’intervient pas :
quand le nom a un possessif :taama (les pères), maistamaia ataei, ara tama ;
quand le pluriel (nom) est complément d’un autre nom :
aia botaki taama (la réunion des pères), maiste botaki n tama (une réunion de pères) ;
après un verbe indiquant une action, manière de faire :
rikoi been aikai (ramasse ces cocos)mais a riko ben (ils font le ramassage des cocos)
↑Kiribati n'est autre que le mot anglaisGilberts, au pluriel, prononcé et écrit selon les règles du gilbertin.Te taetae signifie « la langue » (parlée).
↑Le « i » final après « t » est souvent assourdi et presque muet, comme l’« e » final en français. L’exemple le plus connu est le nom moderne de l’État, Kiribati, qui se prononce [kiribæs] (< de l’anglaisGilberts, îles Gilbert au pluriel, prononcé [gılba:ts]), ou encore l’îleKiritimati qui se prononce [kirismas] (< de l’anglais Christmas). Autres exemples : ati eti oti iti uti.Devant M, U et W, le « i » bref devient souvent sourd et est presque prononcé « u » (dans le nord des Gilbert, il devient carrément « u ». Exemples : mataniwi ataeinimane itiua kaniwanga unimane tariu.
↑Le mot est identique à celui de la nuit et désigne une journée de 24 heures. Il existe un autre mot qui désigne la partie éclairée de la journée, du matin au soir.
T. Groves, G. Groves et R. Jacobs,Kiribatese. An Outline Description,ANU, Canberra, 1985.
Jean-Paul Latouche,Mythistoire Tungaru : cosmologies et généalogies aux îles Gilbert, Paris, SELAF, 1984,(ISBN2-85297-067-8) (Brève description de la langue et textes bilingues)