Artiste au confluent des cultures nordique, italienne et française, contemporain deJacques Callot et desfrères Le Nain, La Tour est un observateur pénétrant de la réalité quotidienne. Son goût prononcé pour les jeux d'ombres et de lumières fait de lui l'un des continuateurs les plus originaux duCaravage.
Reconnu de son vivant, il est rapidement oublié après sa mort. Redécouvert au début du XXe siècle, il inspire ensuite des écrivains aussi divers queRené Char,André Malraux,Pascal Quignard etCharles Juliet.
Georges de La Tour est baptisé le àVic-sur-Seille, siège du bailliage de l'Évêché de Metz, occupé par le roi de France depuis1552[1]. L'acte de baptême de Georges de La Tour, conservé auMusée départemental Georges-de-La-Tour à Vic-sur-Seille, indique qu'il est le fils de « Jean de la Tour boullengier [= boulanger] », et de Sibylle Molian, issue également d'une famille de boulanger. Il est le deuxième des sept enfants de la famille[2].
Son parcours, et particulièrement sa formation initiale, restent méconnus. Il commence une carrière de peintre et fait peut-être la rencontre des maîtres hollandais de l'école caravagesque d'UtrechtGerrit van Honthorst etHendrick ter Brugghen lors d'un voyage en1616. Il a été avancé qu'il se serait rendu àRome où il aurait découvert l'œuvre du Caravage, mais rien ne l'atteste et, s'il est clairement influencé par le caravagisme, cette influence semble plutôt lui avoir été transmise par le biais de la connaissance de l'œuvre deHendrick ter Brugghen, peintre auquel il a souvent été comparé. UneAnnonciation du Caravage, commandée par le ducHenri II de Lorraine, se trouvait par ailleurs àNancy, et La Tour l'a sans doute contemplée[3]. Georges de La Tour serait donc néanmoins l'un des rares peintres français de l'époque à ne pas avoir entrepris le classique voyage en Italie.
Il se marie le à Vic-sur-Seille avec Diane Le Nerf, membre d'une famille noble deLunéville, bourgade duduché de Lorraine[4]. Les deux époux s'installent dans cette ville où La Tour commence une carrière brillante, sous le règne du ducHenri II de Lorraine, admirateur duCaravage et marié à une princesse italienneMarguerite de Gonzague, nièce de la reine-mère de France. Il s'installe en1619 à la cour duchâteau de Lunéville[5]. En1620, il est même reçu "bourgeois" de la ville, doté par le duc de lettres d'exemption qui lui octroient les franchises accordées aux membres de la noblesse.
Il multiplie les tableaux à sujet religieux mais aussi les scènes de genre, les tableaux réalistes représentant musiciens et mendiants. Il reçoit notamment des commandes du duc, de l'église des Minimes de Lunéville et de Charles IV. Il devient lui-même l'un des habitants les plus riches de Lunéville et reçoit de nombreuses commandes également de la bourgeoisie et de la noblesse lorraine, bien qu'il ne parvienne pas à devenir peintre officiel du duc Henri II, cette charge étant alors l'apanage deClaude Deruet. Aucune commande d'envergure ne nous est connue ; ses toiles sont pour l'essentiel de proportions modestes : souvent un mètre de hauteur[6].
Mais à partir de1633, la Lorraine, jusque-là prospère et sûre mais dirigée depuis peu par le maladroit ducCharles IV, sombre dans les destructions de laguerre de Trente Ans. Le duché est envahi puis occupé par la France et devient l'un des champs de bataille de l'Europe en guerre. En 1635, les troupes suédoises ravagent la contrée, semant la mort et la désolation. Les Croates ne sont pas moins cruels ni moins avides.Lunéville, où réside La Tour, est incendiée en et le peintre est obligé de fuir la ville pour se réfugier avec sa famille àNancy, où l'on trouve sa trace à partir du[7].
Le succès de Georges de La Tour s'établit assez vite, puisque des documents mentionnent des commandes« façon La Tour », distinguant son style parmi les contemporains[8]. En 1645, il reproduit lesSouffleurs et lesFumeurs, petits formats qui plaisent aux bourgeois[9].
Le roi de France cherche à s'attacher les artistes lorrains. SiJacques Callot refuse, Georges de La Tour accepte et se rend àParis. L'on sait qu'en 1639 il y reçoit le titre de « peintre ordinaire du roi » ainsi qu'un logement auLouvre, le roiLouis XIII possédant unSaint Sébastien soigné par Irène de sa main. Mais ses possessions et privilèges sont chez lui, en Lorraine, et dès que sa maison est reconstruite, en 1641, il est de retour à Lunéville. Le succès est toujours au rendez-vous puisque plusieurs fois leduc de la Ferté, gouverneur français duduché de Lorraine, se voit offrir pour ses étrennes un tableau du maître – notamment de scènes nocturnes –, le premier étant uneNativité en[10].
Les œuvres de la fin de sa vie représentent exclusivement des scènes religieuses – bien que marquées par la peinture de genre – probablement, selon le critiqueAnthony Blunt, en raison du regain d'importance de la vie religieuse dû auxfranciscains en Lorraine après laguerre de Trente Ans, la Lorraine étant toujours occupée par la soldatesque française.
Georges de la Tour meurt, d'après son acte de décès, d'une « pleurésie » le à Lunéville, mais vraisemblablement d'une épidémie qui a d'abord emporté sa femme Diane le et son valet Jean « dit Montauban » le[11]. Son œuvre sombre rapidement dans l'oubli.
Son fils Étienne (1621-1692)[12] qui a été son apprenti, seul héritier du peintre avec deux sœurs qui ne se marieront pas, va alors réaliser le rêve de son père : acheter le domaine franc de Mesnil près de Lunéville, et gagner ses lettres de noblesse, pour faire oublier son origine roturière.
On n'a identifié jusqu'ici aucune relique de la vie de La Tour : portrait, objets personnels, livres, demeures, ainsi que sa tombe, tout semble avoir disparu[13].
Certaines de ses toiles se retrouvent même sous le nom deQuentin de La Tour, à cause de la proximité du patronyme avec celui du peintre lorrain, et ce, bien qu'il soit né plus d'un siècle après Georges de La Tour et qu'il peigne dans un style complètement différent.
Georges de La Tour est redécouvert seulement en 1915, par l'historien d'art allemandHermann Voss (1884-1969) à partir de deux tableaux dumusée d'Arts de Nantes,L'Apparition de l'ange à saint Joseph etLe Reniement de saint Pierre,qui sont signés et pour l'un d'entre eux daté, ce qui est très rare chez La Tour, permettant à Voss de lui attribuer aussitôtLe Nouveau-né du musée de Rennes[17] (le troisième tableau de Nantes,Le Vielleur, ne sera attribué qu'en 1931).Les travaux de Hermann Voss[18] – qui s’appuie notamment sur des travaux antérieurs et demeurés un peu ignorés d’Alexandre Joly de 1863[note 2], vont permettre de réattribuer plusieurs tableaux àéclairage diurne – ils ont justement replacé Georges de La Tour parmi les plus grands peintres « français » duXVIIe siècle bien qu'il soit Lorrain[note 3].
Une exposition « Les Peintres de la Réalité en France auXVIIe siècle », organisée aumusée de l'Orangerie de à, permet au public de le découvrir. C'est la première fois que sont réunis treize des quinze tableaux alors attribués à l'artiste et c'est une révélation. En 1948, une thèse de François-Georges Pariset renforce les travaux de Voss.
Depuis, les travaux et les études sur l'œuvre de Georges de La Tour se sont multipliés et ont permis l'identification d'une production d'une petite centaine de toiles[note 4], dont une quarantaine nous sont parvenues : il est ainsi aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands et originaux maîtres français de son temps. Dès 1960, saDiseuse de bonne aventure est acquise par leMetropolitan Museum of Art deNew York, ce qui provoque d'ailleurs une polémique sur l'autorisation du départ d'une œuvre de telle importance hors du territoire français, et une nouvelle exposition lui est consacrée à l'Orangerie, en 1972.Gustaw Herling analyse ainsi la technique du peintre, dans sonJournal écrit la nuit () :« L'effet queVermeer confiait à un rayon de la lumière du jour filtré par le verre d'un vitrail, La Tour l'obtient grâce au scintillement de la flamme d'une bougie dans la pénombre de la nuit.Les Joueurs de dés éblouissent,La Femme à la puce fascine[19] ».
Des artistes contemporains insistent sur l'influence que Georges de La Tour a pu ou peut encore avoir sur leurs œuvres.Richelet se réclame ainsi de lui pour ses représentations de corps décharnés inspirées par sonSaint Jérôme pénitent.
Les premières œuvres de de La Tour sont caractérisées par l'influence duCaravage, probablement via ses suiveurs hollandais, notamment dans le choix de scènes de genre mettant en scène tricheries et duperies(Le Tricheur à l'as de carreau ouLa Diseuse de bonne aventure par exemple) ou encore des rixes de clochards (thèmes qui ont été popularisés par les artistes hollandais). Ces œuvres sont à placer relativement tôt dans la carrière du peintre - avant 1640 en tout cas. Ses premières œuvres montrent également l'influence du peintre lorrainJacques Bellange.
La Tour est particulièrement célèbre pour les effets declair-obscur qu'il introduit dans ses scènes nocturnes, technique qu'il a développée bien mieux que tous ses prédécesseurs du nord de l'Europe, tout en transférant son usage, jusque-là réservé à la peinture de genre par les Hollandais, à des sujets religieux. Contrairement au Caravage, les peintures religieuses de La Tour ne présentent pas d'effets dramatiques ou théâtraux ni de monumentalisation des figures, si bien que l'on peut facilement les confondre avec des scènes de genre, ces scènes de la vie quotidienne dont la peinture flamande et hollandaise de l'époque était friande :La Nativité du musée des Beaux-Arts de Rennes en est l'un des meilleurs exemples.Paulette Choné évoque d'ailleurs l'hypothèse que ce tableau pourrait ne représenter qu'une nativité ordinaire, qu'il s'agirait d'un nouveau-né quelconque et non Jésus-Christ, mais pour la rejeter aussitôt« en raison surtout de la densité symbolique, de la gravité quasi liturgique du geste de la servante[20]. » Cette deuxième phase dans sa production picturale commence à partir desannées 1640. Les compositions géométriques et la simplification des formes qu'il met en œuvre montrent bien la particularité de son approche du clair-obscur et des leçons du Caravage, ce qui le place clairement en marge dumouvement ténébriste d'unJosé de Ribera et des suiveurs italiens du Caravage. Sa manière semble être sans équivalent. Sa palette chromatique est caractérisée par des harmonies de rouges, bruns et de blancs avec très peu de couleurs dissonantes. Le recours à une légère simplification des formes, la grande précision du dessin pour les détails et l'absence, dans ses tableaux, de composition construites autour de lignes violentes pourtant si courantes dans la peinture caravagesque sont autant de caractéristiques de l'art de Georges de La Tour.
Le style unique qu'il a développé, ainsi que sa prédilection pour des sujets nocturnes au cadrage serré, où la source de lumière n'est la plupart du temps qu'une chandelle, permettent également bien souvent de reconnaître d'emblée un tableau comme étant de sa main ou, tout du moins, de son école.
Il a souvent peint plusieurs versions d'un même tableau (commele Tricheur à l'as) mais sa production – ou ce qu'il en reste – est relativement restreinte. Son fils Étienne[note 5] ayant été son élève[note 6], ses œuvres ayant souvent été imitées ou copiées, ainsi que le manque de sources et de documents sur sa vie et son travail, font qu'il est souvent difficile d'établir le corpus des œuvres de Georges de La Tour, seule une trentaine lui ayant été rendues avec sûreté. Le travail d'attribution n'est donc pas encore terminé aujourd'hui.
René Char a découvert Georges de La Tour, lors d'une exposition organisée à l'Orangerie (Paris) de à: elle était intitulée « Les Peintres de la Réalité en France auXVIIe siècle ». Il a consacré divers écrits au peintre, un texte surLe Prisonnier[74], dans lesFeuillets d'Hypnos 178[75]. René Char dialogue avec le tableau en l'impliquant dans le contexte deSeconde Guerre mondiale : « ténèbres hitlériennes »[74]. . Un autre texte de René Char, extrait encore une fois deFureur et mystère, rend hommage à laMadeleine à la veilleuse[74]. DansLe Nu perdu , Char écrit un texte intitulé « Justesse de Georges de La Tour » et dans lequel il fait allusion à divers tableaux du peintre tels queLe tricheur ouLe vielleur[76].
André Malraux a publié en 1951Les Voix du silence[77], un ensemble de différents essais sur l'art. Il y exprime sa fascination pour l'œuvre de Georges de La Tour, notamment sa maîtrise de l'éclairage. Malraux parle des détails du style pictural de La Tour : la ligne d'un profil, les formes ou encore l'éclairage. Il compare La Tour avec d'autres peintres :Cézanne,Uccello,Giotto etc.
Pascal Quignard a publié un essai intitulé Georges de La Tour en 1991[78], réédité en 2005[79]. Pascal Quignard voit dans les représentations du peintre une spiritualité mystique. Ainsi, il exprime que la flamme chez Georges de La Tour : « c'estDieu ». Il parle de « la nuit méditative de Georges de La Tour » dans La Nuit sexuelle[80]. Quignard écrit aussi : « une pensée les absorbe » parlant des figures peintes par La Tour[81],[82].
Charles Juliet a consacré dans Télérama un article où il se glisse dans la peau de Georges de La Tour. Il choisit de rédiger son texte à la première personne du singulier. Il se focalise sur l'emploi de la lumière dans les œuvres de Georges de La Tour et sur des thématiques générales qu'il lui confère. Charles Juliet décrit quelques tableaux par fragments, isolant les éléments marquants[83].
Une rétrospective de son œuvre a été organisée aumusée de l'Orangerie à Paris en 1972 :Le Songe de Saint Joseph
Une exposition de 42 de ses œuvres s'est tenue à Paris dans les Galeries nationales du Grand Palais d' à, Catalogue, 319 p.(ISBN978-2-8907-7166-6).
Du 8 mars au 28 mai 2005 au Musée national d'art occidental de Tokyo, avec le patronage de l'Agence pour les affaires culturelles du Japon et de l'Ambassade de France au Japon[84].
Une exposition consacrée à la production du peintre sur le thème de saint Jérôme est organisée aumusée Georges-de-La-Tour de Vic-sur-Seille du au[85].
Les musées de Nantes et Rennes, entre lesquels s'est jouée en 1912-1915 la ré-identification de La Tour par Hermann Voss, commémorent ce centenaire en réunissant leurs quatre toiles dans l'expositionGeorges de La Tour : trois « nuits » pour une renaissance (Nantes, - ; Rennes, -).
Le Musée du Prado de Madrid réunit 31 œuvres pour une exposition monographique du au.
↑Ainsi que l'indiquent son acte de baptême conservé au Musée départemental Georges de La Tour et son acte de mariage conservé auxArchives départementales de la Moselle.
↑Alexandre Joly, architecte lorrain, retrouve la trace d'un certainGeorges Du Ménil-La-Tour, peintre, et reconstitue quelques éléments de sa carrière dans une courte étude des archives locales, mais sans pouvoir y adjoindre le moindre tableau.
↑Bien qu'il soit lorrain : c'est également le cas d'autres artistes du duché de Lorraine (Jacques Callot,Claude Gellée…)
↑Le « Catalogue raisonné » de Jacques Thuillier en présente 89 en 1973.
↑Mort le, il avait érigé son domaine franc en fief (1669) et obtenu ses lettres d'anoblissement en 1670, il doit être susceptible de faire oublier lui aussi l'activité – jugée roturière – de son père.
↑Bien qu'il semble qu'il ait arrêté de peindre dès la mort de son père.
↑Notice duSaint Thomas sur le site officiel du Musée national de l'art occidental.Lire en ligne. Page consultée le 28 juillet 2013.
↑Pierre Rosenberg, « Un nouveau chef-d’œuvre de Georges de La Tour : Le Saint Jérôme récemment réapparu à Madrid »,Boletín del museo del prado,t. XXIII,no 41,1er décembre 2005,p. 46-59.Lire en ligne. Page consultée le 12 mars 2018.
↑Cette attribution erronée mena l'œuvre au musée du Prado à Madrid, comme l'indique le catalogue de l'exposition temporaire (23/02 - 12/06/2016) tenue audit musée.
Jean-ClaudeLe Floch,Le Signe de contradiction : essai sur Georges de La Tour et son œuvre, Presses universitaires de Rennes-2,, 137 p.(ISBN978-2-86847-126-0).
Jean-ClaudeLe Floch,La Tour, Le Clair et L'Obscur, Paris, Herscher,, 64 p.(ISBN978-2-73350-246-4).
Georges de La Tour (Catalogue de l'exposition organisée par le Musée national d'art occidental de Tokyo), Japon, Yomiuri Shimbun,, 188 p.(ISBN4-906536-32-8)