Il naît dans le village d'Iznang, au bord dulac de Constance, où son père, Anton, est maître forestier au service duPrince-Évêque deConstance. On ne sait rien de son enfance et de son adolescence jusqu'à l'âge de 18 ans[1].
Il s'inscrit ensuite en droit à l'université de Vienne (1759), puis en médecine (1760).
En 1766, à l'âge de 33 ans, Mesmer publie sa thèse de doctorat en médecine :Dissertatio Physico-medica de planetarum influxu De l'influence des planètes sur le corps humain, dans laquelle on retrouve l'influence des théories du médecin belgeJan Baptist van Helmont (Le traitement magnétique des plaies, 1621), du jésuite allemandAthanasius Kircher et de l'astronome anglaisIsaac Newton[2].
Selon les auteurs, Mesmer serait ici influencé soit par l'occultisme, soit par l'iatromécanisme (mécanisme en médecine). PourRobert Darnton, cette dissertation n'est qu'un mélange d'astrologie et denewtonisme. Selon Rausky, il n'est pas exactement un occultiste, car il est tourné vers l'avenir et se soucie peu d'une fidélité à une ancienne tradition, il n'est pas non plus un « iatromécanicien » car il ne cherche pas à mesurer ou à expérimenter[2].
Dans cette thèse, une notion émerge, encore vague, mais qu'il développera par la suite, celle de « gravité animale » : les influences entre individus sont du même ordre cosmique que celles des astres entre eux[2].
En janvier 1768, Mesmer épouse la riche veuve Maria Anna von Posch (appelée « von Bosch » dans la correspondance deMozart). De nombreux musiciens viennois fréquentent leur maison, notammentHaydn,Gluck etLeopold Mozart (voir la section Mécénat musical).
En 1773, il soigne dans sa propre maison une malade de 27 ans, lademoiselle Oesterlin, qui présentait des crises douloureuses et convulsives à répétition. Il venait d'apprendre que des médecins anglais utilisaient desaimants pour traiter certaines maladies[3].
Les premiers essais avec des aimants en fer sont décevants, échecs qu'il attribue à l'imperfection des aimants. Il utilise alors les plaques aimantées inventées par le père jésuiteMaximilian Hell, astronome à la cour de Vienne. Il adapte la forme de ces plaques à celle de la partie du corps à traiter[4].
Le 28 juillet 1774, Mesmer rapporte qu'il fait avaler à sa malade une mixture contenant du fer, puis il fixe sur son corps trois aimants, l'un sur l'estomac, un autre sur chaque jambe. Il provoque ainsi une crise ou « marée artificielle », la malade guérit de cette attaque en devenant insensible aux aimants[3].
La demoiselle Oesterlin s'améliore à un tel point qu'elle épouse le beau-fils de Mesmer, fils de la veuve von Posch[3].
À la suite d’une polémique avec Hell sur la paternité de ce procédé, Mesmer insistera sur le fait que lemagnétisme animal est distinct du fluide magnétique minéral. Il interprète la guérison de sa malade comme venant de son propre fluide magnétique à lui, les aimants ne jouant qu'un rôle amplificateur et directionnel[3].
Mesmer transforme une tradition ancienne occulte,fétichiste etmagique, qui attribuait des pouvoirs magnétiques et mystérieux à des parties détachées du corps humain (mèches de cheveux,relique anatomique...). Il considère que c'est lethérapeute, personne vivante dans sa totalité, qui peut guérir et soulager par son magnétisme personnel[5].
Mesmer brandissant son aimant, une « colonne magique » du sculpteurPeter Lenk située àMeersburg.
En juin 1775 il se rend chez le Baron Horeczky de Horka, un noble hongrois en Slovaquie, pour traiter ses spasmes nerveux. Il existe sur ce sujet un témoignage du précepteur de la maison du Baron qui surveilla Mesmer pour tenter de le démasquer comme charlatan. Ce précepteur nommé Seyfert rapporte que Mesmer portait des aimants sur lui, y compris dans son lit, et qu'il reconnaissait que son pouvoir magnétique était plus faible que celui du père exorcisteJohann Joseph Gassner[3].
Fin 1775, Mesmer est convaincu que, par les aimants, il peut surpasser Gassner. Il a réussi plusieurs guérisons sensationnelles. Il est appelé à Munich par lePrince-électeur pour faire démonstration de ses pouvoirs. Il est nommé membre de l'Académie bavaroise des sciences en donnant son opinion sur Gassner qu'il estime doté d'un pouvoir magnétique extraordinaire[3].
En 1776-1777, il mène un traitement de la cécité deMaria Theresia von Paradis, une musicienne de 18 ans aveugle depuis l’âge de quatre ans. Mesmer parvient à rétablir partiellement sa vue, ce dont les parents lui furent d’abord fort reconnaissants, mais les médecins qui s'étaient occupés de la musicienne contestent la guérison, soulignant que la malade n'affirme voir qu'en présence de Mesmer[3].
À la suite d'un conflit entre Mesmer et la famille Paradis, la musicienne interrompt son traitement. Selon Mesmer, ni la famille, ni la malade n'avaient intérêt à guérir, cela aurait été la fin d'une carrière de musicienne aveugle et de la générosité de l'Impératrice d'Autriche[3].
Le départ de Mesmer de Vienne pour Paris fait l'objet de plusieurs interprétations. Il aurait été contraint de partir, à cause de son échec avec les Paradis, et de l’hostilité de ses collègues. Il est dit aussi que la jeune malade se serait entichée de Mesmer, lequel ne serait pas resté insensible[6].
Selon Ellenberger, la véritable raison de son départ serait dans son caractère hypersensible et instable. À la fin de l'année 1777, Mesmer traverse une phase de dépression, il se promène dans la forêt en parlant aux arbres. Progressivement il retrouve sa confiance en lui, et se donne mission de faire connaître sa découverte au monde. Il part pour Paris en février 1778, il quitte Vienne, mais aussi sa femme qu'il ne reverra plus jamais[6].
L'atmosphère parisienne est différente de celle de Vienne. Contrairement à l'empire autrichien doté d'une autorité stable et énergique, d'une administration ferme et d'une police efficace, la vie parisienne est agitée, sous un pouvoir politique faible et instable et une économie corrompue. Lors de laguerre franco-anglaise, le public parisien s'enthousiasme pour l'indépendance américaine, prêt à passer d'un engouement à l'autre[6].
Il tient à entrer en relation avec les autorités académiques. Il se fait assister parCharles Deslon, médecin personnel ducomte d'Artois (frère du Roi) avec le soutien duquel il publie, en 1779, sonMémoire sur la découverte du magnétisme animal de 88 pages, suivi de ses 27 célèbres Propositions décrivant sa théorie[6].
Ses 27 propositions peuvent se résumer en quatre principes fondamentaux[9] :
un fluide physique subtil emplit l'univers, servant d'intermédiaire entre l'homme, la terre et les corps célestes, et entre les hommes eux-mêmes ;
la maladie résulte d'une mauvaise répartition de ce fluide dans le corps humain et la guérison revient à restaurer cet équilibre perdu ;
grâce à des techniques, ce fluide est susceptible d'être canalisé, emmagasiné et transmis à d'autres personnes ;
il est possible de provoquer des « crises » chez les malades et de les guérir.
Aphorismes de Mesmer (1785).
Selon Mesmer, lemagnétisme animal est la capacité de tout homme à guérir son prochain grâce à un « fluide naturel » dont le magnétiseur serait la source, et qu'il diffuserait grâce à des « passes », dites « passes mesmériennes », sur tout le corps. Il se disait capable de provoquer des crises par sa seule présence ou par ses gestes[9].
Mesmer se comporte en penseur desLumières, car il rejette toute théorie mystique en cherchant une explication « rationnelle ». Il pense l'avoir trouvée en invoquant un principe analogue à la gravitation universelle de Newton. Ce principe ou fluide existerait sous plusieurs formes dont l'électricité et lemagnétisme animal[9].
Mesmer attribue à ce fluide des pôles, des décharges, desconducteurs, desisolateurs et desaccumulateurs. Par là, il estime pouvoir provoquer artificiellement des crises de la maladie à traiter, constituant en même temps une méthode de guérison. Il s'inspire ainsi des méthodes de l'exorciste Gassner : la crise, preuve d'une possession démoniaque, est aussi une première étape d'exorcisme, sur la voie d'une dépossession[9].
Il donne alors un célèbre aphorisme :« Il n'y a qu'une maladie, qu'un remède, qu'une guérison ». Toute l'histoire de la médecine n'est qu'une illusion. Nul remède, nul procédé thérapeutique n'a jamais guéri un malade. Ce qui guérit, c'est le magnétisme animal des médecins qui s'en servent sans s'en apercevoir. Le magnétisme animal est un remède universel qui répond à un idéal des Lumières : le rêve d'une « médecine à son point de perfection »[9].
Bientôt, Paris se divise entre ceux qui pensent que Mesmer était un charlatan forcé de fuir Vienne et ceux d’opinion qu'il avait fait une grande découverte.
En 1780 Charles Deslon publieObservations sur le magnétisme animal.
En 1780, ayant plus de patients qu'il n'en peut traiter individuellement, Mesmer introduit la méthode de traitement collectif dite du baquet. Un grand baquet rempli d'eau magnétisée, dont les bords du couvercle sont percés de trous où passent des tiges de fer recourbées à différentes hauteurs pour pouvoir s'appliquer aux différentes parties du corps à traiter. Outre ces tiges, des cordes relient tous les malades, les uns aux autres, et au baquet[10].
Patients assemblés autour du baquet de Mesmer.
Un médecin anglais, de passage à Paris en mai 1784, note qu'il pouvait traiter jusqu'à deux cent patients en même temps. Toute une mise en scène était destinée à renforcer les influences magnétiques : grands miroirs et sons musicaux provenant d'instruments magnétisés, dont l'harmonica de verre joué par Mesmer lui-même. Pour les pauvres, il propose un autre traitement collectif, mais de plein air : l'arbre magnétisé[10].
C'est notamment lors de ces traitements collectifs que se manifestent des phénomènes contagieux de « crises magnétiques » au cours desquelles les femmes de la meilleure société parisienne perdent le contrôle d'elles-mêmes, éclatent d'un rire « hystérique », se pâment, sont prises de convulsions, etc.
Mesmer est vivement attaqué par la faculté de médecine mais a des clients influents, comme le juristeNicolas Bergasse et le banquierGuillaume Kornmann.
En mai 1781, Mesmer quitte Paris pourSpa, où il écrit sonPrécis historique des faits relatifs au magnétisme animal qu'il adressera aux compagnies savantes du monde entier. Il rentre à Paris fin 1781. Il effectue un deuxième séjour à Spa de juillet à décembre 1782.
Il comprend alors qu'il se trouve dans une impasse, il n'est toujours pas reconnu par les sociétés savantes, notamment l'Académie des sciences ou laSociété royale de Médecine en France. De plus, son associé Charles Deslon a profité de ses absences parisiennes pour se constituer une clientèle personnelle de magnétisme animal, ce qu'il voit comme une tentative de le supplanter[10].
En mars 1783, il crée la loge de l'harmonie, future Société de l'harmonie universelle.
Mesmer organise avec l'aide deNicolas Bergasse etGuillaume Kornmann, une souscription pour acheter le « secret de Mesmer ». Pour cela, ils créent en 1784 la Société de l'harmonie universelle, les souscripteurs deviennent possesseurs du secret en constituant une société destinée à enseigner et répandre la doctrine de Mesmer[10].
L'année 1784 est l'apogée de Mesmer et le début de sa fin. Son entreprise lui apporte une fortune considérable, des filiales sont créées dans les autres villes françaises, mais cette agitation grandissante suscite l'attention royale[10].
En mars 1784, à l'instigation de Deslon et malgré les protestations de Mesmer,Louis XVI crée deux commissions pour étudier la pratique dumagnétisme animal, l'une de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine, l'autre de la Société royale de Médecine[11].
Ces savants se basent sur les 27 propositions de Mesmer exposées parCharles Deslon qui présente et explique ses propres pratiques de magnétisme animal. Lavoisier établit alors un modèle d'application de méthode expérimentale : il ne s'agit pas de savoir si le magnétisme animal guérit ou pas des malades, mais de vérifier si Mesmer avait bien découvert l'existence physique d'un nouveau fluide. La conclusion fut qu'on n'avait trouvé aucune preuve d'une existence de « fluide magnétique »[12].
Les possibilités thérapeutiques, examinées par la Société royale de Médecine, ne sont pas niées, mais attribuées à « l'imagination »[12] (au sens littéral de l'époque : suggestion ou influence par l'image). Des objets magnétisés ou non, sont présentés au patient comme le contraire de ce qu'ils sont : le patient réagit à ce qu'on lui dit, mais pas à la nature de l'objet.Jean Sylvain Bailly conclut que « l'imagination sans magnétisme produit des convulsions… le magnétisme sans imagination ne produit rien »[13].
Médecin magnétiseur (mesmeric physician) prenant avantage de la situation.Lithographie anglaise de 1852.
Un deuxième rapport secret est adressé au Roi (rendu public sous leIer Empire). Il met en garde contre les dangers érotiques exercés par le magnétiseur homme sur ses patientes magnétisées[12],[14]: « le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les mœurs ». En revanche, un des commissaires,Antoine Laurent de Jussieu, se désolidarise de ses collègues en rédigeant un rapport particulier où il déclare que « l'influence physique de l'homme sur l'homme doit être admise » et que cet agent était probablement la « chaleur animale »[12].
Cependant, comme la commission n’avait observé que le travail de Deslon, beaucoup affirmèrent que ce dernier ne connaissait pas vraiment le système de Mesmer. Celui-ci s’indigna de ce que les commissaires avaient adressé leurs questions au « traître » Deslon, et non à lui. Cette circonstance lui profita pourtant, car lorsque le ministère public décida d'interdire le magnétisme animal,Bergasse réussit à faire lever l'interdiction pour Mesmer puisque, du point de vue juridique, les pratiques de Deslon ne concernaient pas celles de Mesmer[12].
Loin de nuire au développement du mouvement magnétique, les rapports de 1784 lui firent, au contraire, de la publicité. Cet effet fut renforcé par l’opinion contradictoire de Jussieu, et par le fait que la même année, un des plus fidèles disciples de Mesmer, le marquis de Puységur, avait fait de nouvelles découvertes d’un état jusque-là inconnu de la conscience, qu'il appelait « sommeil magnétique ».
Si l'enquête académique n'empêche pas le développement du mesmérisme, Mesmer lui-même connait de nombreux déboires. Sur le plan de la notoriété populaire, il est souvent ridiculisé, victime de caricatures, chansons populaires et pièces satiriques. Le 16 avril 1784, il est profondément humilié en assistant à un concert organisé à la Cour, celui de laclaveciniste aveugle Maria Theresia von Paradis, venue de Vienne, celle-là même qu'il était censé avoir guérie. Tous les regards se tournèrent vers Mesmer pour lui signifier son imprudence d'être là[15].
Mesmer, de Puységur et Deleuze.
Plus grave pour Mesmer sont les critiques publiées par des savants et des érudits. Un auteur anonyme[16] publie l'anti-magnétisme (1784) soulignant les similitudes de méthode entre le magnétisme animal et l'exorcisme. Le médecinThouret publieRecherches et doutes sur le magnétisme animal (1784) en examinant une à une les 27 propositions de Mesmer pour signaler qu'elles avaient déjà été formulées par des médecins occultes des siècles précédents, et que la théorie de Mesmer, loin d'être nouvelle, n'était que la reprise de doctrines abandonnées. Un autre médecin physicienJean-Paul Marat dans sonMémoire sur l'électricité médicale (Rouen 1783, et Paris 1784) souligne que le magnétisme animal ne peut se présenter comme une théorie physique[15].
Enfin, les disciples eux-mêmes de Mesmer trouvent sa doctrine vague et incohérente, et veulent la formuler autrement. À cette époque, Mesmer s'en tenait à des objectifs thérapeutiques par une harmonie individuelle. Bergasse voit plus grand en envisageant une harmonie universelle et une harmonie sociale. Le magnétisme n'est plus un moyen de guérir, mais un prétexte à visée politique, la lutte contre ledespotisme conçue comme une thérapie sociale. Bergasse publie une nouvelle philosophie du monde :Théorie du monde et des êtres organisés, suivant les principes de M.*** (1784)[15].
De plus, Mesmer ressent la découverte du « sommeil magnétique » par son disciple Puysegur comme une atteinte personnelle qui lui fait ombrage. En août 1784, il est appelé par la Société de l'harmonie deLyon pour faire une démonstration devant le PrinceHenri de Prusse, le frère deFrédéric II, où il échoue complètement[15].
Mesmer rompt avec Bergasse,Kornmann et d'autres membres influents de la Société de l'harmonie. Cette scission reflète des divisions politiques : Mesmer tient à l'apolitisme, plus propre d'ailleurs à servir ses intérêts immédiats[17] decupidité, mais aussi au caractère égocentrique et intransigeant de sa personne[15].
Probablement au début de 1785, Mesmer quitte Paris et la France. Selon Ellenberger, sa réaction serait la même que celle de 1777 (départ de Vienne) : blessé dans son orgueil, atteint de dépression, il prend la fuite[15].
La dernière partie de sa vie reste mal connue. Dans sa dernière décennie, ses disciples ignoraient où il était et même s'il était encore en vie. Le mouvement qu'il avait fondé reste sous la direction de Puységur[15].
Après son départ de Paris, il aurait vécu quelques années en Angleterre sous un nom d'emprunt. Puis, il se déplace à travers l'Autriche, la France, l'Allemagne, et la Suisse.
En 1790, il est de retour à Vienne pour toucher l'héritage de la mort de sa femme. Il retrouve ses amis autrichiens et tient un salon où l'on discute avec sympathie de laRévolution française, dont laConstitution de 1791. Il revient un moment à Paris, qu'il quitte de nouveau en 1793 lors de laTerreur. En revenant à Vienne, après l'exécution de Louis XVI, il est suspecté de complicité révolutionnaire. Emprisonné pendant deux mois, il est libéré le 4 décembre 1793[18],[19].
En 1798, sous leDirectoire, il regagne Paris dans l'espoir de récupérer une partie de ses biens, et d'obtenir une chaire d'enseignement dans un hôpital pour diffuser sa doctrine[18]. Il séjourne pendant trois ou quatre ans à Paris et Versailles. Il écrit alors ses mémoires en 1799. Il obtient du gouvernement une compensation financière de400 000 livres.
Il s'établit en Suisse, àFrauenfeld. Il a perdu une grande partie de sa fortune, mais il lui en reste assez pour vivre en riche aristocrate, isolé du monde à l'écart des médecins qui l'avaient rejeté, et de ses disciples qui l'avaient trahi[15].
Lorenz Oken lui rend visite en 1809. À l'issue de ce séjour, Oken appelle les médecins à rencontrer Mesmer.Johann Christian Reil propose alors à Mesmer de venir exercer à Berlin dans un établissement reconnu par les autorités prussiennes. Mesmer, arguant de son âge avancé, décline l'invitation, mais suggère à l'inverse de recevoir chez lui toute personne missionnée par Oken. À la demande d'une commission créée par le chancelierKarl August von Hardenberg, le médecinChristian Wolfart(de) - « mesmériste » et membre de l’Académie de Prusse - se rend à Frauenfeld où il arrive en septembre 1812.
La tombe de Mesmer à Meersburg, en 2006.
Wolfart, romantique et patriote allemand s'étonne du personnage Mesmer qui, à la façon de l'ancienne aristocratie allemande, s'exprime exclusivement en français. Mesmer lègue ses manuscrits à Wolfart qui les traduit et les publie en 1814[20], mais en partie seulement, sous le titreMesmerimus oder System der Wechselwirkungen, Theorie und Anwendung des thierischen Magnetismus. Ce dernier ouvrage ne porte pas seulement sur les idées médicales de Mesmer, mais aussi sur ses opinions sur les sujets les plus divers : de l'éducation aux prisons, en passant par les fêtes publiques et les impôts[15],[18].
Malheureusement, la plupart des manuscrits laissés à Wolfart ont été perdus. Selon Ellenberger« Wolfart était négligent à tel point que dans sa traduction il attribua à Mesmer le prénom de Friedrich au lieu de Franz[15] ».
Un ou deux ans avant sa mort, Messmer s'installe àMeersburg, sur les bords du lac de Constance, où il meurt le 5 mars 1815, à quelques kilomètres de son village natal d'Iznang[15].
Durant sa période viennoise, Mesmer est un jeune médecin qui, par son mariage, vit en homme du monde, dans une grande propriété magnifique où il se montre connaisseur et protecteur des arts[1].
Parmi les artistes qui fréquentent sa demeure, se trouvent les musiciensHaydn etGluck, ainsi que la famille Mozart. AinsiLeopold Mozart présente à Mesmer son jeune filsWolfgang Amadeus Mozart, âgé de douze ans. La première représentation du secondopéra de Mozart,Bastien und Bastienne, s'effectue dans le théâtre privé des Mesmer le[1].
Plus tard, Mozart fera référence à Mesmer (son baquet et son fluide), mais pour s'en moquer, dans son opéraCosì fan tutte[21](1790).
Lorsque Mesmer arrive à Paris, il a 43 ans. Il est décrit comme un bel homme, grand et vigoureux, d'une haute distinction avec des manières raffinées. Il s'exprime très bien en français malgré un fort accent allemand. Il est rapidement accepté dans la société française : à l'aise avec les princes et les nobles, il sait combiner le charme et l'autorité pour convaincre les gens et obtenir d'importantes faveurs[6].
Ses partisans déçus dressent un portrait amer : Mesmer était convaincu qu'il avait fait une découverte capitale que le monde entier devait accepter immédiatement, mais qu'il appartenait à lui seul de la révéler selon son bon vouloir. Il exige de ses disciples un dévouement absolu, mais en retour il ne s'intéresse pas aux idées des autres et ne témoigne aucune gratitude. Orgueilleux et égocentrique, il rompt immédiatement en ressentant l'indifférence comme de l'hostilité, et la moindre critique comme une persécution[22].
Selon Ellenberger, les fluctuations de sa carrière reflètent sa psychopathologie. D'humeur instable et d'hypersensibilité morbide, il a des périodes d'exaltation et de dépression, d'hypomanie et de découragement. Vers la fin de sa vie, il aurait exprimé des idées délirantes, disant que l'eau des rivières était magnétisée, parce que lui, Mesmer, avait magnétisé le soleil[22].
Lesiècle des Lumières est aussi surnommé « l'âge d'or ducharlatanisme » par des historiens de la médecine. De ce point de vue, la demande sociale de santéindividuelle s'accroit, mais le contrôle institutionnel des pratiques de santé reste insuffisant. Les pratiques de soins représentent un secteur économique delibre-marché en expansion. Dans ce cadre, des inventions thérapeutiques « technologiques » se font jour, dont celles à base de magnétisme et d'électricité, comme celles du médecin américainElisha Perkins, ou du sexologue écossaisJames Graham(en)[23].
Pour d'autres, tel Rausky,« la notion de charlatanisme ne devrait pas être utilisée, car celle ci n'est pas unecatégorie historique précise, mais unjugement de valeur éthique, revêtu d'une objectivité douteuse ». Il s'agirait d'une accusation, faite de tout temps, par les médecins détenteurs d'un pouvoir, pour marginaliser ou exclure des concurrents ou des adversaires[24]. Par exemple,Jean-Paul Marat, qui accuse aussi bien Mesmer queLedru, détient lui aussi une « boutique d'électricité médicale »[26].
Il conviendrait alors de distinguer, dans la vie et l'œuvre de Mesmer, entre « le projet lucide » et le « délire gratuit »[27].
De façon générale, la plupart des historiens considèrent que le cas Mesmer ne se réduit pas à un cas de charlatanisme. SelonRoy Porter(en), c'est aussi« une des figures de transition sur le chemin qui va de lamagie auxpsychothérapies modernes » : Mesmer serait un pionnier de l'hypnose[28].
PourHenri Ellenberger« on peut faire remonter la psychiatrie dynamique moderne au magnétisme animal de Mesmer, et qu'à cet égard, la postérité s'est montrée singulièrement ingrate envers lui »[22]. Si le mesmérisme s'est discrédité, Mesmer lui-même ouvre une voie où l'on trouveraJean-Martin Charcot,Pierre Janet etSigmund Freud[29].
Franklin Rausky[30] passe en revue les observations ou pratiques de Mesmer qui annoncent ou préfigurent des conceptspsychanalytiques, comme le rôle du patient et le phénomènes detransfert[31]. De même le traitement collectif du baquet, où Mesmer se pose en leader de groupe, serait de l'ordre d'unethérapie de groupe[24].
Le magnétisme animal et les disciples du mesmérisme, divisés en courants divergents, ont été plus étudiés que Mesmer lui-même[18].
Magnétiseur induisant une transe hypnotique. Gravure de 1794.
Loin d'être un marginal, Mesmer est un médecin imprégné des nouveaux principes d'une médecine des Lumières. Il est l'élève deGérard van Swinten, qui introduit à l'Université de Vienne les idées de son maîtreHerman Boerrhaave. La médecine est une science d'observation du corps vivant, qui se pratique au lit du malade[18].
Mesmer est un partisan de laRaison et dudespotisme éclairé. Il rejette aussi bien le vieuxgalénisme que les superstitions en tous genres. Admirateur de Newton et deRousseau, il croit au projet d'une médecine issue de la nature, en progrès pour le bonheur de l'humanité[32]. Selon Rausky, en créant la « société de l'harmonie universelle », Mesmer insuffle à ses disciples plus que lavolonté de guérir, mais bien ledésir de guérir, ce qui expliquerait ses succès[33].
Mesmer n'est ni un théoricien, ni un grand lecteur, et il n'a guère précisé sa doctrine[34]. Mais ses idées paraissent être celles d'un matérialismesensualiste inspiré d'Helvétius, deBaron d'Holbach. En tant que représentant de l'Aufklärung, Mesmer inspire directementLorenz Oken, chef de file de laNaturphilosophie allemande[32].
Sa renommée dans le monde anglophone sera telle que le verbe « hypnotiser » (au propre et au figuré) se dit non seulementto hypnotize en anglais, mais égalementto mesmerize ; la forme verbalemesmerizing (littéralement « mesmerisant ») est également employée comme adjectif avec le sens de fascinant (pour qualifier un spectacle, un film, un livre, etc.)
Honoré de Balzac était un adepte du mesmérisme et dumagnétisme animal. Il s'étend longuement sur le sujet dans son romanUrsule Mirouët où l'on voit le sceptique docteur Minoret se laisser convaincre de traiter sa pupille : Ursule.
En 1887,Guy de Maupassant mentionne le nom de Mesmer et décrit des phénomènes hypnotiques dans sa deuxième version duHorla.
Justinus Kerner est, d'aprèsHenri Ellenberger, le premier à effectuer une recherche sur la vie de Franz Anton Mesmer et à rassembler des documents biographiques s'y rapportant. En 1936, le docteur Jean Vinchon a publié chez Amédée Legrand, une étude intituléeMesmer et son secret[35].
Le roman de Brian O'Dohertyl'Étrange cas de mademoiselle P. (1992) est consacré à l'affaire du traitement de la musicienne aveugle Maria Theresia von Paradis.
Michèle Halberstadt écritL'incroyable histoire de Mademoiselle Paradis (2008-édition Albin Michel) consacré au traitement et à la "romance entre Paradis & Mesmer"
Messmer, un artiste québécois, reprend le nom Mesmer comme nom de scène en hommage.
↑Clifford D. Connor,Histoire populaire des sciences, éditions de l'échappée, 2011, p. 382, citant Darnton,La fin des lumières, le mesmérisme et la Révolution
↑Betsy van Schlun,Science and the Imagination: Mesmerism, Media, and the Mind in Nineteenth-century English and American Literature, Galda & Wilch, 2007
↑Saīd Hammoud,Mesmerisme et romantisme allemand 1766-1829, éditions L'Harmattan, 1994