Francesco Rosi, né le àNaples (Italie) et mort le àRome, est unréalisateur etscénaristeitalien, connu pour ses films engagés politiquement. Il est parfois crédité sous le nomFranco Rosi.
Panomara du quartier deChiaia àNaples dans les années 1960.
Francesco Rosi est né àNaples, dans le quartier deMontecalvario, le, fils de Sebastiano Rosi, unCalabrais directeur d'une agence maritime etcaricaturiste pour les périodiques de la villeMonsignor Perrelli etVaco'e pressa, et d'Amalia Carola,femme au foyernapolitaine d'origine espagnole[1]. En 1930 naît son frère Massimo qui va devenir un architecte célèbre. La famille Rosi déménage bientôt dans Naples, d'abord Via Cesare Rossaroll, puis Viale Regina Elena et enfin Via San Pasquale, dans le quartier deChiaia. Enfant, le jeune Francesco apprécie le cinéma d’aventures américain au point qu’il gagne un concours et un voyage à Hollywood, que sa mère le découragera de mener à bien[1]. Pendant l'été, Francesco passe ses vacances àPausilippe, où il rencontreRaffaele La Capria, avec qui il partage l'amour de la mer, de l'amitié fraternelle et du travail. Francesco fréquente l'école primaire Teresa Ravaschieri de Via Bausan, puis, à partir de 1934, le lycée Umberto I. C'est là qu'il se lie d'amitié avec ceux qui seront ses compagnons de toujours, liés par l'amour de la culture et du militantisme politique :Giorgio Napolitano,Antonio Ghirelli(it),Francesco Compagna,Achille Millo(it),Giuseppe Patroni Griffi,Maurizio Barendson(it) etRosellina Balbi(it)[2],[3].
En 1944, il collabore avec Radio Napoli, dirigée parItalo De Feo(it) ; il rencontre le réalisateurEttore Giannini, travaille avecLuigi Compagnone(it), avecTommaso Giglio(it) etRaffaele La Capria. En 1945, il rejoint la rédaction d'un bimensuel de littérature et d'art,Sud(it), fondé par Pasquale Prunas, toujours avec ses amis de toujours : La Capria, Patroni Griffi, Barendson, ainsi qu'Anna Maria Ortese, Carla de Riso, Luigi Compagnone et Mario Stefanile. Francesco Rosi dessine un livret d'apprentissage et illustre une édition desAventures d'Alice au pays des merveilles. Il invente des histoires et les dessine. Il part ensuite àMilan pour travailler au journalMilano Sera, oùAlfonso Gatto et Ghirelli travaillent déjà comme journalistes. En 1946, il s'installe àRome et rejoint laCompagnia del Teatro Quirino d'Orazio Costa ;Ettore Giannini lui offre un poste d'assistant pourO voto deSalvatore Di Giacomo. En 1947, il se consacre également au cinéma : il joue avecNino Taranto dans le filmDove sta Zazà?(it) deGiorgio Simonelli. Puis il fait une tournée en Italie avec un spectacle derevue :E lui dice di Benecoste, avec la Compagnia del Quattro Fontane d'Adolfo Celi.
Une scène deProfession Magliari (1959), une des premières réalisations de Rosi.
Il prépare une étude surI Malavoglia deGiovanni Verga pour participer au concours d'admission auCentro sperimentale di cinematografia. MaisLuchino Visconti l'engage comme assistant réalisateur, avec Franco Zeffirelli, pour le filmLa terre tremble[5] : il signe le contrat le. « L'opportunité m'a été donnée par mon ami Achille Millo, à qui Visconti avait proposé d'être son assistant pourLa terre tremble. Millo voulait plutôt continuer à être un acteur, il a donc parlé de moi à Visconti, qui n'a eu aucune difficulté à m'accepter. Visconti, avec le goût qu'il a toujours eu pour l'avant-garde, pour la provocation, avait réuni un groupe de personnes qui n'avaient jamais fait de films ; il était le seul qui en avait déjà fait un, et pas n'importe lequel :Les Amants diaboliques »[6].
Avec Luchino Visconti, il a également collaboré, en tant qu'assistant-réalisateur, àSenso (1953) et en tant que scénariste, aux côtés deSuso Cecchi D'Amico, àBellissima. « Infatigable, Visconti était le chef d'une entreprise, ainsi que l'auteur et le réalisateur d'un film ; dur et en même temps juste, compréhensif [...]. Il a mis ses collaborateurs dans la position la plus difficile, mais aussi la plus excitante, pour apprendre »[7].
En 1953, il est à nouveau assistant-réalisateur et scénariste avecEttore Giannini, qui réaliseLe Carrousel fantastique. En 1954, il est assistant-réalisateur deMario Monicelli dansDu sang dans le soleil et d'Emmer dansL'Amour au collège. Avec Gianni Scognamiglio, il adapte des textes d'Antonio Petito et de Pasquale Altavilla pour la radio. Il a supervisé la réalisation de la série radiophoniqueLe novantanove disgrazie di Pulcinella de Carlo Guarini diffusée entre 1955 et 1956.
En 1956, il est scénariste et assistant-réalisateur dansLe Bigame de Luciano Emmer et, cette fois en tant que co-réalisateur aux côtés deVittorio Gassman, dansKean[5].
L'année suivante, Rosi écrit un scénario adapté du roman deB. Traven,Le Vaisseau des morts, l'histoire d'unsans-papiers. Mais le filmLe carrette del mare ne sera jamais réalisé.
« La vita di un regista sono i suoi film. Non tutta la sua vita certo, ma quella parte di essa attraverso la quale ha espresso la sua relazione con il mondo, con le idee e con gli uomini. »
« La vie d'un cinéaste, ce sont ses films. Pas toute sa vie, bien sûr, mais la partie de celle-ci à travers laquelle il exprime son rapport au monde, aux idées et aux hommes. »
En 1958, Rosi présente son premier long métrage,Le Défi, à laMostra de Venise 1958, qui est bien accueilli par la critique et le public. À travers l'histoire de Vito Polara, le réalisateur raconte l'évolution de la criminaliténapolitaine, qui découvre d'autres activités plus rentables que la contrebande et comprend progressivement l'importance des liens avec la politique. C'est le passage d'unecamorra respectueuse des règles internes à une camorra fondée sur un individualisme arrogant, la recherche du profit à tout prix, jusqu'à enfreindre le code pénal de l'omertà. C'est le début de l'utilisation de cette méthode historico-analytique que Rosi combinera dans ses films avec son esthétique cinématographique. La lumière, les ombres, les cadrages, les compositions des scènes dans lesquelles les protagonistes et les co-protagonistes occupent des espaces géométriques délibérés et étudiés dès lesstory-board que dessine le réalisateur, marqueront le style de Francesco Rosi. Après avoir luThe Gallery deJohn Horne Burns(en), il en écrit une adaptation cinématographique, qui reste cependant lettre morte ; il réalise un autre film, dont l'action se déroule dans ce qui était alors l'Allemagne de l'Ouest :Profession Magliari (1959) avecAlberto Sordi,Renato Salvatori etBelinda Lee.
Selon Rosi, « Chercher la vérité avec un film ne signifie pas vouloir découvrir les auteurs d'un crime, cela revient aux juges et aux policiers, qui le font parfois au prix de leur vie et c'est à eux que vont nos pensées reconnaissantes. Chercher la vérité avec un film signifie mettre en relation les origines et les causes des événements racontés avec les effets qui en sont la conséquence »[9]. En 1962 sortSalvatore Giuliano. « Pour réaliser le film qu'il avait en tête, Rosi a dû inventer une toute nouvelle manière de raconter que nous appellerions chorale ou épique si elle n'était pas avant tout réaliste »[10]. L'année suivante, il dirigeRod Steiger,Salvo Randone,Guido Alberti et Carlo Fermariello dansMain basse sur la ville (1963), dans lequel il dénonce courageusement la collusion existant entre les différents organes de l'État et les scandales immobiliers à Naples et ses environs. La ville dans les œuvres de Rosi devient le symbole d'une condition qui est celle du Sud et du pays tout entier. Rosi raconte laspéculation immobilière, la relation entre le pouvoir politique, économique et criminel. Le film a reçu leLion d'or à laMostra de Venise 1963. La même année, il met en scèneIn memoria di una signora amica (1963), une pièce deGiuseppe Patroni Griffi, avecLilla Brignone,Pupella Maggio et Lia Thomas, qui est présentée le au théâtre La Fenice de Venise, dans le cadre duXXIIe Festival international du théâtre en prose. Ensuite, il se consacre àLe Moment de la vérité (1965), un film qui ne parle pas que detauromachie, mais d'Espagne, de pauvreté et de la démonstration qu'une personne exclue de la société n'a en réalité que peu delibre arbitre et se retrouve acculée à certains choix de vie qui peuvent la mener à sa perte. Rosi change ensuite de registre en abordant un livre qui le fascine :Le Conte des contes deGiambattista Basile, dont il s'inspire pour son nouveau filmLa Belle et le Cavalier (1967), avecSophia Loren etOmar Sharif, qui venait de remporter un grand succès avec le colossalLe Docteur Jivago deDavid Lean. La fable est distillée à travers des éléments historiques et contemporains tels que la pauvreté, la superstition et l'organisation féodale du pouvoir dans leMezzogiorno.
En 1970, Francesco Rosi réaliseLes Hommes contre (1970), un autre film qui lui vaut d'être dénoncé pour outrage. Adapté duroman homonyme d'Emilio Lussu,Les Hommes contre est un film contre l'image rhétorique de la guerre, un film contre toutes les guerres : « J'ai décrit la guerre d'une manière presque organique pour faire ressortir son horreur et son absurdité »[11]. Tourné dans les montagnes de l'arrière-paysistrien, à quelques kilomètres deRijeka (Fiume), dans des conditions difficiles pour les acteurs et les cadreurs, le film ne concède rien à l'emphase patriotique ; aucune exaltation ni du devoir ni des jeunes paysans envoyés au massacre. Rosi, sentant qu'un bouleversement se produit même dans le concept de la mort, « a résolument mis de côté les fioritures, la nostalgie et les emprunts auXIXe siècle pour s'attaquer à l'affaire privée avec une passion si froide qu'elle se dilue dans une affaire publique. Le massacre dans le film est encore plus absurde et injustifiable que celui du roman »[12]. Le film marque le début de l'association avecGian Maria Volonté, un acteur d'une grande force d'interprétation, aussi rigoureux et méticuleux que Rosi même dans la documentation et la préparation d'un personnage : « Volonté est un grand acteur et un homme intelligent qui s'engage sur les questions, qui comprend et fait comprendre au spectateur les aspects les plus cachés d'un personnage »[13]. Volonté a ensuite joué dansL'Affaire Mattei (1972), un film où Rosi dénonce les pouvoirs de l'industrie pétrolière, responsable de l'assassinat d'Enrico Mattei, en 1972[5]. Un an plus tard, Volonté incarne le mafieuxLucky Luciano, dans un film qui se fait l'antithèse du thriller de mafieux hollywoodien commeLe Parrain deCoppola (1972) pour développer un « film-dossier » comme leZ deCosta-Gavras (1969)[3], un assemblage complexe de pièces dont même les lacunes ont un sens[1]. En outre,Jean-Baptiste Thoret fait remarquer que Rosi se refuse à toute romantisation du gangster comme le font les films américains[14].
« Ce n'est pas la représentation des événements - aussi tragiques et spectaculaires qu'ils puissent être - qui intéresse Rossi, mais l'étude des mécanismes qui les ont provoqués. Rosi ne raconte pas, ne plaide pas : il enquête, il dissèque, il décrypte, il analyse, il s'interroge, il "instruit", au sens juridique du terme. Sa méthode exclut l'émotion strictement dramatique pour ne laisser place qu'à la seule intelligence des faits. Comprendre et aider à comprendre : tel est son but. A ses yeux, la réalité dépasse toujours la fiction. Une réalité qu'il réinvente, a-t-il dit, "en termes de spectacle, afin de découvrir la signification idéologique, sociale et morale qui est à l'arrière-plan" »
« Je soutiens, et c'est la méthode que j'ai utilisée dans mes films, qu'il faut créer une certaine distance par rapport aux événements pour pouvoir mieux les lire et aussi pour pouvoir intégrer un maximum de notions afin de se rapprocher de la vérité. Et c'est pourquoi le film prend du temps »[16]. En 1976, le réalisateur connaît un autre grand succès avec le filmCadavres exquis, adapté du romanLe Contexte deLeonardo Sciascia, avec d'autres grands acteurs :Lino Ventura,Charles Vanel,Fernando Rey,Max von Sydow etTino Carraro. En sous-texte,Cadavres exquis aborde le sujet très politique de lastratégie de la tension et duréseau Gladio, les unités clandestines« stay-behind » de l'OTAN en Italie[17],[18]. Rosi a ensuite de nouveau du succès avec son film suivant,Trois Frères (1981), avecPhilippe Noiret,Michele Placido etVittorio Mezzogiorno, où il aborde la morosité de l'Italie du début des années 1980, entre luttes syndicales en déclin comme l'a montré lamarche des quarante mille, malaise social et derniers soubresauts du terrorisme. Trois ans plus tard, il réalise une adaptation cinématographique deCarmen (1984) avecPlácido Domingo. Il travaille ensuite surChronique d'une mort annoncée (1987), d'après leroman homonyme deGabriel García Márquez, qui réunit une ample distribution : les fidèlesGian Maria Volonté,Ornella Muti,Rupert Everett,Anthony Delon,Irène Papas etLucia Bosè ; le film est tourné auVenezuela et enColombie. Ce film défrayera la chronique aufestival de Cannes 1987 et symbolisera l'affrontement de deux titres de presse français, d'un côtéPositif qui a toujours montré un soutien indéfectible au cinéaste et à son style à travers la plume deMichel Ciment[1], de l'autreGérard Lefort dansLibération qui titre le « Chronique d'une merde annoncée » avec en sous-titre « Riche (comme les pâtes) en casting et en budget (12 millions de dollars),Chronique d'une mort annoncée de Francesco Rosi rend hommage à la célèbre pub Nescafé : images spéciales filtre, acteurs lyophilisés, arôme colombien. Café bouillu, café foutu »[19]. Cet article provoque l'ire du président du juryYves Montand et fera date dans l'histoire de la critique de par son agressivité[19].
Dans les années 2000, Francesco Rosi revient au théâtre en mettant en scène une trilogie consacrée àEduardo De Filippo pour la compagnie deLuca De Filippo. Concernant le grand succès de la mise en scène deNapoli milionaria! (2003), Luca avait déclaré à l'époque : « J'ai eu l'idée de lui demander de prendre cette direction un soir, il y a trois ans, lorsque le film adapté de la pièce a été projeté en hommage à Eduardo. J'ai pensé qu'il serait agréable de réunir un couple de grands Napolitains, mon père et Rosi, sur les thèmes abordés dansNapoli milionaria!. Deux hommes et deux artistes qui ont toujours travaillé à la lumière d'un militantisme civil et moral »[20], suivi deLe voci di dentro (2006) etFilumena Marturano (2008) : « C'est comme si au théâtre je continuais le récit que j'ai tenu dans mes films »[21].
En 2008, il a reçu l'Ours d'or pour l'ensemble de sa carrière à laBerlinale, en 2009 laLégion d'honneur, en 2010 l'Alabarda d'oro(it) pour l'ensemble de sa carrière et le, le conseil d'administration de laBiennale de Venise a approuvé à l'unanimité la proposition de son directeur,Alberto Barbera, de lui décerner leLion d'or pour l'ensemble de sa carrière à l'occasion de laMostra de Venise 2012[22]. Le réalisateur continue à rassembler de la documentation et reprend certains projets nés dans les années 1960 et qui sont malheureusement restés en l'état :Bruto sur la vie et la mort deJules César ;I 199 giorni del Che sur l'histoire deChe Guevara et surtout sur les conditions de vie des populations latino-américaines dans ces années-là. Il a également l'intention de réaliser un film sur laRévolution française du point de vue desJacobins ainsi qu'un film surRaul Gardini.
Rosi décède à Rome à l'âge de 92 ans le[23]. Une cérémonie laïque s'est déroulée à la Casa del Cinema de Rome en présence également du présidentGiorgio Napolitano[24].Raffaele La Capria se souvient qu'il a récité à cette occasion les vers deMallarmé pour la mort d'Edgar Allan Poe (« Tel qu'en lui même enfin l'éternité le change »)[25].
Francesco Rosi a eu une fille, Francesca, née le de sa première compagne, l'actriceNora Ricci. Francesca est morte dans un accident de voiture alors qu'elle n'avait que quinze ans, le, après que son père a perdu le contrôle du véhicule[26].
Le, Rosi épouse Giancarla Mandelli, sœur de la créatrice de modeKrizia, qu'il a rencontrée lors du tournage deProfession Magliari, et qui sera à ses côtés pour le reste de sa vie : « Quand on aime une femme et qu'on a eu avec elle une relation aussi intense, non triviale, je veux dire que ça reste dans le cœur, ça reste partout »[27]. Le naît sa filleCarolina, qui deviendra plus tard une actrice de cinéma, de théâtre et de télévision. Sa femme Giancarla Mandelli est décédée le matin du des suites de graves brûlures subies lorsque la robe de chambre qu'elle portait a pris feu à cause d'une cigarette[28].
↑« Cadavres exquis », surdvdclassik.com :« Ici de nombreux détails évoquant les évènements terribles vécus par l’Italie durant les années de plomb parsèment le film. On trouve notamment plusieurs référence au réseau Gladio, installé par l’OTAN à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour contrer une éventuelle menace d’invasion soviétique, et « protéger » l’Occident du communisme. Cadavres exquis peut être vu comme un film parlant essentiellement de ce réseau et de sa terrible influence sur la stratégie de la tension et ses conséquences vécues par le peuple italien. »
↑« «Piazza Fontana» : bombe funèbre », surliberation.fr, :« [...] dansCadavres exquis [...] Francesco Rosi soupçonne un complot [...]Que ce soit sur le rôle des Etats-Unis via l'Otan dans le financement des réseaux Gladio - organisations secrètes supposées contrer une invasion communiste en Europe - ou encore sur la lutte au sein du pouvoir italien entre les partisans de la «stratégie de la tension» (visant à créer un climat de violence propice au rétablissement d'un Etat autoritaire) et ceux du «compromis historique» [...] »