Fils aîné deRobert le Fort,marquis de Neustrie, il appartient à la branche desRobertiens. À la mort de son père en 866, il hérite du titre de marquis de Neustrie, mais le roiCharles II le Chauve le dépossède en 868 de ce titre qu'il donne àHugues l’Abbé[3]. Dès lors, Eudes ne dispose plus que d'un petit patrimoine personnel enNeustrie, territoire qui constitue le cœur de son pouvoir.
En 882 ou 883, il est fait comte de Paris sans doute avec l'accord d'Hugues l'Abbé et le soutien de l'évêque Gozlin, ce qui « rééquilibre ainsi vers le nord, vers la France mineure, l'assise des Robertiens[4] ». Paris, « capitale de la Francie [et] clé des royaumes de Neustrie et de Bourgogne[5] » si l'on en croitFoulques de Reims, devient un élément essentiel du dispositif robertien. C'est à ce titre qu'Eudes soutient, avec l'aide de l'évêque Gozlin, lesiège de Paris par lesVikings au cours de l'hiver 885/886. Au cours de ce siège, la mort du comteHenri lui permet, en septembre 886, d'être investi marquis de Neustrie[6].
Il obtient en outre deCharles III le Gros,empereur d'Occident et roi des Francs occidentaux depuis juin 885 à la suite de la mort deCarloman en décembre 884[7], un certain nombre de comtés (Tours, Blois, Angers notamment) qui élargissent encore son assise territoriale importante en Neustrie, d'autant qu'il récupère par ailleurs, après la mort d'Hugues l'Abbé en 886, la fonction d'abbé laïc deSaint-Martin de Tours dont avait disposé son père[8].
L'étape suivante est pour Eudes la royauté elle-même. En effet, l'empereurCharles III le Gros est déchu par les grands du royaume peu avant sa mort en 888. On lui reproche notamment d'avoir trop tardé à envoyer des troupes afin de lutter contre lesNormands à Paris, et de s'être contenté en octobre 886, malgré la résistance acharnée de la ville, de leur proposer de les payer pour qu'ils cessent leurs agissements, sans succès d'ailleurs (ils partirent piller la Bourgogne).
Le fait qu'Eudes, comme le chef de guerreBoson élu à la tête duroyaume de Provence en 879, ne soit pas un descendant deCharlemagne montre à quel point la position de la hautearistocratie s'est affermie vis-à-vis de l'État carolingien. Sans contester une certaine légitimité royale aux membres de lafamille carolingienne, les grands ne souhaitent pas rester prisonniers de celle-ci pour choisir l'homme qui, au sein du royaume, dispose des qualités les plus évidentes pour assumer la fonction royale : « l'élection et l'acclamation par les grands sont redevenus les éléments constitutifs de l'accession au trône, tandis que le sacre perd encore de son efficacité comme fondement du pouvoir royal »[11].
Cependant, Eudes reste contesté, notamment du fait de l'opposition de l'archevêque de Reims,Foulques, qui lui suscite un concurrent en faisant élire roi des Francs puis sacrer àLangresGuy III de Spolète[12], et de celle deRamnulf IIcomte de Poitiers, tuteur du jeune Charles le Simple. Il lui faut l'appui d'Arnulf de Carinthie, roi deFrancie orientale, pour obtenir le soutien de l'ensemble des grands du royaume, officialisé par un second couronnement à Reims le[13], à l'aide du matériel (manteau, couronne, sceptre) envoyé par Arnulf, sans doute d'Aix-la-Chapelle[14].
Eudes, en tant que roi, remporte sur les Vikings une première victoire le, dans la forêt deMontfaucon d'Argonne, une seconde en 892, près deMontpensier enLimagne. Les Normands mettent néanmoins à sac les villes deMeaux,Troyes,Toul,Verdun,Évreux etSaint-Lô. Malgré tout, sa volonté de lutter contre les invasions normandes demeure intermittente, dans la mesure où il se contente souvent de leur verser tribut (Danegeld) pour détourner leur violence.
Eudes ne parvient pas en fait à rétablir l'autorité du pouvoir royal au niveau de ce qu'elle était à l'époque deCharles II le Chauve[15] :« il ne contrôle réellement que les régions situées entre Loire et Seine »[16]. Cela s'explique en partie par le fait que, pendant tout son règne, Charles va chercher à récupérer le trône de son père, en s'appuyant sur la persistance d'un légitimisme carolingien, notamment entre Seine et Meuse. Il dispose dans cette lutte d'alliés parmi les grands comtes, princes féodaux, notammentBaudouin II de Flandre. Ces derniers sont en effet inquiets de la volonté d'Eudes de réaffirmer la capacité royale à disposer à son gré d'honores que leurs titulaires considèrent s'être approprié définitivement[17]. Plus largement, les grands souhaitent contenir l'extension de la puissance robertienne et au contraire maintenir et développer l'étendue de leurs réseaux et de leurs possessions, éventuellement au détriment du fisc royal. Il s'agit avant tout de bien faire comprendre à la puissance royale, quelle qu'elle soit, que désormais les princes du royaume disposent seuls de la puissance d'action : le roi doit se contenter d'une allégeance formelle, sans prétendre intervenir directement dans chacun desregna qui composent l'ensemble franc[18].
De ce point de vue, le fait que matériellement Eudes dominait Charles, en le contraignant à la défensive et en prenant Reims, ne changea rien au fait que sa position n'était pas assurée. Les grands aristocrates du royaume le savaient et s'en servirent, jouant ainsi successivement un roi contre l'autre pour augmenter leur assise au sein du royaume, y compris en terme territorial[20].
Finalement, Eudes reconnut, juste avant sa mort,Charles III le Simple comme son successeur[21], en échange d'un nouveau prélèvement de terres appartenant au fisc royal au bénéfice de son frèreRobert[22].
Il meurt en 898 àLa Fère, et est inhumé àSaint-Denis[23]. En 996, son petit-neveuHugues Capet est inhumé à ses côtés et en 1263,Louis IX décide d'un programme visant à réaliser des monuments funéraires pour marquer le rôle de nécropole royale dévolue à l'abbaye de Saint-Denis. Il commande une série de quatorze mausolées ornés de gisants pour recouvrir les restes des dernierscarolingiens ainsi que des premierscapétiens. Parmi les tombeaux commandés figurent ceux de Eudes et Hugues Capet. Ceux-ci se trouvaient à la croisée du transept à côté de l'autel matutinal et derrière les tombeaux deRobert II le Pieux et de Constance d'Arles.
Eudes est un personnage jouable dansCrusader Kings III à partir de la date de 867. Il est décrit de la manière suivante : « En juillet 866, le pillard vikingHasting tue le père d'Eudes,Robert le Fort à laBataille de Brissarthe. Quelques mois plus tard, sa mèreAdélaïde de Tours meurt en donnant naissance à son frèreRobert Ier. Le monde est cruel et l'avenir peut sembler incertain, mais ces orphelins sont destinés à s'asseoir sur le trône de France. Leurs descendants, lesCapétiens, régneront sur la France pendant des siècles. Saurez-vous naviguer dans la politique perfide de la France médiévale et accomplir le destin des frèresRobertiens ? »[26]
↑Michel Parisse et XavierBarral I Altet,« Les Robertiens : ascension, couronnement et sacre », dansLe roi de France et son royaume, autour de l'an Mil, actes du Colloque Hugues Capet 987-1987, La France de l'an Mil, Paris-Senlis, 22-25 juin 1987, Picard,, p.20.
↑Régine Le Jan,Histoire de la France : origines et premier essor, 480-1180, Hachette, 1996,p. 104.
↑Louis HalphenCharlemagne et l'empire carolingien, Albin Michel, réédition Paris 1968,p. 402.
↑Olivier Guillot, Albert Rigaudière et Yves Sassier,Pouvoirs et institutions dans la France médiévale : Des origines à l'époque féodale,t. I, Armand Colin,, p.161.
HélèneNoizet, « L'ascension du lignage robertien : du val de Loire à la Francie »,Annuaire-Bulletin de la société de l’histoire de France, Paris,,p. 19-35(ISBN978-2-35407-101-1,lire en ligne).