L'Enola Gay (numéro de modèle B-29-45-MO, numéro de série 44-86292 etVictor number[Note 1] 82) est construit par laGlenn L. Martin Company (ultérieurement intégrée à l'entrepriseLockheed Martin) dansson usine de bombardiers deBellevue auNebraska, jouxtant l'actuellebase aérienne Offutt. Le bombardier est l'un des quinze premiersBoeing B-29 Superfortress construits selon la spécification « Silverplate », ce qui leur permet notamment de larguer des bombes atomiques. Les modifications incluent une baie de largage modifiée avec des portes pneumatiques et des systèmesbritanniques de fixation et de déblocage de bombes, deshélices à pas réversible donnant plus de puissance de freinage à l'atterrissage, des moteurs améliorés avecinjection de carburant et un meilleur refroidissement[1] et le retrait de blindages sur des tourelles et des mitrailleuses. Finalement, 65 avions « Silverplate », d'une finition enaluminium poli, sont assemblés pendant et après laSeconde Guerre mondiale. Un groupe d'élite, composé de quinze B-29 et de 40 pilotes, est rassemblé dans le509th Composite Group pour des missions exceptionnelles de bombardement atomique[2].
L'avionEnola Gay est personnellement choisi par lecolonelPaul Tibbets, le commandant du 509th Composite Group, le, alors qu'il est encore sur laligne de montage. Ce nom fait référence à sa mère, Enola Gay Tibbets, elle-même nommée d'après l'héroïne du romanEnola; or Her Fatal Mistake (1886) de Mary Young Ridenbaugh. Tibbets est un pilote expérimenté qui a déjà réalisé des missions enEurope et enAfrique du Nord[2]. Les antécédents du pilote sont validés au préalable par leFederal Bureau of Investigation (FBI) et son appétence pour la discipline en font un candidat idéal[2]. L'avion est réceptionné par l'United States Army Air Forces (USAAF) le et assigné au393d Bomb Squadron du509th Composite Group. L'équipage B-9, commandé par lecapitaineRobert A. Lewis, prend livraison du bombardier et l'emmène le d'Omaha à la base du 509th à labase aérienne Wendover dans l'Utah[3].
Treize jours plus tard, l'avion quitte Wendover pourGuam, où il reçoit une modification de sa baie de largage. Il est ensuite emmené auNorth Field deTinian, le. Il reçoit d'abord leVictor number 12, mais le, il reçoit le marquage de queue avec une lettreR dans un cercle appartenant au6th Bombardment Group (futur6th Operations Group) pour masquer son identité et son numéro est changé à 82 pour éviter une mauvaise identification parmi les pilotes de l'unité[3]. En juillet, le bombardier effectue huit vols d'entraînement et réalise les 24 et deux missions pour larguer desbombes citrouilles — des bombes conventionnelles d'un format similaire aux bombes atomiques — sur des cibles industrielles àKobe etNagoya. L'Enola Gay effectue par la suite le un vol de répétition pour sa future mission[4].
Le pilotePaul Tibbets au départ deTinian, saluant les journalistes présents en 1945.
Tibbets recréant en 2004 la célèbre photographie depuis l'appareil exposé au musée.
Le, lors de la préparation de la première mission de bombardement atomique,Paul Tibbets prend le commandement de l'avion, nommé Enola Gay, d'après le nom de sa mère. Tibbets écrit plus tard que :« mes pensées [se sont tournées] à ce moment-là vers ma courageuse mère aux cheveux roux, dont la confiance tranquille a été [pour moi] une source de force depuis l'enfance, et surtout pendant la période [de doute lors de laquelle] j'ai décidé d'abandonner une carrière médicale pour devenir pilote [dans l'armée]. À un moment où [mon père] pensait [que j'avais perdu la boule], elle m'avait soutenu et dit [que je serais content de ce choix] »[7]. Le nom de l'avion est peint sur la carlingue le par Allan L. Karl, un militaire du 509th[3]. Le commandant habituellement responsable de l'avion n'est pas Tibbets, maisRobert A. Lewis. Ce dernier est mécontent d'être remplacé par Tibbets pour cette importante mission et devient furieux lorsqu'il arrive auprès de l'avion le matin du et qu'il découvre la peinture désormais célèbre, lenose art[8].
La ville d'Hiroshima est la cible de la première mission de bombardement nucléaire le, avec les villes deKokura et deNagasaki comme cibles alternatives. L'Enola Gay, piloté par Tibbets, décolle deNorth Field dans lesîles Mariannes du Nord, à environ six heures de vol du Japon, accompagné de deux autres B-29,The Great Artiste, piloté parCharles Sweeney, portant des instruments de mesure et un avion sans nom qui sera plus tard appeléNecessary Evil, commandé par le capitaine George Marquardt, pour prendre des photographies. D'autres avions participent à la reconnaissance ou servent en cas d'avaries. Le directeur duprojet Manhattan, leMajor généralLeslie Richard Groves, souhaite que l'événement soit enregistré pour la postérité, de sorte que la piste de décollage est éclairée par des projecteurs et que des journalistes sont présents. Quand Tibbets s'apprête àrouler, il se penche par la fenêtre pour faire signe aux spectateurs de quitter sa voie. Il en profite pour faire un signe aux caméras présentes[9], un cliché qui deviendra célèbre.
Après avoir quittéTinian, dans les îles Marianes, les avions volent séparément versIwo Jima où ils se rejoignent à une altitude d'environ 8 010 pieds (2 241 m) pour mettre le cap vers leJapon. L'Enola Gay arrive sur la cible avec une visibilité claire à environ 32 300 pieds (9 845 m). Le capitaineWilliam Sterling Parsons duprojet Alberta, qui commande la mission, arme la bombe pendant le vol pour minimiser les risques d'accident pendant le décollage ; les accidents avec ces bombardiers étant courants dans cette phase sensible. Son assistant, lesous-lieutenantMorris R. Jeppson, retire les dispositifs de sécurité trente minutes avant d'atteindre la zone cible.
L'Enola Gay retourne en toute sécurité à sa base de Tinian, arrivant à14 h 58, après 12 heures et 13 minutes de vol. LesGreat Artiste etNecessary Evil suivent peu après. Plusieurs centaines de personnes, y compris des journalistes et des photographes, se rassemblent pour immortaliser le retour des avions. Tibbets est le premier à débarquer et reçoit laDistinguished Service Cross sur place[10]. Elle lui est remise par le généralCarl A. Spaatz. Tibbets est plus tard reçu à laMaison-Blanche par leprésidentHarry S. Truman[2].
La mission d'Hiroshima est suivie d'une autre attaque nucléaire. À l'origine prévu pour le, le bombardement est avancé de deux jours (au) en raison d'une prévision météorologique défavorable. Cette fois, la bombeFat Man est portée par un autre B-29,Bockscar, piloté par le majorCharles Sweeney[16]. L'Enola Gay est piloté cette fois-ci par l'équipage du capitaine George Marquardt, dit équipage « B-10 », normalement affecté àUp An' Atom[17]. L'Enola Gay sert d'avion de reconnaissance météorologique pourKokura, la cible prévue[18]. L'équipage annonce un ciel dégagé sur Kokura, mais au moment oùBockscar arrive, la ville est obscurcie par la fumée de feux résultant des bombardements conventionnels deYahata effectués la veille par224 B-29. Après trois passages infructueux,Bockscar se détourne vers son objectif secondaire,Nagasaki, où il lâche sa bombe. Contrairement à la mission d'Hiroshima, la mission de Nagasaki est décrite comme un échec tactique, bien qu'elle atteigne ses objectifs. L'équipage rencontre un certain nombre de problèmes d'exécution et n'a plus que très peu decarburant au moment où l'avion se pose sur le site d'atterrissage d'urgence deYontan, àOkinawa[19].
Le retour de l'Enola Gay à sa base deTinian après la mission sur Hiroshima.
Le, Lewis ramène l'Enola Gay vers les États-Unis et arrive deux jours plus tard à la nouvelle base de la 509th, labase aérienne Walker auNouveau-Mexique. Le, l'Enola Gay quitte le Nouveau-Mexique dans le cadre des essais nucléaires de l'opération Crossroads dans le Pacifique. Il se rend àKwajalein le. Il n'est cependant pas choisi pour l'essai à l'atoll deBikini et quitte Kwajalein le, date de l'essai, atteignant labase aérienne Travis enCalifornie le lendemain[22].
L'armée de l'air aurait pu assurer la bonne conservation de l'avion, mais, faute d'espace suffisant, l'appareil est laissé à l'extérieur sur une partie reculée de la base aérienne, exposé de fait aux intempéries. Les « chasseurs de souvenirs » ne tardent pas à s'y intéresser en récupérant des pièces, permettant aux insectes et oiseaux d’accéder à l'intérieur de l'appareil.Paul E. Garber[Note 4], de laSmithsonian Institution, s'inquiète de son état[24] et l'institution commence à démanteler l'avion le pour un stockage plus adéquat. Les pièces sont transportées le à l'établissement de stockage de laSmithsonian Institution àSuitland, dans leMaryland[23].
L'Enola Gay reste à Suitland de nombreuses années et, au début des années 1980, deux anciens combattants du 509th, Don Rehl et Frank B. Stewart, commencent à faire pression pour que l'avion soit restauré et exposé en raison de son importance historique. Ils contactent et obtiennent l'approbation de Tibbets et du sénateur de l'ArizonaBarry Goldwater. En 1983,Walter J. Boyne, un ancien pilote de B-52 auStrategic Air Command (SAC), est nommé directeur duNational Air and Space Museum (NASM), et il fait de la restauration de l'Enola Gay une priorité[24]. En contemplant l'avion, Tibbets rappelle : c'est une« triste rencontre. [Mes] bons souvenirs, et je ne [parle pas du] largage de la bombe, [sont] les nombreuses occasions où j'ai piloté l'avion […] Je l'ai poussé fort, très fort et cela [a toujours fonctionné] […] C'était probablement la plus belle [machinerie sur laquelle un] pilote a volé »[24].
La restauration du bombardier commence le à laPaul E. Garber Preservation, Restoration, and Storage Facility deSuitland, dans leMaryland. Leshélices utilisées lors de la mission de bombardement d'Hiroshima, faites spécialement enaluminium pour alléger le poids de l'avion, ont de la valeur et sont récupérées par l'université A&M du Texas, où l'une d'entre elles est recyclée pour être utilisée dans unesoufflerie de l'université[25]. Des hélices traditionnelles sont installées en remplacement. Les quatre moteurs sont soigneusement nettoyés et reconstruits : deux à Garber et deux aumusée de l'air et de l'espace de San Diego. Certaines pièces et instruments, retirés, sont perdus mais des pièces de rechange sont trouvées ou fabriquées. Ces dernières sont marquées pour que les futurs conservateurs puissent les distinguer des composants d'origine[26].
Les critiques sur le projet d'exposition, en particulier celles de l'American Legion et de l'Air Force Association (AFA), affirment que l'exposition porte trop d'attention aux pertes japonaises infligées par la bombe nucléaire, plutôt qu'aux motivations expliquant le bombardement ou son rôle dans les discussions ayant amené lacapitulation du Japon[31]. L'exposition attire l'attention nationale sur de nombreuses questions académiques et politiques liées depuis longtemps à la vision rétrospective des bombardements. En conséquence, après diverses tentatives infructueuses d'amender l'exposition afin de répondre à la satisfaction des différents groupes d'intérêts, l'exposition est annulée le.Martin Harwit, directeur du NASM, est obligé de démissionner à cause de la controverse[32].
L'avant du fuselage est exposé le dans une nouvelle tentative, et le, trois personnes sont arrêtées pour avoir jeté des cendres et du sang humain dessus, à la suite d'un incident antérieur dans lequel un manifestant avait jeté de la peinture rouge sur la moquette du musée. L'exposition est fermée le et le fuselage est renvoyé à laPaul E. Garber Preservation, Restoration, and Storage Facility pour la restauration finale.
En mars 2025, le gouvernement américain ordonne dans le cadre de la suppression de la politique DEI (diversité, équité, inclusion) la suppression des photos d'archives du Enola Gay à cause du mot "gay" désormais interdit[33].
Les travaux de restauration commencent en 1984 et nécessitent finalement 300 000 heures de main d'œuvre. Alors que le fuselage est exposé, de 1995 à 1998, le travail continue sur les composants restants. De mars à, l'avion est envoyé en pièces détachées auSteven F. Udvar-Hazy Center duNational Air and Space Museum (NASM), à l'aéroport international de Washington-Dulles, àChantilly, enVirginie. Le fuselage et lesailes sont réunis le — pour la première fois depuis 1960 — et l'assemblage final est terminé le.
Le groupeOrchestral Manoeuvres in the Dark (OMD) utilise le nom d'Enola Gay pour unechanson engagée en. Les paroles de la chanson jouent sur le nom de la bombe et à la mère de Paul Tibbets : « Enola Gay, is mother proud of [l]ittle [b]oy today ».
La version du 14 janvier 2018 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.