Enguerrand Quarton (diocèse deLaon, vers1410/1415 - documenté àAvignon entre 1444 et1466) est unpeintre, verrier etenlumineurfrançais duMoyen Âge tardif, dont quelques œuvres sont parmi les premiers chefs-d'œuvre duXVe siècle et tranchent avec la peinture italienne ou flamande. Il est à ce titre l'un des plus représentatifs de la seconde école de peinture d'Avignon.
Enguerrand Quarton, appelé aussi à tort Charroton[1], est originaire du diocèse deLaon. Il y est né peut-être vers 1410, 1412 ou 1415[2], dans la partie ouest du diocèse, peut-être dans la région deSaint-Quentin, d'après certaines expressions picardes figurant dans ses contrats. Cette proximité avec le Nord de la France explique sans doute sa connaissance des peintres flamands et particulièrement deTournai, dontRobert Campin ouRogier van der Weyden. Il est peut-être formé àLaon, la capitale du diocèse, car à cette époque, au début duXIVe siècle, y résident de nombreux peintres[3].
On trouve pour la première fois sa trace enProvence dès 1444. À cette date, il est àAix-en-Provence pour réaliser une sainte Marthe destinée à être placée au-dessus du maître-autel de l'église deTarascon. Le prix-fait indiquait qu'elle devait être entourée de son frère Lazare et de sa sœur Marie Madeleine tandis que sur la prédelle, il devait peindre cinq scènes de sa vie[4]. Il est dès lors qualifié de « maître ». La même année, il est mentionné dans un acte notarié en compagnie deBarthélemy d'Eyck, le peintre deRené d'Anjou, ce qui fait dire aux historiens de l'art que les deux peintres auraient collaboré. Il réside par la suite àArles en 1446 puis àAvignon où la légation pontificale lui passe des commandes à partir du printemps 1447[3].
À cette date, il s'était installé dans une maison de la place Saint-Pierre. C'est cette adresse qui est indiquée sur les contrats de deux tableaux qui nous sont parvenus, laVierge de Miséricorde et leCouronnement de la Vierge[5],[6].
C'est vers 1450 que pourrait se situer son voyage (hypothèse controversée), en Italie ; peut-être à l'occasion du grand Jubilé organisé par le pape Nicolas V, à Rome[7]. Certains spécialistes avancent aussi l'hypothèse de l'influence de Quarton sur des artistes italiens, comme Antonello de Messine[8].
Plus tard, en 1461, ce fut l'abbesse du couvent Sainte-Claire d'Avignon qui lui fit commander un secondCouronnement de la Vierge où devaient figurer, outre la patronne de son couvent, François d'Assise, Antoine de Padoue et Louis de Toulouse[5]. En parallèle, il réalise un certain nombre de bannières pour des corporations dont l'une pour une confrérie de la ville d'Aix. Il recrute pour honorer ses nombreuses commandes, un peintre d'origine alsacienne appelé Jean de la Cort[3].
Enfin, il est aussi peintre d'enluminures, dès les années 1440-1450, travaillant là encore en collaboration avec d'autres peintres dont un autre artiste originaire du nord,Barthélemy d'Eyck, ou encore avec un certainPierre Villate (actif à Avignon de 1451 à 1495)[3]. La dernière trace d'activité de l'artiste date de juillet 1466, moment d'une épidémie de peste, ce qui fait dire qu'il serait mort à cette date de cette même maladie[9]. Dans son travail, les visages, individualisés, et les paysages évoquent l'influence de l'art flamand. On parle aussi d'uneécole d'Avignon et d'un style original pour tout un courant d'artistes ayant exercé en Provence comme Enguerrand Quarton[10]. Maître de la seconde école d'Avignon, par ses œuvres, alors que leGrand Schisme était fini, il rendit tout son lustre à la cour d'Avignon, dirigée alors par des légats pontificaux[11].
Le Couronnement de la Vierge (1453), détrempe sur bois, 183 × 220 cm,musée Pierre-de-Luxembourg,Villeneuve-lès-Avignon. Dans le prix-fait qui nous est parvenu, tout est soigneusement indiqué et décrit, tant pour la composition, la Vierge devant être couronnée par la Trinité, que pour les personnages, il ne doit pas y avoir de différence entre le Père et le Fils[5]. Parmi les personnages dépeints, on voit Jean de Montagny, qui a conclu le prix-fait avec Quarton, Antoine de Montagny, frère de Jean, et le demi-cousin de leur père :Guillaume de Montjoie, évêque de Béziers, qu'ils auraient appelé leur oncle, suivant l'usage de l'époque[14],[15].
La Pietà de Villeneuve-lès-Avignon (1455), détrempe sur bois, 162 × 217 cm,musée du Louvre,Paris[17],[18]. Il s'agit d'une attribution, réalisée pour la première fois parCharles Sterling au vu des compositions, type du Christ, dessin et modelé des yeux, des mains, des plis, des rochers, mais aussi du commanditaire représenté, qui pourrait être Jean de Montagny, déjà commanditaire du Couronnement de la Vierge. Le nettoyage de parties du tableau révèlent la luminosité de palette de Quarton que cache la saleté et la transformation des pigments. De même Sterling démontre aussi avec la particularité des visages, des mains, la nature des plis ou la structure des rochers la paternité de Quarton pour ce chef-d’œuvre[19].
Depuis d'autres tableaux lui sont parfois attribués[20] :
Petit retable de dévotion privée composé d'unSaint Jean-Baptiste etLa Vierge à l'enfant entourés d'anges, deux panneaux sur bois conservés au Lindenau Museum àAltenbourg, autrefois surmontés de deux petits panneaux cintrés représentant les ProphètesIsaïe etJérémie, conservés à la Pinacothèque desMusées du Vatican.
D'autres attributions ont été avancées (Pierre de Luxembourg en extase (musée du Petit Palais d'Avignon),Saint Siffrein (musée du Petit Palais d'Avignon)[7], sans pour autant remporter l'adhésion des conservateurs du musée[21].
Un certain nombre deminiatures dans des manuscrits enluminés ont été attribuées à Quarton, sur la base de son style caractéristique mais aussi de documents d'archives[22]. Véritable chef de file de l'école d'Avignon, Enguerrand Quarton a fortement influencé le style local. Nous trouvons plusieurs autres manuscrits enluminés par d'autres artistes contemporains qui dénotent une connaissance de l'art de Quarton. Ces manuscrits ont été triés par les historiens de l'art, qui ont proposé plusieurs noms pour les suiveurs d'Enguerrand Quarton[23].
Livre d'heures à l'usage de Rome, conservé par laPierpont Morgan Library de New York (M358) en collaboration avec Barthélemy d'Eyck. Il y a particulièrement réalisé les miniatures représentantDavid en prière,Saint Jacques le Majeur etSaint Barthélemy.
Un grandmissel, ditMissel de Jean des Martins, à l'usage d'Aix-en-Provence, faisant partie des collections de laBibliothèque nationale de France, daté de1466, qui comporte deux miniatures en pleine page, trois plus petites, et de nombreuses initiales historiées,
SelonCharles Sterling, Quarton aurait réalisé la peinture murale du plafond de la chapelle familiale des Rolin à l'église des Célestins à Avignon. Cette fresque n'est connue que par un relevé effectué avant sa destruction en 1859. Elle représentaitLa Communion de Marie Madeleine dans le désert de la Sainte-Baume. Il a par ailleurs été retrouvé une commande datant de 1466 auprès de « mestre enguibrand pintre davinhon » pour des vitraux installés dans la salle de l'hôtel de ville d'Arles[28]. S'y ajouterait le vitrail représentantSaint Siffrein, entre saint Michel et sainte Catherine d'Alexandrie, dans la chapelle de Michel Anglici de l'ancienne cathédrale Saint-Siffrein de Carpentras[7].
Aucune de ses œuvres n'étant signée, ses tableaux les plus célèbres ont fait l'objet auXIXe siècle de multiples interprétations. On a longtemps vu dansLe Couronnement de la vierge une œuvre deRené d'Anjou lui-même.Prosper Mérimée lors de sa visite àVilleneuve-lès-Avignon, y voyait une peinture d'Albrecht Dürer. Il faut attendre 1889 pour que le chanoine Requin, à la suite de recherches dans les archives des notaires d'Avignon, retrouve la trace de quatre prix-faits ou contrats entre des commanditaires et un peintre dont il transcrit de manière erronée le nom sous la forme de « Charonton ». L'un d'entre eux, très précis dans la description du tableau, permet immédiatement au chanoine de l'associer auCouronnement de la Vierge. En 1904, c'estLa Vierge de Miséricorde dumusée Condé qui est identifiée dans un autre prix-fait, alors même qu'une grande exposition se déroule à Paris sur le thème des primitifs français. Enguerrand Quarton devient alors l'un des peintres français les plus célèbres et ses tableaux parmi les plus commentés par les historiens de l'art[29].
↑Jacques Marseille (sous la direction de),Dictionnaire de la Provence et de la Côte d'Azur, Éd. Larousse, Paris, 2002(ISBN2035751055).
↑Seuls Albert Châtelet (Automne et renouveau, 1380-1500, 1988, p. 372) et Jacques Thullier (Histoire de l'art, 2002, p. 267) lui refusent la paternité de laPiéta, selonThiébaut 2004,p. 120
↑François Avril et Dominique Vanwijnsberghe, « Enguerrand Quarton, Pierre Villate et l'enluminure provençale. À propos d'un livre d'heures inédit conservé au Grand Séminaire de Namur (Belgique) », dansRevue de l'Art, n° 135, n° 1, 2002, p. 77-92.
↑Akiko Komada,Bible historiale, dansThe Splendor of the Word. Medieval and Renaissance Illuminated Manuscripts at the New York Public Library (catalogue d'exposition), New York/Londres/Turnhout, 2005, notice 21,p. 100-108.
Constantin Favre, « Enguerrand Quarton et Pierre Villate », dansPeindre à Avignon auxXVe – XVIe siècles, édition Frédéric Elsig, Milan, Silvana Editoriale, 2019, p. 97 - 107.
François Avril et Dominique Vanwijnsberghe, « Enguerrand Quarton, Pierre Villate et l’enluminure provençale. À propos d’un livre d’Heures inédit conservé au Grand Séminaire de Namur (Belgique) », Revue de l’Art, 135, 2002, p. 77 – 92
François Avril, « Pour l'enluminure provençale. Enguerrand Quarton peintre de manuscrits ? », dansRevue de l'Art,no 35, 1977,p. 9-40.
Charles Sterling,Le Couronnement de la vierge par Enguerrand Quarton, Paris, éd. Floury, 1939
Charles Sterling, « L'Auteur de la Pietà d'Avignon : Enguerrand quarton (Charreton) » inBulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1960 (séance du),p. 213-223.