Le congrès se déroule également dans le contexte du renforcement diplomatique allemand conduit par lechancelierOtto von Bismarck qui se rapproche de l'Autriche-Hongrie et de son nouveau ministre des affaires étrangèresGyula Andrássy après la défaite autrichienne dans laGuerre austro-prussienne tout en se rapprochant de l'Empire russe et en formant « L'Entente des trois empereurs ». Mais cette alliance est très faible à cause des rivalités entre l'Empire russe et l'Autriche-Hongrie pour l'influence dans lesBalkans et dans le cadre de laQuestion d'Orient. L'enjeu pourBismarck est donc de maintenir la paix entre ces alliés surtout pour maintenir laFrance isolée sur le plan diplomatique[1],[2].
Berlin s'impose grâce à l'influence du chancelier allemandOtto von Bismarck comme le lieu du congrès qui doit réviser leTraité de San Stefano notamment car l'Allemagne n'a pas participé à la guerre et s'est présentée comme un médiateur entre la Russie et la Grande Bretagne. Ce choix de Berlin pour les négociations est considéré comme le signe de la centralité de Bismarck dans les affaires européennes[1].
Bismarck est désigné comme président du congrès et déclare vouloir mener le congrès « tambour battant ». LeComte de Moüy, un participant du congrès qui le décrit dans ses mémoires, le décrit comme un président très dynamique et comme un bon médiateur[1]. En réalité, ce n'est pas un simple médiateur : il souhaite représenter les intérêts allemands et éviter une trop grande conflictualité entre la Russie et l'Autriche, les deux alliés duReich, ou un rapprochement de la Russie et de laFrance[2].
Le congrès se déroule dans le nouveau palais de la Chancellerie du Reich sur laWilhelmplatz . La table des négociations est en forme de U avec Bismarck au centre, les délégations des pays sont placées dans l'ordre alphabétique français. La négociation, les procès-verbaux et le traité sont rédigés en français à l'exception de l'épisode fameux du discours du premier ministre britanniqueBenjamin Disraeli qui a été prononcé en anglais, une grande anomalie et un épisode assez choquant pour l'époque[3].
Le travail des commissions est assuré grâce à des secrétaires issus des différentes délégations (notamment françaises puisque le congrès est en français). La commission des frontières travaille grâce aux cartes du géographe et cartographe allemandHeinrich Kiepert. Les cartes utilisées sontLa carte générale de la Turquie européenne et du Royaume de Grèce et laCarte des peuples et langues d'Autriche et des pays du Sud du Danube. Cela donne un certain contrôle sur l'information à Bismarck qui affirme que ces cartes sont « certes lacunaires mais sont l'œuvre de mains allemandes ».
Les changements les plus significatifs de la révision du traité furent des clauses ajoutées, dont l'une annulait l'indépendance immédiate des États chrétiens desBalkans et prévoyait à la place, sous certaines conditions, leur affranchissement progressif, tandis qu'une autre exigeait que l'Empire ottoman devait accorder auxjuifs des droits civils et religieux au sein de son empire, dont faisait partie laPalestine.
C'est autour de la table du congrès de Berlin que les États qui forment aujourd'hui la péninsule balkanique furent fabriqués par la diplomatie européenne, et surtout britannique, dans des formes réduites et divisées qui suscitèrent ensuite, notamment enBulgarie, de profonds ressentiments. L'objectif du congrès de Berlin était de sauvegarder ce qui pouvait l'être d'un Empire ottoman faiblissant, donc dépendant des puissances occidentales, pour contrer lepanslavisme et l'influence de la Russie, ainsi que laGrande Idée grecque, en jouant de la diversité nationale desBalkans pour constituer de petits États, eux-mêmes faibles et rivaux. Aucun ne devait se développer au-delà d'une certaine limite ; chacun se trouvait enserré dans une nasse de liens diplomatiques et dynastiques, parfois opposés ; tous étaient liés aux grandes puissances européennes. Le congrès de Berlin inaugure ce que l'on a appelé la « balkanisation », processus de fragmentation politique qui débouche sur lesguerres balkaniques, contribue au déclenchement de laPremière Guerre mondiale et sert plus tard de modèle à la dislocation de laYougoslavie dans les années1991-96[4].
Les Balkans après le congrès de Berlin.
La conséquence majeure, voulue par la diplomatie britannique, fut letraité de Berlin du13 juillet, qui eut pour but de contenir laRussie, et pour conséquence de réduire la Bulgarie de San Stefano à deux entités séparées : une « Principauté de Bulgarie » vassale de l'Empire ottoman (entre leDanube et leGrand Balkan), et la « Roumélie orientale »,province autonome de celui-ci (entre le Grand Balkan et leRhodope). LeRoyaume-Uni, première puissance maritime, ne voulait pas que la Russie se rapprochât duBosphore (politique duGrand Jeu). Du côté duCaucase, les conquêtes russes furent également limitées et la plus grande partie de l'Arménie se trouva maintenue au sein de l'Empire ottoman.
Le congrès, mis en scène avec faste parOtto von Bismarck, fut un triomphe enAllemagne qui trouvait sa place de grande puissance.Ainsi leur permettant d'avancer dans l'écoulement de leurs produits[style à revoir]. Le chancelier se targuait en outre d'avoir évité que la crise ne se transformât en guerre européenne, alors que ce sont l'Allemagne et l'Autriche qui avaient menacé la Russie de guerre si elle ne renonçait pas à San Stefano. Cependant, il y eut une crise auReichstag dont certains partis parlaient de tentative de coup d'État du chancelier, après deux attentats commis contreGuillaumeIer[réf. nécessaire].
La Russie fut profondément déçue. Elle pensait trouver auprès de l'Allemagne un avocat de ses victoires, alors que l'Autriche-Hongrie et leRoyaume-Uni étaient fermement opposées aux indépendances des pays slaves dans les Balkans. Bismarck avait pourtant fait une petite concession aux Russes en leur permettant de récupérer leBoudjak qu'ils avaient dû céder à l'issue de laguerre de Crimée. Mais cela fut nettement insuffisant et une campagne de presse contre l'Allemagne eut lieu en Russie[5]. Jugé inefficace par letsar, l'ambassadeur russe àLondres, le comteChouvalov, tomba en disgrâce et dut démissionner l'année suivante[réf. nécessaire].
Lord Salisbury avait été l'un des principaux artisans du congrès, mais ce futBenjamin Disraeli qui en reçut les lauriers. L'Empire ottoman sauvait une bonne partie de ses territoires européens entre lamer Adriatique et le Bosphore, devenant une puissance sous perfusion européenne ; laFière Albion avait réussi à maintenir la Russie loin de laMéditerranée, et si la Russie se posait en protectrice des chrétiens de l'empire ottoman, les Britanniques, pour leur part, se posaient désormais en protecteurs desjuifs ottomans (et la France, desmaronites duLiban)[réf. nécessaire].
Le congrès de Berlin fut perçu par les peuples chrétiens balkaniques comme un « coup de poignard dans le dos », raviva le souvenir de laquatrième croisade et développa dans les Balkans un sentiment anti-occidental. Lesmusulmans, en revanche, ainsi que les minorités ottomanes, en furent soulagés et se montrèrent, enBosnie-Herzégovine, de loyaux sujets desHabsbourg. Seule laRoumanie échappa à ces ressentiments : s'étant battue aux côtés des Russes et ayant perdu beaucoup d'hommes, elle dut tout de même abandonner à la Russie laBessarabie méridionale, mais le congrès de Berlin lui attribua en échange les deux tiers nord de laDobroudja, territoire un peu plus grand et où vivaient davantage de Roumains, et surtout reconnut définitivement son indépendance[réf. nécessaire].
↑ab etcPierre Milza,« L'Europe bismarckienne », dansLes relations internationales entre 1871 et 1914, Armand Colin.
↑a etbWinfried Baugmart, « Bismarck et la crise d'Orient de 1875 à 1878 »,Revue d’histoire moderne et contemporaine,vol. 21,no 1,(lire en ligne).
↑Jean-Claude Lescure,« L’universalisme de la langue française en Europe à la fin du XIXe siècle », dans Laura Fournier Finocchiaro et Tanja-Isabel Habicht,Gallomanie et Gallophobie, Rennes, Presses universitaires de Rennes,(lire en ligne).