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Cheval à sang chaud,cheval proche du sang oucheval de sang, sont des expressions du domaine de l'élevage équin, construites par desorientalistes et popularisées par différents hippologues, qui désignent uncheval léger autempérament vif, appartenant à unerace d'Afrique du Nord, duProche-Orient ou de l'Asie centrale. Un tel nom s'applique aussi aux descendants des chevaux de ces régions géographiques. Ce concept flou inclut de nombreuses races de chevaux réparties dans une grande variété de pays, en particulier lePur-sang et l'Arabe, mais aussi l'Anglo-arabe, leHanovrien, ou encore lecheval du Namib. LeCaspien, originaire du Nord de l'Iran, est présumé être la plus ancienne race à sang chaud connue.
Enlangue française, l'expression « cheval à sang chaud » trouve son origine dans unelutte des classes entre labourgeoisie et l'aristocratie, dès la fin duXVIIIe siècle. Dans ce contexte, une grande importance est accordée à lagénéalogie et à la « pureté » du sang des animaux. L'aristocrate et orientaliste polonaisWenceslas Séverin Rzewuski établit un classement des chevaux par température dusang dans ses notes de voyage auNejd d'Arabie, de 1817 à 1819. Il classe l'Arabe et le Pur-sang parmi les races au sang le plus chaud. En réalité, les chevaux de toutes races sont desmammifères àsang chaud, et possèdent la même température corporelle. La notion de cheval « à sang chaud » est néanmoins reprise dans les écrits hippologiques ultérieurs, et reste d'usage de nos jours.
Les chevaux dits « à sang chaud » sont desanimaux de selle etde sport, réputés pour leur vivacité, leur finesse et leur caractère émotif, qui les rend enclins à lapanique. Un jugement de valeur positif accompagne souvent cette notion de cheval « de sang ». Il y est fait appel, en particulier, dans l'art et pour la promotion de l'hippophagie, les qualités de l'animal étant censées se transmettre à l'être humain.
Enélevage équin, il est d'usage de classer lesraces de chevaux par groupes de« sang »[1],[2], de façon assez arbitraire[3]. L'ethnologue françaiseBernadette Lizet qualifie ce concept de sang de« riche et polysémique »[4]. L'expression« sang chaud », qui correspond à l'anglais« hotblood »[5], à l'allemandwarmblut et à l'espagnolcaballo de sangre / caliente[6], provient d'une classification des races de chevaux par température de sang établie par l'orientaliste polonaisWenceslas Séverin Rzewuski au début duXIXe siècle[7]. L'homéothermie (la notion zoologique de sang chaud ou sang froid) du cheval est en réalité la même, quelle que soit sa race ou sa provenance[8],37,5 à 38,5 °C[9], mais ce concept de « sang chaud » est resté dans l'usage hippologique[7].
Enlangue française, on retient trois groupes de sang pour classer les chevaux : sang chaud,sang froid, etdemi-sang, qui désigne le résultat du croisement entre les deux groupes précédents[2]. Il arrive que le chevalPur-sang soit classé à part[3]. Il ne faut pas confondre le concept de sang chaud avec celui dewarmblood, qui désigne les chevaux de sport européens issus de croisements entre souches locales à sang froid et chevaux à sang chaud[10].
L'usage du concept de« sang » fait appel à des notions derace, mais aussi detempérament[2].« Près du sang » est une expression d'élevage assez floue, qui ne correspond à aucun concept biologique ou zoologique[11]. Plus un cheval est nerveux, vif, et s'échauffe facilement, plus il est décrit comme« près du sang » ; à l'inverse, uncheval lourd ou peu vif sera décrit comme« manquant de sang »[2]. L'expression désigne souvent des chevaux très proches duPur-sang[11],[2] et / ou de l'Arabe[12],[11]. Elle peut aussi désigner tout cheval ayant été croisé avec l'Arabe[6].
Le « sang » est invoqué dans de nombreux concepts et des expressions populaires d'élevage équin[2], avec une forte dimensionsociologique. En particulier, Bernadette Lizet souligne la construction de la notion de« sang sous la masse », invoquée pour décrire deschevaux de trait vifs, et les « anoblir » aux yeux de leurs acheteurs et utilisateurs[13]. Cette notion de « sang » apparaît aussi dans le croisement des races. En France, l'expression« toucher au sang » signifie pratiquer le croisement d'un cheval de sang avec un trait légersans papiers, pour donner unbidet[14] ou un demi-sang. Le parent dit « de sang » est généralement un cheval Arabe, Pur-sang ouAnglo-arabe avecdes papiers d'identification[15].
D'après l'édition 2016 de l'ouvrage zootechnique dirigé par Valerie Porter pourCAB International, le termehotblood est réservé dans son sens strict à l'Arabe, auBarbe etTurc[1]. Dans un sens étendu, il arrive d'y inclure lesraces ibériques majeures, lePure race espagnole et leLusitanien[1]. LeDr E. Gus Cothran, de l'université du Kentucky, classe séparément les chevaux ibériques et les sang chaud[16]. Les chevaux ibériques proviennent d'un métissage entre des chevaux à sang chaud, Arabe et Barbe, et la soucheceltibère locale à sang froid[17].
Le glossaire de laDr vétérinaire Kristin J. Holtgrew-Bohling (seconde édition de 2014) décrit les« hotblood horses » comme des animaux dont lepedigree peut être retracé jusqu'à des chevaux originaires des déserts de l'Afrique du Nord et de lamer Méditerranée, ce qui inclut les descendants d'équidés de cette région géographique, tels que lePur-sang, leStandardbred, leQuarter Horse et leTennessee Walker[18]. D'autres races, issues de croisements entre les précédentes ou proches d'elles, sont qualifiées de « sang chaud » dans les ouvrages zootechniques : leKarabakh[19], l'Anglo-arabe[20], leHanovrien et leMecklembourgeois en Allemagne[21]. Lecheval du Namib a été décrit comme unhotblood, avant qu'une étude génétique ne démontre sa proximité avec l'Arabe[22].
La question de savoir quel est le plus vieil ancêtre des chevaux à sang chaud a été beaucoup débattue.Wenceslas Séverin Rzewuski voyait le « Nejdi Kocheilan » comme le cheval à sang chaud« supérieur car primordial », une création deDieu et de la Nature[7]. LadyAnne Blunt a théorisé que le cheval de sang chaud, oucheval oriental, puisse représenter une sous-espèce à part entière avant ladomestication du cheval, et être à l'origine de toutes les autres races décrites comme « à sang chaud », y compris l'Arabe[23].
En 1978, le colonelDenis Bogros a qualifié la race arabe de« premier cheval de sang »[24], une vision partagé parLaetitia Bataille[11]. En 1998,Louise Firouz a présenté, lors d'une conférence àAchgabat, lecaspien, un cheval miniature originaire du Nord de l'Iran, comme étant le plus ancien des chevaux à sang chaud connus, en se basant sur les études génétiques duDr E. Gus Cothran[25]. L'idée selon laquelle toutes les races à sang chaud proviendraient d'Asie centrale a été examinée, mais lebrassage génétique important et précoce entre populations équines ne permet pas de distinguer génétiquement les races de « sang chaud » et celles de « sang froid », ces deux branches étant originaires de la même région géographique[11], l'Asie centrale, correspondant à celle de la domestication du cheval[26].
D'après l'ethnologueBernadette Lizet, la notion de « sang » chez le cheval s'inscrit, notamment en France, dans un contexte de bataille idéologique entre labourgeoisie, utilisatrice ducheval de trait et duPur-sang, et l'aristocratie, utilisatrice du cheval de sellearabe, qui recherche« l'épure » et des lignes qualifiées« de sang ». Ce conflit, mêlant esthétique chevaline etluttes sociales[27], trouve ses origines dès lesannées 1760, où des querelles éclatent entre partisans du cheval arabe et partisans du Pur-sang, à une époque où l'élevage équin est dominé par la« tyrannie des goûts aristocratiques »[28]. Une grande importance est accordée à l'ascendance généalogique des chevaux, alors que lecheval de selle est de plus en plus considéré comme anachronique[14]. Lizet qualifie leXIXe siècle de« siècle de la surenchère sur le « sang » des chevaux », à travers la recherche croissante de rapidité de la part de leurs éleveurs et utilisateurs, qui se sentent menacés par la« révolution des transports », en pleineindustrialisation[14].
« Le sang est la première qualité des chevaux »
— Ernest Aleo[29].
Elle l'analyse comme une« guerre des races et des codes esthétiques, qui, au terme d'une ultime course au pouvoir, jette deux classes et deux systèmes idéologiques dans un corps à corps avec l'animal »[14],[30]. Dans ce contexte, de nombreux chevaux se voient gratifier de prestigieux ancêtres arabes[14]. Lesharas nationaux français font appel à l'agronomie pour l'« amélioration » des races équines[28]. De fréquents jugements de valeur préconisent d'introduire du« sang » pour« améliorer » les chevaux de trait paysans[27]. Ainsi, l'hippologueEugène Gayot (1850) loue les qualités du cheval de sang, dans un« fantasme du retour au cheval des origines, ce cheval irrigué par le « sang » supérieur »[31]. Le marché d'exportation américain est déterminant dans le triomphe de la notion de« sang sous la masse », utilisée pour décrire lecheval de trait[32].
Le traité (rédigé en français) de l'aristocrate orientaliste et polyglotte polonaisWenceslas Séverin Rzewuski, parti en expédition chez lesBédouins duNejd d'Arabie, de 1817 à 1819, propose une« table de gradation du sang de chevaux », et analyse l'« affection des habitants de lapéninsule Arabique pour les chevaux » afin de juger de la qualité de leur « sang », autrement dit, de la valeur de la race[7]. À l'époque, le cheval arabe est en faveur dans toute l'Europe ; Rzewuski partage par ailleurs l'idée de la supériorité du cheval arabe avecBuffon, dont il a lu l′Histoire naturelle[7]. Il écrit dans ses notes que« La chaleur du sang du cheval arabe est je crois de 50 degrés […] Celle du cheval polonais de race doit être de 27 à 30 »[33]. Il établit un classement desraces de chevaux par température du sang. D'après lui, la race« tout de sang et de feu », la plus chaude, est celle du« Nejdi Kocheilan bédouin des déserts du Schamalieh et Hediazet », avec une température de 80 degrés[34]. Il classe ensuite, à 70°, le Kocheilan et lePur-sang, qu'il nomme« cheval anglais de la haute race », ouBloodHorse, dans ses notes[7]. Il met en relation cette température supposée du sang des chevaux avec le climat de leur région d'élevage, estimant que les régions de climat chaud et sec donnent les meilleurs chevaux[7] :« Dans ce climat si sec, la race et la force du sang suppléent souvent aux imperfections de la construction »[35]. Il définit la race par le contrôle de la généalogie et par le climat[7]. Il place naturellement les chevaux qu'il importe et élève lui-même dans sesharas au sommet du classement sanguin qu'il a établi[7].
LeTraité sur la connaissance et la conservation du cheval d'Aristide Houdaille (1836), précise que« l'usage a consacré les expressions de chevaux de sang, chevaux de pur et de premier sang, et chevaux de demi-sang ». Il ajoute que l'on a appliqué l'expression de « chevaux de sang » à tous les individus qui font partie de la race du Pur-sang[36]. D'après lui, cette notion provient de la formation de la race Pur-sang enAngleterre, car« après un certain nombre de croisements consécutifs, on s'est aperçu qu'il n'y avait plus d'amélioration et l'on s'imagina dès lors que la nouvelle race était parvenue à son plus haut point de perfection, et l'on convint d'appeler chevaux de pur ou de premier sang tous les chevaux qui la composèrent »[36].
Dans son œuvreHippognosie (1883), Honoré Pinel classe les animaux en fonction de la couleur de leur sang : les animaux à« sang blanc »,insectes etcrustacés, sont dits « à sang froid », tandis que les animaux à « sang rouge » (tels l'être humain et le cheval) sont d'après lui « à sang chaud »[37]. En Allemagne, à la même époque, il est d'usage de distinguer leWarmblûtig (Edel), ou cheval à sang chaud noble, de l′Englische vollblut (Pur-sang anglais)[38]. En 1885, une étude sur leschevaux canadiens fait valoir qu'ils manquent de« sang chaud du cheval de course »[39].
Louis Champion (1898) décrit le « cheval de sang » comme« le cheval de race pure, le type régénérateur »[40], et un peu plus loin comme un« cheval qui, sans être de race pure, s'en rapproche d'assez près »[41], précisant que ce cheval de sang s'élève, à l'époque, enNormandie, enBretagne, enVendée et dans lesCharentes[42].
En 1907, un rapport de l′American genetics association assimile la notion dehot blood à celle decheval oriental[43]. L'usage de cette expression est reporté dans lesannées 1930 àPortland : l'exemple classique de « cheval à sang chaud » cité est l'Arabe[44]. L'Encyclopédie tchécoslovaque de 1924 compare les mérites du cheval à sang chaud à ceux du cheval à sang froid[45]. En 1934, les actes ducongrès international d'agriculture font valoir que« le cheval de sang chaud, de calibre plus fort, convient mieux aux buts de transports industriels que le cheval de sang froid », en raison« de sa plus grande vivacité et résistance »[46].
Les chevaux à sang chaud sont réputés pour leurs qualités de vitesse, d'endurance, de raffinement, et leur tempérament nerveux, par opposition aux caractéristiques ducheval à sang froid[43],[2].Bernadette Lizet note l'importance accordée à la« sécheresse du squelette et de la musculature — la tête tout particulièrement, fine et minuscule », et la« sobriété du système pileux »[14]. Ils ont généralement les os plus fins que les chevaux à sang froid, et sont adaptésà la selle[6]. La majorité des chevaux de sang sont aussi des chevaux de selle[47] etde sport[11] : pour Louis Champion,« un cheval de selle doit avoir du sang »[48]. Du fait de leur énergie, ils ne conviennent pas à tous les cavaliers[49]. Ils sont plus émotifs, plus sensibles austress[2], et peuvent facilement paniquer ou s'affoler[50]. Leur possible rétivité demande un cavalier« adroit et vigoureux »[51].
Ces chevaux à sang chaud sont généralement sélectionnés pour lessports hippiques. Par exemple, en Belgique en 1969,« le sport hippique rural et l'élevage de chevaux à sang chaud forment un ensemble indissoluble »[52]. Ils conviennent à dessports équestres tels que leconcours complet d'équitation, une discipline dans laquelle le Pur-sang et l'Anglo-arabe sont appréciés. Les chevauxdemi-sang ouwarmblood sont généralement préférés endressage et ensaut d'obstacles. Dans cette dernière discipline, le sang chaud peut être un avantage pour obtenir de la réactivité de la part de la monture, mais un cheval à sang chaud n'est généralement pas le plus adapté[53].
Les chevaux à sang chaud font l'objet de représentations artistiques. Une interprétation du tableauCharles Quint à cheval à Mühlberg parLe Titien fait valoir que la représentationsymbolique du cheval, demodèle ibérique, vise à mettre en valeur le contrôle de l'être humain (espagnol) sur ce cheval issu de souches à sang chaud venues duMaghreb[17].
Symboliquement, il est fait appel à cette notion de« cheval de sang » dans la promotion de l'hippophagie en France depuis leXIXe siècle[14]. Laviande de cheval est présentée comme« sanguine », un objet de supériorité et d'hygiène alimentaire[14]. Le cheval mis en valeur sur les enseignes desboucheries chevalines est un« fin coursier », rappelant lecheval arabe[14]. La viande duPur-sang, et plus généralement du cheval « de sang », est présentée comme un idéal boucher, à la couleur rouge plus prononcée[54].