Movatterモバイル変換


[0]ホーム

URL:


Aller au contenu
Wikipédial'encyclopédie libre
Rechercher

Chant séculaire

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Wikipédia:Articles de qualité

Vous lisez un « article de qualité » labellisé en 2019.

Chant séculaire
Image illustrative de l’article Chant séculaire
Auguste et la déesseRome, détail ducamée
Gemma Augustea,Ier siècle.

AuteurHorace
PaysEmpire romain
Genrehymne religieux
Version originale
Languelatin
TitreCarmen saeculare
Date de parutionreprésenté en17av. J.-C., publication probable peu après
Version française
TraducteurFrançois Villeneuve
ÉditeurLes Belles Lettres
CollectionCollection des Universités de France
Lieu de parutionParis
Date de parution1929
Nombre de pages231
Chronologie
PrécédentÉpitres (livre I)Épitres (livre II)Suivant
modifier 

LeChant séculaire ouPoème séculaire (enlatin :Carmen saeculare) est unhymne religieux latin écrit parHorace à la suite d'une commande d'Auguste, puis chanté par unchœur mixte d'enfants ou d'adolescents à l'occasion desjeux séculaires de17av. J.-C. Il s'inscrit dans la tradition grecque dupéan, chant d'action de grâce àApollon, et dans les thèmes développés par les poètes de l'époque, en particulier deVirgile.

Le poème est une prière adressée à Apollon et àDiane, secondairement àJupiter etJunon. Il appelle leur protection surRome et ses lois, leur demande de favoriser les naissances et de faire prospérer la descendance des Romains. Pour Horace, la ville retrouve effectivement prospérité et fécondité depuis qu'Auguste a pris le pouvoir et rétabli la paix. L'inscrivant dans la continuité d'Énée etRomulus, le poète s'attache alors à célébrer le règne augustéen, qui constitue une nouvelle ère et assure l'avenir de Rome.

La commande de ce poème a constitué un tournant dans la carrière d'Horace : elle l'a fait revenir à la poésielyrique et l'a élevé au rang de poète national.

Histoire du texte

[modifier |modifier le code]

Une œuvre de commande : les jeux séculaires de 17av. J.-C.

[modifier |modifier le code]

Après son retour d'Orient en19av. J.-C.,Auguste établit des lois sur la famille et le célibat, puis fait célébrer desjeux séculaires en17av. J.-C. Ces célébrations sont censées avoir lieu à chaque siècle, c'est-à-dire tous les cent ou cent dix ans, mais il est bien difficile de trouver des précédents suffisamment nombreux et assurés pour parler d'une tradition réellement vivace : des jeux sont célébrés en348, puis en249av. J.-C. pendant lapremière guerre punique[1] avec composition et représentation d'un chant séculaire, enfin une dernière fois en149 ou146[2]. Mais le terme de « séculaire » s'interprète ensuite plus vaguement au sens d'« époque » ; les jeux en viennent à marquer un changement d'époque, l'ouverture d'une nouvelle ère. Aussi, au cours de l'année18av. J.-C., un collège de prêtres appelésquindecemviri sacris faciundis parcourt à nouveau leslivres sibyllins : ils retrouvent la trace des premiers jeux officiels de 348, trouvent aussi deux cérémonies en236 et126 qui pourraient avoir connu un cérémonial proche, et concluent que de 348 à 17 on peut compter trois siècles de cent dix ans[3].

divers bâtiments partiellement en ruine s'adossent à une colline peu élevée couronnée d'arbres
Lemont Palatin vu duforum de Rome.

Le déroulement des jeux de 17 nous est connu par des descriptions dePhlégon etZosime[a 1], ce dernier transmettant l'oracle sibyllin instituant le rituel et composéad hoc[4]. Ces informations sont complétées par un documentépigraphique, lecommentarium ludorum saecularium, sorte de procès-verbal des cérémonies, qui est la seule mention ancienne du nom d'Horace. À l'origine, les célébrations, dédiées àDis Pater etProserpine, sont célébrées durant trois nuits ; à l'époque d'Auguste, lesquindecemviri ajoutent des cérémonies diurnes[5]. Au cours de la première nuit, du au, Auguste etAgrippa sacrifient auxMoires au bord duTibre ; la journée qui suit voit un sacrifice àJupiter sur leCapitole. Pendant la deuxième nuit, des cadeaux sont offerts àIlithyie, et, dans la journée, un sacrifice est offert àJunon sur le Capitole. Enfin, la troisième nuit, une truie est immolée à laTerre-Mère ; pendant la journée, c'est sur lePalatin que des offrandes sont faites àApollon etDiane[6]. C'est après la dernière offrande que le poème d'Horace est exécuté.

Le poème est commandé par Auguste qui avait« tant de goût pour les écrits [d'Horace][n 1], et les croyait si dignes de subsister éternellement, qu’il le chargea de composer le chant séculaire et de célébrer la victoire de ses beaux-fils,Tibère etDrusus, sur lesVindéliciens[a 2]. »

Représentation et publication

[modifier |modifier le code]

LeChant séculaire est le seul poème latin représenté dont nous soient parvenues les conditions de représentations[7]. Les actes de la cérémonie l'évoquent ainsi :

Sacrificio perfecto puer. [X]XVII quibus denuntiatum erat patrimi et matrimi et puellae totidem
carmen cecinerunt ; eo[de]m modo in Capitolio.
Carmen composuit Q. Hor[at]ius Flaccus[a 3].

Le sacrifice accompli, vingt-sept garçons, dont on savait qu'ils avaient encore leur père et leur mère, et autant de jeunes filles
chantèrent le poème, et de nouveau sur leCapitole.
Le poème fut composé par Q. Horatius Flaccus.

maquette moderne d'un petit temple avec une façade de six colonnes et un fronton triangulaire surmonté d'un quadrige
Reconstitution dutemple de Jupiter capitolin devant lequel leChant séculaire a été représenté.

Le poème est donc récité par un chœur mixte, ce qui est très rare dans la tradition grecque[8], et l'oracle sibyllin suggère que certaines parties au moins n'étaient pas chantées ensemble par les garçons et les jeunes filles. Les tentatives d'attribution de tels ou tels vers à l'un et l'autre chœur ont été nombreuses et leurs résultats variés, même s'il semble acquis que les strophes 1, 2 et 19 doivent être chantées par les cinquante-quatre enfants ensemble[9]. La distribution le plus récemment proposée est la suivante[10] :

  • Chœur complet : strophes 1, 2 et 19 ;
  • Chœur de garçons : strophe 3 ; vers 33 et 34 de la strophe 9 ; strophes 10 à 14, puis 16 et 17 ;
  • Chœur de jeunes filles : strophes 4 à 8 ; vers 35 et 36 de la strophe 9 ; strophes 15 et 18.

Le poème est récité deux fois : d'abord devant letemple d'Apollon Palatin, qu'Horace prend soin de mentionner au vers 65, puis devant letemple de Jupiter capitolin ; le texte lui-même reflète ce mouvement, puisqu'il se finit, après les invocations à Apollon, par un appel à Jupiter[11]. L'exécution du poème se déroule après que l'ensemble des prières et des sacrifices ont été accomplis ; il ne fait effectivement pas partie intégrante du rite et il semble qu'il s'agisse là d'une innovation majeure : le poème n'a pas de fonction religieuse, il ne fait que conclure les cérémonies en soulignant l'esprit qui s'en dégage[12].

Le poème est certainement publié à part, indépendamment desOdes, et gravé, à une date indéterminée après la tenue des jeux[13].

Structure et résumé

[modifier |modifier le code]

Le poème est constitué de dix-neufstrophes sapphiques, soit 76 vers : c'est la forme la plus simple parmi les treizemètres employés par Horace dans ses poèmes lyriques[14]. D'une manière générale, la langue duChant séculaire est effectivement plutôt simple : cette facilité est appropriée aux jeunes récitants qui devaient prononcer le poème[15].

Jacques Perret[16] propose d'en éclairer la structure avec le découpage suivant :

  • trois strophes à Apollon et Diane ;
  • cinq strophes (vers 13 à 32) aux divinités nocturnes (Ilithyie ouLucine,Parques,Tellus) ;
  • une strophe (33 à 36) à Apollon et Diane ;
  • six strophes (37 à 60) aux divinités capitolines (rappel du voyage d'Énée, des victoires d'Auguste et du renouveau moral qu'il a apporté) ;
  • trois strophes (61 à 72) à Apollon et Diane ;
  • une strophe (73 à 76) à« Jupiter et tous les dieux ».

Eduard Fraenkel[17], s'inspirant en cela de Johannes Vahlen[18] et deTheodor Mommsen[19], et suivi par Teivas Oksala[20], propose quant à lui de partager le texte en deux moitiés constituées chacune de trois groupes de trois strophes appeléstriades, excluant ainsi la dernière strophe qui servirait alors d'épilogue ; la première moitié traiterait des« conditions physiques du bonheur de Rome[21] », tandis que la seconde s'attacherait plutôt aux aspects moraux et politiques de la prospérité de la ville :

  • une triade (vers 1 à 12) à Apollon, à Diane et au Soleil ;
  • une triade (13 à 24) qui célèbre le mariage et les naissances ;
  • une triade (25 à 36) aux Parques, à la Terre-Mère et de nouveau à Apollon et Diane ;
  • une triade (37 à 48) évoque les mythes d'Énée et deRomulus ;
  • une triade (49 à 60) appelle la bénédiction sur Auguste et relate ce qu'il a déjà réussi ;
  • une triade (61 à 72) exprime la confiance des Romains en la bienveillance des dieux ;
  • dans la dernière strophe (73 à 76), les jeunes choristes reprennent l'expression de cette confiance à la première personne.

Enfin, pour Michael Putnam[22], la neuvième strophe est le pivot du texte : la nouvelle mention d'Apollon et de Diane permet de revenir au thème initial et partage en deux le poème.

Sources

[modifier |modifier le code]

LeChant séculaire se place dans la tradition dupéan,genre poétiquegrec d'essence religieuse, dont il est la première imitation en latin[23]. C'est un éloge et une invocation d'Apollon et, dans une moindre mesure, d'Artémis, où sont aussi présents de nombreuses autres divinités[15]. Il présente des thèmes récurrents : prophétie, justice divine, rituels et sacrifices. D'une formemétrique complexe, il est chanté et dansé à l'occasion de fêtes religieuses (tempore sacro (« à la date sacrée[a 4] »), le plus souvent par des jeunes hommes. Le genre avait atteint son apogée avecPindare auVe siècle av. J.-C. : lepéan 6 a pu inspirer l'image d'Apollon, dieu moins violent que protecteur, donnée par leChant séculaire[24] ; d'une manière plus globale, le mouvement duChant (recours à un mythe fondateur de la cité pour célébrer les accomplissements du héros) suit le modèle de la majorité desépinicies de Pindare[25].

Dans la littérature latine,Catulle peut apparaitre comme un modèle d'Horace : le poème 34 est un hymne à Diane où la déesse est présentée, comme dans leChant séculaire, comme gardienne des bois, patronne des naissances et associée à la fondation de Rome[26]. Le poème d'Horace célèbre également l'âge d'or prophétisé parVirgile dans sa quatrièmebucolique en40av. J.-C., inspiration que rappellent des similitudes stylistiques nombreuses[27]. De Virgile également, la prière d'Énée à Apollon et Diane[a 5] a certainement inspiré la prière horatienne[28]. Enfin, une élégie[a 6] deTibulle appelle Apollon à accepterMessalinus, le fils de son patron, parmi lesquindecemviri sacris faciundis[n 2] ; précédant Horace, Tibulle situe sa prière devant le temple d'Apollon et utilise aussi la figure d'Énée[29].

Une autre hypothèse, invérifiable, imagine que leChant séculaire s'inscrit aussi dans une tradition romaine de rituels festifs à dominantechthonienne etapotropaïque[8].

Un hymne religieux

[modifier |modifier le code]
statue en pied d'un homme dans une grande robe ceinturée, tenant une lyre dans la main gauche.
Apollon dit « Barberini », copie possible de la statue cultuelle dutemple d'Apollon Palatin, devant lequel leChant séculaire a été récité ;Ier siècle ouIIe siècle,glyptothèque de Munich.

Le terme latincarmen, apparenté au verbecano (« je chante »), désigne à la fois un poème, un chant, uneincantation et une parole magique, ou unenchantement : tous ces aspects se trouvent effectivement dans le poème[30]. La prééminence desmodesimpératif etsubjonctif confirme l'intention générale du texte : c'est une prière de demande et de souhait[31].

Le poème présente un certain équilibre entre les séries divines (Apollon et Diane, divinités palatines et divinités nocturnes) qui est différent de l'importance relative qu'elles avaient dans la liturgie des jeux séculaires (trois nuits pour les divinités nocturnes, une journée pour les dieux palatins).

Divinités lumineuses

[modifier |modifier le code]

Apollon et Diane occupent dans le poème une place de premier choix : nommés au début et à la fin, mais aussi tout au long du poème, ils l'encadrent et le structurent. L'aspect lumineux des deux divinités est d'abord présent dans les noms par lesquels Horace choisit de les désigner (Phébus, c'est-à-dire « le brillant » ;Diane formé sur la racine signifiant « le jour, la lumière », également appeléeLune etLucine[a 7], sur la racine delux (« la lumière ») ; il est renforcé par l'emploi de plusieurs expressions :lucidum caeli decus (« parure lumineuse du ciel ») ;curru nitido (« sur ton char brillant ») ;ter die claro (« pendant trois jours radieux ») ;fulgente arcu (« son arc brillant »)[a 8],[32]. Si Auguste a décidé de renoncer à une tradition de rituels très nocturnes et tournés vers les divinités infernales en équilibrant les cérémonies de jour et de nuit, Horace va plus loin en privilégiant très nettement les divinités célestes et lumineuses : la nuit elle-même n'est mentionnée qu'une fois[33].

Apollon

[modifier |modifier le code]

La plupart des attributions d'Apollon sont évoquées dans le poème, mais avec des importances inégales et inattendues. Deux aspects habituellement majeurs sont ici minorés : le rôle d'Apollon comme guerrier, car Horace souhaite célébrer l'ouverture d'une ère de paix ; et celui de guérisseur, pourtant souvent présent dans la tradition grecque du péan[8]. À l'inverse, Apollon a une place particulière dans les jeux séculaires : il n'est pas seulement un des dieux célébrés lors de ces fêtes, il est aussi le« maitre d'œuvre de toute la cérémonie[34] », un médiateur entre les prières des hommes et les dieux auxquels elles sont destinées. Horace montre ainsi son attachement à une fonction essentielle d'Apollon, en se plaçant sous le patronage d'un dieu qui est aussi celui des poètes :« le dieu prophète, paré de son arc brillant, fêté des neufCamènes[a 9] ».

Diane

[modifier |modifier le code]
pièce d'or présentant une femme de profil en marche, tenant à la main un arc
Diane sur une pièce d'or de l'époque d'Auguste,musée archéologique national de Florence.

Le rôle de Diane comme« reine des forêts[a 10] » est bien vite négligé pour une focalisation sur sa fonction de protectrice des femmes, épouses et mères, et des naissances. Diane est identifiée à la déesseIlithyie, protectrice de l'enfantement, puis à son équivalent latinLucine, et qualifiée de manière inédite de« Genitalis »[35]. Par ces dénominations, Horace insiste sur le rôle de Diane dans la régénération apportée par les jeux séculaires, qui ouvrent une nouvelle ère.

Le Soleil

[modifier |modifier le code]

De la même manière que Diane est associée à lalune, Apollon est souvent associé auSoleil, parfois jusqu'à l'identification entre les deux divinités. Cette identification, si elle est parfois admise[36], reste inacceptable pour la plupart des chercheurs qui lui préfèrent une relation lâche et mal précisée entre les deux divinités[37]. La présence du Soleil,« nourricier », qui est à la fois« nouveau et pareil[a 11] », nourrit l'atmosphère lumineuse qui irrigue le poème.

Autres divinités

[modifier |modifier le code]

Jupiter et Junon

[modifier |modifier le code]

Si les principalesdivinités capitolines,Jupiter etJunon, n'occupent qu'une place secondaire dans le poème, leur prééminence y est cependant confirmée[a 12] ; ce sont eux qui sont à l'origine de la fondation de Rome[38]. C'est Jupiter qui donne au monde son organisation politique[39]. Mais loin d'abuser de son pouvoir, Jupiter en use avec tempérance et équité[40].

Les Parques

[modifier |modifier le code]

Les Parques comme déesses des destins remplacent lesMoires présentent dans l'oracle sibyllin et les actes des jeux[41]. Elles unissent le passé et le présent ; elles n'apparaissent pas comme des divinités autonomes, mais comme les exécutantes des desseins des dieux[42]. D'autre part, une étymologie transmise parAulu-Gelle rapproche leur nom departus (« accouchement »)[43] : les Parques intègreraient ainsi l'ensemble des divinités évoquées dans le poème liées à l'enfantement.

Divinités nourricières

[modifier |modifier le code]
corps semi-allongé d'une femme presque nue, un drap ne lui couvrant que les jambes et un bras ; sa tête est effacée ; elle porte trois gros épis de blé dans le bras.
Cérès,fresque sur un autel romain ;Musée archéologique de Milan.

La neuvième strophe est consacrée à trois divinités qui symbolisent la fécondité dans son aspect agricole. La Terre Mère (Terra Mater dans lecommentarium) est révérée sous le nom deTellus. Le poète se tourne ensuite versCérès. Enfin,Jupiter est mentionné comme maitre des éléments, celui qui arrose les cultures et leur permet de croitre[44].

Un poème politique

[modifier |modifier le code]
au centre, une femme assise avec deux bébés dans les bras, une vache et une brebis à ses pieds ; à sa gauche une femme à la poitrine nue sur un cygne ; à sa droite une femme nue sur un dragon.
Tellus, la« Terre, mère fertile des moissons et du bétail[a 13] », entourée de deux allégories, probablement les vents ;Ara Pacis, façade orientale,Rome, entre13 et9av. J.-C.

SiAuguste est relativement discret dans le poème, n'étant mentionné que par la périphrase« le descendant illustre d'Anchise et deVénus[a 14] », leChant séculaire n'en est pas moins une célébration de la nouvelle ère que constitue son règne. Il célèbre le pouvoir d'une manière générale : celui de la sibylle et de ses vers ; celui du Destin qui a conduit Énée en Italie ; celui des dieux ; celui des choristes ; celui, magique, des mots du poète ; et bien sûr le pouvoir d'Auguste[45].

Célébration de l'ère augustéenne

[modifier |modifier le code]

Auguste avait promulgué des lois qui encourageaient le mariage et les enfants légitimes, et prétendaient combattre le célibat. Horace rappelle à l'auditeur ces lois récentes (« [Diane], fais prospérer les décrets desPères[a 15] ») en insistant sur les compétences de Diane comme protectrice des naissances[46]. Cette nouvelle législation garantit l'émergence des générations futures et inscrit ainsi Rome dans l'éternité[47].

Les récentes victoires militaires d'Auguste sont rappelées par plusieurs noms de peuples et toponymes. La crainte qu'inspire Rome s'étend désormais sur le monde entier :

Iam mari terraque manus potentis
Medus Albanasque timet securis ;
iam Scythae responsa petunt, superbi
nuper et Indi[a 16].

Déjà leMède craint le bras [d'Auguste], puissant sur mer et sur terre,
et les hachesalbaines ;
déjà lesScythes et, orgueilleux naguère,
lesIndiens viennent le consulter comme un oracle.

Ces vers rappellent que les aigles romaines perdues à labataille de Carrhes avaient étérendues par lesParthes (confondus ici avec lesMèdes) en20 av. J.-C. Ils font aussi allusion aux ambassades envoyées à Auguste par des rois de l'Inde en26 ou25 et en20av. J.-C., et par lesScythes à la même époque[48], qui témoignent ainsi de la divinité et de la puissance civilisatrice de l'empereur.

Cette image d'une Rome belliqueuse est cependant tempérée de deux manières. D'une part, suivant en cela la tradition grecque, Horace présente Rome comme unecité dominant leLatium, non comme un empire conquérant, ignorant ainsi le thème de l'Italie cher à Auguste[49]. D'autre part, le poète met en valeur la nouvelle ère de paix[50], dans la lignée de l’Énéide publiée peut-être en19av. J.-C.[51], et les vertus qu'elle apporte :« déjà la Bonne Foi, la Paix, l'Honneur, la Pudeur antique et la Vertu délaissée osent revenir[a 17]. »

Le règne d'Auguste rend la terre fertile (« feraci »), élément important du processus de régénération :

Fertilis frugum pecorisque Tellus
spicea donet Cererem corona ;
nutriant fetus et aquae salubres
et Iouis aurae[a 18].

Que la Terre, mère fertile des moissons et du bétail,
décoreCérès d'une couronne d'épis ;
que les eaux et les souffres salubres de Jupiter
nourrissent ce qu'elle enfante.

Cette strophe associe la Terre-mère à un Jupiter vu comme père[52]. Apollon et Diane trouvent également leur place dans cette thématique, en tant que Soleil et Lune, nécessaires à la production agricole[22]. La nouvelle ère est celle de« la bienheureuse Abondance avec sacorne pleine[a 19] ».

Une nouvelle ère pour l'éternité

[modifier |modifier le code]

La figure de Diane comme protectrice des naissances montre l'importance du thème de la régénération. Une nouvelle ère s'est ouverte avec l'accession d'Auguste au pouvoir. C'est que les jeux séculaires célèbrent le changement d'époque et associent des rites de purification qui permettent d'enterrer le passé à des célébrations plus « lumineuses » destinées à attirer la faveur des dieux sur l'avenir de la Cité. Dans le poème, pourtant, Horace ne mentionne qu'en passant les« aimables nuits[a 20] » dont l'atmosphère devait plutôt être un peu oppressantes[53] ; les évènements sombres du passé (lutte de Rome pour sa survie, aux temps anciens, et, récemment, lesguerres civiles) sont complètement ignorés. Le poète ne chante que l'espérance et la ville est célébrée dans une histoire mythique centrée sur le personnage d'Énée[54].

pierre blanche rectangulaire portant sur la moitié supérieure le buste d'un homme auréolé d'un soleil avec un aigle devant lui, dans la partie inférieure une inscription latine.
« Soleil nourricier[a 21] »,musées du Capitole.

De fait, le poète inscrit son chant dans une longue histoire cyclique qui part de lachute de Troie, témoignant ainsi de la grande influence de la toute récenteÉnéide[21] ; il suit Énée jusqu'à son arrivée en Italie, son voyage constituant un« chemin de liberté[a 22] » ; le héros est aussi pur que les enfants qui le chantent. Le concentré d'histoire mentionne ensuite brièvementRomulus avant de faire apparaitre Auguste dans sa généalogie illustre : Horace associe ainsi étroitement la ville et son maitre actuel. Les obligations dues aux dieux sont transmises par leslivres sibyllins.

Mais le poème se tourne aussi vers l'avenir (de nombreux mots du poème comportent le préfixepro- (« en avant, vers l'avant ») et évoque la tenue des prochains jeux séculaires. Les jeux actuels sont la promesse d'une stabilité à laquelle la poésie n'est pas étrangère : leChant séculaire aussi survivra[55]. L'avenir est placé entre les mains d'Apollon et l'ère nouvelle inscrit Rome dans l'immortalité des dieux[56].

Postérité

[modifier |modifier le code]

LeChant séculaire dans la carrière d'Horace

[modifier |modifier le code]

Horace, blessé par le succès mitigé rencontré par ses trois premiers livres d’Odes publiés en23av. J.-C., s'était promis de ne plus produire de poésielyrique :« Aujourd'hui donc je laisse là les vers et tous les jeux futiles[a 23]. » Il est donc probable que, sans la commande duChant séculaire, Horace n'aurait pas composé le quatrième livre d’Odes qui parait quelques années plus tard[57]. Uneode[a 24] publiée en 23av. J.-C. montre qu'Horace était déjà familier du genre actualisé dans leChant séculaire : elle enjoint à de« jeunes vierges » de chanter Diane et à de jeunes garçons de célébrer Apollon. La commande du chant séculaire n'en constitue pas moins un tournant dans la carrière d'Horace : le poète apparait dans ses productions ultérieures comme plus confiant, et prend désormais en compte la dimension chorale que peut prendre la poésie lyrique[58].

Dans le quatrième livre desOdes, publié quelque cinq ans après les Jeux séculaires, Horace fait deux allusions à sonChant séculaire. Il témoigne de la gloire que lui a donnée la récitation publique, et qui a fait de lui un poète national :

[…] quod monstror digito praetereuntium
Romanas fidicen lyrae[a 25].

[…] que le doigt des passants me montre
comme celui qui fait vibrer les cordes de la lyre romaine.

La référence auChant séculaire est beaucoup plus directe dans le sixième poème du même livre, qui est lui aussi une ode en strophes sapphiques adressée à Apollon ; il se conclut ainsi :

Nupta iam dices : « Ego dis amicum,
saeculo festas referente luces,
reddidi carmen docilis modorum
uatis Horati[a 26]. »

Une fois mariée, tu diras, jeune fille : « J'ai, moi,
lorsque le siècle ramenait ses jours de fête,
redit un chant aimé des dieux, docile aux cadences
d'Horace, le poète inspiré. »

À la fin de sa carrière, Horace revient une dernière fois sur l'expérience unique qu'a constitué dans sa vie la composition et la représentation duChant séculaire et résume le rôle du poète dans la cité :

Castis cum pueris ignara puella mariti
disceret unde preces, uatem ni Musa dedisset ?
Poscit opem chorus et praesentia numina sentit,
caelestis implorat aquas docta prece blandus,
auertit morbos, metuenda pericula pellit,
impetrat et pacem et locupletem frugibus annum ;
carmine di superi placantur, carmine Manes[a 27].

De qui les jeunes garçons purs, les jeunes filles encore ignorantes du mariage
apprendraient-ils les prières, si la Muse ne leur eût donné le chanteur inspiré ?
Le chœur invoque l'aide des dieux et sent leur présence secourable ;
par les doux accents de la prière enseignée il implore les eaux du ciel,
détourne les maladies, écarte les dangers à craindre,
obtient la paix et une année riche en moissons ;
par la poésie on apaise les dieux, on apaise les divinités infernales.

D'une manière générale, quatre des quinze poèmes du quatrième livre d’Odes ont pour sujet Auguste et sa famille ; cette importance de l'éloge politique est inédite dans les œuvres précédentes d'Horace : leChant séculaire a bien constitué un tournant dans son inspiration.

Mentions ultérieures

[modifier |modifier le code]

À l'instar de nombreux autres poèmes d'Horace, des témoignages de différentes époques montrent que leChant séculaire a continué à être lu depuis sa création. Il est cité par quelques grammairiens de l'Antiquité tardive[59] et imité parConrad Celtis, qui compose pour l'an1500 unChant séculaire en latin.

Le poème a été mis en musique au moins deux fois :

Voltaire juge« que le poème séculaire d'Horace est un des plus beaux morceaux de l'Antiquité[61]. »

LeChant séculaire n'échappe pas à la récupération des œuvres d'Horace par l'Italie fasciste ; l'identification deMussolini àAuguste se retrouve dans divers ouvrages de l'époque, dontLa politica sociale di Mussolini e il Carmen Saeculare di Orazio d'E. De Carlo[62]. Un philologue de l'époque, Enrico Rostagno, assure que le souhait d'Horace (« puisses-tu ne rien visiter de plus grand que la ville de Rome[a 28] ») a été réalisé par Mussolini[63].

Notes et références

[modifier |modifier le code]

Notes

[modifier |modifier le code]
  1. Il s'agit desOdes dont les trois premiers livres, publiés en23av. J.-C. ont été très appréciés d'Auguste.
  2. Son nom apparait effectivement dans la liste des prêtres incluse dans lesActes des jeux séculaires.

Références anciennes

[modifier |modifier le code]
  1. Zosime,Histoire nouvelle, II, 5
  2. Suétone,Vies des hommes illustres, « Vie d'Horace », fragment 9 (traduction M. Baudement)
  3. Corpus Inscriptionum Latinarum, VI, 32323, 147-149, conservée auMusée des Thermes de Dioclétien,[1]
  4. v. 4
  5. Virgile,Énéide, VI, v. 56 et suivants
  6. Tibulle,Élégies, II, 5
  7. « Phoibe » et« Diana » au vers 1 ;« Lucina » v. 15 ;« Luna » au v. 36
  8. Respectivement aux vers 1 ; 9 ; 23 et 61
  9. v. 61-62
  10. v. 1
  11. Respectivement v. 9 et 10
  12. v. 73
  13. v. 29
  14. v. 50
  15. v. 17-18
  16. v. 53-56
  17. v. 57-59
  18. v. 29-32
  19. v. 59-60
  20. v. 24
  21. v. 9
  22. v. 43
  23. Horace,Épitres, I, 1, 10
  24. Odes, I, 21
  25. Odes, IV, 3, 22-23
  26. Odes, IV, 6, 41-44
  27. Épitres, II, 1, v. 132-138
  28. v. 11-12

Références modernes

[modifier |modifier le code]
  1. Perret 1959,p. 161.
  2. Putnam 2000,p. 141.
  3. Perret 1959,p. 162.
  4. Fraenkel 1957,p. 365.
  5. Perret 1959,p. 163.
  6. Villeneuve 1929,p. 187.
  7. Barchiesi 2002,p. 108.
  8. ab etcBarchiesi 2002,p. 117.
  9. Schmidt 2009,p. 133.
  10. Schmidt 2009,p. 137.
  11. Schmidt 2009,p. 131.
  12. Fraenkel 1957,p. 380.
  13. Schmidt 2009,p. 127.
  14. Putnam 2000,p. 107.
  15. a etbBarchiesi 2002,p. 116.
  16. Perret 1959,p. 164.
  17. Fraenkel 1957,p. 370.
  18. Johannes Vahlen, « Über das Säculargedicht des Horatius », inSitzungsberichte der Königlich Preußischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, vol. II,1892
  19. Theodor Mommsen, « Die Akten zu dem Säculargedicht des Horaz », inReden und Aufsätze, Weidmann,1905
  20. Oksala 1973,p. 36.
  21. a etbFraenkel 1957,p. 375.
  22. a etbPutnam 2000,p. 68.
  23. Barchiesi 2002,p. 113.
  24. Putnam 2000,p. 105.
  25. Putnam 2000,p. 110.
  26. Putnam 2000,p. 115.
  27. Putnam 2000,p. 122.
  28. Oksala 1973,p. 41.
  29. Putnam 2000,p. 126.
  30. Putnam 2000,p. 132.
  31. Putnam 2000,p. 240.
  32. Putnam 2000,p. 52.
  33. Putnam 2000,p. 53.
  34. Perret 1959,p. 165.
  35. Putnam 2000,p. 146.
  36. Barchiesi 2002,p. 110.
  37. Fraenkel 1957,p. 371.
  38. Oksala 1973,p. 38
  39. Oksala 1973,p. 113.
  40. Putnam 2000,p. 36.
  41. Putnam 2000,p. 65.
  42. Oksala 1973,p. 37.
  43. Putnam 2000,p. 66.
  44. Putnam 2000,p. 236.
  45. Putnam 2000,p. 103.
  46. Putnam 2000,p. 62.
  47. Fraenkel 1957,p. 374.
  48. Villeneuve 1929,p. 191.
  49. Barchiesi 2002,p. 118.
  50. Putnam 2000,p. 58.
  51. Putnam 2000,p. 83.
  52. Putnam 2000,p. 67.
  53. Perret 1959,p. 166.
  54. Putnam 2000,p. 73.
  55. Barchiesi 2002,p. 111.
  56. Putnam 2000,p. 91.
  57. Fraenkel 1957,p. 364.
  58. Lowrie 2010,p. 211.
  59. Barchiesi 2002,p. 107.
  60. Friis 2007,p. 297.
  61. Voltaire,Dictionnaire philosophique, article « Oraison, prière publique, action de grâce, etc. »
  62. (it) I.Dionigi, « Interpreti recenti di Orazio »,Aufidus, Rome,no 22,‎,p. 59-60(lire en ligne)
  63. Tarrant 2007,p. 289

Voir aussi

[modifier |modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie

[modifier |modifier le code]

Éditions

[modifier |modifier le code]

Sur Horace

[modifier |modifier le code]

Sur leChant séculaire

[modifier |modifier le code]
v ·m
ŒuvresMonument scuplté d'Horace
Lieux
Famille
Entourage
Citations célèbres
Cet article est reconnu comme « article de qualité » depuis saversion du 3 février 2019 (comparer avec la version actuelle).
Pour toute information complémentaire, consulter sapage de discussion et levote l'ayant promu.
La version du 3 février 2019 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.
Ce document provient de « https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Chant_séculaire&oldid=221244025 ».
Catégories :
Catégories cachées :

[8]ページ先頭

©2009-2025 Movatter.jp