Vous lisez un « article de qualité » labellisé en 2019.
Chant séculaire | ||||||||
![]() Auguste et la déesseRome, détail ducaméeGemma Augustea,Ier siècle. | ||||||||
Auteur | Horace | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Pays | Empire romain | |||||||
Genre | hymne religieux | |||||||
Version originale | ||||||||
Langue | latin | |||||||
Titre | Carmen saeculare | |||||||
Date de parution | représenté en17av. J.-C., publication probable peu après | |||||||
Version française | ||||||||
Traducteur | François Villeneuve | |||||||
Éditeur | Les Belles Lettres | |||||||
Collection | Collection des Universités de France | |||||||
Lieu de parution | Paris | |||||||
Date de parution | 1929 | |||||||
Nombre de pages | 231 | |||||||
Chronologie | ||||||||
| ||||||||
modifier ![]() |
LeChant séculaire ouPoème séculaire (enlatin :Carmen saeculare) est unhymne religieux latin écrit parHorace à la suite d'une commande d'Auguste, puis chanté par unchœur mixte d'enfants ou d'adolescents à l'occasion desjeux séculaires de17av. J.-C. Il s'inscrit dans la tradition grecque dupéan, chant d'action de grâce àApollon, et dans les thèmes développés par les poètes de l'époque, en particulier deVirgile.
Le poème est une prière adressée à Apollon et àDiane, secondairement àJupiter etJunon. Il appelle leur protection surRome et ses lois, leur demande de favoriser les naissances et de faire prospérer la descendance des Romains. Pour Horace, la ville retrouve effectivement prospérité et fécondité depuis qu'Auguste a pris le pouvoir et rétabli la paix. L'inscrivant dans la continuité d'Énée etRomulus, le poète s'attache alors à célébrer le règne augustéen, qui constitue une nouvelle ère et assure l'avenir de Rome.
La commande de ce poème a constitué un tournant dans la carrière d'Horace : elle l'a fait revenir à la poésielyrique et l'a élevé au rang de poète national.
Après son retour d'Orient en19av. J.-C.,Auguste établit des lois sur la famille et le célibat, puis fait célébrer desjeux séculaires en17av. J.-C. Ces célébrations sont censées avoir lieu à chaque siècle, c'est-à-dire tous les cent ou cent dix ans, mais il est bien difficile de trouver des précédents suffisamment nombreux et assurés pour parler d'une tradition réellement vivace : des jeux sont célébrés en348, puis en249av. J.-C. pendant lapremière guerre punique[1] avec composition et représentation d'un chant séculaire, enfin une dernière fois en149 ou146[2]. Mais le terme de « séculaire » s'interprète ensuite plus vaguement au sens d'« époque » ; les jeux en viennent à marquer un changement d'époque, l'ouverture d'une nouvelle ère. Aussi, au cours de l'année18av. J.-C., un collège de prêtres appelésquindecemviri sacris faciundis parcourt à nouveau leslivres sibyllins : ils retrouvent la trace des premiers jeux officiels de 348, trouvent aussi deux cérémonies en236 et126 qui pourraient avoir connu un cérémonial proche, et concluent que de 348 à 17 on peut compter trois siècles de cent dix ans[3].
Le déroulement des jeux de 17 nous est connu par des descriptions dePhlégon etZosime[a 1], ce dernier transmettant l'oracle sibyllin instituant le rituel et composéad hoc[4]. Ces informations sont complétées par un documentépigraphique, lecommentarium ludorum saecularium, sorte de procès-verbal des cérémonies, qui est la seule mention ancienne du nom d'Horace. À l'origine, les célébrations, dédiées àDis Pater etProserpine, sont célébrées durant trois nuits ; à l'époque d'Auguste, lesquindecemviri ajoutent des cérémonies diurnes[5]. Au cours de la première nuit, du au, Auguste etAgrippa sacrifient auxMoires au bord duTibre ; la journée qui suit voit un sacrifice àJupiter sur leCapitole. Pendant la deuxième nuit, des cadeaux sont offerts àIlithyie, et, dans la journée, un sacrifice est offert àJunon sur le Capitole. Enfin, la troisième nuit, une truie est immolée à laTerre-Mère ; pendant la journée, c'est sur lePalatin que des offrandes sont faites àApollon etDiane[6]. C'est après la dernière offrande que le poème d'Horace est exécuté.
Le poème est commandé par Auguste qui avait« tant de goût pour les écrits [d'Horace][n 1], et les croyait si dignes de subsister éternellement, qu’il le chargea de composer le chant séculaire et de célébrer la victoire de ses beaux-fils,Tibère etDrusus, sur lesVindéliciens[a 2]. »
LeChant séculaire est le seul poème latin représenté dont nous soient parvenues les conditions de représentations[7]. Les actes de la cérémonie l'évoquent ainsi :
Sacrificio perfecto puer. [X]XVII quibus denuntiatum erat patrimi et matrimi et puellae totidem | Le sacrifice accompli, vingt-sept garçons, dont on savait qu'ils avaient encore leur père et leur mère, et autant de jeunes filles |
Le poème est donc récité par un chœur mixte, ce qui est très rare dans la tradition grecque[8], et l'oracle sibyllin suggère que certaines parties au moins n'étaient pas chantées ensemble par les garçons et les jeunes filles. Les tentatives d'attribution de tels ou tels vers à l'un et l'autre chœur ont été nombreuses et leurs résultats variés, même s'il semble acquis que les strophes 1, 2 et 19 doivent être chantées par les cinquante-quatre enfants ensemble[9]. La distribution le plus récemment proposée est la suivante[10] :
Le poème est récité deux fois : d'abord devant letemple d'Apollon Palatin, qu'Horace prend soin de mentionner au vers 65, puis devant letemple de Jupiter capitolin ; le texte lui-même reflète ce mouvement, puisqu'il se finit, après les invocations à Apollon, par un appel à Jupiter[11]. L'exécution du poème se déroule après que l'ensemble des prières et des sacrifices ont été accomplis ; il ne fait effectivement pas partie intégrante du rite et il semble qu'il s'agisse là d'une innovation majeure : le poème n'a pas de fonction religieuse, il ne fait que conclure les cérémonies en soulignant l'esprit qui s'en dégage[12].
Le poème est certainement publié à part, indépendamment desOdes, et gravé, à une date indéterminée après la tenue des jeux[13].
Le poème est constitué de dix-neufstrophes sapphiques, soit 76 vers : c'est la forme la plus simple parmi les treizemètres employés par Horace dans ses poèmes lyriques[14]. D'une manière générale, la langue duChant séculaire est effectivement plutôt simple : cette facilité est appropriée aux jeunes récitants qui devaient prononcer le poème[15].
Jacques Perret[16] propose d'en éclairer la structure avec le découpage suivant :
Eduard Fraenkel[17], s'inspirant en cela de Johannes Vahlen[18] et deTheodor Mommsen[19], et suivi par Teivas Oksala[20], propose quant à lui de partager le texte en deux moitiés constituées chacune de trois groupes de trois strophes appeléstriades, excluant ainsi la dernière strophe qui servirait alors d'épilogue ; la première moitié traiterait des« conditions physiques du bonheur de Rome[21] », tandis que la seconde s'attacherait plutôt aux aspects moraux et politiques de la prospérité de la ville :
Enfin, pour Michael Putnam[22], la neuvième strophe est le pivot du texte : la nouvelle mention d'Apollon et de Diane permet de revenir au thème initial et partage en deux le poème.
LeChant séculaire se place dans la tradition dupéan,genre poétiquegrec d'essence religieuse, dont il est la première imitation en latin[23]. C'est un éloge et une invocation d'Apollon et, dans une moindre mesure, d'Artémis, où sont aussi présents de nombreuses autres divinités[15]. Il présente des thèmes récurrents : prophétie, justice divine, rituels et sacrifices. D'une formemétrique complexe, il est chanté et dansé à l'occasion de fêtes religieuses (tempore sacro (« à la date sacrée[a 4] »), le plus souvent par des jeunes hommes. Le genre avait atteint son apogée avecPindare auVe siècle av. J.-C. : lepéan 6 a pu inspirer l'image d'Apollon, dieu moins violent que protecteur, donnée par leChant séculaire[24] ; d'une manière plus globale, le mouvement duChant (recours à un mythe fondateur de la cité pour célébrer les accomplissements du héros) suit le modèle de la majorité desépinicies de Pindare[25].
Dans la littérature latine,Catulle peut apparaitre comme un modèle d'Horace : le poème 34 est un hymne à Diane où la déesse est présentée, comme dans leChant séculaire, comme gardienne des bois, patronne des naissances et associée à la fondation de Rome[26]. Le poème d'Horace célèbre également l'âge d'or prophétisé parVirgile dans sa quatrièmebucolique en40av. J.-C., inspiration que rappellent des similitudes stylistiques nombreuses[27]. De Virgile également, la prière d'Énée à Apollon et Diane[a 5] a certainement inspiré la prière horatienne[28]. Enfin, une élégie[a 6] deTibulle appelle Apollon à accepterMessalinus, le fils de son patron, parmi lesquindecemviri sacris faciundis[n 2] ; précédant Horace, Tibulle situe sa prière devant le temple d'Apollon et utilise aussi la figure d'Énée[29].
Une autre hypothèse, invérifiable, imagine que leChant séculaire s'inscrit aussi dans une tradition romaine de rituels festifs à dominantechthonienne etapotropaïque[8].
Le terme latincarmen, apparenté au verbecano (« je chante »), désigne à la fois un poème, un chant, uneincantation et une parole magique, ou unenchantement : tous ces aspects se trouvent effectivement dans le poème[30]. La prééminence desmodesimpératif etsubjonctif confirme l'intention générale du texte : c'est une prière de demande et de souhait[31].
Le poème présente un certain équilibre entre les séries divines (Apollon et Diane, divinités palatines et divinités nocturnes) qui est différent de l'importance relative qu'elles avaient dans la liturgie des jeux séculaires (trois nuits pour les divinités nocturnes, une journée pour les dieux palatins).
Apollon et Diane occupent dans le poème une place de premier choix : nommés au début et à la fin, mais aussi tout au long du poème, ils l'encadrent et le structurent. L'aspect lumineux des deux divinités est d'abord présent dans les noms par lesquels Horace choisit de les désigner (Phébus, c'est-à-dire « le brillant » ;Diane formé sur la racine signifiant « le jour, la lumière », également appeléeLune etLucine[a 7], sur la racine delux (« la lumière ») ; il est renforcé par l'emploi de plusieurs expressions :lucidum caeli decus (« parure lumineuse du ciel ») ;curru nitido (« sur ton char brillant ») ;ter die claro (« pendant trois jours radieux ») ;fulgente arcu (« son arc brillant »)[a 8],[32]. Si Auguste a décidé de renoncer à une tradition de rituels très nocturnes et tournés vers les divinités infernales en équilibrant les cérémonies de jour et de nuit, Horace va plus loin en privilégiant très nettement les divinités célestes et lumineuses : la nuit elle-même n'est mentionnée qu'une fois[33].
La plupart des attributions d'Apollon sont évoquées dans le poème, mais avec des importances inégales et inattendues. Deux aspects habituellement majeurs sont ici minorés : le rôle d'Apollon comme guerrier, car Horace souhaite célébrer l'ouverture d'une ère de paix ; et celui de guérisseur, pourtant souvent présent dans la tradition grecque du péan[8]. À l'inverse, Apollon a une place particulière dans les jeux séculaires : il n'est pas seulement un des dieux célébrés lors de ces fêtes, il est aussi le« maitre d'œuvre de toute la cérémonie[34] », un médiateur entre les prières des hommes et les dieux auxquels elles sont destinées. Horace montre ainsi son attachement à une fonction essentielle d'Apollon, en se plaçant sous le patronage d'un dieu qui est aussi celui des poètes :« le dieu prophète, paré de son arc brillant, fêté des neufCamènes[a 9] ».
Le rôle de Diane comme« reine des forêts[a 10] » est bien vite négligé pour une focalisation sur sa fonction de protectrice des femmes, épouses et mères, et des naissances. Diane est identifiée à la déesseIlithyie, protectrice de l'enfantement, puis à son équivalent latinLucine, et qualifiée de manière inédite de« Genitalis »[35]. Par ces dénominations, Horace insiste sur le rôle de Diane dans la régénération apportée par les jeux séculaires, qui ouvrent une nouvelle ère.
De la même manière que Diane est associée à lalune, Apollon est souvent associé auSoleil, parfois jusqu'à l'identification entre les deux divinités. Cette identification, si elle est parfois admise[36], reste inacceptable pour la plupart des chercheurs qui lui préfèrent une relation lâche et mal précisée entre les deux divinités[37]. La présence du Soleil,« nourricier », qui est à la fois« nouveau et pareil[a 11] », nourrit l'atmosphère lumineuse qui irrigue le poème.
Si les principalesdivinités capitolines,Jupiter etJunon, n'occupent qu'une place secondaire dans le poème, leur prééminence y est cependant confirmée[a 12] ; ce sont eux qui sont à l'origine de la fondation de Rome[38]. C'est Jupiter qui donne au monde son organisation politique[39]. Mais loin d'abuser de son pouvoir, Jupiter en use avec tempérance et équité[40].
Les Parques comme déesses des destins remplacent lesMoires présentent dans l'oracle sibyllin et les actes des jeux[41]. Elles unissent le passé et le présent ; elles n'apparaissent pas comme des divinités autonomes, mais comme les exécutantes des desseins des dieux[42]. D'autre part, une étymologie transmise parAulu-Gelle rapproche leur nom departus (« accouchement »)[43] : les Parques intègreraient ainsi l'ensemble des divinités évoquées dans le poème liées à l'enfantement.
La neuvième strophe est consacrée à trois divinités qui symbolisent la fécondité dans son aspect agricole. La Terre Mère (Terra Mater dans lecommentarium) est révérée sous le nom deTellus. Le poète se tourne ensuite versCérès. Enfin,Jupiter est mentionné comme maitre des éléments, celui qui arrose les cultures et leur permet de croitre[44].
SiAuguste est relativement discret dans le poème, n'étant mentionné que par la périphrase« le descendant illustre d'Anchise et deVénus[a 14] », leChant séculaire n'en est pas moins une célébration de la nouvelle ère que constitue son règne. Il célèbre le pouvoir d'une manière générale : celui de la sibylle et de ses vers ; celui du Destin qui a conduit Énée en Italie ; celui des dieux ; celui des choristes ; celui, magique, des mots du poète ; et bien sûr le pouvoir d'Auguste[45].
Auguste avait promulgué des lois qui encourageaient le mariage et les enfants légitimes, et prétendaient combattre le célibat. Horace rappelle à l'auditeur ces lois récentes (« [Diane], fais prospérer les décrets desPères[a 15] ») en insistant sur les compétences de Diane comme protectrice des naissances[46]. Cette nouvelle législation garantit l'émergence des générations futures et inscrit ainsi Rome dans l'éternité[47].
Les récentes victoires militaires d'Auguste sont rappelées par plusieurs noms de peuples et toponymes. La crainte qu'inspire Rome s'étend désormais sur le monde entier :
Iam mari terraque manus potentis |
Ces vers rappellent que les aigles romaines perdues à labataille de Carrhes avaient étérendues par lesParthes (confondus ici avec lesMèdes) en20 av. J.-C. Ils font aussi allusion aux ambassades envoyées à Auguste par des rois de l'Inde en26 ou25 et en20av. J.-C., et par lesScythes à la même époque[48], qui témoignent ainsi de la divinité et de la puissance civilisatrice de l'empereur.
Cette image d'une Rome belliqueuse est cependant tempérée de deux manières. D'une part, suivant en cela la tradition grecque, Horace présente Rome comme unecité dominant leLatium, non comme un empire conquérant, ignorant ainsi le thème de l'Italie cher à Auguste[49]. D'autre part, le poète met en valeur la nouvelle ère de paix[50], dans la lignée de l’Énéide publiée peut-être en19av. J.-C.[51], et les vertus qu'elle apporte :« déjà la Bonne Foi, la Paix, l'Honneur, la Pudeur antique et la Vertu délaissée osent revenir[a 17]. »
Le règne d'Auguste rend la terre fertile (« feraci »), élément important du processus de régénération :
Fertilis frugum pecorisque Tellus | Que la Terre, mère fertile des moissons et du bétail, |
Cette strophe associe la Terre-mère à un Jupiter vu comme père[52]. Apollon et Diane trouvent également leur place dans cette thématique, en tant que Soleil et Lune, nécessaires à la production agricole[22]. La nouvelle ère est celle de« la bienheureuse Abondance avec sacorne pleine[a 19] ».
La figure de Diane comme protectrice des naissances montre l'importance du thème de la régénération. Une nouvelle ère s'est ouverte avec l'accession d'Auguste au pouvoir. C'est que les jeux séculaires célèbrent le changement d'époque et associent des rites de purification qui permettent d'enterrer le passé à des célébrations plus « lumineuses » destinées à attirer la faveur des dieux sur l'avenir de la Cité. Dans le poème, pourtant, Horace ne mentionne qu'en passant les« aimables nuits[a 20] » dont l'atmosphère devait plutôt être un peu oppressantes[53] ; les évènements sombres du passé (lutte de Rome pour sa survie, aux temps anciens, et, récemment, lesguerres civiles) sont complètement ignorés. Le poète ne chante que l'espérance et la ville est célébrée dans une histoire mythique centrée sur le personnage d'Énée[54].
De fait, le poète inscrit son chant dans une longue histoire cyclique qui part de lachute de Troie, témoignant ainsi de la grande influence de la toute récenteÉnéide[21] ; il suit Énée jusqu'à son arrivée en Italie, son voyage constituant un« chemin de liberté[a 22] » ; le héros est aussi pur que les enfants qui le chantent. Le concentré d'histoire mentionne ensuite brièvementRomulus avant de faire apparaitre Auguste dans sa généalogie illustre : Horace associe ainsi étroitement la ville et son maitre actuel. Les obligations dues aux dieux sont transmises par leslivres sibyllins.
Mais le poème se tourne aussi vers l'avenir (de nombreux mots du poème comportent le préfixepro- (« en avant, vers l'avant ») et évoque la tenue des prochains jeux séculaires. Les jeux actuels sont la promesse d'une stabilité à laquelle la poésie n'est pas étrangère : leChant séculaire aussi survivra[55]. L'avenir est placé entre les mains d'Apollon et l'ère nouvelle inscrit Rome dans l'immortalité des dieux[56].
Horace, blessé par le succès mitigé rencontré par ses trois premiers livres d’Odes publiés en23av. J.-C., s'était promis de ne plus produire de poésielyrique :« Aujourd'hui donc je laisse là les vers et tous les jeux futiles[a 23]. » Il est donc probable que, sans la commande duChant séculaire, Horace n'aurait pas composé le quatrième livre d’Odes qui parait quelques années plus tard[57]. Uneode[a 24] publiée en 23av. J.-C. montre qu'Horace était déjà familier du genre actualisé dans leChant séculaire : elle enjoint à de« jeunes vierges » de chanter Diane et à de jeunes garçons de célébrer Apollon. La commande du chant séculaire n'en constitue pas moins un tournant dans la carrière d'Horace : le poète apparait dans ses productions ultérieures comme plus confiant, et prend désormais en compte la dimension chorale que peut prendre la poésie lyrique[58].
Dans le quatrième livre desOdes, publié quelque cinq ans après les Jeux séculaires, Horace fait deux allusions à sonChant séculaire. Il témoigne de la gloire que lui a donnée la récitation publique, et qui a fait de lui un poète national :
[…] quod monstror digito praetereuntium | […] que le doigt des passants me montre |
La référence auChant séculaire est beaucoup plus directe dans le sixième poème du même livre, qui est lui aussi une ode en strophes sapphiques adressée à Apollon ; il se conclut ainsi :
Nupta iam dices : « Ego dis amicum, | Une fois mariée, tu diras, jeune fille : « J'ai, moi, |
À la fin de sa carrière, Horace revient une dernière fois sur l'expérience unique qu'a constitué dans sa vie la composition et la représentation duChant séculaire et résume le rôle du poète dans la cité :
Castis cum pueris ignara puella mariti | De qui les jeunes garçons purs, les jeunes filles encore ignorantes du mariage |
D'une manière générale, quatre des quinze poèmes du quatrième livre d’Odes ont pour sujet Auguste et sa famille ; cette importance de l'éloge politique est inédite dans les œuvres précédentes d'Horace : leChant séculaire a bien constitué un tournant dans son inspiration.
À l'instar de nombreux autres poèmes d'Horace, des témoignages de différentes époques montrent que leChant séculaire a continué à être lu depuis sa création. Il est cité par quelques grammairiens de l'Antiquité tardive[59] et imité parConrad Celtis, qui compose pour l'an1500 unChant séculaire en latin.
Le poème a été mis en musique au moins deux fois :
Voltaire juge« que le poème séculaire d'Horace est un des plus beaux morceaux de l'Antiquité[61]. »
LeChant séculaire n'échappe pas à la récupération des œuvres d'Horace par l'Italie fasciste ; l'identification deMussolini àAuguste se retrouve dans divers ouvrages de l'époque, dontLa politica sociale di Mussolini e il Carmen Saeculare di Orazio d'E. De Carlo[62]. Un philologue de l'époque, Enrico Rostagno, assure que le souhait d'Horace (« puisses-tu ne rien visiter de plus grand que la ville de Rome[a 28] ») a été réalisé par Mussolini[63].
Sur les autres projets Wikimedia :