En 1951, André Bourvil âgé d'environ 35 ans, pose pour leStudio Harcourt, à l'époque de ses débuts comme humoriste au music-hall.
André Robert Raimbourg[1] est le deuxième garçon d'Albert René Raimbourg (1889-1918), mort de lagrippe espagnole durant laPremière Guerre mondiale, et d'Eugénie Pascaline Hortense Marie Pesquet (1891-1970), agriculteurs. Il passe son enfance avec sa mère et le nouveau mari de celle-ci, un agriculteur nommé Joseph Ménard, àBourville, village natal de sa mère où elle est revenue en 1921. Il a un frère aîné, René Raimbourg (ophtalmologue au Havre), une sœur cadette Denise (1919-2006), une demi-sœur Thérèse et un demi-frère, Marcel Ménard, futur maire de la commune de Bourville[2].
Bon élève, il obtient en 1931 soncertificat d'études avec la mention très bien[n 1]. On le destine à devenir agriculteur, mais il entame des études d'instituteur à l'école primaire supérieure pour garçons deDoudeville. Rebuté par les règles strictes du pensionnat, il retourne deux ans après à la ferme familiale[3]. Il est également un enfant de chœur espiègle et anime régulièrement des fêtes familiales, banquets et kermesses. Il y reprend les chansons deFernandel en faisant le pitre, ce qui lui vaut rapidement le surnom de « Fernandel normand »[4]. De temps en temps, la famille attelle le cheval de la ferme et se rend au marché deFontaine-le-Dun, chef-lieu de canton. C'est en 1934, dans cette commune qu'il intègre lafanfare (dans laquelle il joue de l'harmonica, de l'accordéon et ducornet à pistons)[5], puis en 1935 l'harmonie municipale deRouen-Saint-Sever.
Afin de rejoindre la musique militaire, il choisit de devancer l'appel et s'engage dans l'armée pour deux ans de service militaire. Il est affecté le au24e régiment d'infanterie à Paris.Cornettiste dans la fanfare du régiment, il fait rire ses camarades de chambrée qui lui lancent un défi en 1938 : s'inscrire au radio-crochetLes Fiancés de Byrrh àRadio-Paris. Sous le pseudonyme d'Andrel (en référence à son modèleFernandel), il interprète la chansonIgnace et gagne le prixByrrh, trois cents francs aussitôt employés à acheter un accordéon[8].
Bourvil en 1945, lors de son inscription à laSacem (photo d'identité).
Démobilisé après labataille de France, il exerce de nombreux petits métiers (plombier, garçon de courses pour une entreprise fiduciaire) dans la capitale, mais poursuit sa carrière musicale : outre des cours de trompette duConservatoire de Paris (en candidat libre), il court lesradio-crochets, cabarets, music-halls. Les imitations de Fernandel ne faisant plus recette, il se crée le personnage du « comique paysan » naïf en rabattant sa frange sur le front et en s'affublant d'un pantalon noir et d'une veste étriquée : Andrel devient Bourvil en 1942[9]. Son cousin éloigné,Lucien Raimbourg, étant déjà dans le métier, il choisit cenom de scène afin d'éviter toute confusion, en référence au village de son enfance, lui accolant parfois son prénom : c'est ainsi sous le nom d'André Bourvil qu'il apparaît au générique et à l'affiche de son avant-dernier film,Le Cercle rouge.
Jeune artiste en quête de succès, il s'installe avec son épouse àVincennes, dans un minuscule appartement du 25 rue des Laitières, au septième étage sous les toits, où il restera jusqu'en 1947[10]. Il enchaîne ses numéros de « comique paysan » (dérivé ducomique troupier) à l'accent traînant avec un nouveau répertoire musical, mettant des textes sur la musique de son ami accordéonisteÉtienne Lorin, rencontré en 1939[n 2]. C'est avec la chansonLes Crayons que sa carrière débute vraiment en 1945. C'est d'ailleurs avec cette chanson qu'il fait sa première apparition au cinéma, en1945, dansLa Ferme du pendu, deJean Dréville[11].
Les premiers films le cantonnent dans son personnage de benêt, mais il se rend progressivement compte qu'il doit se renouveler. Sa popularité commence en effet à baisser et il connaît son premier revers cuisant le 9 décembre 1951 : invité à se produire en vedette devant son public dans un gala au cirque de Rouen, il est sifflé par les Normands vexés de l'image de paysan nigaud qu'il donne d'eux[12]. Il abandonne alors les tours de chant et se lance dans l'opérette notamment avec sa grande complicePierrette Bruno dont il doit se séparer en 1962 lorsque la presse évoque leur liaison[13],[14]. Malgré les réticences initiales deMarcel Aymé et du producteur, il est engagé parClaude Autant-Lara en 1956 dans le filmLa Traversée de Paris où il montre toute la palette de son jeu d'acteur[15]. Il tournera à nouveau sous la direction de Claude Autant-Lara dansLe Magot de Josefa, sorti en 1963.
Dans la cinquantaine de films qu'il a tournés, le comique de Bourvil repose principalement sur des rôles de gentil, parfois un peu bête ou naïf, comme les rôles qu’il a tenus face à l’énergiqueLouis de Funès[n 3] : le personnage incarné par Bourvil parvient toujours, par sa gentillesse, non seulement à faire rire, mais aussi à échapper aux manipulations des personnages machiavéliques interprétés par de Funès[16].
C'est en 1963 qu'il rencontreJean-Pierre Mocky qui lui propose de tenir le rôle d'un pilleur de tronc dansUn drôle de paroissien, rôle qu'avait refuséFernandel. Contre toute attente, ce film est un énorme succès populaire. Bourvil tournera trois autres films avec Mocky. Quand Bourvil citera ses six films préférés, ce seraLe Cercle rouge,La Traversée de Paris et les quatre qu'il tourna avec Mocky[17].
Bourvil a cependant tenu des rôles plus dramatiques, comme l'homme à tout faire deL'Arbre de Noël, dans lequel il aide un petit garçon atteint d'une leucémie à assouvir sa passion pour les loups. Dans ce film, comme dans les films comiques, le spectateur peut facilement s'identifier au personnage joué par Bourvil, qui semble être un homme simple. DansLe Miroir à deux faces, son jeu est méconnaissable : face àMichèle Morgan, il incarne un homme qui manipule une femme laide pour pouvoir l'épouser puis, lorsque celle-ci devient belle grâce à une opération, il devient ignoble avec elle, jusqu'à la harceler et lui retirer ses enfants. On peut enfin citer son rôle de l'odieux Thénardier dans l'adaptation cinématographique desMisérables, ou encore son avant-dernier rôle, celui d'un commissaire de police dansLe Cercle rouge. Ce grand comique arrive même à verser des larmes dansFortunat à l'annonce de la mort d'une institutrice qu'il considérait comme sa mère[18].
Bourvil est un homme très cultivé. En 1955, aimant le calme de la campagne, préférant la vie de famille et le jardinage aux mondanités, il acquiert une propriété perchée sur une colline dans le petit village deMontainville, car bien relié àParis par l'autoroute de l'Ouest qui lui permet d'atteindre rapidement lesStudios de Boulogne où il tourne fréquemment[19]. Son amiGeorges Brassens, qui habitait non loin de là, àCrespières (Yvelines) au Moulin de La Bonde, confiait qu'il était le parfait honnête homme, façonXVIIe siècle, et qu'il lui suggérait des lectures. Il partageait avec Brassens une connaissance encyclopédique de la chanson française[20]. Il connaissait aussiJean-Paul Sartre[21].
Lors du tournage (de mai à septembre 1967) desCracks, Bourvil chute lourdement de son vélo. Hospitalisé, il en profite pour subir l'ablation d'un simple kyste à l'oreille qui le gêne depuis deux ans. Le chirurgien fait alors un prélèvement et diagnostique unemaladie de Kahler[n 4]. Lorsque son médecin l'en informe, Bourvil décide de ne pas communiquer sur sa maladie, mais les rumeurs de son cancer courent et les assureurs s'inquiètent[22],[n 5]. Ses jours sont comptés alors qu'il est au faîte de la gloire. Pour tenter de prouver sa bonne santé, il accepte de jouer le rôle principal dansL'Étalon, film tourné en seize jours avec des contrats journaliers, car les compagnies d'assurance ne le couvrent que dix-sept jours (le réalisateurJean-Pierre Mocky lui avait fait raser le crâne pour dissimuler sonalopécie,effet secondaire de lachimiothérapie)[23].
De janvier à, il tourneLe Cercle rouge deJean-Pierre Melville, avecAlain Delon,Gian Maria Volonté etYves Montand, où il est crédité pour la première fois avec le nom d'« André Bourvil »[24]. Voulant cacher la gravité de son état, il déclare en avril à la presse être« un homme heureux, en bonne santé et lucide » et annonce son grand retour aumusic-hall, qu'il avait abandonné depuis dix-huit ans, avecLes Compagnons de la chanson :« Nous préparons, sur une formule très nouvelle, un spectacle enlevé, qui durera deux heures et demie. Je chanterai, soit tout seul, soit en chœur avec eux, mes premiers succès,Les Crayons etLes Cartes postales, soit des chansons nouvelles[25] ».
Son dernier grand tournage,Le Mur de l'Atlantique, qui commence le 5 juin 1970, est éprouvant, l'acteur souffrant énormément, bien que le réalisateurMarcel Camus fasse tout pour le ménager, notamment en le faisant jouer le plus souvent assis[26]. Il fait également en juillet une courte apparition dansClodo, par amitié pour le réalisateurGeorges Clair, le film étant tourné en une journée[27] ; sa voix est tellement altérée par la chimiothérapie qu'il a dû êtredoublé[28].
Après une longue agonie, Bourvil meurt le, à l'âge de 53 ans au milieu des siens, dans son appartement parisien de larue Ernest-Hébert (à l'angle duboulevard Suchet) (16e arrondissement)[29],[30],[31].Le Cercle rouge etLe Mur de l'Atlantique sortent seulement quelques semaines après sa mort, et sont des triomphes. Bourvil repose àMontainville (Yvelines), village où il avait sa maison de campagne. Jeanne Lefrique, son épouse, née en 1918, meurt le dans un accident de voiture, alors qu’elle se rend deParis à Montainville sur la tombe de son époux.
Bourvil épouse le, auPetit-Quevilly[1], Jeanne Marie Lefrique (1918-1985) rencontrée un soir en 1936, à un bal àFontaine-le-Dun et dont le père est contremaître à la sucrerie du bourg. Le couple aura deux fils :
1950 :Quelques pas dans le cirage, tournée de trois mois auQuébec, avec Roger Pierre,Jean Richard,Darry Cowl, dans le cadre de la troupeLes Burlesques de Paris dirigée parMax Révol
1949-1950 :Le Café du coin, émission radiophonique deJean-Jacques Vital sur Radio-Luxembourg, textes deMaurice Horgues et Robert Rocca.Jacques Grello est le Barman, et Bourvil Monsieur Chose.
1951-1952 :Les Aventures de Bourvil, sur Radio-Luxembourg, réalisées par André Sallée, textes de Robert Picq. Bourvil est Marcel Lapierre.
1951 :Soucoupes volantes, émission de Louis Merlin etJean Nohain sur Radio-Luxembourg. Bourvil est le professeur Soucoupe, aux côtés dePauline Carton etAndré Gillois
1952 :Phi-Phi enregistrement de la célèbre opérette deAlbert Willemetz
1956 :Cavalcade sur Radio-Luxembourg avec Georges Guétary, chacun coachant un groupe d'artistes en compétition
1956 :La Course à l'émeraude, feuilleton musical sur Radio-Luxembourg etRadio Monte-Carlo avec Georges Guétary
1969-1970 :Paillasson, émission quotidienne matinale surEurope 1, avec Robert Rocca et Maurice Horgues, sous la direction deLucien Morisse, durant quelques semaines.Jean Richard lui succéda.
Ayant tourné une soixantaine de films, Bourvil fait partie, avecFernandel,Louis de Funès etJean Gabin, des acteurs français ayant attiré le plus grand nombre de spectateurs dans les salles de cinéma entre 1945 et 1970 : environ 205 millions.
↑Il est reçu premier du canton à l'âge de 14 ans. DansLe Trou normand (1952), le personnage qu'il incarne (qui est censé avoir 30 ans) réussit cette même épreuve par inadvertance.
↑Il forma d'éphémères duos au cabaret en1941 avec Étienne Lorin (clowns musicaux), puisJean Richard.
↑Il eut à refuser le rôle du commissaire Juve dansFantomas, confié à Louis de Funès, pour cause d'emploi du temps surchargé.
↑La maladie de Kahler est un cancer de lamoelle osseuse (cancer du sang).
↑Selon une autre source, c'est lors d'une représentation àLyon deOuah ! Ouah ! que Bourvil est gêné par sonkyste à l'oreille et que les médecins, après l'analyse du kyste, lui annoncent qu'il est atteint d'un cancer. Sa lourde chute de vélo sur le tournage desCracks ne serait alors qu'à l'origine d'« un hématome et des douleurs permanentes dans le bas du dos », qui se sont ajoutées à samaladie de Kahler. (Franck et Jérôme Gavard-Perret, « André Bourvil et Louis de Funès ou le parcours singulier d'un duo exceptionnel », surAutour de Louis de Funès).
↑La même année, il a refusé – toujours par modestie – de recevoir la Légion d'honneur,Charles de Gaulle s'étant proposé pour éventuellement la lui remettre en personne.
↑« J’ai eu le prix à Venise, bon, j’en suis pas mal fier, mais je ne confonds pas vitesse et précipitation, Bourvil etSarah Bernhardt. Le rire dans la qualité, c’est ce que je voudrais pouvoir faire. L’imbécile heureux, voilà mon emploi. Que je m’évade, de temps en temps, je ne dis pas non, mais ce sera toujours pour y revenir. » Bourvil ; Source :Maurice Bessy,André Bourvil, Denoël, 1972