L'unité de distance utilisée sur les bornes milliaires (enlatin,miliarium au sing.,miliaria[1] au plur.), était de 1 000 pas romains (d'où le terme milliaire) — chacun de ces pas faisant deux enjambées —, soit environ 1,482 km[2]. EnGaule, une autre unité a aussi été utilisée : lalieue, très probablement d'origine gauloise ; c'est la raison pour laquelle les bornes gauloises sont ditesleugaires.
Il n'est pas certain que cette lieue ait eu une valeur tout à fait uniforme dans toute la Gaule romaine. Certains auteurs latins de l'antiquité tardive donnent pour la lieue une valeur de 1 500 pas, soit environ 2 222 mètres[3] — distance qui s'intègre bien dans le système des mesures romaines. Mais, selon certains relevés topographiques, une lieue gauloise plus longue aurait pu au moins coexister :Jacques Dassié lui donne une valeur de 2,45 kilomètres (± 50 mètres)[4],[5].
Les bornes milliaires étaient élevées de mille en mille, en plus de la distance, elle comportaient aussi une mention, le cas échéant, pour rappeler les travaux d’entretien desvoies romaines, ordonnés par l’Empereur ou par le fonctionnaire placé sous son autorité. Elles portaient donc une inscription mentionnant habituellement :
le nom du magistrat, ou de l'empereur ayant fait réparer la route et sa titulature. La titulature impériale, par sa précision, est d'une grande utilité pour déterminer la date d'érection de la borne. Sous le Haut-Empire, elle est rédigée aunominatif, tandis qu'au Bas-Empire elle est souvent rédigée audatif de dédicace[6] qui transforme la borne en un monument à l'honneur de l'empereur ;
une formule (fecit, refecit, restituit…) ;
la distance entre le point d'implantation — qui n'est pas mentionné — et le lieu de départ ou d'arrivée, indiquée enmilles romains (environ tous les 1 480 mètres), enlieue gauloise (correspondant à un mille et demi), ou leurs subdivisions.
Le rôle exact des bornes milliaires a fait l'objet de discussion. Elles assuraient incontestablement un rôle de représentation du pouvoir, dont elles manifestaient l'action. On les a parfois assimilées à des moyens de propagande. Pour Benjamin Isaac, si les bornes milliaires ne sont pas des objets utilitaires leur fonction de communication doit être replacée dans le contexte de monarchie autocratique qu'était l'Empire. Ainsi dans la partie orientale de l'Empire les bornes milliaires portent la titulature de l'empereur en latin, alors que les indications de distance sont souvent en grec : cette dernière partie peut donc bien être lue par la population à la différence de la première qui n'est donc pas destinées à être lue par la population provinciale. Cette dernière en effet ne connaît pas en général le latin, langue de l'armée et de l'administration impériale. Mais selon lui, le message n'était pas tant destiné aux soldats qu'utilisé par leur hiérarchie pour manifester sa loyauté envers l'empereur[7].
Toujours selon Benjamin Isaac, dans plusieurs provinces, en Bretagne, en Judée et en Pannonie, les premières bornes milliaires datent du voyage d'Hadrien dans ces régions : l'armée et ses officiers manifestant ainsi leur fidélité au souverain et la bonne administration des territoires placés sous leur autorité. Les bornes n'illustreraient alors pas tant la volonté de l'Empire de manifester sa puissance envers ses sujets que le rapport liant l'empereur et les responsables des provinces[8]. La disposition des bornes le long des routes n'obéirait pas à une logique particulière et l'accumulation de bornes en un même lieu ne signalerait que la répétition mécanique d'un bornage servant à donner des gages de fidélité. Benjamin Isaac note toutefois la possibilité que les bornes aient aussi eu un rôle plus concret indiquant sur le terrain des assignations fiscales.
Th. Kissel a récemment approfondi cette idée et soutient que les bornes avaient un rôle institutionnel et fiscal important. En effet, l'entretien régulier des routes romaines était à la charge des communautés riveraines et sans possibilité d'immunité[9]. Les conditions concrètes de cet entretien sont très mal connues, mais il est certain que le coût était très lourd[10] et certaines bornes milliaires portent la mention des communautés ayant participé à la construction ou à l'aménagement de la route[11] même si le plus souvent ils mentionnent l'action de l'empereur, responsable en dernier lieu des routes de l'Empire. Ce dernier pouvait parfois financer les travaux ou les confier à ses soldats. Les bornes milliaires servaient aussi à donner des informations territoriales : dans une dispute territoriale enPhrygie, les bornes milliaires servent de référence pour définir les responsabilités de chacun face aux exigences de l'administration[12], les bornes milliaires délimitaient donc les différentes sections de routes qui devaient être construites ou entretenues par les provinciaux[13].
Chaque réfection ou chaque redéfinition des exigences fiscales pouvait entraîner un rebornage, une nouvelle borne s'ajoutant à l'ancienne. Il est donc assez courant de trouver plusieurs bornes milliaires d'époque différente en un même lieu. Ainsi à Rijswick, non loin deLa Haye, on a retrouvé en 1997 quatre bornes milliaires datant des règnes d'Antonin le Pieux,Caracalla,Philippe l'Arabe etTrajan Dèce[14].
Cette borne est située sur l'actuelle commune dePaudex (Suisse) et porte :
IMP(eratori) CÆS(ari) T(ito) ÆLIO ANTONIN(o) AUG(usto) PIO P(ontifici) M(aximo) TRIB(unicia) POT(estate) CO(n)S(uli) III P(atri) P(atriae). AVENT(ico) M(illia) P(assuum) XXXVIII[16].
« Sous l'empereur César Titus Ælius Antoninus Auguste, le Pieux, grand pontife, revêtu de la puissance tribunicienne, alors qu'il était consul pour la troisième fois, père de la patrie. 38 000 pas d'Avenches. »
De nombreuses bornes ont été réutilisées par la suite, comme support de fontaine, de croix ou comme colonne. Le remploi d'une borne milliaire de lavia Agrippa dans ledéambulatoire duchœur de lacathédrale Saint-Apollinaire en est un bon exemple.
Cette borne se trouve àVaas sur l'anciennevoie romaine au passage duLoir à XVI lieues deTours (Caesarodvnvm) et duMans (Vindinvm). Elle est en grès roussard. Le texte gravé indique la même mesure que lacarte de Peutinger, copie d'une carte duIVe siècle.
Découverte en 1880, elle était située sur la route romaine entreAugustodunum (actuelle Autun) etCivitas Arvernorum (actuelle Clermont-Ferrand), indiquant la distance restante jusqu'à cette dernière. Elle se trouve actuellement dans le hall des thermes des Dômes, à Vichy.
Borne milliaire de la commune de Rom, située sur la voie romaine Bordeaux-Saintes-Poitiers-Tours, datant de l'empereurTacite (275-276).Elle est aujourd'hui visible dans une salle du donjon de Niort (Deux Sèvres) et porte l'inscription :
IMP(eratore) CAES(are) MAR(co) CLAV(dio) TACITO INV(icto) PIO F(elici) AVG(usto) PONT(ifice) M(aximo) P(ater) P(atriae) TRIB(uniciae) P(otestatis) CON(sule) II Ad C(ivitatem) P(ictavorum) L(imonum) L(eugae) XVI Ad F(ines) L(eugae) XX
Traduction :
Sous l'empereur César Marc Claude Tacite invaincu, pieux, heureux, auguste, grand pontife, père de la patrie, revêtu de la puissance tribunitienne pour la première fois, consul pour la seconde fois, seize lieues de Limonum, capitale des Pictons, vingt lieues de la frontière
" CCXVI // IMP CAESAR DIVI // TRAIANI PARTHICI F // DIVI NERVAE N TRAIA // NVS HADRIANVS AVG // PONT MAX TRIB POT IX // COS III VIAM IVLIAM // AVG A FLVMINE TREB // BIA QVAE VETVSTATE // INTERCIDERAT SVA // PECVNIA RESTITVIT // DCV "
Traduction :
216. L'empereur César, fils du divin Trajan le parthique, petit-fils du divin Nerva,Hadrien Auguste, grand pontife, détenteur de la puissance tribunitienne pour la neuvième fois, fait consul pour la troisième fois, a restauré à ses frais, depuis le fleuveTrebbia, laVia Julia Augusta qui avait disparu par l'effet de sa vétusté. 605.
Un fragment de borne polygonale est découvert au début duXIXe siècle. Elle aurait été brisée lors d'une invasion barbare et ses fragments utilisés pour la construction des remparts de la ville, qui se situait au carrefour des voies deBavay à Cologne (axe est - ouest) et deMetz à Tongres,poursuivant vers Nimègue (axe nord - sud). Le fragment ne comporte que les 3 faces pointant au sud et à l'est.
↑ChristianLandes, « Naissance et mort d'une voie romaine »,L'Archéologue,no 47,,p. 6.
↑B. Isaac,The Limits of Empire. The Roman Army in the East (revised edition), Oxford, 1993, pp. 304-309« it is conceivable that the imperial titulature appeared on milestones to convince the monarch and his entourage of the loyalty of the provincial governor and his army ».
↑B. Isaac,The Limits of Empire. The Roman Army in the East (revised edition), Oxford, 1993,p. 308 : « they are the symptoms of a system that makes any official suspect who does not produce mechanical declaration of obedience ».
↑Digeste 50, 4, 1 et 12 et 18 cité parTh. Kissel,« Road-Building as a munus publicum », dans P. Erdkamp,The Roman Army and the Economy, Amsterdam,, p. 135-136.
IR-03 :Ingemar König(de),Die Meilensteine der Gallia Narbonensis : Studien zum Strassenwesen der Provincia Narbonensis, Bern, Kümmerly und Frey, 1970(OCLC1410505).
IR-04 :Gerold Walser(de),Die römischen Strassen und Meilensteine in Raetien, Stuttgart, Gesellschaft für Vor-und Frühgeschichte, 1983 (Kleine Schriften zur Kenntnis der römischen Besetzungsgeschichte Südwestdeutschlands, 29)(OCLC490486677).
IR-05 : ***
IR-06 :Gerhard Winkler,Die römischen Strassen und Meilensteine in Noricum - Österreich, Stuttgart, Gesellschaft für Vor-und Frühgeschichte, 1985 (Schriften des Limesmuseums Aalen, 35)(OCLC721567701).
Article de référence
(it)Anne Kolb(de), « Miliaria : ricerca e metodi. L’identificazione delle pietre miliari », dansI miliari lungo le strade dell’Impero. Aggiornamenti e nuove prospettive di ricerca [Atti del convegno, Isola della Scala,], Verona, Cierre Ed., 2011, p. 17-28(ISBN978-88-8314-624-4) (en ligne).
(de)Anne Kolb(de), « Römische Meilensteine: Stand der Forschung und Probleme », dansSiedlung und Verkehr im römischen Reich. Römerstrassen zwischen Herrschaftssicherung und Landschaftsprägung. Akten des Kolloquiums zu Ehren von Prof. H. E. Herzig vom 28. und 29. Juni 2001 in Bern, sous la dir. deRegula Frei-Stolba, Bern, P. Lang, 2004,p. 135–155(ISBN3-03910-030-0) (en ligne).
(de)Otto Hirschfeld, « Die römischen Meilensteine [Vorgetragen am 8. November 1906] », dansSitzungsberichte der Königlich Preussischen Akademie der Wissenschaften, [1907-1, Januar bis Juni], Berlin, 1907,p. 165-201 (en ligne) (compte rendu par AdolpheReinach) ; repr. dansKleine Schriften, Berlin, 1913,p. 703-743 (en ligne).
Solange Biagi,Bornes milliaires et bornage des voies romaines en Asie mineure à l'époque romaine [Thèse doctorat : Histoire : Paris 1 : 2003], Lille, 2005.
Jacques Gascou, « La présence de Tibère en Narbonnaise : les portraits et les inscriptions. II, Les témoignages épigraphiques », dansRevue archéologique de Narbonnaise, 29, 1996. part.p. 56-65 (en ligne).
René Rebuffat, Joëlle Napoli, « Les milliaires ardéchois d'Antonin le Pieux », dansGallia, 49, 1992,p. 51-79 (en ligne).
Pierre Salama, « Bornes milliaires et problèmes stratégiques du Bas-Empire en Maurétanie », dansComptes-rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 1959,p. 346-354 (en ligne).
Pierre Maestracci,Les bornes routières romaines dans les Alpes-Maritimes, Archéam,no 8, 2001Lire en ligne
Gabriel Thiollier-Alexandrowicz, avec la collab. de Robert Bedon, préf. deRaymond Chevallier,Itinéraires romains en France, d'après la « Table de Peutinger » et l’« Itinéraire d'Antonin », Dijon, Faton, 1996 (Guides monde et musées)(ISBN2-87844-036-6) (complémentsen ligne)