Le mot « biface » a été proposé en 1920 parA. Vayson de Pradenne pour remplacer l'expression « coup-de-poing », introduite précédemment parG. de Mortillet[1],[2]. Celle-ci est désormais désuète.
Les plus anciens bifaces ont été découverts en Afrique de l’Est, notamment dans le site d'Olduvai en Tanzanie (1,6 million d’années)[3] et àKokiselei 4 sur les rives dulac Turkana auKenya (1,76 million d'années)[4].
Les archéologues ont longtemps considéré que l'Europe centrale et l'Asie ne connaissaient pas le biface acheuléen (leur industrie lithique restant fruste : outils sur galets,chopping-tools), d'où leur séparation entre les deux modes technologiques, appelée « ligne de Movius » (du nom de l'archéologueHallam Movius) qui suit un tracé allant des Pays-Bas à l'Anatolie puis au Moyen-Orient et au Pakistan pour s'arrêter au golfe du Bengale. L'explication serait que la premièresortie d'Afrique par des représentants du genreHomo se serait faite avant l'invention du biface. Le début tardif de l’Acheuléen en Europe occidentale il y a 700 000 ans pourrait être associé à une seconde sortie d'Afrique par une nouvelle forme d'hominines,Homo rhodesiensis ouHomo heidelbergensis, Prénéandertaliens à l'origine de la lignée desNéandertaliens. Depuis lesannées 1990, des objets bifaciaux ont été découverts dans différents sites en Asie qui n'entretiennent pas de lien avec le complexe acheuléen et résulteraient d'un phénomène de convergence technique[5].
Le biface est réalisé parfaçonnage progressif d’un bloc (ou d’un gros éclat) de matière première, en détachant des éclats sur ses deux faces. Il présente généralement une certaine symétrie bilatérale et éventuellement une symétrie bifaciale qui ont pu être interprétées comme les premières manifestations de préoccupations esthétiques[6],[7].
Les matières premières utilisées pour la réalisation de bifaces sont très diversifiées :silex mais aussiquartzite,quartz, roches volcaniques (de l’obsidienne à laphonolite).
Le façonnage de pièces bifaciales se manifeste aussi par la production d’objets très élaborés tels que les pointes foliacées duMiddle Stone Age sud-africain deBlombos ou lesfeuilles de laurier et lespointes à cran duSolutréen. Si ces outils sont produits selon des méthodes analogues à celles des bifaces, ils sont toutefois nettement plus fins et font appel à d'autres techniques telles que la retouche parpression.
Démonstration de fabrication d'un biface àTeyjat enDordogne.
Rares sont les bifaces ayant fait l'objet d'études tracéologiques, si bien que la fonction précise de ces outils reste mal connue en particulier pour les périodes les plus anciennes. De plus, les emmanchements éventuels étaient réalisés en matières organiques et se sont décomposés, privant les chercheurs d'indications directes quant à la destination des pièces taillées. La tracéologie indique toutefois que la plupart des bifaces duMoustérien récent étaient destinés aux activités de boucherie[10],[11], remettant en question le cliché du « couteau suisse préhistorique ».
Une étude publiée en 2018, basée sur l'étude de bifaces moustériens et sur des résultats expérimentaux, a montré que certains bifaces ont pu être utilisés ponctuellement par lesNéandertaliens comme pierres à briquet pourproduire du feu[12].
En 1999,Marek Kohn etSteven Mithen développent une hypothèse originale selon laquelle certains bifaces seraient des indicateurs de l'habileté physique et de l'intelligence de leurs fabricants et auraient joué un rôle social dans un contexte decompétition sexuelle. Selon lathéorie du handicap, certains bifaces auraient été destinés à séduire les personnes de l'autre sexe. Cette hypothèse expliquerait la réalisation de bifaces géants, de bifaces esthétiques avec la recherche de symétrie, ou l'abondance de bifaces dans certains sites alors que des outils moins travaillés étaient suffisants pour découper de la viande ou travailler le bois[13].
↑Lorblanchet, M. (1999) -La naissance de l'Art. Genèse de l'art préhistorique, Paris,Éd. Errance, 304 p.
↑Le Tensorer, J.-M. et Muhesen, S. (1997) -Les premiers hommes du désert syrien - fouilles syrio-suisses à Nadaouiyeh Aïn Askar, Paris, Éditions du Muséum d'Histoire Naturelle, 56 p.
↑Bordes, F. (1961) -Typologie du Paléolithique ancien et moyen, Bordeaux, Delmas, Publications de l'Institut de Préhistoire de l'Université de Bordeaux, Mémoireno 1, 111 p.
↑[Claud 2008] Émilie Claud,Le Statut fonctionnel des bifaces au Paléolithique moyen récent dans le Sud-Ouest de la France. Étude tracéologique intégrée des outillages des sites de La Graulet, La Conne de Bergerac, CombeBrune 2, Fonseigner et Chez-Pinaud / Jonzac (thèse de doctorat),Université de Bordeaux-I,, 546 p.(présentation en ligne,lire en ligne).
↑[Claudet al. 2009] Émilie Claud, Michel Brenet, Serge Maury et Vincent Mourre, « Étude expérimentale des macrotraces d'utilisation sur les tranchants des bifaces - Caractérisation et potentiel diagnostique »,Les Nouvelles de l'archéologie,no 118,,p. 55-60(lire en ligne, consulté en).
↑[Sorensen, Claud & Soressi 2018] Andrew C. Sorensen, Émilie Claud et Marie Soressi, « Neandertal fire-making technology inferred from microwear analysis »,Scientific Reports,vol. 8,,p. 1-16(lire en ligne, consulté en).