August Schleicher est né àMeiningen, capitale de la Thuringe. Son père, lemédecin Johann Gottlieb Schleicher (1793–1864), avait étudié àIéna en 1815, où il s'était affiché comme l'un des meneurs du mouvement estudiantin de l’Urburschenschaft, d’inspiration à la fois patriotique et libérale, et dénonçant l’archaïsme de laKleinstaatereiféodale qui divisait l’Allemagne. En 1822, la famille quitta Meiningen pourSonneberg. Les idées progressistes du père et la culture musicale de sa mère exercèrent sur le jeune August une influence bénéfique. Dès l'âge de 14 ans, il fut inscrit augymnasium Casimirianum de la ville voisine deCobourg ; mais au terme de ses études, un professeur de lycée estima que l'adolescent n'était pas suffisamment doué pour poursuivre des études degrammaire et le poussa vers l'étude de lathéologie.
C’est pourquoi August Schleicher s'inscrivit en 1840 à la faculté de Théologie deLeipzig. Mais au bout du premier semestre, il préféra s'inscrire à l’Institut de théologie protestante d’Erlangen ; là, il dut s'avouer que la théologie le rebutait de plus en plus. D’Erlangen il partit pourTübingen et y découvrit la philosophie deHegel. Il se trouvait là des hégéliens de l'École de Tübingen :David Strauss,Jakob Reiff,Ferdinand Baur ou encoreFriedrich Vischer. C’est au sein de ce cercle que Schleicher s'intéressa auxquestions philosophiques, se détourna définitivement de la théologie et s'inscrivit au cours delangues orientales deHeinrich Ewald. En peu d'années, il s’assimila non seulement les bases de l’hébreu mais aussi lesanskrit, l'arabe et leperse. Ce n'est qu'à contrecœur que son père l'autorisa en 1843 à changer une nouvelle fois d'établissement, pour rejoindre l’Université de Bonn. Pour amadouer son père, l'étudiant lui écrivait ceci :« Un philologue est un mendiant misérable s'il n'est que cela... Il en va tout autrement pour un pasteur de village, lorsqu'il forme sa communauté et adoucit le cœur de ses ouailles[1]... »
Ses études accomplies, August Schleicher s'en retourna enThuringe dans sa ville de Sonneberg et chercha d'abord un travail de professeur de langues. ÀBonn, leprince Georges de Saxe-Meiningen, qui avait lui-même été étudiant de l'université, l'avait remarqué : le prince héritier n'avait pas seulement offert son amitié à August Schleicher, il lui avait donné une bourse considérable, qui lui permit, entre 1848 et 1850, de faire de longs séjours àParis,Londres etVienne. Schleicher profita de ces séjours pour travailler commecorrespondant pour l’Allgemeine Zeitung d’Augsbourg et leKölnische Zeitung. Dans un compte-rendu des événements politiques de 1848 à Paris et plus tard à Vienne, il témoigne ouvertement de sa sympathie pour le mouvement libéral de laConvention Nationale réunie dans l'église Saint-Paul deFrancfort. C'est ainsi qu'il se trouva désormais dans le collimateur de lapolicehabsbourgeoise, qui ne cessa plus de l'espionner au cours de ses séjours à Vienne et àPrague. Il s'était rendu en 1849 àPrague pour s'y initier auxlangues slaves et en particulier autchèque.
En marge de son travail de correspondant de presse, August Schleicher publiait quelques articles sur ses recherches de philologie comparée, si bien que l’Université de Prague le nomma en 1850 professeur surnuméraire dePhilologie, puis en 1853 en fit letitulaire de la chaire degrammaire comparée germano-sanskrite. Il rassembla le fruit de ses recherches sur les plus anciennes sources écrites en languevieux-slave dans son ouvrageFormenlehre der kirchenslawischen Sprache (1852). Ce travail exemplaire introduisit en grammaire comparée le terme de « slave d'église » (Kirchenslawisch).
Alors qu'il était professeur àPrague, Schleicher se consacra exclusivement à l'étude deslangues slaves et aulituanien, qui occupe une place à part dans leslangues indo-européennes. En 1852, l'Académie des sciences de Vienne lui accorda une bourse pour un séjour d'étude enPrusse-Orientale. Il y passa un semestre, apprit par desLituaniens à parler leur langue et collecta une grande quantité de données pour son « Manuel de langue lituanienne » (Handbuch der litauischen Sprache), qui parut à Prague au cours de l'hiver 1855-56. Outre sa valeur scientifique, ce manuel conserve une grande importance pour la conscience nationale du peuple lituanien. En 1856, August Schleicher se retira pendant plus d'un an à Sonneberg, non seulement à cause des répressions policières mais aussi sans doute pour des raisons de santé, et il y mena une enquête de terrain sur le patois local : on parlait dans la région de Sonneberg l’Itzgründisch, undialectefrancique rhénan, qui demeure jusqu'à aujourd'hui un objet de recherche.
En 1857, August Schleicher se vit offrir un poste de professeur à la Faculté de philosophie de l’Université d’Iéna. Il se réjouissait d'avance des perspectives de poursuivre ses recherches de grammaire comparée, mais ce fut une profonde déception, car à Iéna il se trouva en butte à un professorat conservateur, au sein duquel ses idées scientifiques et politiques en faisaient unoutsider. Schleicher aurait dit à ce propos :« Iéna est une grande mare, et j'en suis la grenouille. » Mais en 1861, il se noua entreErnst Haeckel et lui une amitié indissoluble. Ensemble, ils discutaient de l’Évolutionnisme et dessciences naturelles, et des parallèles avec l'étude historique des langues. Cette année-là, l’Académie bavaroise des sciences le nomma membre correspondant. Et c'est aussi en tant que membre correspondant de l’Académie des sciences de Russie àSaint-Pétersbourg qu’August Schleicher travailla à ses trois grands derniers traités :Grammaire comparée des langues slaves,Grammaire comparée deslangues baltes etGrammaire duslavo-balte ancien. Sa mort prématurée, en 1868, les laissa inachevés, et elle explique que ses idées sur la linguistique allemande soient restées marginales.
August Schleicher succomba probablement à unetuberculose pulmonaire, dont les premiers symptômes remontaient déjà à ses années d'étudiant. Suivant en cela les conseils de son père, il affrontait les accès de phtisie par une hygiène méticuleuse. À Bonn il s'était mis à lagymnastique et continua de pratiquer ce sport avec Ernst Haeckel. Il prenait régulièrement du repos et se ressourçait dans les bois entourant sa ville de Sonneberg, où il était souvent hébergé chez ses parents, ses cousins ou ses amis. À sa mort, la ville lui dressa une stèle commémorative et baptisa une rue de son nom.
Schleicher aura été le premier linguiste à s'attaquer sérieusement à la reconstitution desparlers indo-européens.
Les exigences scientifiques de Schleicher ne se limitaient pas à regrouper des mots de chaque langue selon une racine originelle commune, par une quête romantique des origines : il s'agissait de ramener la diversité des formes à une règle unique, méthode qui retira au sanskrit le statut de langue-mère, pour constituer l'indo-européen comme état de la langue avant la ramification des parlers.
Il était très attentif à ce point et composa même une brèvefable dans cette langue reconstruite. L’œuvre de Schleicher a marqué lesÉtudes indo-européennes de triple façon : d'abord on lui doit la convention de marquer d'un astérisque les formes reconstituées ; ensuite Schleicher a le premier produit unarbre historique des langues indo-européennes. Lesrègles de mutation phonétiques partout citées sont inscrites sur l'arbre de Schleicher ; enfin, c'est un illustre disciple de Schleicher,August Leskien, qui a fondé l’École desNéogrammairiens à Leipzig.
Ce n'est pas un hasard si l’école de Leipzig est la création d'un chercheur qui a fait des études indo-européennes une sorte de science d'observation. Les premiers mots de son chef-d’œuvre (Compendium) sont :
« La grammaire est une branche de la linguistique ouglottique. Celle-ci est à son tour une composante de l'histoire naturelle de l'Homme. Leur méthode caractéristique est celle des sciences naturelles... L'une des tâches essentielles de la glottique est le classement et la description des groupes de parlers, ou des rameaux linguistiques, c'est-à-dire des langues dérivant d'une seule et même langue originelle, et la classification de ces rameaux suivant un ordre naturel[2]. »
— A. Schleicher, Compendium der vergleichenden Grammatik
Sprachvergleichende Untersuchungen. / Zur vergleichenden Sprachgeschichte. (2 vol.) Bonn, H. B. König (1848)
Linguistische Untersuchungen. 2. Teil: Die Sprachen Europas in systematischer Übersicht. Bonn, H. B. König (1850); réédition de Konrad Körner, Amsterdam, John Benjamins (1982)
Formenlehre der kirchenslawischen Sprache. Bonn, H. B. König (1852); réédition Hildesheim, Verlag Gerstenberg (1976)
Die ersten Spaltungen des indogermanischen Urvolkes. Allgemeine Zeitung für Wissenschaft und Literatur (août 1853)
Handbuch der Litauischen Sprache. (2 vol.) Weimar, H. Böhlau (1856/57)
Litauische Märchen, Sprichworte, Rätsel und Lieder. Weimar, H. Böhlau (1857)
Die Darwinsche Theorie und die Sprachwissenschaft – offenes Sendschreiben an Herrn Dr. Ernst Haeckel. Weimar, H. Böhlau (1863)
Die Bedeutung der Sprache für die Naturgeschichte des Menschen. Weimar, H. Böhlau (1865)
Christian Donalitius Litauische Dichtungen (avec un glossaire lituanien-allemand par A. Schleicher), Saint-Pétersbourg, Académie des Sciences de Russie (1865)
Darwinism Tested by the Science of Language. (trad. en anglais par Alexander V. W. Bikkers) Londres, J. C. Hotten (1869)
Die Darwinsche Theorie und die Sprachwissenschaft. Weimar, H. Böhlau (1873)
Laut- und Formenlehre der polabischen Sprache. Réimpr. Sändig Reprint Verlag H.R. Wohlwend,(ISBN325301908X)
↑Texte original :Ein Philolog ist ein elender Lump, zumal wenn er wirklich einer ist. An dieses Studium Geld zu wenden, verlohnt sich nicht. ... Ganz anders steht es doch um einen Dorfpfarrer, wenn er seine Gemeinde erbaut und ihre Herzen erweicht.
↑Il est intéressant de rapprocher ce prodrome des premières phrases de l'Essai de linguistique générale deFerdinand de Saussure : voyez l'articlephilologie. Texte original :Die grammatik bildet einen teil der sprachwißenschaft oder glottik. Dise selbst ist teil der naturgeschichte des menschen. Ire methode ist im wesentlichen die der naturwißenschaften überhaupt ... Eine der hauptaufgaben der glottik ist die ermittelung und beschreibung der sprachlichen sippen oder sprachstämme, d.h. der von einer und der selben ursprache ab-stammenden sprachen und die anordnung diser sippen nach einem natürlichen systeme.
Gertrud Bense, Maria Kozianka, Gottfried Meinhold:Deutsch-litauische Kulturbeziehungen: Kolloquium zu Ehren von August Schleicher an der Friedrich-Schiller-Universität Jena. Mayer, Iéna et Erlangen 1994,(ISBN3-925978-38-0).
Konrad Körner(de),Linguistics and evolution theory (Three essays by August Schleicher, Ernst Haeckel andWilhelm Bleek), Amsterdam et Philadelphie, John Benjamins, 1983.
Theodeor Syllaba,August Schleicher und Böhmen, Karolinum de Prague, 1995,(ISBN80-7066-942-X).
Liba Taub, « Evolutionary Ideas and „Empirical“ Methods: The Analogy Between Language and Species in the Works ofLyell and Schleicher »,British Journal for the History of Science,no 26,,p. 171–193.
Conférence sur les apports de Schleicher à la linguistique quantitative.
ConférenceThe Linguistic Creation of Man: Charles Darwin, August Schleicher, Ernst Haeckel, and the Missing Link in Nineteenth-Century Evolutionary Theory.