Dans l’histoire de l'astronomie, l’astronomie arabe, ou astronomie musulmane, renvoie aux travaux astronomiques accomplis par lacivilisation islamique, particulièrement au cours de l'Âge d'or de l'Islam (VIIIe siècle-XIIe siècle), et transcrites pour la plupart enlangue arabe. Ces découvertes ont été effectuées pour l’essentiel dans lessultanats duMoyen-Orient, d’Asie centrale, dans l’Al-Andalus, enAfrique du Nord, puis plus tard enChine et enInde. Les débuts de l’astronomie ont procédé d'un cheminement semblable aux autressciences dans l'Islam, par l’assimilation de connaissances de l’étranger et la composition de ces éléments disparates pour faire naître une tradition originale. Les principaux apports sont indiens,perses etgrecs, connus par des traductions puis assimilés[1]. Par la suite, l’astronomie arabe exercera à son tour une influence significative sur les astronomies indienne[2] eteuropéenne[3] et même sur l’astronomie chinoise[4].
Plusieursétoiles visibles à l’œil nu dans leciel, commeAldébaran (α Tauri) etAltaïr (α Aquilae), ainsi que plusieurs termes d’astronomie comme « alidade », « azimut » et « almucantarat » témoignent par leur morphologie de leur origine arabe[5].
Avec environ 10 000 manuscrits conservés à travers le monde, dont une grande partie n’a toujours pas fait l’objet d'un inventaire bibliographique, le corpus astronomique arabe constitue l’une des composantes les mieux préservées de la littérature scientifique médiévale. Malgré les lacunes bibliographiques, les textes étudiés à ce jour fournissent une image fidèle de l’activité astronomique des peuples de langue arabe[6].
Il existe plusieurs facteurs favorisant le développement de l'astronomie arabe, certains sont communs à toutes les sciences comme le désir de connaitre le monde environnant, ou bien la structure du monde arabe favorisant les échanges de savoir.
Une autre impulsion résulte des pratiques religieuses propres à l'islam, qui recèlent une foule de problèmes d'astronomie mathématique. La résolution de ces problèmes par les savants musulmans est allée bien au-delà des méthodes mathématiques des Grecs[1].
L'étude des étoiles est également liée au désir de connaitre l'avenir. L'astrologie joue donc aussi un rôle dans le développement de l'astronomie arabe.
Les historiens discernent plusieurs facteurs favorables au développement de l'astronomie arabe. Le premier est la proximité despays musulmans avec le monde de l'Antiquité classique. Un nombre considérable d'écritsgrecs,sanskrits etpehlevis furent traduits enarabe dès leIXe siècle. Ce mouvement était possible grâce au respect envers les savants d'autres cultures[1].
Le monde arabe, par son étendue, offrit la possibilité de mettre en commun des traditions scientifiques différentes, venant de pays différents, aux cultures différentes et aux hommes de religions différentes, dans une langue scientifique commune qui fut la langue arabe[7]. Cette langue permit des échanges autant sur des textes anciens que sur des textes contemporains et favorisa la mise en place d'une tradition de correspondance scientifique[7]. La structure du monde arabe favorisa également le déplacement des savants et la nouvelle pratique du voyage scientifique[7].
Le mécénat enfin, principalement celui des califes, permit de créer de grands centres de recherches comme celui deBagdad au temps d'Al-Ma'mūn[8].
L’islam a influencé l'astronomie de manière à la fois directe et indirecte. L'organisation de la vie religieuse, en posant un certain nombre de problèmes liés au calendrier par exemple, a donné un élan décisif à l'épanouissement de l’astronomie mathématique[1], même si, selon Ahmed Djebbar[9], cette composante, bien qu'ayant été au départ un des facteurs positifs, n'est qu'un élément parmi d'autres dans le développement de l'astronomie arabe.
Plusieurs règles de l’islam ont poussé les fidèles à améliorer calculs et observations astronomiques.
Un premier motif est lecalendrier musulman et plus précisément la détermination de la période duRamadan[10]. Ce calendrier s'appuie sur des mois lunaires et nécessite de déterminer le mouvement de la lune. Les mois, dans la religion musulmane, ne commencent pas avec lanouvelle lune astronomique, définie comme l'instant où la lune a la mêmelongitude écliptique que le soleil (elle est donc invisible, noyée dans l'albédo solaire) ; les mois commencent lorsque lecroissant lunaire commence à apparaître au crépuscule[1].
Un second motif est la détermination de laqibla ou direction deLa Mecque[11]. L'Islam demande aux musulmans de prier en se prosternant dans la direction de laKaaba àLa Mecque et d’orienter leursmosquées dans cette direction : ils ont donc besoin de savoir trouver la direction de cet endroit, où qu'ils se trouvent sur Terre.
Un dernier problème est la détermination du moment de laSalat. Les musulmans doivent pouvoir déterminer les heures locales de prière à cinq moments de la journée (de l’aurore au soir)[1], dans toute l'étendue d'un vaste empire.
Les directions étaient déterminées à partir de la position du Soleil et des étoiles, et l'heure locale à partir de la direction et l'élévation du Soleil. Ces méthodes n'étaient pas entièrement nouvelles, mais les scientifiques arabes les ont rendues plus précises grâce à leur développement de la géométrie sphérique et de la trigonométrie[12].
Le calcul du jour où le croissant lunaire recommence à devenir visible constituait un redoutable défi pour les savants arabes. Bien qu'en effet la théorie dePtolémée du mouvement composé de la lune soit assez exacte à l'époque de la nouvelle lune, elle ne donne la trajectoire de la lune que par rapport au cercle de l’écliptique. Pour prédire quel jour la lune commence à redevenir visible, il fallait pouvoir décrire son mouvement par rapport à l’horizon, un problème dont la résolution appartient à unegéométrie sphérique assez sophistiquée. Bien que la visibilité effective du croissant soit en principe exigée, et que cette méthode expérimentale soit couramment utilisée pour fixer le début du ramadan, la question posée aux astronomes était de trouver une méthode pour prédire cette visibilité[13]. Ce problème n'a pas été étudié spécifiquement par les Grecs mais on trouve des méthodes de calculs dans la tradition indienne, reprises par la création des premières tables deYaʿqūb ibn Ṭāriq (en) etAl-Khwarismi[14]. Mais ce sont les astronomesHabash al-Hasib etThābit ibn Qurra qui, s'appuyant sur l'Almageste de Ptolémée, en font une étude mathématique[15].
La détermination de la direction dela Mecque s'est faite de manière empirique ou de manière approchée avant et même après la solution mathématique du problème[16]. La résolution de ce problème revient à déterminer l'angle d'un triangle sphérique connaissant la longitude et la latitude de deux points (lieu d'observation et lieu de La Mecque) et se résout en géométrie sphérique grâce à la formule de la cotangente[17]. La première détermination mathématique, utilisant une méthode géométrique, emprunté à des sources grecques et connue sous le nom d'analemme[18] est développée parHabash al-Hasib[17] mais c'est le développement de latrigonométrie sphérique et la création de nouvelles fonctions telles la tangente qui donnent les outils pour une solution mathématique du problème[19].
De même la détermination de l'heure dessalat s'est d'abord effectuée de manière empirique. Cette préoccupation a suscité un intérêt pour la gnomonique et de nombreux traités ont été écrits sur l'étude des ombres d'un gnomon standard selon le lieu et l'époque de l'année[20]. Des tables apparaissent très tôt, destinées à régler les heures des prières (Al-Khwarismi)[21]. La fixation des heures des prières est normalement attribuée au muezzin mais à partir duXIIIe siècle, on voit apparaître des astronomes professionnels, muwaqqit ou moqati, chargés d'effectuer les calculs et spécialisés dans la géométrie de la sphère[22]. La résolution mathématique de ce problème suppose en effet que l'on sache calculer le côté d'un triangle sphérique de lasphère céleste à partir de ses trois angles et des deux autres côtés ; pour trouver l'heure sidérale, par exemple, il faut savoir construire le triangle dont lessommets sont lezénith, lepôle nord, et la position du Soleil. L’observateur doit connaître l’ascension droite du Soleil et celle du pôle : la première peut être mesurée au sextant, et la seconde n'est autre que lalatitude de l’observateur. L'heure est donnée par l’angle entre leméridien (l’arc compris entre le zénith et le pôle) et le cercle horaire du Soleil (c’est-à-dire l’arc compris entre le Soleil et le pôle)[1].
L'astrologie astronomique repose sur l'idée que le mouvement des astres influe sur les événements et sur la vie des êtres humains. Selon ce point de vue, il est alors nécessaire de connaître la position des astres pour anticiper leurs effets, et donc de faire appel aux astronomes. Malgré l'interdit prononcé par la religion sur tout phénomène de divination, l'astrologie ne cessa pas d'être pratiquée dans le monde musulman[23]. Le désir des puissants de connaître l'avenir favorisa les programmes scientifiques d'observation des étoiles[23]. Ainsi, astronomie et astrologie furent pendant longtemps considérées comme des disciplines complémentaires[24] même si ces deux disciplines étaient en général exposées par un même auteur dans des traités différents[25]. Pour éviter d'être confondus avec les astrologues et de tomber sous le coup des interdits religieux, les astronomes donnèrent un nom spécifique à leur activité :Ilm al-Hay'a (ouScience de la configuration de l'univers)[24].
Si l'on trouve des défenseurs de l'astrologie commeAbou Ma'shar al-Balkhî, de nombreux astronomes critiquèrent cette discipline. Parmi eux, on peut citer l'astronomepersanal-Biruni auXIe siècle[26],al-Fârâbî[27],Alhazen[28],Avicenne[29],Averroès[27],Maïmonide[30] etIbn Qayyim al-Jawziyya[31].
La connaissance du ciel dans l’Arabie prémusulmane n’était qu’empirique : elle se limitait à une étude du lever et du coucher des astres pour découper l'année, étude qui se poursuivit d'ailleurs pendant la période islamique avec les méthodes mathématiques qui apparaissent alors[32]. Les débuts de l’astronomie ont procédé d'un cheminement semblable aux autres sciences dans l’islam, par l’assimilation de connaissances de l’étranger et la composition de ces éléments disparates pour faire naître une tradition originale. Les principaux apports sont d'abordindiens etperses, puisgrecs et ce sont ces derniers qui exercent l'influence la plus profonde[33]. Ils se répandent par destraductions et des commentaires.
L’historien des sciences Donald Routledge Hill[34] divise l'astronomie arabe en quatre périodes :
Cette période fut essentiellement marquée par une assimilation et unsyncrétisme des doctrines astronomiques hellénistiques,indiennes etperses antérieures.
Elle vit la traduction de plusieurs écritssanskrits etpehlevis enarabe. Des ouvrages d'Aryabhata etBrahmagupta sont cités très tôt par les astronomes arabes[35]. Une célèbre traduction due à la plume deMuhammad al-Fazari et de Yaqūb ibn Tāriq parut vers 777 sous le titre deZij al-Sindhind[36] (ouTables astronomiques indiennes). Les sources disponibles révèlent que ce texte fut traduit après la visite d'unastronome indien à la cour ducalifeAl Mansour en 770[37]. On trouve également dans des écrits arabes duVIIIe siècle des références à un recueil de chroniques astronomiques compilées sur deux siècles dans la Perse des Sassanides et connu en arabe sous le nom deZij al-Shah (ouTables Royales)[35]. Mais il s'agissait pour les traducteurs de présenter une simple compilation de connaissances sans vérification[37].
Des fragments de cette période témoignent de l’adoption par les Arabes destables de sinus (héritées desmathématiques indiennes) de préférence aux tables descordes employées par les astronomes grecs[33]. Autre héritage des Indiens, une formule approchée de l'heure saisonnière[38] adoptée par les astronomes arabes[39].
L’intérêt des Arabes pour l’astronomie a crû parallèlement à celui pour les mathématiques. De ce point de vue, le rôle joué par l’Almageste (composé vers l’an 150) de l’astronomealexandrinPtolémée (vers 100 - 178) fut exemplaire. L’Almageste a effectivement fait date en astronomie, rassemblant, à l’instar desÉléments d’Euclide pour la géométrie, toutes les connaissances contemporaines de leur auteur. Cet ouvrage, dont le titre original estLa composition mathématique, acquit au fil des siècles le titre d'usage deGrande Astronomie[40]. Les Arabes l’intitulèrent à leur tourLe Très Grand, ajoutant au superlatif grecmegiste (« Très Grand ») l’article défini arabeal- : ainsi l’ouvrage a-t-il été transmis à l’Occident latin sous le titre d’Almageste[41]. Bien qu'une grande partie de l’Almageste, se révéla inexact au fil du progrès des observations, il demeura un des piliers de l'enseignement de l’astronomie tant dans le monde musulman qu’enEurope jusqu'à larévolution copernicienne[42]. D'autres ouvrages de Ptolémée influencèrent l'astronomie arabe :Le livre des hypothèses,Le Phaesis etles Tables faciles. On trouve également des références à une série de textes grecs connus sous le nom de « petite collection astronomique » et regroupant des traités d'astronomie et de géométrie d'Euclide,Théodose de Tripoli,Autolycos de Pitane,Aristarque de Samos etMénélaos d'Alexandrie[35]. Une partie de cette science grecque parvint dans le monde arabe par des sources syriaques. Ainsi, al-Hasan ibn Quraysh traduisit l'Almageste du syriaque en arabe dans le courant duVIIIe siècle[43].
La période qui s'étend duIXe siècle au début duXIe siècle fut marquée par d'intenses recherches, à la suite desquelles on reconnut d'abord la supériorité dusystème de Ptolémée sur les autres, et où on lui apporta diverses précisions. La recherche astronomique étant vivement encouragée par lecalifeabbassideal-Ma’mūn,Bagdad etDamas devinrent des centres scientifiques majeurs. Non seulement les califes apportaient à ces travaux un soutien financier, mais ils conféraient aux savants un réel prestige[44].
Enastronomie d'observation, le premier ouvrage d’astronomie proprement musulman est leZij al-Sindh d’Al-Khawarizmi (830). Ce livre ouZij, un ensemble de tables donnant les positions successives du Soleil, de la Lune et des cinq planètes connues à l'époque, était une compilation de tables de sources indiennes avec lesTables faciles de Ptolémée[45]. Il fut un ouvrage de référence dans le monde arabe[46] et eut une influence dans l'Europe médiévale après sa traduction en latin auXIIe siècle parAdelard de Bath.
Sous l'impulsion d'Al-Ma’mūn (813-833), un grand programme d'observation des étoiles fut entrepris àDamas etBagdad[47]. Les mesures, obtenues grâce à de nouvelles méthodes d'observations[48], montrèrent un décalage entre leurs résultats et ceux de Ptolémée et conduisirent à un travail de reprise théorique de ces derniers[49]. Parmi les auteurs ayant travaillé dans l'équipe de savants réunis par Al-Ma'mum[50], on peut citerAlfraganus, Yahya Ibn Abi Mansour,Habash al Hasib, puisAl-Battani après la mort du calife, aux côtés desfrères Banou Moussa, et enfin, au siècle suivant,al-Sufi,ibn Yunus etal-Biruni.
Favorisée par la construction d'instruments de grande taille et la multiplicité des observations, la mesure de l'obliquité de l'écliptique entreprise parAlfraganus[51],Al-Battani[52] puisal-Khujandi, se précisa progressivement de23° 51′ pour Ptolémée à23° 32′ 19″ pour al-Khujandi à la fin duXe siècle[53].
Un autre problème préoccupa les premiers astronomes arabes concernant la durée de la course du soleil. Pour Ptolémée, le Soleil se déplaçait sur une orbite circulaire, dont le centre n'était pas la Terre (orbite excentrique), selon un mouvement uniforme et le temps qu'il mettait à revenir à son point de départ était constant, c'est ce qu'on appelle l'année anomalistique, l'année sidérale étant l'année qu'il met pour revenir à sa même position par rapport à une étoile fixe et l'année tropique le temps écoulé entre deux équinoxes de printemps par exemple. Ptolémée faisait coïncider l'année tropique et l'année anomalistique et l'avait fixée à 365 jours 14 h 48 min. L'année tropique et l'année sidérale sont de durées différentes à cause de laprécession des étoiles fixes. Les mesures et calculs effectués par les astronomes Alfraganus[51],Yahya Ibn Abi Mansur[14] et Al-Battani[52] conduisirent d'une part à corriger cette constante de précession de 36 secondes d'arc par an pour Ptolémée à 49,39 secondes d'arc pour leLivre sur l'année solaire (première moitié duIXe siècle) mais ils permirent aussi de mettre en évidence que l'année anomalistique correspondait, non pas à l'année tropique mais à l'année sidérale qui devint la durée de référence. Ils précisèrent en outre la durée de l'année sidérale et l'année tropique (resp. 365 jours 15h 23 min et 365 jours 14 h 32 min dans leLivre sur l'année solaire)[54].
Habash al Hasib étudia le problème de la visibilité du croissant de Lune, c'est-à-dire l'étude de l'instant où le croissant de Lune est visible juste avant le lever du soleil ou juste après son coucher[55]. Al-Battani mit en évidence la variabilité du diamètre apparent du Soleil et de la Lune, ce qui le conduisit à considérer comme possibles leséclipses annulaires, remettant ainsi en cause une affirmation de Ptolémée[52].
Ces deux siècles virent fleurir de nombreuses tables astronomiques ouzij. Elles reprenaient l'Almageste de Ptolémée, reconnaissant la valeur des méthodes géométriques employées et les modernisant à l'aide des nouvelles fonctions trigonométriques, sinus, cosinus, tangente (ou ombre) (Habash al Hasib[55]). Elles corrigeaient les valeurs numériques des tables grâce aux nouvelles séries de mesures effectuées.
Ainsi, entre 833 et 857,Alfraganus rédigeaKitab fi Jawani (« Compendium sur la science des astres », ou « Éléments d'astronomie » selon les traductions). C’était avant tout un abrégé de la cosmographie de Ptolémée, la présentant pour la première fois de manière plus descriptive que mathématique[56],[51]. Ce livre connut une large diffusion dans le monde musulman et eut une grande influence sur l'enseignement du système de Ptolémée. La traduction en latin parGérard de Crémone au douzième siècle desÉléments d'astronomie fut à la base du célèbre ouvrageLa Sphère deJohannes de Sacrobosco, qui connut plus de 200 éditions et servit d'ouvrage d'enseignement dans les universités européennes jusqu'au dix-septième siècle[51].
On peut également citerla Table Vérifiée (Al-Zij al-Mumtahan) d'Yahya Ibn Abi Mansour auIXe siècle dont les valeurs numériques servirent de référence pour les astronomes ultérieurs[57],les Tables de Damas (al-Zij al-dimashqi) d'Habash al Hasib pour son utilisation des fonctions trigonométriques, lesTables Sabeennes (al Zij al-Sabi) d'Al-Battani (Albatenius) (853-929) qui eut une grande influence sur l'astronomie au Moyen Âge occidental grâce à une traduction intégrale en latin dès leXIIe siècle[52], et laGrande Table Hakémite (al-Zij al-hakimi al-kabir), ouvrage monumental d'ibn Yunus (fin duXe siècle - début duXIe siècle) dont la précision des observations a été utilisée par les scientifiques modernes, après sa traduction auXIXe siècle, dans l'étude de l’accélération séculaire de la Lune[58].
AuXe siècle,al-Sufi décrivit grâce à ses observations la position, lamagnitude, la luminosité, et lacouleur desétoiles, dessinant les constellations une par une dans sonLivre des étoiles fixes (Kitab suwar al-kawakib al-thabita) (964). Ce livre très répandu en langue arabe fut traduit en latin à partir duXIIe siècle ce qui explique la consonance arabe actuelle de beaucoup de noms d'étoiles[59].
Parallèlement à cette astronomie appliquée se mit également en place une astronomie théorique visant à prouver mathématiquement le modèle de Ptolémée et expliquer les résultats des observations[60]. Les premiers outils mathématiques de cette astronomie théorique furent principalementLes sphériques deMénélaos d'Alexandrie et la trigonométrie indienne[61] ainsi que lesÉléments d'Euclide[62]. Un astronome mathématicien célèbre de la fin duIXe siècle estThābit ibn Qurra qui démontra mathématiquement que la vitesse apparente d'un astre décroit quand il s'éloigne de sonpérigée si l'on suppose que son mouvement est uniforme sur son excentrique[63]. Thābit ibn Qurra prouva également que le mouvement apparent coïncide avec le mouvement moyen si l'on considère deux points symétriques par rapport à l'axe passant par l'observateur et perpendiculaire à l'axepérigée-apogée. Il mit en pratique ce résultat pour étudier les mouvements de la Lune[64] et travailla également sur le problème de la visibilité du croissant de Lune[65],[66].
On a aussi longtemps attribué à Thabit ibn Qurra[67] une étude (Liber de motu octavae spherae) sur le phénomène de trépidation de la sphère céleste. L'auteur de cet ouvrage, observant les divergences entre les mesures de Ptolémée et les nouvelles mesures, concernant les valeurs de l'obliquité et de la précession, proposait un nouveau modèle dans lequel la valeur de l'écliptique et celle de la précession variaient de manière périodique. Ce modèle eut un succès certain dans le monde arabe et principalement dans l'école andalouse et cette théorie sur l'oscillation de l'écliptique passa en Europe médiévale sous le nom d'accès et recès[68].
Dès cette période, selonGeorge Saliba, on s'interrogea sur la validité des modèles proposés par les Anciens. Il existe ainsi un document que l'on peut, avec une certaine vraisemblance, attribuer à l’aîné desfrères Banou Moussa, démontrant mathématiquement l'inexistence d'une neuvième orbe censée expliquer le mouvement diurne des astres[69].
Au début duXIe siècle, l'astronomeal-Biruni fit un état des lieux des connaissances en astronomie de son époque dans sonal-Qanun al-Mas'udi (Les Tables dédiées àMas'ud), exposant toutes les hypothèses et les analysant[70]. C'est grâce à son ouvrageTahqiq ma li l-Hind (Enquête sur ce que possède l'Inde) que l'on a connaissance desthéories astronomiques indiennes d’Âryabhata,Brahmagupta et leurs disciples. Biruni y rapportait qu'ils considéraient que laTerre tournait autour de son axe polaire et y remarquait que cela n’entraînerait aucun problème sur le plan mathématique[71]. Al-Biruni connaissait également le modèlehéliocentrique d'Aristarque de Samos, mais il resta toute sa vie hésitant sur ce sujet, et finit par considérer l’héliocentrisme comme un problème philosophique[3] non contradictoire avec ses propres observations du ciel[72]. Dans sonCanon de Mas'ud, al-Biruni rejeta finalement l'hypothèse d'une rotation de la terre autour d'elle-même pour des arguments proches de ceux de Ptolémée concernant le vol des oiseaux[73],[74]. Selon Régis Morelon[70], son ouvrage clôt cette première période de l'astronomie arabe tout en restant globalement dans le cadre qu'en avait dressé Ptolémée.
Cette période voit l’éclosion d'une doctrine astronomique proprement musulmane. Dans la tradition grecque et celles qui la suivirent, on distinguait traditionnellement l'astronomie mathématique (dontPtolémée est un représentant typique) de la cosmologie, branche de la philosophie (représentée parAristote). Les savants musulmans recherchèrent une configuration physique (hay’a) de l’univers simultanément compatible avec les axiomesmathématiques et les principesphysiques. Dans le cadre de cettetradition hay’a, les astronomes musulmans mirent en cause les détails techniques dusystème de Ptolémée en astronomie[75]. Ces critiques, cependant, préservaient leparadigme ptolémaïque, en se confinant auxconceptions géocentriques[76]. Comme le note en effet l’historien des sciencesAbdelhamid I. Sabra :
« On sait que tous les astronomes arabes, deThābit ibn Qurra auIXe siècle àIbn al-Shatir auXIVe siècle, et tous les philosophes de la nature d’al-Kindi àAverroès et même après, ont accepté ce queKuhn appelle l’« univers à deux sphères »...—les Grecs se représentent le monde comme formé de deux sphères dont l'une, lasphère céleste, faite d'un élément particulier appelé « éther », entoure la seconde, où lesquatre éléments (terre, eau, air, et feu) sont confinés[77] ».
Certains astronomes musulmans, toutefois, notammentNasir ad-Din at-Tusi, se demandèrent si la Terre n’était pas elle-même en mouvement et recherchèrent comment rendre cette hypothèse compatible avec les calculs astronomiques et les principes cosmologiques[78]. Plusieurs autres astronomes musulmans, et particulièrement les disciples de l’École de Maragha, mirent au point des modèles planétaires, qui, tout en restant géocentriques, divergeaient de celui de Ptolémée : ils devaient plus tard être adaptés aumodèle de Copernic dans le cadre de l’héliocentrisme.
Le modèle astronomique proposé par Ptolémée rendait compte des irrégularités du mouvement des planètes (variation de la taille apparente, rétrogradation, vitesse non constante, variations en latitude..) à l'aide d'un système complexe de déférents parfois excentriques et épicycles sur lesquels se déplaçaient les planètes à vitesse considérée parfois comme constante non par rapport au centre du cercle définissant leur trajectoire mais par rapport à un autre point (équant, prosneuse)[79]. Ce modèle mis en place comportait des erreurs relevées au siècle précédent par la série de mesures entreprises. Il était également en contradiction avec certains principes communément admis (uniformité du mouvement par rapport au centre des sphères, impossibilité du glissement du diamètre d'une sphère hors de son centre, existence dans l'espace des seuls mouvements rectilignes et circulaires à l'exclusion des mouvements d'oscillations…)[80].Ibn al-Haytham (Alhazen) entreprit donc au début deXIe siècle une lecture critique des deux ouvrages de Ptolémée (l’Almageste etLe livre des hypothèses), y releva des contradictions internes et mit en doute la possibilité d'une réalité physique du modèle[81]. Selon lui, le modèle de Ptolémée faisait appel à des points, lignes et cercles imaginaires incompatibles avec le monde physique :« Ptolémée fait l'hypothèse d’un ordre qui ne peut exister, et le fait que cet ordre reconstitue pour son imagination des mouvements qui sont ceux des planètes ne l’exonère pas de l'erreur qu’il a commise en faisant l’hypothèse de cet ordre ; car les mouvements réels des planètes ne peuvent résulter d’un ordre qui n'existe pas[82]. ».
En 1070,Abu Ubayd al-Juzjani, un disciple d’Avicenne, proposa un modèle non-ptolémaïque dans son traitéTarkib al-Aflak. Dans ce livre, il formulait le problème dit de l’équant du modèle de Ptolémée, et y proposait une solution. Il affirmait qu’Avicenne avait lui-même résolu le problème de l’équant[83].
La critique d'Alhazenal-Shuluk 'ala Batlamiyus (Doutes sur Ptolémée), le traité d'al-JuzjaniTarkib al-aflak (Composition des orbes) ainsi que l'ouvrage d'un auteur anonyme andalousal-Istidrak 'ala Batlamiyus (Critique de Ptolémée) furent pris très au sérieux par les astronomes postérieurs qui tentèrent de trouver des modèles de remplacement. Deux écoles en particulier proposèrent des alternatives au modèle de Ptolémée : l'école andalouse et l'école deMaragha[84].
Une activité astronomique se développa dans la péninsule ibérique dès leXe siècle avec des astronomes commeMaslama al-Mayriti qui adapta les tables d'al-Khwarismi et fonda uneécole d'astronomie àCordoue[85], ainsi qu'Ibn al-Saffar et Ibn al-Samh connus pour leurs études sur l'astrolabe et les cadrans solaires[86]. Un des plus importants astronomes duXIe siècle futal-Zarqalluh (Arzachel) qui participa à la création desTables de Tolède commencées sous la direction du qadiSaïd al-Andalusî[87]. Dans son traité sur leMouvement des étoiles fixes, que l'on connait dans une version hébraïque, il proposa un modèle solaire fondé sur une excentrique mobile capable d'expliquer le phénomène de trépidation[88].
Au tournant desXIe et XIIe siècles, des astronomes d’al-Andalus relevèrent le défi d’Alhazen, à savoir développer un modèle de sphères qui éviterait les erreurs dumodèle de Ptolémée qu'il avait relevées[89]. Comme la critique d’Alhazen, l'ouvrage anonyme andalous intituléal-Istidrak ala Batlamyus (Récapitulation de Ptolémée) comportait une liste des objections à Ptolémée. C’est le point de départ de lacontroverse andalouse sur l'astronomie de Ptolémée[90].
Les critiques et les remises en question se firent à partir de positions ptoléméennes ou aristotéliciennes. Dans le premier groupe, en astronomie mathématique orthodoxe, on peut placerJabir Ibn Aflah dont l'ouvrageIslah al-Majisti (Correction de l'Almageste) est connu en Europe grâce à la traduction en latin de Gérard de Crémone et deux traductions hébraïques. Sa partie trigonométrique est considérée comme la source duDe triangularis deRegiomontanus[91]. Dans cet ouvrage Jabir b. Aflah remettait notamment en question les positions des planètes inférieures par rapport au soleil[92].
L'autre courant fut dominé par des philosophes aristotéliciens commeIbn Rushd (Averroès),Maïmonide, ibn Bajjia etIbn Tufayl qui étaient partisans d'un respect absolu à la physique d'Aristote n'admettant que trois espèces de mouvements : centrifuges, centripètes et circulaires[91]. La solution fut alors recherchée dans des modèles concentriques.
AinsiAverroès rejetait la théorie descercles déférents proposée en son temps parPtolémée, tout comme il repoussait lemodèle ptolémaïque : il était partisan du modèle d’univers concentrique d'Aristote[93]. Il écrivit sur le système planétaire de Ptolémée la critique suivante[1] :
« Il est contraire à la Nature de supposer l’existence d'une sphère excentrique ou d'un épicycle. [...] L’astronomie contemporaine ne nous présente aucune vérité, elle n'est conforme qu’à des calculs, non à la réalité. »
Contemporain d’Averroès,Maïmonide, écrivit à propos du modèle planétaire d’Avempace (Abu Bakr) :
« J’ai entendu dire qu’Abu Bakr [Avempace] avait découvert un système où il n'y a plus d’épicycles, mais il n’en a pas exclu les sphères excentriques. Ses disciples ne me l’ont pas dit ; et même s’il est vrai qu’il ait découvert un tel système, il n’y a pas gagné grand chose, car l’excentricité est tout aussi contraire aux principes posés par Aristote.... Je t’ai expliqué que ces difficultés ne concernent pas l’astronome, car il ne prétend pas enseigner les propriétés véritables des sphères, mais de simplement suggérer une théorie, exacte ou non, dans laquelle le mouvement desétoiles et des planètes est uniforme et circulaire, et en accord avec l’observation[94]. »
Selon Juan Vernet et Julio Samso,Alpetragius (Al-Bitruji) est le seul de cette école aristotélicienne à proposer un modèle homocentrique relativement abouti[95]. Ces systèmes planétaires, cependant, furent rejetés car les prédictions des positions des planètes étaient moins précises qu’avec le modèle de Ptolémée[96], essentiellement parce qu’ils s’en tenaient au dogme d’Aristote de mouvement circulaire parfait.
Le terme d'École deMaragha est souvent donné au mouvement de critique radicale de l’astronomie ptolémaïque dans la partie orientale du monde musulman et fait référence à l'observatoire de Maragha qui regroupa un grand nombre d'astronomes mais, selon Ahmad Dallal[97], ce mouvement a commencé avant l'établissement de l'observatoire et l'école de Maragha concerne une zone géographique plus large[98]. Ce mouvement se poursuit avec l'œuvre des astronomes deDamas et deSamarcande.
Comme leurs prédécesseurs d’Andalousie, les astronomes de Maragha recherchèrent des modèles alternatifs qui soient cohérents d'un point de vue mathématique aussi bien que physique[99] et qui puissent éventuellement se passer du principe de l’équant[100]. Les astronomes les plus éminents de l’École de Maragha duXIIIe et XIVe siècles sontMu'ayyad al-Din al-'Urdi (m. 1266),al-Tūsī (1201-1274),Najm al-Dīn al-Qazwīnī al-Kātibī (en) (m. 1276),al-Shirazi (1236-1311), Sadr al-Shariʿa (m. vers 1347) etIbn al-Shatir (1304-1375).
À la différence des astronomes grecs qui se préoccupaient peu de la cohérence entre les axiomes mathématiques et les principes physiques du mouvement des planètes, les astronomes musulmans s’efforçaient d'adapter les mathématiques au monde qui les entourait[101] en respectant les principes de la physique aristotélicienne. Cette exigence et les travaux qui en ont découlé fait que l'on on a pu qualifier leurs réalisations auxXIIIe et XIVe siècles de « Révolution Maragha », ou « Révolution de l’École de Maragha », ou encore une « Révolution scientifique antérieure à laRenaissance ».
Pour construire leurs nouveaux modèles planétaires, ils utilisèrent deux résultats mathématiques. Le premier est un critère de parallélisme, le lemme d'Urdi[102], démontré par l'astronomeMu'ayyad al-Din al-'Urdi. Le second est le principe ducouple d'Al-Tusi qui permet d'expliquer une oscillation rectiligne à l'aide de mouvements circulaires. Ce théorème révolutionne en outre la physique aristotélicienne qui distinguait les mouvements sublunaires (rectilignes) des mouvements célestes (circulaires) en montrant qu’on peut engendrer un mouvement rectiligne uniquement à partir demouvements circulaires[103].
Les modèles proposés par les astronomes Mu'ayyad al-Din al-'Urdi,al-Tūsī,al-Shirazi, Sadr al-Shariʿa et Ibn al-Shatir, concernant les mouvements du soleil, de la lune, des planètes inférieures et des planètes supérieures[104], permettaient de rendre compte des mouvements des planètes sans utiliser l'artifice de l'équant ou de la prosneuse. Ces modèles présentaient parfois une meilleure adéquation avec les mesures effectuées comme le modèle solaire d'Ibn al-Shatir[105] et rendaient parfois mieux compte des problèmes de variations en latitude[106].
On retrouve dans les modèles de Copernic l'utilisation des deux outils que sont le lemme d'Urdi et le couple al-Tusi sans démonstration. Il existe également des ressemblances troublantes, hormis le fait que les modèles de Copernic sont héliocentriques contrairement à ceux de l'école de Maragha, entre les modèles de Saturne[107], de Mercure[103], et de la Lune[108] pour Copernic et Ibn-al-Shatir. À tel point que de nombreux historiens comme Saliba[108] et Ragep[109], des spécialistes de Copernic commeSwerdlow etNeugebauer[110] sont convaincus qu'une influence existe entre l'école de Maragha et Copernic et qu'il ne reste plus qu'à trouver par quel biais. D'autres historiens, comme M. di Bono, restent plus prudents, soulignent l'absence de preuve d'une transmission directe et émettent l'hypothèse que Copernic travaillant dans la même direction, avec les mêmes objectifs que les astronomes de Maragha aurait très bien pu trouver logiquement les mêmes outils pour y parvenir[111].
Un thème d’intenses débats à l’École de Maragha, et plus tard dans les observatoires deSamarcande et deConstantinople, était l'éventualité de larotation de la Terre. Al-Tusi affirma ainsi que l'observation seule ne permettait pas de déterminer si la terre était immobile ou non, contrairement à une affirmation de Ptolémée mais se résolut finalement à la considérer comme immobile en vertu d'un principe philosophique selon lequel un mouvement de la terre ne pourrait être que rectiligne et non circulaire[112]. Un de ses disciples,Qotb al-Din Chirazi, s'intéressa également au problème. Il émit l'hypothèse que la terre en tournant pourrait aussi entrainer l'air à la même vitesse, mais pensant que des objets de poids différents devraient avoir des vitesses différentes et n'observant rien de tel dans la réalité, se convainquit que la terre était immobile[113].
Le travail sur les tables se poursuivit avec l'édition desTables ilkhaniennes paral-Tūsī qui n'offrent cependant rien de neuf par rapport aux autres tables[114].
On considère cette période comme marquée par une stagnation : la pratique traditionnelle de l’astronomie dans le monde musulman reste soutenue, mais par comparaison aux siècles précédents et surtout le monde extérieur, l’innovation se tarit assez vite[33]. Si pour la plupart des chercheurs il n'y a plus de progrès marquant durant cette période, quelques historiens ont récemment fait valoir que des innovations interviennent encore auXVIe siècle et même plus tard[115],[116]. Quoi qu’il en soit, après leXVIe siècle, il semble bien que l’intérêt pour l’astronomie théorique soit éteint, tandis qu'au contraire la pratique de l’astronomie d'observation selon la tradition arabe reste soutenue dans les trois empires musulmans de lapoudre à canon : l’Empire ottoman, lesSéfévides de Perse, et l’Empire moghol en Inde.
L’œuvre d’Ali Qushji (mort en 1474), qui vécut d'abord àSamarcande puis àConstantinople, est considérée comme un exemple de renouveau tardif de l’astronomie arabe et l'on estime qu'il a pu exercer une influence surNicolas Copernic du fait de la similitude d’arguments des deux auteurs sur la possibilité de larotation de la Terre. Avant Ali Qushji, le seul astronome qui avait présenté unargument empirique en faveur de la rotation de la Terre étaitNasir ad-Din at-Tusi (mort en 1274) : il s'appuyait sur le phénomène descomètes pour réfuter la thèse dePtolémée selon laquelle on peut prouver par la seule observation que la Terre est immobile. Al-Tusi, cela dit, convenait que la Terre était immobile en se référant aux arguments dephilosophie naturelle duTraité du Ciel d’Aristote. AuXVe siècle, les oppositions religieuses mirent un frein à l’influence de laphysique et de la philosophie naturelle. Ainsi Al-Qushji, dans son pamphletSur le caractère prétendument subalterne de l’Astronomie par rapport à la Philosophie, dénonçait la physique d’Aristote et dut séparer entièrement la philosophie de l’astronomie, pour permettre à cette dernière de s’épanouir en tant que discipline empirique et mathématique. Il put ainsi examiner les alternatives audogme aristotélicien de la Terre immobile. Il développa la thèse d’al-Tusi et conclut, se fondant davantage sur l’expérience que sur la philosophie spéculative, que la théorie d'une Terre en mouvement est tout aussi plausible que celle de la Terre immobile, et qu’il est impossible de discriminerempiriquement si l'une de ces deux thèses est vraie[117],[115],[118].
AuXVIe siècle, le débat sur le mouvement de la Terre fut relancé paral-Birjandi (en) (mort en 1528) qui, se demandant quels phénomènes devraient accompagner la rotation de la Terre, en vient à formuler une hypothèse similaire à l’inertie de rotation deGalilée[119], qu'il évoque (en réponse à une objection deQutb al-Din al-Shirazi) à propos de l'observation suivante :
« Le rocher, grand ou petit, tombe vers la Terre selon une ligne perpendiculaire au plan (sath) de l’horizon ; l'expérience (tajriba) en témoigne. Et cette perpendiculaire s'écarte du point de tangence de la sphère de la Terre et du plan de l’horizon apparent (hissi). Ce point suit le mouvement de la Terre et c'est pourquoi il n'y a pas de différence quant au point de chute des deux rochers[120]. »
On pensait jusqu'à la fin duXXe siècle que les progrès des astronomes arabes dans la théorique des planètes avaient pris fin avec l'œuvre d’Ibn al-Shatir auXIVe siècle, mais de nouvelles recherches ont mis en lumière les découvertes remarquables accomplies jusqu'auXVIe siècle, notamment à la suite des travaux deGeorge Saliba surShams al-Din al-Khafri (en) (mort en 1550), unglossateurséfévide des écrits desastronomes de Maragha. Saliba écrit à propos d’al-Khafri :
« Par sa perception claire du rôle des mathématiques dans la description des phénomènes naturels, cet astronome réussit à porter la tradition hay’a à des sommets inégalés ailleurs, au plan mathématique comme au plan astronomique. La recherche de modèles mathématiques pouvant supplanter celui de Ptolémée, et l'examen des œuvres de ses prédécesseurs tous en quête d'un modèle mathématique unifié à même de rendre compte de tous les phénomènes physiques, lui firent conclure que toute modélisation mathématique n’a pas par elle-même de sens physique, et qu’elle n’est qu'un langage parmi d'autres pour décrire la réalité physique. Il se persuada également que les phénomènes décrits par les modèles ptoléméens n’admettent pas de solution mathématique unique soumise aux mêmes contraintes ; qu’au contraire il existe plusieurs modèles mathématiques capables de rendre compte des observations de Ptolémée ; qu’ils aboutissent aux mêmes prévisions sur les points critiques que Ptolémée avait retenus pour construire ses propres modèles (et qu’ainsi ils ne rendent pas mieux compte des observations que Ptolémée) tout en respectant les conditions imposées par la cosmologie aristotélicienne, admise par les auteurs de la traditionhay’a[116]. »
Ali al-Qushji améliora aussi le modèle planétaire d’al-Tusi et proposa une alternative au modèle de l'orbite deMercure[121].
On fit venir enChine sous ladynastie Yuan des astronomes musulmans pour y perfectionner le calendrier et enrichir l'astronomie. Au cours du règne deKubilaï Khan, desIraniens vinrent construire unobservatoire et un institut d'études astronomiques àPékin[122]. Un astronome persan,Djamal ad-Din, offrit en1267 à Kubilaï Khan un coffret de sept instruments astronomiques, comprenant unglobe et unesphère armillaire[123]. On sait par ailleurs que plusieurs astronomes chinois travaillaient à l’observatoire de Maragha, en Perse. SelonBenno van Dalen, cependant, l'influence directe de l'astronomie arabe sur l'astronomie chinoise semble avoir été limitée[124].
Un astronome musulman célèbre duXVIe siècle, l’OttomanTaqi al-Din fit construire en 1577 l’observatoire de Constantinople, où il put observer le ciel jusqu’en 1580. Il dressa des tables malheureusement incomplètesal-Zīj al-Shāhinshāhī, ses caractéristiques de l'orbite apparente du soleil sont plus précises que celles deNicolas Copernic et deTycho Brahe[126]. Al-Din contribua aussi au développement de l'écriture enfractions décimales en l'utilisant dans ses travaux, en particulier dans ses tables trigonométriquesKharīdat al-Durar (ouPerle intacte)[127]. Il inventa aussi entre 1556 et 1580 de nombreux instruments astronomiques, parmi lesquels de très préciseshorloges astronomiques.
À la destruction de l’observatoire de Constantinople sur ordre du sultanMourad III[128] en 1580, l’activité astronomique stagna dans l’Empire ottoman, jusqu’à l’introduction de laRévolution copernicienne en 1660, avec la traduction par l'érudit ottoman Ibrahim Efendi al-Zigetvari Tezkireci en arabe de laNouvelle théorie des planètes deNoël Duret (publiée en 1635)[129].
L'astronomie indienne fit connaissance avec l'astronomie arabe auXIe siècle lors de l'invasion de son territoire par le nord-ouest mais son assimilation par la culture hindoue fut lente[130]. Ainsi le premier traité sur l'astrolabe date de 1370 écrit par Mahendra Suri[130]. Des tables venant de l'extérieur des frontières furent recopiées en Inde. Au milieu duXVIe siècle, l'épanouissement de l'empire moghol attira un grand nombre d'érudits qui apportèrent avec eux des écrits astronomiques en persan et en arabe. Des observations furent entreprises sur le sol indien mais sous une forme individuelle et désorganisée et aucun observatoire astronomique ne fut construit durant la période Moghol[130]. On note cependant durant le règne d'Akbar puis celui deShâh Jahân des créations de tables mettant à jour lesTables sultaniennes d'Ulugh Beg[130] et l'intérêt d'Humayun pour l'astronomie était évident. On rapporte qu'il conduisait lui-même ses propres observations[130] et envisageait la construction d'un grand observatoire[131]. Sous son règne se développa àLahore un grand centre de construction d'instruments (astrolabes, sphères célestes) qui perdura jusqu'auXIXe siècle[132]. On voit apparaître, à partir duXVIIe siècle, dans des textes ensanskrit, des termes astrologiques arabes ou persans et des éléments de tables astronomiques arabes[130].
Après le déclin de l'Empire moghol, c'est un roi hindou,Jai Singh II d’Ambre, qui entreprit de faire renaître la tradition astronomique arabe dans son royaume. Au début duXVIIIe siècle, il fit édifier plusieurs grands observatoires dont celui deYantra Mandir. Il y fit construire de très grands instruments d'observations en maçonnerie et en pierre, dont certains sont des innovations de Jai Singh lui-même[133]. Son objectif principal était l'observation du Soleil et de la Lune[134] et la mise à jour des tables sultaniennes. Dans ces observatoires, travaillaient des astronomes indiens, des astronomes arabes[135], mais aussi des astronomes européensjésuites. Curieux de découvrir l'astronomie européenne, Jai Singh finança même une expédition en Europe (1727-1730) mais la délégation ne lui rapporta duPortugal ni les mesures deTycho Brahe, ni les théories deNicolas Copernic etIsaac Newton, mais seulement des tables dePhilippe de La Hire[135] datant du siècle précédent et dans lesquelles Jai Singh remarqua quelques erreurs[136]. Les tables qu'il produisit, dédicacées à l'empereurMuhammad Shâh et connues sous le nom deZīj-i Muhammad Shāhī, furent utilisées pendant près de 150 ans[135].
L’occident médiéval prit connaissance de l’astronomie arabe par son contact avec l’Al-Andalus et la Sicile, et par le biais de traductions d’ouvrages arabes en latin et en hébreu. Dès la fin duXe siècle, l’usage et la description des instruments arabes, et en particulier de l’astrolabe, étaient connus dans le monde occidental par les traductions de traités les concernant (Llobet de Barcelone,Gerbert d'Aurillac,Hermann le boiteux)[137].
Une seconde vague de traduction auXIIe siècle permit de faire connaître au monde occidental les tables et l’astronomie théorique. l’Almageste fut traduit de l’arabe en latin en 1143 parHerman le Dalmate, les tables d’al-Khwarismi vers 1126 parAdélard de Bath, celles d’al-Battani (ou Albatenius) parRobert de Chester[138]. Mais ce sont surtout les œuvres d’al-Zarqalluh (ou Azarchel), utilisées par Raymond de Marseille avant 1141 puis traduites parGérard de Crémone, sous le nom deTables de Tolède qui eurent une grande influence sur le monde occidental jusqu'à ce qu'elles soient supplantées par lesTables alphonsines[139]. Grâce à elles, le monde latin médiéval prit conscience que les tables nécessitaient de constantes corrections et que le modèle ptoléméen était imparfait. On y trouvait également un exemplaire duLiber de Motu attribué àThabit ibn Qurra qui expliquait le phénomène d'oscillation des équinoxes[140]. Un nouveau type de textes astronomiques,Theoricae planetarum, inspirés des œuvres d'al-Farghani (ou Alfraganus), al-Khwarismi et Thabit ibn Qurra vit le jour auXIIe et XIIIe siècles. Parmi celles-ci on peut citer laTheorica planetarum Gerardi et surtout laTheorica planetarum deCampanus de Novare qui fut étudiée dans les universités jusqu'auXIVe siècle[141].
AuXIIIe siècle les traductions, parMichael Scot, des œuvres d’Ibn-Rusd (ouAverroès) ouvrirent la voie à une remise en question des fondements en astronomie[142]. Elles mirent en évidence le rationalisme qui se dessinait dans la science arabe, ce rationalisme entra en conflit avec la penséeaugustienne et favorisa un renouveau dans les écoles de pensée dontThomas d'Aquin etSiger de Brabant furent des représentants[143]. Le modèle d’al-Bitruji (ou Alpetragius) fut analysé, critiqué puis rejeté au profit d’une théorie planétaire plus ptoléméenne issue d’un ouvrage attribué à Ibn al-Haytham (ouAlhazen). Soutenu parRoger Bacon, cette théorie planétaire eut de nombreux défenseurs parmi lesquels on trouveGeorge Peurbach dont lesTheorica novae planetarum publiées en 1454 servirent de références jusqu'àTycho Brahe[144].
Le grand mérite deNicolas Copernic est d’avoir, avec son modèle héliocentrique grandement simplifié les modèles planétaires. Il prit connaissance des travaux d'al-Battani et Azarchel grâce à l'Epitome in Almagestum Ptolemae commencé par George Peurbach et achevé parRegiomontanus. C’est de ces écrits qu'il s'inspire pour résoudre les problèmes d’irrégularités dans le mouvement de la terre et des planètes (variation de l'excentricité, trépidation des équinoxes, variation en latitude…)[145]. Quant à l’influence que l’école de Maragha aurait eu sur ses modèles planétaires, elle est encore à l’étude[146].
On peut dater la fin de l’influence de l’astronomie arabe sur l’occident latin à la parution duDe revolutionibus de Copernic en 1543. Les observations de Tycho Brahe rendirent caduques toutes les tables antérieures. Toute trace du système ptoléméen disparut avec le modèle planétaire proposé parJohannes Kepler[147].
Lesnoms traditionnels des étoiles des langues européennes sont encore largement utilisés, bien que concurrencés par le système dedésignation de Bayer, or beaucoup de ces noms sont issus de transcriptions de l'arabe réalisées au Moyen Âge[148]. Cependant moins du tiers d'entre eux ont pour origine la péninsule arabique, celle des autres étant grecque, ou moyen-orientale[149]. L'origine n'est toutefois pas toujours facile à reconstituer, car ces noms ont été parfois fort mal transcrits de l'arabe vers le latin, et dans certains cas de façons divergentes[149]. Des lettres ont pu être confondues, certains érudits commeJohann Bayer ouJoseph Scaliger n'ont parfois pas hésité à déformer les noms, pour mieux coller à une étymologie erronée qu'ils avaient cru reconstituer[150], et des erreurs d'attribution ont été commises[151].
Les noms eux-mêmes peuvent faire référence à celui desconstellations. Celles-ci et leurs dénominations ont été transmises par les Grecs mais étaient souvent d'origine beaucoup plus ancienne, héritées dessumériens et de leurs successeursakkadiens etbabyloniens[149]. La tradition astronomique grecque comme la tradition arabe préislamique ont été toutes deux influencées par celle des peuples de l'ancienneMésopotamie. Aussi même s'il n'y avait aucun contact entre Grecs et Arabes avant la période islamique, on peut observer des rapprochements dans les noms, qui ne témoignent que de racines communes[151].
À côté de noms d'étoiles dont l'origine est directement gréco-latine, il est possible d'en distinguer un groupe important qui sont transcrits de l'arabe, ces noms arabes étant eux-mêmes des traductions des noms grecs de l'Almageste dePtolémée. Les étoiles sont souvent nommées par celui-ci en référence à une partie de leur constellation[152], commeDeneb deDhanab ad-Dajājah, la queue de la poule[153], terme que l'on retrouve pour plusieurs autres étoiles commeDeneb Algedi (δ Capricorni), la queue de la chèvre. On a aussi Alpheratz ou Sirrah (α Andromedae), le nombril du cheval, et bien d'autres[152].
Cependant d'autres étoiles ont un nom dont l'origine arabe précède les traductions de Ptolémée et l'influence grecque, ainsiVéga,al-nasr al-wāqiʾ (l'aigle ou le vautour) plongeant,Altaïral-nasr al-taʾir, (l'aigle ou le vautour) en vol,Aldébaran, le suiveur (desPléiades),Bételgeuse, à l'origineyad al-jawzāʾ, la main d'Orion, et dont la mauvaise transcription (un b pour un y) est renforcée par une reconstruction étymologique inventée par Scaliger[154], et là aussi bien d'autres[155].
L'observation des étoiles dans le monde arabe médiéval a pris plusieurs formes. Certaines étaient le fait d'individus dotés de quelques instruments, on parle alors d'observatoires privés. D'autres étaient effectuées dans le cadre d'un programme d'étude, financé par un prince et comportaient une équipe et un directeur. Une telle structure est, selon Aydin Sayill, un produit de la culture islamique[156]. Les observations s'effectuaient à l’œil nu et les instruments utilisés dans les premiers temps étaient semblables à ceux de Ptolémée, elles ne nécessitaient donc pas de construction en dur. Progressivement, la taille des instruments augmentant, la nécessité de construire des bâtiments spécifiques s'est fait sentir.
Les observations astronomiques ont commencé dès leVIIIe siècle puisqueIbn Yunus rapporte l'existence de telles observations àGundishapur avant 790[157] mais le premier programme d'observations est celui financé par le califeAl-Ma’mūn à la fin de son règne (vers 830). Elles furent effectuées àBagdad dans le quartier de Shammāsiyya et au mont Qāsīyūn près deDamas. On sait peu de chose sur ces deux observatoires sauf qu'ils possédaient des directeurs de recherche, une équipe d'astronomes et qu'ils utilisaient des instruments de grande taille[158]. Il n'y a aucune mention de construction de bâtiments spécifiques[159].
AuXe siècle, la dynastie desBouyides encouragea de grands projets, utilisant des appareils de grandes tailles nécessitant la construction de bâtiments en dur àRayy sous le règne deFahkr al-Dawla oùal-Khujandi réalisa un grand sextant pour des observations solaires, àIspahan oùal-Sufi observa les étoiles fixes, à Bagdad, dans le palais royal deCharaf ad-Dawla Chirzil où les astronomesal-Quhi etAbu l-Wafa entreprirent un programme d'observations des étoiles[160]. On se trouve ici en présence des trois composantes : bâtiments, programme, équipe.
AuXIe siècle,Malik ShahIer institua un grand observatoire, sans doute àIspahan qui fonctionna durant 18 ans[161]. C'est là qu’Omar Khayyam et ses collaborateurs construisirent leurs tables et promulguèrent leCalendrier solaire persan, également appelécalendrier jalali[162].
Parallèlement à ces observations institutionnelles les observations privées furent également très nombreuses à Bagdad, Damas,Samarra,Nishapur[163],Raqqa, oùAl-Battani observa les étoiles pendant trente ans et auCaire (Ibn Yunus)[160]. En Occident musulman, il n'y a pas trace de programme d'observations suivies, seuls semblent exister des observatoires privés (al-Majriti etAl-Zarqalluh)[164], et il semble que la tourGiralda de Séville ait été utilisée[165].
Les observatoires les plus réputés, cependant, ne furent établis qu'à partir du début duXIIIe siècle. En 1259,Houlagou Khan finança la construction de l’observatoire de Maragha etal-Tusi en fut le premier directeur[166]. Cet observatoire bénéficiait de revenus propres pour son entretien et survécut ainsi à la mort d'Houlagou Khan. Outre les bâtiments d'observations et les divers instruments, il comportait une grande bibliothèque et une fonderie pour les instruments en cuivre[167]. Certains des meilleurs astronomes de l'époque s'y sont rendus, et leur collaboration a débouché pendant 50 ans sur d'importantes modifications successives au modèle de Ptolémée. Les observations d’al-Tusi et de son équipe ont été rassemblées par écrit dans les tables intituléesZij-i Ilkhani. On a trace de son activité jusqu'en 1316. Il servit de modèle pour les grands observatoires ultérieurs[167].
Parmi-ceux-ci on compte legrand observatoire deSamarcande construit en 1420 par le princeUlugh Beg, lui-même astronome et mathématicien, où travaillaAl-Kachi, legrand observatoire d'Istanbul construit parTaqi al-Din en 1577 et les observatoires du princeJai Singh II en Inde auXVIIe siècle dont leYantra Mandir[164].
Le matériel astronomique utilisé par le mode arabe médiéval est pour la plupart issu de l'astronomie grecque dans laquelle on trouve des références à lasphère armillaire, les anneaux équinoxiaux ou méridiens, lesrègles parallactiques (en), lequadrantmural (en), lasphère céleste, lescadrans solaires, leséquatoires. Le monde musulman en prit connaissance par le biais de traités mais aussi probablement par une tradition de facteurs d'instruments[158].
Nos connaissances sur les instruments utilisés ou fabriqués par les astronomes musulmans du Moyen Âge nous viennent essentiellement de deux sources : d’une part les instruments conservés dans les collections privées et des musées, d’autre part les copies de traités et les manuscrits du Moyen Âge parvenus jusqu'à nous.
Les musulmans tout en perfectionnant les instruments des Grecs et Chaldéens en y adjoignant de nouvelles échelles, inventèrent un arsenal de variations sur ces outils d'observation. Beaucoup de ces instruments ont été imaginés ou construits pour les besoins du culte, comme la détermination de la qibla (direction de La Mecque) ou de l’heure des Salah, ou pour celui de l'astrologie.
L'astrolabe est l'instrument emblématique de l'astronomie arabe[168]. Son nomasturlab est une arabisation du mot grecastrolabon, ce qui rappelle l'origine grecque de cet instrument mais c'est le monde arabe médiéval qui en popularisa l'usage tout en le modernisant. Le plus ancien astrolabe encore présent auXXIe siècle date de la fin duVIIIe siècle ou débutIXe siècle[169] mais les chroniques arabes attribuent àal-Fazari la construction des premiers astrolabes du monde musulman et signalent que ces premiers instruments furent fabriqués dans la ville deHarran avant que la construction ne s'en répandit dans tout le monde musulman[170]. Fabriqués pour la plupart en laiton, ils demandaient un travail d'artisans-experts et coûtaient relativement chers[171]. Être capable de fabriquer de tels instruments procurait un tel prestige que ces artisans ajoutaient parfois à leur nom le surnom deal-Asturlabi (facteur d'astrolabes)[171].
Cet instrument, fondé sur le principe de la projection de la sphère céleste et de la course du soleil, permettait entre autres choses[172], de déterminer l'heure locale grâce à la mesure de la hauteur d'un astre, de mesurer la hauteur d'un bâtiment, déterminer l'heure du lever ou du coucher des astres, etc. Il en exista une grande variété.
L'astrolabe planisphérique simple ne pouvait être utilisé qu'à une latitude déterminée. L'adjonction de plaques ou tympans supplémentaires permettait un usage dans d'autres latitudes. Le revers de l'astrolabe était utilisé pour présenter d'autres outils (quadrant à sinus, indicateur de Qibla, carré à ombres, calendrier solaire et lunaire, équatoire…). On pouvait y faire figurer les heures des prières, des renseignements astrologiques, la mère (sous les tympans) pouvait aussi comporter des informations comme la longitude et la latitude d'un certain nombre de villes[173].
L'astrolabe universel pouvait être utilisé à plusieurs latitudes. Il demandait que les projections se fasse sur un plan spécial. Le principe semble apparaître pour la première fois dans un traité d'al-Biruni mais ce sont deux astronomes de Tolède,Ali Ibn Khalaf etal-Zarqalluh (Azarchel) qui sont les créateurs des premiers modèles auXIe siècle. Ibn Khalaf est le créateur de l'instrument connu dans l'Occident latin sous le nom de «Lamina universelle» et al-Zarqalluh le créateur d'instruments connus sous le nom latin de « Saphae » (Safiha shakkaziyya ou Safiha al-zarqalliyya)[174],[175].
L'astrolabe sphérique semble être une invention arabe mais aurait eu plus un rôle d'objet de démonstration que d'objet utilitaire. Il était connu dans le monde arabe au moins dès leXe siècle[176].
Il existait en outre une grande tradition de recherche et d'invention concernant les astrolabes. Beaucoup d'entre eux ne figurent que dans des traités et ne semblent pas avoir donné lieu à une fabrication ou du moins leur usage fut très limité[177]. On peut citer ainsi l'astrolabe «melon» qui correspond à une projection passant par un pôle[178], l'astrolabe créé selon une projection orthogonale[179], l'astrolabe construit sur le principe que la terre tourne sur elle-même, imaginé, selon al-Biruni, parAl-Sijzi[180], l'astrolabe linéaire ou bâton d'al-Tusi[181].
On regroupe sous ce vocable un grand nombre d'instruments en forme de quart de cercle. À côté du quadrant mural de l'astronomie grecque, on trouve de nombreux instruments portatifs mis au point par le monde arabe.
Le quadrant simple est un instrument de visée permettant de déterminer la hauteur d'un astre : lorsque le bord du quadrant est aligné avec l'astre, le fil à plomb permet de déterminer sa hauteur. Sur la plaque du quart de cercle, on peut graver un système de lignes qui transforme l'instrument ennomogramme[182].
Le quadrant à sinus possède une plaque gravée de lignes trigonométriques (quadrillage permettant de lire facilement le sinus et le cosinus d'une série d'angles). Il apparait au début duIXe siècle et son invention est attribuée àal-Khwarismi[183]. Il permet de résoudre des problèmes trigonométriques tel que la recherche de la Qibla[184].
Le quadrant horaire simple possède un système de lignes gravées permettant de déterminer l'heure saisonnière[38] ou l'heure régulière à une latitude donnée en fonction de la hauteur du soleil[184]. Une manipulation sur le fil à plomb permettait de tenir compte de la date d'observation[185]. Cet instrument, fondé sur des propriétés trigonométriques, est une invention du début duIXe siècle à Bagdad.
Le quadrant horaire universel permet de déterminer l'heure saisonnière à toute latitude. On trouve, dans un manuscrit duIXe siècle, la description d'un quadrant universel à curseur qui serait l'ancêtre duquadrans vetus latin[186].
Le quadrant-astrolabe possède une projection stéréographique des cercles d'égale hauteur (almicantarats). L'origine de ces quadrants est obscure mais on en trouve mention dans un manuscrit duXIIe siècle[187]. Ces quadrants-astrolabes de fabrication facile (on en trouvait en bois recouvert de papier) furent très populaires à partir duXIVe siècle[188] et tendirent à remplacer l'astrolabe dans la plus grande partie du monde arabe à partir duXVIe siècle[189].
Ce sont des mécanismes sphériques analogiques[190] permettant de déterminer la position des étoiles et du soleil selon les époques de l'année. Elles servaient aussi à résoudre des problèmes d'astronomie sphérique. Pour servir dans le cadre d'observations astronomiques, il fallait qu'elles soient de grande taille.David King signale ainsi la description d'unesphère armillaire tellement grande qu'un cavalier à cheval pouvait passer au travers[191].
Lessphères célestes de petite taille servaient plus de guide pour l'identification des étoiles et étaient utilisées en association avec un traité sur les étoiles. Le livre sur les étoiles fixes d'al-Sufi (965) présente ainsi les constellations sous deux aspects symétriques, vues du ciel et vues sur une sphère céleste. Il est rapporté que ce livre aurait été associé à un globe céleste en argent de grande taille destiné àAdhud ad-Dawla[190]. Les sphères célestes étaient construites en métal (or, argent, cuivre, laiton), en pierre, cuivre, ou bois couvert de parchemin, mais la plupart de celles qui sont parvenues auXXe siècle sont en laiton. La plus ancienne date de 1085 et mesure 21 cm de diamètre[192]. SelonSophie Makariou, le globe exposé auLouvre (voir photo) est le plus ancien globe connu de la partie orientale du monde islamique, les deux globes antérieurs ayant été probablement exécutés àValence à la fin duXIe siècle[193].
Unéquatoire est un système géométrique et mécanique permettant de reproduire le mouvement du soleil et de la lune ou des planètes selon le système de Ptolémée. Avant Ptolémée, de tels instruments existaient déjà, fondés sur les systèmes de l'époque : on sait qu'Archimède possédait un équatoire et l'on peut classer lamachine d'Anticythère parmi les instruments du monde grec de cette sorte de haute complexité[194]. Dans le monde arabe également, ce type d'instruments fut étudié : on connait au moins 4 traités sur ce sujet dont le plus ancien date duXIe siècle. Il ne reste pas d'instrument de ce type ayant survécu mais on sait qu'al-Biruni a décrit un calendrier solaire-lunaire selon ce principe. On trouve également mention d'un équatoire dans les écrits d'al-Kashi[194]. Dans l'Occident arabe, il est fait mention de deux mécanismes de cette sorte, l'un « les plaques de 7 planètes » est une conception d'Ibn al-Samh et l'autre, à deux plaques, est conçu paral-Zarqalluh[195].
Les musulmans apportèrent des contributions significatives à la théorie et la fabrication descadrans solaires, dont le principe leur venait de leurs prédécesseursindiens etgrecs. On attribue àAl-Khawarizmi des tables qui abrégèrent et facilitèrent considérablement la fabrication de ces instruments permettant ainsi leur construction n'importe où sur Terre[196]. On en plaçait fréquemment aufronton desmosquées pour vérifier l'heure de la prière. L’un des plus beaux spécimens fut fabriqué auXIVe siècle par lemuwaqqit (grand horloger) de lamosquée omeyyade deDamas,Ibn al-Shatir[197]. Les astronomes et ingénieurs musulmans couchèrent par écrit des instructions sur la construction de cadrans solaires tant horizontaux que verticaux ou polaires[198].
Les premiers cadrans solaires indiquaient majoritairement l'heure saisonnière[38]. Il faut attendre leXIVe siècle et le cadran solaire d'Ibn al-Shatir pour voir apparaître un cadran solaire dont le gnonom est parallèle au pôle, ce qui permet de donner les heures régulières à n'importe quelle latitude.
Il a également existé, dès leXIVe siècle des cadrans solaires portatifs inclus dans des nécessaires astronomiques ou instruments astronomiques à usages multiples installé dans une boite à couvercle. Il s'agissait pour le nécessaire astronomique d'Ibn al-Shatir d'un cadran solaire polaire et pour celui d'al-Wafa d'un cercle équatorial[199].
L'astronomie musulmane bénéficia de la compétence technique des horlogers arabes pour la construction d'horloges astronomiques à eau. On trouve ainsi des témoignages duXIVe siècle décrivant des horloges astronomiques de grande complexité. Al-Biruni décrit ainsi un calendrier mécanique, on a trace de l'existence d'une horloge astronomique sur la mosquée de Fez. Il est rapporté qu'Ibn al-Shatir possédait un astrolabe à engrenage[200]. Il existe également un astrolabe complété par un calendrier lune-soleil mu par engrenages, œuvre duXIIIe siècle[201]
Les instruments présents dans les observatoires astronomiques sont les instruments grecs précédemment cités :sphère armillaire, anneaux équinoxiaux ou méridiens,règles parallactiques (en),quadrant mural.
Pour améliorer leur performance les astronomes arabes en augmentèrent la taille et les perfectionnèrent. AinsiIbn Sina a décrit un instrument de visée, avec un système de double mesure, d'un diamètre de 7 mètres, utilisé auXe siècle[202].
Al-Battani utilisa des tubes d'observations permettant de fixer son regard sans être dérangé par la luminosité ambiante. Ces tubes sont décrits paral-Biruni comme des tubes de 5 coudées de long mais ils étaient dépourvus de tout système optique.
L'observatoire deRayy possédait un sextant (sixième de cercle) d'un rayon de 20 mètres avec un système de visée selon le principe de la chambre noire : entièrement dans l'obscurité, il possédait une petite ouverture sur le toit permettant à un rayon de soleil de passer[203]. AuXVe siècle,Ulugh Beg fit construire un « Sextant de Fakhri », d’un rayon d’à peu près 40 m[204]. Il se dressait àSamarcande, enOuzbékistan, et cet arc édifié avec beaucoup de soin comportait des escaliers de chaque côté pour permettre aux assistants chargés des mesures de se déplacer rapidement.
Les instruments de l'observatoire de Maragha sont décrits paral-'Urdi, ils sont de même type que ceux déjà cités à l'exception d'un cercle azimutal pourvu de deux quadrants permettant de prendre simultanément la hauteur de deux étoiles[167].
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