L'Anatolie ouAsie Mineure (enturc :Anadolu ; engrec ancien :Ανατολία /Anatolía ; enarménien :Անատոլիա /Anatolia) est une vastepéninsule et bloc de territoires situés à l'extrémité occidentale de l'Asie. Dans le sens géographique strict, elle regroupe les terres placées à l'ouest d'une ligneTchorokhi-Oronte, qui va de laMéditerranée à lamer Noire, et est séparée de l'Europe au nord-ouest par lamer de Marmara.
Dans le sens politique, auMoyen Âge l'Anatolie était désignée par lesyntagme « Asie mineure » à l'ouest des « Arménies » ; au sens moderne donné par les autorités turques, elle désigne toute la partie asiatique de laTurquie (97 % du territoire du pays, les 3 % restants étant situés en Europe, enThrace orientale).
Le nom « Anatolie » vient dugrec ancienἀνατολή /anatolḗ, qui signifie « Orient » ou littéralement « lever (de soleil) »[1]. Pour la désigner, le terme d'« Asie Mineure » (enlatin :Asia Minor) est encore très utilisé de nos jours par les historiens non-turcs, bien que laprovince romaine de ce nom n'ait occupé en fait que le tiers occidental de l'Anatolie.
La péninsule anatolienne se constitue à partir ces petits boucliers, anciennes îles de lamer Téthys, qui sont comprimés lors de l'orogenèse alpine entre des sédiments marins soulevés et plissés. Cette histoire géologique a formé un vaste plateau central, entouré de chaînes plus élevées, les Taurus et les Pontiques. Le tout est ponctué devolcans situés le long des principalesfailles, tel le montArgée. Ces failles sont toujours actives, ce qui fait de l'Anatolie une terresismique.
L'Anatolie a vu s'épanouir plusieurscivilisations, dès laPréhistoire. LeNéolithique émerge dans les populations de chasseurs-cueilleurs locales de l'Anatolie centrale sans que l'on puisse démontrer une influence externe[3]. Le Néolithique en Anatolie s'étend entre 9500 et 6000 av. J.C.
Présent en Anatolie centrale vers 8 300 av. J.C., le Néolithique se diffuse vers l'Ouest atteignant lescôtes égéennes et le Nord-Ouest de l'Anatolie avant 6 600 av. J.C., puis de manière quasi synchrone continue vers l'Europe. Les études suggèrent que ces populations constituées de chasseurs-cueilleurs ont adopté des pratiques d'agriculture et d'élevage à côté de pratiques traditionnelles de chasse et de cueillette. Les premiers Anatoliens du Néolithique central appartenaient au même poolgénétique que les premiers migrants néolithiques se propageant en Europe[4].
Environ 6 500 ans av. J.C., les populations d'Anatolie et duCaucase du Sud ont commencé à se mélanger génétiquement, résultant en un mélange distinct qui s'est progressivement propagé dans toute la région, du centre de l'Anatolie au sud du Caucase et aux montagnes deZagros dans le nord de l'Iran d'aujourd'hui[5],[6].
Les plus anciens habitants identifiés de l'Anatolie et de l'Asie Mineure paraissent avoir été delangues pré-indo-européennes comme lesGasgas ou lesHourrites. À ces populations mal connues vinrent se joindre de bonne heure, du côté du Nord-Est ou du Nord-Ouest, des peuples delangue indo-européenne comme lesHatti, lesLouvites, lesHittites, lesCimmériens ou lesPhrygiens, et du côté du Sud-Est des peuplessémitiques tels lesPhéniciens et les Syriens qui se mêlèrent à leurs devanciers. On discute l'appartenance desCappadociens, desCiliciens, desPamphyles, desPisides, desPaphlagones, desSolymes et desMilyens, les plus anciens habitants de laLycie, qui de toute manière subirent les influences de leurs voisins, qu’ils ont eux-mêmes influencés[7]. Parmi les civilisations et les peuples qui ont vécu plus tard en Anatolie, il convient de citer lesArméniens, lesGrecs, lesPerses, lesGalates (peuple celte), lesRomains (hellénisés etchristianisés enByzantins), et lesOttomans, sous le règne desquels la langueturque et l'islam finiront par devenir majoritaires. Ces peuples, d'origines ethniques et linguistiques très diverses, ont constitué le « mille-feuille historique » des Anatoliens, qui peuvent présenter aujourd'hui des apparences diverses, allant du blond le plus clair au brun fort cuivré, et qui, au fil des temps, ont parlé non seulement deslangues indo-européennes etsémitiques, mais aussicaucasiennes comme lelaze.
Certains auteurs[8] ont proposé l'Anatolie comme foyer originel des langues indo-européennes (hittite etlouvite) et source de la diffusion de celles-ci.Colin Renfrew reviendra sur cette hypothèse quelques années plus tard[9].
La plus notable des civilisations qui s'y développèrent fut celle desHittites au IIe millénaire av. J.-C. Ce sont eux qui vont faire une découverte encore plus importante que lebronze, l'étain et leplomb : en chauffant certainespierres rouges, ils vont découvrir lefer, qui à l'usage se révélera plus dur que le bronze, et va le remplacer pour la confection d'armes et d'outils. Fondateurs du premier grand État centralisé d'Asie Mineure, les Hittites se partagèrent pendant un temps avec lesÉgyptiens l'hégémonie duProche-Orient. Durant quatre siècles, ils influencent la politique dans le monde méditerranéen. Spécialistes de l'art militaire, ces guerriers ont gravé dans la pierre la première langue indo-européenne. La porte royale deHattusa, capitale hittite (1500av. J.-C.), était formée de grands blocs depierre cyclopéens. Cette ville fut détruite par des envahisseurs identifiés par lesÉgyptiens comme « lespeuples de la mer », parmi lesquels on compte habituellement des populations de langue indo-européenne, dont lesLyciens et lesPhilistins.
L'Anatolie orientale a été aussi historiquement peuplée en grand nombre par lesArméniens : certains pensent que ceux-ci seraient d'origine thraco-phrygienne et se seraient déplacés vers le centre de l'Anatolie, puis se seraient rapprochés duCaucase (l'Arménie historique, dont l'actuelle république arménienne ne représente qu'un dixième du territoire, s'est étendue de laCilicie à laCaspienne) à la charnière desVIIe – VIe sièclesav. J.-C.[10]
Conquise parAlexandre le Grand, elle échut après sa mort àAntigone le Borgne et, après la mort de ce dernier, passa auxSéleucides. L'autorité de ceux-ci déclinant, il s'y forma bientôt plusieurs royaumeshellénistiques indépendants :Pont,Cappadoce,Bithynie,Pergame,Galatie,Paphlagonie… Ces royaumes subsistèrent jusqu'à la conquête de l'Asie Mineure par lesRomains (qui y pénétrèrent pour la première fois en l'an189 avant notre ère et achevèrent leur conquête auIer siècle de notre ère). L'Anatolie fut la partie de l'Empire romain la plus intensément christianisée, dès leIVe siècle. À cette même époque, lors du partage de l'Empire, elle se retrouva dans l'Empire byzantin, formant le diocèse d'Asie, et la plus grande partie des diocèses du Pont et d'Orient.
Alors que lescalifes, auVIIe siècle, s'étaient emparés de l'Arménie et du sud-est de l'actuelle Turquie, lesgréco-romains dits « byzantins »[11] leur résistèrent en Anatolie ; plus tard, auXIe siècle, lesSeldjoukides réussirent à s'y établir et y fondèrent lesultanat de Roum (« pays des Romains ») ou d'Ikonion (Konya), ne laissant aux empereurs byzantins que le tiers nord-ouest du pays. Après que laquatrième croisade se fut emparée deConstantinople en1204, les Byzantins formèrent les deux empires deNicée et deTrébizonde.
À la chute des Seldjoukides, dix petites principautés turques s'établirent à leur place : l'une d'elles, celle d'Ertogrul, est à l'origine de l'émirat d'Osman, qui s'établit sur les rives sud de la mer de Marmara, en face de Constantinople. Les descendants d'Osman prirent le nom d'Ottomans : ce fut le cas de l'émirOrhan, qui en1332 prit pied enEurope, àGallipoli. Enfin de1381 à1387,MouradIer, fils d'Orhan, soumit toute l'Asie Mineure, inaugurant ainsi l'Empire ottoman, qui dura jusqu'autraité de Sèvres en1920. Au sein de celui-ci, les non-musulmans devaient payer un impôt supplémentaire, leKharâj, et subir l'enlèvement des garçons pour le corps desjanissaires : pour y échapper, la majorité de la population anatolienne passa progressivement à l'islam et à lalangue turque.
L'établissement desmusulmans en Anatolie attire des immigrantsmusulmans venant de tout leMoyen Orient, attirés, entre autres, par la pratique d'unislam réputé plus souple, moins orthodoxe, par lesturcs (exemple: Djalâl ad-DînRûmî (persan : جلالالدین)). On regroupe les populationsmusulmanesturques et non-turques sous l'appellationrūmi[12].
Aujourd’hui 98 % des Anatoliens sont musulmans (si 20 % de la population alévite / kizilbas est considérée comme musulmane). Une grande partie d'entre eux parlent leturc ; une importante communautékurde, majoritaire dans le sud-est de la région, près des frontières avec l’Iran et l’Irak, parle lekurde.
Sous l'Antiquité romaine, le nom d'Asie Mineure était donné à la partie occidentale de l'Anatolie, mais par la suite et par extension il a désigné, surtout engrec et dans les textes traduits du grec, tout le bloc anatolien, dont le rivage occidental était occupé par des colonies grecques :Éoliens au nord,Ioniens au centre (Lydie) etDoriens au sud. Cescolons y avaient fondé des villes qui se distinguaient par la richesse, la puissance et en matière de civilisation, et concurrençaient celles de laGrèce continentale, et devinrent elles-mêmes métropoles d'autres colonies autour de laMer Méditerranée et de lamer Noire elles étaientÉphèse,Phocée (métropole deMassalia),Milet,Smyrne,Halicarnasse,Lampsaque etCnide. Sur cette côte occidentale, l'hellénisme s'est maintenu jusqu'en 1923 et n'a étééradiqué qu'à la suite d'uneguerre moderne.
Les îles principales qui en dépendaient sont celles deLesbos,Chios,Kos,Samos,Rhodes, sur la côte occidentale,Chypre au sud, et on notera que sur la côte sud de la Turquie, certains sites archéologiques ne sont accessibles que par la mer (notamment la crique deKekova).
Si laMésopotamie fut le berceau de l'écriture, les civilisations anatoliennes jouèrent un rôle déterminant dans l'évolution du langage écrit. Ce fut d'abord le long règne ducunéiforme, de style assyrien (signes gravés, de la forme d'un coin), puis s'imposèrent un temps leshiéroglyphes, signes figuratifs ou idéographiques. LesHittites maîtrisèrent ces deux modes de graphisme. Mais l'alphabet grec fut très tôt adopté dans les royaumes de l'Asie Mineure antique. Il servira aussi à noter les premiers textes enlangue turque, puis l'Empire ottoman utilisa l'alphabet arabe pour écrire le turc. À la révolution turque, dans une volonté de modernité, il fut décidé d'utiliser l'alphabet latin, permettant d'établir une transcription totalement phonétique.
↑Philippe Le Bas,Asie Mineure depuis les temps les plus anciens jusqu'à la bataille d'Ancyre, en 1402, Paris, Firmin-Didot et cie,, 530 p.(ISBN1-247-77484-8).
↑Les Gréco-Romains de l'Empire romain d'Orient ne sont dits « Byzantins » que depuis leXVIe siècle : c'est un nom qui leur a été donné par l'historien allemandHieronymus Wolf, mais eux-mêmes se sont toujours désignés comme « Romains » et c'est pourquoi les Turcs les appellent « Rum » d'où vient le mot « Roumis ».