L’art en Égypte et en Syrie entre 1071 et 1250 est commandité par les nombreuses forces en présence à cette époque :Atabeys,Zengides puisAyyoubides, Francs, Byzantins. L’art sert alors à manifester sa puissance et sa richesse face à ses adversaires politiques, en ces temps particulièrement troublés.
La période courant duXIe auXIIIe siècle auProche-Orient est historiquement complexe. LaSyrie et laJezirah sont soumises au régime des atabegs, des gouverneurs desSeldjoukides d’Anatolie. La région est extrêmement morcelée, ce sur quoi jouent les croisés, tandis que lasecte des assassins représente une réelle menace.
Zengi, un Kurde gouvernantMossoul pour le compte deMalik Chah, fonde la dynastie zengide et part à la conquête de la Syrie, s’emparant deDamas et d'Alep en 1128. À sa mort en 1146, ses possessions sont partagées, etNur ad-Din hérite de ses territoires syriens, auxquels il adjoint l’Égypte, dont il s’empare en 1164–1168, sans pour autant renverser ladynastie fatimide, qui reconnaît sa suzeraineté. Il faut attendre Ṣalāḥ ad-Dīn Yūsuf, plus connu sous le nom deSaladin, pour que le califat fatimide s’éteigne enfin, en 1171. Saladin, à la mort de Nur ad-Din (1173), parvient à redonner un semblant d’unité au monde syro-égyptien. Afin de légitimer son pouvoir, il mène des campagnes contre les Francs et s’empare de la ville deJérusalem (1187). Il meurt en 1193, donnant naissance à ladynastie ayyoubide, qui perdurera en Égypte jusqu’en 1250 et un peu plus longtemps en Syrie, sans pouvoir maintenir une réelle cohésion dans le sultanat.
La principale ville deJezirah qui donne lieu à une production architecturale est celle deMossoul, où deux influences contradictoires se dégagent :
La Syrie, qui ne constitue pas normalement le centre du pouvoir Ayyubide, bénéficie pourtant d’un mécénat plus développé qu’au Caire, car il s’agit d’un mécénat émiral, générateur d’édifices moins ambitieux que ceux de la capitale, mais beaucoup plus nombreux. Les Ayyubides adhérant à la doctrineShafiite, ils ne construisent pas de grandes mosquées, mais beaucoup de madrasa et de mausolées.
Lacitadelle d'Alep est l’une des plus importantes créations Ayyubides en matière d’architecture militaire, avec le renforcement des fortifications du Caire par Saladin. Construite en pierre, elle marque bien le climat d’insécurité qui règne alors, et présente des influences franques. En effet, les Syriens connaissaient leur architecture de par les châteaux forts qu’ils avaient construits, comme leKrak des Chevaliers. Leséchauguettes sont un exemple des emprunts arabes à l’architecture croisée.
Un autre bâtiment important est lamadrasa Firdaws, construite entre 1234 et 1237 sur ordre de la régente d’Alep. Comme la plupart desmadrasa syriennes, elle est de taille plutôt réduite et de plan rectangulaire organisé autour d’une cour centrale avec une fontaine. Mais l’élément le plus important est son mihrab, considéré comme un chef-d’œuvre de l’art islamique. Il est fait dans une technique proprement syrienne : l’ablaq, c’est dire l’incrustation de bandes de marbres colorés, qui forment ici des motifs d’arcs polylobés entrecroisés.
On pourrait citer d’autres madrasa de cette période : la madrasa de Nur-al-Din à Damas (1167-68), la madrasa Zahiriya à Alep (1219)… Malgré d’importantes différences de plan, elles suivent toutes un schéma à peu près identique, dont l’origine reste controversée mais ne semble pas venir d’Iran, comme c’est le cas du concept de madrasa.
Le troisième aspect de l’architecture syrienne consiste en tombeaux chiites, tels le Mashhad al-Husayn, et en khanqah (maisons pour les Sufis), dont le plan se rapproche le plus souvent de celui des madrasa. Beaucoup de hammams sont également construits.
Il faut enfin citer un bâtiment très particulier qui n’aura pas de réelle descendance : lemaristan de Nur ad-Din. Il s’agit d’un hôpital situé à Damas, construit comme son nom l’indique sur l’ordre de Nur ad-Din en 1154. Pour Richard Ettinghausen, il s’agit de l’« une des pièces maîtresses duXIIe siècle composée le plus harmonieusement, avec une façade particulièrement élégante combinée à la géométrie d’un demi-dôme à muqarnas avec un linteau classique au-dessous ».
En Égypte, l’architecture se concentre sur le Caire. On trouve également de nombreux mausolées, comme ceux dits « des Abbassides » ou encore celui de l’imam Shafei.
On remarque plusieurs influences :
Lamadrasa de Salih Najm al-Din, construite à la fin de la période (1243-1250) est composée de deux madrasa à deux iwans. Il s’agit d’un grand monument comportant deux cours oblongues reliées par de grands couloirs. Ses niches côtelées et ses muqarnas rappellent la mosquée Al-Akmar, mais la technique de l’ablaq que l’on trouve à l’intérieur est un emprunt direct à l’art syrien.
La production d’objets d’art à cette époque pose beaucoup de problèmes d’attribution aux historiens de l’art. Non seulement les œuvres et les artistes bougent beaucoup, au fur et à mesure des conquêtes et des pertes, mais en plus, il n’existe quasiment pas d’œuvre-jalon, c’est-à-dire portant le nom d’un commanditaire, d’une ville, une date… Il n’est donc pas rare qu’art fatimide, anatolien, syrien et irakien soient mélangés, et que l’attribution des œuvres varie.
Le verre, transparent ou opaque, est l’un des matériaux les plus utilisés dans la confection d’objets d’art. Plusieurs techniques de décor sont utilisées :
Quelques formes sont récurrentes, notamment :
On trouve nombre de ces œuvres dans les collections européennes et notamment dans les trésors d’églises, car beaucoup furent ramenées par lescroisés, d’autant que certaines ont une iconographie chrétienne, soit car leur commanditaire était chrétien, soit car l’artisan lui-même étaitchrétien (aussi paradoxal que cela paraisse, le monde islamique n’est devenu à majorité musulman qu’au cours duXIIIe siècle, lescoptes,nestoriens et autres chrétiens d’Orient formant une grande partie de la population). Il arrive souvent que ces objets soient emmanchés dans des montures d’orfèvrerie gothique lorsqu’ils se trouvent en Europe depuis le Moyen Âge.
La céramique connaît une avancée majeure à cette période, avec la mise au point des couleurs de grand feu (noir, bleu, rouge de fer et plus rarement vert) peintes sousglaçure. Ces dernières sont généralement mal conservées en raison de la forte salinité du sol syrien. On peut tout de même remarquer que les potiers aiment à jouer avec : au lieu d’enduire entièrement leur pièce de glaçure, ils la laissent couler et former de grosses gouttes sur le pied de l’œuvre. En général, les pâtes ne sont pasengobées.
Dans le décor, on note une certaine fantaisie décorative, le goût pour les motifs végétaux et les grandes diagonales, qui donnent de la vigueur et du dynamisme. Les motifs de damiers et les costumes à rayures sont fréquents, tout comme les animaux et les personnages qui prennent un aspect calligraphique, ou donnent naissance à des arabesques.
Quelques groupes importants peuvent être signalés :
On désigne ainsi une production de céramiques de formes ouvertes (bols, coupes) à pâte siliceuse décorées de lustre métallique. En général, le motif décoratif est un animal ou un personnage de grande taille sur un fond d’arabesques végétales grêles ; toutefois, on connaît aussi des décors géométriques et calligraphiques. En général, la pièce est recouverte d’une glaçure incolore qui met en valeur la blancheur de la pâte, mais des glaçures bleu cobalt et bleu turquoise sont également utilisées.
Ce groupe tire son nom d’un site syrien sur lequel nombre de ces objets ont été retrouvés ; ils sont actuellement conservés à la collection David, à Copenhague. Cependant, aucun four n’a été mis au jour à cet endroit, et il semble donc que Tell Minis n’était pas un lieu de production mais une cache. Un problème important se pose alors : où ces pièces ont elles été fabriquées ? D’aucun ont avancé la Syrie, mais la forte ressemblance avec les pièces de fin de la production fatimide peut aussi laisser penser à l’Égypte. Il pourrait même s’agir de potiers égyptiens ayant émigré en Syrie…
Une autre interrogation se profile tenant à la date de production de ce groupe. En effet, aucune pièce n’est datée. En général, cependant, les historiens de l’art tombent d’accord pour la situer vers 1150, grâce aux résultats archéologiques et à des rapprochements stylistiques.
Quoi qu’il en soit, ce groupe forme un excellent exemple pour marquer les difficultés d’attribution et les mouvements des œuvres et des artistes à cette période.
Peu d’objets composent cette série, qui utilise une technique complexe, délicate à mettre en œuvre. Les lakabi sont des céramiques à pâte siliceuse comprenant de la fritte (verre pilé), une pâte extrêmement dure, difficile à travailler. Pour les décorer, on utilise la technique duchamplevé, c’est-à-dire que l’on creuse dans la pâte les motifs. On élève ensuite de petites cloisons de terre tout autour de ces motifs, que l’on remplit de glaçure de différentes couleurs ; celles-ci ne fusent pas entre elles grâce à la présence des cloisons.
Le chef-d’œuvre de cette série est un plat conservé auMusée d'Art islamique de Berlin, dont le décor se résume à un aigle en position héraldique. LeMusée du Louvre conserve également untesson au sphinx réalisé dans cette technique.
Sculpture hautes d’une quarantaine de centimètres, les rondes bosses en céramique servent de bouches de fontaines. Elles sont généralement décorées de glaçures colorées bleue ou turquoise. Elles prennent la forme d’animaux (coq à la queue avec des têtes de dragon etsphinx de la collection David à Copenhague) ou de personnages (cavalier se défendant contre un dragon, musée national de Damas).
La zone-clé, pour la production de métaux incrustés, est la Jezirah, et principalement la ville de Mossoul, où règne Badr al-Din. Beaucoup d’artistes signent en ajoutant à la fin de leur nom la mentional-Mawsili, « de Mossoul », même s’ils n’en sont en fait pas toujours originaires. Damas et peut-être Alep sont également des centres de production de métaux.
Pour son décor, l’art du métal est le plus souvent incrusté d’or et d’argent, que met en valeur la pâte noire, créant un effet polychrome. Le répertoire iconographique est fortement inspiré de l’art du livre.
La première pièce de métal incrusté faite hors du monde iranien et datée est l’aiguière Blacas, conservée auBritish Museum, qui porte la mention al-Mawsili et la date de 1232. Sur un fond de « T » imbriqués se trouvent une épigraphie figurée (mélange de lettres et d’éléments figuratifs) et plusieurs scènes : scène de chasse, personnage avec un miroir, scène d’allégeance, etc.
La collection David à Copenhague conserve également unegrande écritoire faite par Ali ibn Yahya al-Mawsili en 1255-1256 qui présente plus de quarante scènes différentes, ainsi qu’une magnifique épigraphie.
Au Louvre, on signalera levase Barberini, fait pour Salah al-DinII Ayyub (règne 1237-1260), qui offre une place prépondérante à l’épigraphie. Des scènes de chasse se détachent également sur un fond de rinceaux végétaux.
L’art du livre illustré est important à cette période. Il entre dans le domaine de l’art du livre arabe. Comme toujours avec l’art du livre, il est difficile de dégager de caractéristiques probantes pour cette période.
Plusieurs types de textes sont illustrés, notamment des traités médicaux (Livre de la Thériaque,De materia medica) et des textes littéraires (Kalia wa Dimna,Maqamat d’al-Hariri). Pour l’iconographie, divers modèles sont utilisés, que l’on retrouve dans d’autres arts. Ainsi, un manuscrit duLivre de la Thériaque daté de 1299 possède, en frontispice, une représentation de la lune comme un grand cercle formé par les corps de deux dragons, une figure apotropaïque que l’on trouve fréquemment en Anatolie. Un manuscrit desMaqamat de al-Hariri (arabe 6094 de laBNF) présente quant à lui des scènes qui pourraient avoir été inspirées par une iconographie chrétienne.
Le traitement de la peinture en général marque une connaissance des modèles classiques à travers l’influence byzantine (teintes nuancées, etc.). La plupart du temps, l’action ne s’inscrit pas dans un cadre déterminé, mais seule la ligne de sol est marquée. Les plantes sont traitées de manière un peu stéréotypée, et des liens avec d’autres arts, notamment celui du métal, sont à établir.