Certaines informations figurant dans cet article ou cette section devraient être mieux reliées aux sources mentionnées dans les sections « Bibliographie », « Sources » ou « Liens externes »().
Naissance | |
---|---|
Décès | |
Activités |
Maîtres | Abu al-Wahid al-Simari(d),Abu Hamid al-Isfara'ini,Aḥmad Ibn-ʿAlī al-Ḫaṭīb al-Baġdādī ![]() |
---|
Al-Mâwardî, ouAbu al-Hasan Ali Ibn Muhammad Ibn Habib al-Mawardi, en latinAlboacen (974-1058), est unjuristemusulman arabe[1] de l’écoleshāfi'īte. Son travail est centré sur la religion, legouvernement, lecalifat, ledroit. La pensée d’al-Mâwardî apporte aussi à laphilologie, l’interprétation, l’éthique et la littératurecoranique
Il estdiplomate pour lescalifesabbassidesal-Qa’im etal-Qadir dans les négociations avec de nombreux hommes politiques importants, notamment lesémirsbouyides. Il est surtout connu pour son traité « Les statuts gouvernementaux » ou « Les ordonnances du pouvoir politique », en arabe « al-Ahkam al-Sultaniyya w’al-Wilayat al-Diniyya ». Il détaille et définit les fonctions du califat, devenues ambiguës car contrées par l’influence des émirs bouyides à partir de945[2].
Al-Mâwardî est né àBassora en974. L’historien shāfi'īte al-Khatib al-Baghdadi dit que son père était un marchand d’eau de rose. Jeune, al-Mâwardî étudie lathéologie de manière très approfondie. Il poursuit ses études àBagdad sous les enseignements de Abd al-Hamid et de Abdallah al-Baqi[3]. Il apprend lefiqh (jurisprudence musulmane) d’Abu al-Wahid al-Simari et d'Abū Hamid al-Isfara'inī[4], et prend alors résidence à Bagdad. Bassora et Bagdad étaient les centres de l’écolemu‘tazilite (on parle de mouvement mu‘tazilite comme de la première école théologiquesunnite depuis leVIIIe siècle, inspirée de la philosophie grecque et soucieuse de logique et de rationalisme). Le juriste orthodoxe al-Subki a condamné al-Mâwardî pour sa sympathie avec cette école[2].
Al-Mâwardî mène une carrière brillante principalement àBagdad. Il est d’abord professeur puis exerça la fonction decadi (c’est-à-dire de juge, traditionnellement désigné sous l’empireabbasside par le calife ou par ses délégués, sultans ouémirs) dans plusieurs villes. Il devient ensuite le « juge des juges » (qâdî al-qudât) deBagdad. Contrairement à nombre de ses collègues, comme le juristehanbalite Abû Ya’lâ qui n’accepta ses fonctions politiques qu’avec beaucoup de méfiance, al-Mâwardi n’était manifestement pas sensible aux traditionnelles mises en garde desoulémas, les théoriciens du dogme religieux, à l’égard de la fréquentation des princes[5]. En effet, al-Mâwardî est proche des élites politiques et sociales et est alors un personnage connu de la courabbasside à Bagdad. Il exerce ces fonctions à une époque où les califes ont du mal à asseoir leur pouvoir, car les émirsbouyides les ont assujettis à leur autorité temporelle et lesfatimides menacent leurs frontières. La politique des califesal-Qadir etal-Qa’im a eu comme principale préoccupation de faire reconnaître la souveraineté califienne[6].
Al-Mâwardî fut directement au service du califeal-Qadir (991-1031). Il l’aida dans sa politique face auxBouyideschiites duodécimains qui fut facilitée par les divisions internes qu’ils connaissaient. Il appartenait également à un groupe de jurisconsultes et théologiens au service ducalife. Al-Qadir lui commanda un manuel résumant la doctrineshāfi'īte. Les émirs devant souvent quitter Bagdad pour défendre leurs frontières, la capitale fut plusieurs fois sujette à un vide de pouvoir, ce qui valut à l’émir al-Malik al-Rahîm Khusraw Fîrûz d’être accusé de faire des propositions d’ouverture auxSeldjoukides, et de voir le peuple se retourner contre lui[7].
Sous le califat d’Al-Qa’im (1031-1075), Al-Mâwardi passa encore plus directement au service ducalife. Il fut chargé de plusieurs missions d’ordre diplomatique ou juridique principalement auprès desbouyides, mais également auprès deTugril-Beg en435, un sultanseldjoukide qui venait de prendre la ville deRayy. En1032, Al-Mâwardî eut pour mission de discuter de la titulature que le calife allait décerner à l’émir bouyide Abû Kâlîgâr et du montant des donations que ce dernier lui devait[8]. Il eut une autre mission la même année, auprès de Galâl al-Dawla, dont on ne connaît pas les raisons. Il fut aussi ambassadeur dans diverses régions musulmanes pour le calife en1031,1037,1042 et1043, et réussit avec lui à redorer l’image et le pouvoir du calife en s’appuyant sur unsunnisme rigoureux avec l’aide des Turcsghaznévides. En1045, arrive levizir Ibn al-Muslima qui donne un nouvel élan à la politique ducalifat. Al-Mâwardi fait partie de son entourage, et lui dédie un ouvrage sur le vizirat[9].
LeXe siècle est donc pour l’empire abbasside une période mouvementée animée par des violences internes et externes et des oppositions politiques et religieuses. De plus, lescalifesabbassides doivent faire face à d’importantes révoltes militaires. Le moment semble donc propice pour tenter de réaffirmer l'autorité califale, al-Māwardī reçoit alors la mission de rédiger un état précis des prérogatives du calife, sanctionnées par la loi religieuse[3]. On considère donc que c’est à la demande du calife qu’il composeLes statuts gouvernementaux, œuvre achevée entre 1045 et 1058.
Pour ce qui est de son caractère, al-Mâwardî est connu comme un homme humble, éloquent et enthousiaste dans ses prises de paroles. Au regard des polémiques théologiques de son temps, il s’impose comme une figure emblématique et la pensée qu’il développe dans ses nombreux ouvrages influence le monde islamique jusqu’à notre époque contemporaine. Il mourut âgé de 84 ans àBagdad le (30 rabi‘ I 450)[2].
La période duXe siècle est baptisée par de nombreux penseurs « le siècle de l’humanisme arabo-islamique », car elle est des plus riches dans l’histoire du l’islam, aussi bien sur le plan littéraire ou philosophique que du point de vuejuridique etthéologique[10].Al-Mâwardî est considéré, à juste titre, comme l'un des meilleurs auteurs politiques de l'âge classique de l'Islam. S'il est bien connu dans la traditionorientaliste grâce à son célèbre traité intituléles Statuts gouvernementaux, ouvrage dedroit public etadministratif qui fut traduit dès la fin duXIXe siècle en plusieurs langues européennes, son texteDe l’éthique du Prince et du gouvernement de l’État, ouvrage inscrit dans la tradition desMiroirs des princes (adab sultaniyya), nous fait découvrir les facettes littéraires et philosophiques de sa pensée[10]. Il laisse aussi divers ouvrages d’exégèse coranique, de langue et de grammaire.
Al-Mâwardî restitue et théorise la mission complexe ducalife. Selon lui, cette figure serait l’institution nécessaire à la vie religieuse et à la communauté. « Pour lui le califat symbolisait un système (…) politico-religieux qui régule la vie des hommes de la communauté musulmane jusqu’au moindre détail. »[11] Pour Al-Mâwardî, la religion est un facteur de sauvegarde du lien social. DansLes statuts gouvernementaux, il dit qu’elle « favorise la convivialité et la clémence, fondements nécessaires au bon fonctionnement de la vie »[12]. Mais elle ne doit pas dicter seule la loi, c’est pourquoi al-Mâwardî insiste sur la nécessité de lasécularité du politique. Le calife est donc un homme qui ne doit pas être divinisé pour éviter des confusions[13]. Al-Mâwardî appelle la « justice cachée » le fait, pour le calife, de consulter ses conseillers. Ne pas faire appel à ses conseillers et donc de prendre une décision unilatérale est traduit par « al-istibdâd » qui signifie aujourd’huityrannie[14].
Les Statuts gouvernementaux sont un traité aussi connu sous le nom d’Ordonnance du gouvernement. Profitant du bref regain de la puissance ducalife pour les rédiger, al-Mâwardî produit à travers cet écrit le premier ouvrage dedroit visant à résoudre les tensions entre les anciennes fonctions du calife et le pouvoir des princes nouveaux détenu par lesBouyides.
Les statuts gouvernementaux rassemblent diverses questions politiques tout en formant un ensemble homogène et puissant d’un point de vue théorique[15]. C’était la première fois qu’un auteur prenait soin de rassembler en une seule problématique cohérente un objet jusqu’alors éclaté, dispersé en différentes disciplines ou, comme l’écrit Abû Ya‘lâ après avoir évoqué le chapitre qu’il avait consacré à l’imamat dans son traité de théologie (Al-mu‘tamad fî usûl al-fiqh), de rendre cet objet autonome en lui consacrant un livre spécifique. Cette intention est purement pragmatique selon al-Mâwardî : un tel rassemblement de la problématique facilitera l’accès aux connaissances nécessaires aux administrateurs de l’État à qui l’ouvrage est naturellement destiné. Il n’en reste pas moins que ce projet utilitaire a aussi donné naissance à une nouvelle discipline autonome relevant de l’ensemble des sciences légales dont l’objet est l’imamat. Les chercheurs considèrent avec les traducteurs de ce texte qu’il ne s’agit ni de philosophie, ni de théologie politique, mais bien d’un texte de droit public, constitutionnel et administratif, comblant alors avec succès les lacunes institutionnelles présentes au sein de l’empireabbasside[16].
Le propos desStatuts gouvernementaux peut être résumé ainsi:
« L’ouvrage a clairement pour objet principal la description des « rouages de l’État » : son organisation, ses institutions politiques et administratives, les fonctions au sein de celles-ci et les conditions pour y accéder, etc. La réflexion proprement politique y est chose très rare – plus rare que dans le traitement de la question de l’imamat telle qu’abordée dans les traités de théologie qui sont plus « engagés » –, mais en réalité, on y trouve bien une doctrine politique élémentaire présentée comme une « doctrine commune » – celle desSunnites (ahl al-sunna wa l-jamâ‘a) – dans le premier chapitre. »[17]
Les statuts gouvernementaux sont divisés en vingt chapitres que voici, selon les traductions de L. Ostrorog et d’E. Fagnan :
La question politique se trouve cœur des préoccupations de la jeune communauté musulmane post-prophétique. Lorsqu’en622, leprophète émigre deLa Mecque et s’installe avec ses partisans à Yathrib, la futureMédine, il devient le chef d’une entité politique difficile à définir mais qui constitue historiquement la matrice du futur empire musulman. Une dimension théologico-politique s’ajoute très vite à la mission spirituelle duprophète. Cependant, certains érudits musulmans s’appliquent à déconsidérer la réflexion politique au sein de la réflexion religieuse.Abû Ishâq al-Shîrâzî (1003-1083), juristeshāfi'īte et directeur de laNizamiyya, prestigieuse université deBagdad, dit que « les statuts des choses politiques » (ahkâm al-siyâsât) ne font tout simplement pas partie de la sphère de ce qui est concerné par la Voie/Loi révélée ; et que par conséquent, il ne s’agit pas d’un objet pertinent pour les sciences légalo-religieuses.
Cet ouvrage d’al-Mâwardî vient donc combler cette lacune et contredire le point de vue de plusieurs penseurs musulmans. AvecLes statuts gouvernementaux, al-Mâwardî crée un nouveau genre et pose de nouvelles questions qui connaissent un grand succès jusqu’à être totalement intégrées à la réflexionsunnite sur les domaines religieux et politiques[15].
Lecalife, ouimam, est « le lieutenant du prophète » sur terre et non de Dieu. Sa fonction, qui est de « succéder à la prophétie pour ce qui est de la protection de la religion et de la gestion des choses mondaines » est détaillée en dix tâches[15], qui recouvrent les champs politique, financier, religieux, juridique, ou encore militaire.
La connaissance de toute la communauté n’est pas nécessaire pour le calife : il suffit, nous dit al-Mâwardî, que le peuple soit informé et sache que le califat a été délégué à une personne qualifiée. Alors, seules deux classes de la communauté ont à s’inquiéter des obligations liées au califat : les quelques membres de la communauté qui sont éligibles (ahl al-imâma), et « les gens du choix » (ahl al-ikhtiyâr), soit, lesoulémas qualifiés pour élire le calife, qui se sont arrogé ce droit. Al-Mawârdî reprend les pratiques de facto de son époque et les théorise, voyant ainsi sept conditions pour qu’un musulman soit éligible au califat : « la probité », la science nécessaire à la pratique de l’ijtihâd, l’intégrité des sens de l’ouïe, de la vue et de « la langue » (al-lisân), l’absence de tares physiques handicapantes, le jugement politique, le courage, le lignage (al-nasab), c’est-à-dire être deQuraysh, la tribu dont Mahomet faisait partie.
Un calife est soit désigné par lesoulémas, soit par le calife précédent. Cette tradition est inspirée des « califes bien guidés » (‘Umar a été désigné imam parAbû Bakr alors que ‘Uthmân a été choisi par un conseil de sages) dont l’époque correspond à “l’âge d’or”sunnite. Cependant, le calife désignant son fils ou son père comme successeur est un cas de figure qui dérange apparemment al-Mâwardî. Mais l'imamat sunnite a pu être héréditaire en pratique.
Enfin, on ne saurait tolérer que deuximams, installés dans deux provinces différentes du pays d’islam, soient en même temps à la tête de la communauté: l’imamat est indivisible. Le cas échéant, al-Mâwardî est d’avis que le calife légitime est celui qui est désigné en premier[15].
Aux yeux de ses contemporains, les théories d’al-Mâwardî et ce souci de théorisation ont pu être jugés gratuits et décalés par rapport aux réalités des pratiques politiques. Cependant, la pensée d’al-Mâwardî apparaît comme très lucide sur les risques et les faiblesses que peut présenter la fonction decalife, et pose des principes essentiels d’une politique juste. En effet, le califat y est clairement conçu en termes de contrat passé avec la communautésunnite tout entière ; et sa désignation est le produit d’un choix éclairé[15]. Enfin, al-Mâwardî fait preuve de clairvoyance lorsqu'il prône un pouvoir centralisé qui doit absoudre les gouverneurs locaux si ceux-ci usurpent le pouvoir, car cette concurrence entre les échelles de gouvernement fut une des principales causes de la chute de l'empire abbasside[3].
Faisant partie de la tradition desMiroirs des princes, les réflexions politiques sont puisées, ici, dans deux sources distinctes de celle du droit : d’un côté, l’histoire des grands souverains, et, de l’autre, les maximes de sagesse prononcées par les philosophes, les poètes ou les hommes politiques, qu’ils soientarabes,perses ougrecs. Al-Mâwardî se demande alors comment former le chef politique, administrer l’État, ou conserver le pouvoir sans favoriser sa corruption[18].
Cet ouvrage est divisé en deux grandes parties.
De l’éthique du Prince comporte vingt chapitres :
Du gouvernement de l'État comporte vingt chapitres :
Cette deuxième partie est plus politique et aborde l’administration effective de l’État à travers ses différents organes et offices. Cette division binaire confirment le principe que le gouvernement de soi est le fondement du gouvernement des autres.
Adab sultaniyya peut se traduire littéralement par « les règles de la conduite du pouvoir politique », mais se traduit communément par « Miroirs des princes », et renvoie à une tradition littéraire. Ces règles de conduite font partie des belles lettres (adab) censées former l’adîb qui est l’équivalent de l’honnête homme duXVIIe siècle. Ces traités politiques visent à la formation du prince, mais aussi de tous ceux qui s’occupent des affaires dugouvernement. Ces textes étaient très diffusés au sein du peuple: ils étaient autant répandus, voir plus, que les livres d’Al-Fârâbi[10]. LesMiroirs des princes constituent une sorte de manuel composé de conseils et de préceptes moraux destinés à montrer au souverain la voie à suivre pour régner selon la volonté de Dieu. Comme leur nom l'indique, ces traités font figure de miroirs renvoyant l'image, la description du roi parfait.
Al-Mâwardî est l’un des premiers penseurs à rapprocher les miroirs des traités de gouvernement (et non plus desépîtres centrées sur la morale religieuse). Après Al-Mâwardî, la plupart des textes sont à la fois plus imposants et structurés, divisés en chapitres et parties bien proportionnées comme le montrent, entre leXIIe et leXVe siècle, les exemples d’al Turtushi, Al-Abbasi, Al Maliqi, Ibn Al Azraq. La particularité des miroirs d’Al-Mâwardi est qu’ils utilisent une forme argumentative (maximes de sagesses et poésie sentencieuse) alors que les autres miroirs utilisent une forme narrative[19].
Al-Mâwardî lie la sphère individuelle del’éthique et la sphère publique de la politique. Il définit les qualités que tout individu doit acquérir : la générosité, la grandeur d’âme, l’amour de la vérité, la patience, la discrétion, la fidélité, la maîtrise de soi, la consultation des collaborateurs, et la répulsion à l’égard du sentiment d’envie. Il parle ensuite des qualités réservées aux rois, ce sont les « qualités contraires » (« akhlâq mutaqâbila »). Ces qualités reposent sur une parfaite coexistence entre les extrêmes : générosité et économie, douceur et fermeté, clémence et châtiment, force et intelligence, ruse et violence. Le calife est donc celui qui est capable d’une chose comme de son contraire et du juste milieu. Il ne doit donc pas montrer une face unique qui ferait de lui un faible. Par exemple, pour ce qui est du comportement à adopter en temps de guerre, il doit pouvoir châtier, mais sans abuser de la violence[20].
Al-Mâwardî pose les principes de la relation entre lecalife et ses conseillers[14]. Le calife doit voir ces derniers individuellement, et c’est ensuite à lui de distinguer le vrai du faux et le bon du mauvais conseil : « Lorsque les conseillers accouchent de toutes leurs opinions, le souverain doit les présenter à son esprit, les sonder par sa raison, en examiner le commencement et la fin, demander aux conseillers leurs causes et leurs résultats, discuter avec eux leurs fondements et leurs cas particuliers, et faire cela selon la règle de l’équité, sans les accabler, et par désir de trouver le vrai, et non pas pour réfuter leurs opinions »[21].
Ensuite, lorsque le calife décide d’appliquer un conseil reçu, le résultat de cette application ne pourra être imputé qu’à lui-même. Autrement dit, le calife doit mener une politique non pas normative mais efficace : Makram Abbès parle de l'adoption d'une « éthique de la responsabilité plutôt qu’une éthique de la conviction »[19].
Al-Mâwardî insiste sur l’importance de former des délégués au pouvoir : « que le souverain sache qu’il ne peut trouver la voie droite, pour lui, ainsi que pour ses sujets, qu’en imposant la discipline à ses auxiliaires et à sa cour. Le souverain ne peut en effet diriger les affaires lui-même directement, mais doit les déléguer à ceux parmi ses auxiliaires qui sont compétents »[15]
Al-Mâwardî nous montre dans cet ouvrage à la fois le sens religieux despiliers de l’Islam, et l’aspect pratique que contient leur morale. Il dit alors que la prière sert à maintenir une disposition appropriée de crainte et d’ardeur, tandis que lejeûne a pour but de nous aider à avoir pitié des pauvres tout en maîtrisant nos appétits corporels, abaissants pour la dignité humaine. Pour ce qui est dupèlerinage, il permet au croyant de se repentir, mais aussi de lui faire prendre conscience du confort d’un chez soi et de l’hospitalité que nous devons offrir aux voyageurs. Lazakât est prescrite pour soulager les pauvres et les libérer de la haine et de l’isolement, et la générosité mène au respect des droits.
Al-Mâwardî donne naissance à une discipline autonome où religion et politique s’entremêlent ; nous pouvons l’appeler droit politique. Il propose une grille de lecture, plus complexe que la simple fusion entre le politique et le religieux, qui ouvre la voie à la sécularisation ainsi qu’à l’autonomisation du politique tout en laissant une place à la raison[22] Cette nouvelle discipline porte en elle les stigmates des querelles idéologiques et politiques de l’époque, qui opposent principalement lecalife abbassidesunnite à l’accession au pouvoir d’une dynastie d’obédiencechiite, lesBouyides. Al-Mâwardî n’est pas le seul à instaurer cette nouvelle discipline : il est au cœur d’un réseau de savants musulmans.
Les statuts gouvernementaux sont considérés comme un des principaux livres de la pensée politique en Islam[24].
Sa réflexion politique laisse transparaître une tonalité idéaliste dans la mesure où il réfléchit à ce que devrait être un souverain idéal. Cependant, il ne manque jamais depragmatisme et les questions qu’il se pose sur la manière de gouverner et d’administrer un État s’inscrivent dans une tradition philosophique à laquelle appartiennent les écrits postérieurs deMachiavel,Bacon ouJuste Lipse.