L'acide glutamique joue un rôle critique pour sa propre fonction cellulaire, mais n'est pas considéré comme un nutriment essentiel chez les humains car le corps peut le fabriquer à partir de composés plus simples, comme par transamination de l'α-cétoglutarate, produit intermédiaire de l'oxydation des sucres simples dans lamitochondrie (cycle de Krebs).
Le glutamate, forme ionisée de l'acide glutamique, est le neurotransmetteur excitateur le plus important du système nerveux central. Son action est contrebalancée par les effets inhibiteurs de l'acide γ-aminobutyrique dont il est d'ailleurs le précurseur principal.
Utilisé commeexhausteur de goût car responsable du goûtumami sous sa forme de sel de sodium (glutamate monosodique ou monosodium glutamate), il n'est généralement pas considéré comme toxique. En effet, il ne passe pas labarrière hémato-encéphalique car il est trop hydrophile[5],[6]. Le glutamate à forte concentration et en usage chronique présente une toxicité bien documentée, malgré des résultats contrastés. Son usage chronique est accusé de provoquer des effets neurotoxiques[6],[7] et des dommages rénaux à concentration excessive[8], sans que ces éléments ne soient parfaitement éclaircis.
Lorsque l'équilibre est rompu et que la concentration en glutamate atteint un niveau excessif dans lafente synaptique, ou encore lorsqu'il demeure trop longtemps dans cette fente synaptique, il peut hyperstimuler les neurones et provoquer leur mort.
L'acide glutamique n'est pas seulement l'une des briques élémentaires utilisées pour labiosynthèse des protéines, c'est aussi leneurotransmetteur excitateur le plus répandu dans lesystème nerveux central (encéphale + moelle épinière) et un précurseur duGABA dans les neurones GABAergiques. Il serait le médiateur de près de 50 % des neurones centraux[9]. C'est le neurotransmetteur excitateur principal desneurones pyramidaux, neurones de projection trouvés dans les connexions corticostriatales et corticothalamiques.
Le glutamate est formé dans les mitochondries des neurones suivant deux voies : soit par une transamination de l'alpha-cétoglutarate (un métabolite ducycle de Krebs mitochondrial), soit par une désamination oxydative de laglutamine par l'enzyme glutaminase. Il est ensuite stocké dans les vésicules des neurones glutaminergiques.
Lorsqu'un potentiel d'action arrive à l'extrémité de l'axone, les vésicules déversent parexocytose, leur glutamate dans la fente synaptique.
Le glutamate se lie alors à divers récepteurs post-synaptiques. Les récepteurs-canaux, NMDA, AMPA et KAR (ou récepteurs ionotropes) laissent entrer des cations (Na+, K+, Ca2+). L'entrée de charges positives active les canaux sodiques voltage-dépendants qui déclenchent la décharge d'un potentiel d'action.
Lesrécepteurs couplés aux protéines G, mglu1 à mglu8 (ou récepteurs métabotropes) activent indirectement des canaux ioniques par l'intermédiaire d'une cascade de réactions impliquant lesprotéines G. L'intervention de ces nombreux intermédiaires ralentit le traitement de l'information mais permet des activations multiples.
Dans la fente synaptique, le glutamate n'est pas métabolisé. Les molécules qui ne sont pas captées par les récepteurs post-synaptiques sont alors principalement captées par lescellules gliales voisines et métabolisées englutamine :
La glutamine est ensuite exportée dans le milieu extracellulaire où elle sera captée par les neurones glutaminergiques. Ce recyclage bicellulaire est nommécycle glutamate-glutamine.
Les récepteurs ionotropes du glutamate, NMDA, AMPA, KAR
Cesrécepteurs-canaux sont constitués de l'association de sous-unités différentes, sous forme généralement de tétramères. Ces sous-unités sont desprotéines transmembranaires codées par des gènes donnés dans le tableau ci-dessous. Cette diversité serait encore augmentée par l'épissage alternatif de plusieurs sous-unités[10],[11].
Les sous-unités des récepteurs ionotropes du glutamate comportent toutes uneextrémité C-terminale intracellulaire et 3 hélices transmembranaires.
Structure d'une sous-unité des récepteurs ionotropes du glutamate.
Récepteur tétramérique, formé de quatre sous-unités.
Les récepteurs NMDA sont des tétramères, formés de deux sous-unités NR1 et de deux sous-unités NR2 (NR2A, NR2B, NR2C ou NR2D). Les sous-unités NR1 sont obligatoires, tandis que les sous-unités NR2 spécifient les propriétés électrophysiologiques des récepteurs NMDA, telles leur sensibilité au glutamate, leur perméabilité au calcium, l'inhibition du magnésium. Les sous-unités NR3 A et B ont un effet inhibiteur sur l'activité des récepteurs.
Le L-glutamate se fixe à l'extrémité N-terminale des sous-unités NR2A et NR2B durécepteur NMDA. Pour l'activer, laglycine doit aussi se fixer sur NR1. C'est un coagoniste du glutamate. La fixation du glutamate sur le domaine extracellulaire entraîne un changement de conformation des sous-unités et l'ouverture du pore de façon progressive.
Plusieurs molécules sont aussi susceptibles de moduler l'activité des récepteurs NMDA. C'est le cas des ionsmagnésium Mg2+ qui se fixent sur des sites situés dans le canal ionique et les obstruent. La dépolarisation membranaire, induite par l'activation desrécepteurs AMPA, permet de déloger ces ions et de lever le blocage.
Lesrécepteurs NMDA sont largement répandus dans tout le système nerveux, généralement colocalisés avec les récepteurs AMPA. Ils sont très nombreux dans le cerveau antérieur avec une densité élevée dans la région CA1 de l'hippocampe[9].
La stimulation des récepteurs post-synaptiques génère despotentiels post-synaptiques excitateurs. Elle s'accompagne d'entrée de calcium entraînant la stimulation de la protéine kinase activée par le couple calcium-calmoduline,CAM-kinase 2, impliquée dans le phénomène depotentialisation à long terme (LTPlong term potentialisation). Ce phénomène de LTP est à la base desprocessus d'apprentissage et de mémorisation.
L'entrée excessive de calcium par hyperstimulation des récepteurs NMDA peut induire une mort neuronale parapoptose qui serait impliquée dans la neurodégénérescence observée dans lamaladie de Parkinson, lamaladie d'Alzheimer et les accidents ischémiques cérébraux.
L'activation des récepteurs AMPA déclenche l'ouverture d'un canal perméable au potassium et au sodium. Ainsi, le potassium sortira de la cellule alors que le sodium y entrera. Dans certains cas, il y a en plus une entrée de calcium, cela dépendant de la structure de l'AMPA (plus particulièrement de la présence ou non d'une sous-unité GluR2 éditée). Ainsi, il permettra la dépolarisation de la membrane du neurone cible du glutamate.
Lesrécepteurs kaïnate KAR sont en général présynaptiques et situés sur des synapses glutamatergiques ou gabaergiques. On en trouve principalement dans l'hippocampe et dans les couches infragranuleuses du cortex cérébral. Les récepteurs KAR présynaptiques sont inhibiteurs par activation des protéines G trimériques Gi et Gq qui diminuent l'exocytose du glutamate ou du GABA. Il existe aussi des récepteurs KAR postsynaptiques excitateurs.
Le glutamate est soupçonné de jouer un rôle dans les fonctions cérébrales d'apprentissage et demémorisation. Il est en effet un neurotransmetteur d'importance majeure. Un déséquilibre de son fonctionnement, essentiellement dans le cadre d'intoxications (kétamine,LSD), est susceptible d'entraîner des effets pathologiques comme ceux rencontrés dans lasclérose latérale amyotrophique, lamaladie d'Alzheimer, lelathyrisme.
Lepsychotropephencyclidine (plus connu sous le nom de PCP oupoudre d'ange) est uninhibiteur non compétitif du glutamate pour lerécepteur NMDA par stabilisation des canaux ioniques de ces récepteurs dans l'état ouvert. Il provoque un comportement semblable à laschizophrénie. D'autre part, des doses dekétamine, un antagoniste des récepteurs NMDA, inférieures à celles utilisées enanesthésiologie entraînent des effets dissociatifs et deshallucinations.
L'action des glutamates se révèle très difficile à étudier de par sa nature éphémère. Une équipe de l'université Stanford a développé un nanodétecteur protéique pour observer parfluorescence/luminescence la sortieneuronale du glutamate.
Ce détecteur, uneprotéine, possède une paire delobes articulés autour d'une charnière, comme le piège de laplante carnivoreDionée attrape-mouche. Quand le glutamate se lie aux protéines, les lobes se referment. Deux protéinesfluorescentes, extraites d'uneméduse, sont fixées au détecteur. L'une d'entre elles émet uneluminescence bleue qui excite la seconde qui émet à son tour une luminescence jaune. Au moment où les lobes se referment sur le glutamate, la protéine bleue s'éloigne de la jaune diminuant l'intensité de la luminescence. Cette diminution signale que le glutamate est sorti duneurone. Ce détecteur ne peut, pour le moment, que se situer sur la surface de lacellule : il ne peut donc indiquer la présence de glutamate qu'à l'extérieur de la cellule[12].
On peut provoquer parultraviolet la libération d'une forme spécifique de glutamate (glutamate en cage, « caged glutamate », après la stimulation UV, le glutamate est actif, « uncaged glutamate ») à un endroit choisi d'un ou de plusieurs neurones. Cette méthode dephotostimulation s'est révélée très efficace pour cartographier les connexions interneuronales.
Le glutamate monosodique est utilisé dans le cadre d'expérience pour induire l'obésité derats avec des objectifs expérimentaux tels que la détermination des mécanismes de l'obésité[13].
En concentrations excessives dans le cerveau le glutamate déclenche un processus dit d'excitotoxicité, délétère, voire mortel, pour les neurones, particulièrement en cas d'activation desrécepteurs NMDA.
Sa toxicité peut être reliée à :
un influx excessif et incontrôlé deCa2+ dans la cellule, dépassant sa capacité de stockage. Il s'ensuit des altérationsmitochondriales[14], conduisant à une libération decytochromep450, menant à l'apoptose ;
une surexpression defacteurs de transcription de gènes pro-apoptotiques, ou une répression des facteurs anti-apoptotiques, médiée par le glutamate et le calcium.
Ces théories se fondent sur l'observation post-mortem de neurodégénération chez des patientsépileptiques connus.
Une étude suggère que leneurotransmetteur nomméacide γ-aminobutyrique ou GABA serait touché dans le cerveau des personnes avecautisme. Le déséquilibre avec les effets neurologiques de l'acide glutamique expliquerait notamment que celles sans déficit intellectuel (dans lesyndrome d'Asperger) auraient une pensée plus focalisée sur de nombreux détails éloignés des sujets initiaux et davantage de difficultés à gérer ou supprimer les images visuelles[15].
Le glutamate a été impliqué dans les crises d'épilepsie, au vu de ladépolarisation foudroyante (uneseconde) qu'il provoque in vitro par microinjection intraneuronale, laquelle dépolarisation reproduit le phénomène de shift de dépolarisation paroxystique observé sur EEG lors d'une crise in vivo[16].
Un mécanisme suggéré est la baisse du potentiel membranaire de repos au niveau du foyer épileptique, qui provoquerait l'ouverture de canaux voltage-dépendants, provoquant un influx de glutamate qui entretiendrait la dépolarisation.
Glutamate libre naturellement présent dans les aliments
L'acide glutamique est unacide aminé très commun, présent dans de nombreusesprotéines végétales et animales. C'est même l'acide aminé le plus abondant de l'alimentation humaine. Sa saveur spécifique n'est détectable que s'il est présent à l'état libre. Cette saveur, différente du sucré, du salé, de l'acide et de l'amer, a été reconnue pour la première fois en 1908, par le scientifique japonais Kikunae Ikeda, qui la nommaumami ("le goût de ce qui est bon").
En tant que composant des protéines, le glutamate reste sans saveur, mais il peut exprimer toute sa sapidité en étant libéré par hydrolyse des protéines lors des processus defermentation, vieillissement, mûrissement ou cuisson des produits alimentaires[17].
L'acide glutamique libre est naturellement abondant dans desfromages comme leparmesan, la sauce soja ou les tomates. C'est lui qui joue un rôle essentiel dans la saveur des fromages, des crustacés et des bouillons de viande. Voici les principales mesures faites par Kumiko Ninomiya[18] (1998) :
Glutamate libre dans les aliments (d'après Ninomiya, 1998)
Dans certains aliments, le glutamate peut être très abondant sous sa forme liée et être libéré en partie lors de la préparation culinaire. Voici quelques mesures plus anciennes de Giacometti[19] (1979) :
Sous le code de E620, le glutamate est utilisé commeexhausteur de goût des aliments. Il est additionné aux préparations alimentaires pour renforcer leur goût.
Outre le glutamate[20], lecodex Alimentarius a reconnu aussi comme exhausteurs de goût ses sels de sodium (E621), de potassium (E622), calcium (E623), ammonium (E624) et magnésium (E625) :
Leglutamate monosodique (GMS), sel sodique de l'acide glutamique, apporte une saveur semblable à celle de cet acide aminé avec l'avantage de contenir 3 fois moins de sodium que lesel de table.
Le glutamate (ou ses sels) est souvent présent dans les plats tout prêts (soupes, sauces, chips, plats cuisinés). Il est aussi couramment utilisé en cuisine asiatique.
Des études ont montré que l'addition de glutamate de sodium (GMS) augmentait la palatabilité[21] des aliments et stimulait l'appétit (Belliste[22] 1998, Yamaguchiet al.[23] 2000). Cet effet est plus net chez les enfants et les adultes que chez les personnes âgées. En faisant goûter des aliments avec différentes concentrations de GMS, on observe que certains ne sont pas améliorés (comme les produits sucrés) et que les autres ont une concentration optimum préférée[24]. Cette concentration optimum varie d'un individu à l'autre. D'après les études de F. Bellisle[24], la concentration préférée des Européens (qui se trouve dans la fourchette de 0,6 à 1,2 %), tend à être supérieure à celle des Asiatiques. En général, l'assaisonnement au glutamate convient bien aux produits salés et aigrelets. La dose à ajouter, recommandée par Jinap et Hajeb[20], est de 0,5 à 4 g pour 500 g de nourriture, soit très peu (de 0,1 à 0,8 %), car un excès gâche rapidement le goût.
L'addition de GMS à un aliment, en améliorant son goût, ne risque-t-elle pas d'induire une consommation excessive, pouvant éventuellement conduire à une prise de poids ? Cette hypothèse a été testée chez un groupe de personnes âgées (de 84 ans en moyenne) vivant dans des maisons spécialisées durant un an[22]. L'addition de GMS à des aliments intéressants sur le plan nutritionnel (soupe, légumes, féculents) a induit une augmentation de leur consommation. Mais la taille totale de la prise alimentaire n'a pas varié, puisque l'accroissement de la consommation de produits assaisonnés au glutamate a été compensée par la diminution de la prise d'aliments servis plus tard, comme les desserts sucrés.La même observation a été faite auprès de patients diabétiques hospitalisés. À nouveau, les patients consommaient spontanément plus de produits recommandés assaisonnés de glutamate et moins d'autres produits, ce qui ne changeait pas l'apport énergétique global des repas.L'addition de GMS permet donc de réorienter les choix alimentaires.
Quelques cas d'intolérance au glutamate monosodique ont été rapportés, mais aucune recherche n'a permis d'établir un rapport entre glutamate monosodique et des intolérances d'une façon concluante.
De manière générale, le glutamate monosodique a longtemps été décrit comme responsable du « syndrome du restaurant chinois » du fait que la cuisine asiatique est très riche en glutamate[20]. En cas de réaction, le premier symptôme est unflush (coloration rouge intense et passagère du visage, du cou et du torse). Peuvent apparaître aussi : yeux injectés de sang, céphalées, sensation de brûlures survenant au niveau du tronc et irradiant vers la périphérie, impression d'oppression thoracique, brûlures de la tête, bouffées de chaleur, nausées et vomissements, sensation d'étouffement, difficultés à respirer, tendance à faire des malaises, etc.
Cette affection survient un quart d'heure à une demi-heure après ingestion et peut durer jusqu'à deux heures. La puissance de cette réaction n'est pas forcément proportionnelle à la dose ingérée, quelques milligrammes suffisent. Son lien direct avec l'ingestion de glutamate n'est pas scientifiquement prouvé. À peu près une personne sur 5 000 serait sensible à son ingestion, mais curieusement une sur 50 000 dans les pays asiatiques.
Une étude randomisée, en double aveugle et contre placebo, menée en commun par quatre grandes universités américaines[25], publiée en 2000, et portant sur les effets potentiels de la consommation de glutamate[26] n'a pas conclu à l'influence du glutamate sur le « syndrome du restaurant chinois »[27].
↑« Acide glutamique (l-) » dans la base de données de produits chimiquesReptox de laCSST (organisme québécois responsable de la sécurité et de la santé au travail), consulté le 23 avril 2009.
↑A.McCall, B. S.Glaeser, W.Millington et R. J.Wurtman, « Monosodium glutamate neurotoxicity, hyperosmolarity, and blood-brain barrier dysfunction »,Neurobehavioral Toxicology,vol. 1,no 4,,p. 279–283(ISSN0191-3581,PMID121936,lire en ligne, consulté le).
↑B.S. Meldrum *, M. T. Akbar, A. G. Chapman, « Glutamate receptors and transporters in genetic andacquired models of epilepsy »,Epilepsy Research,vol. 36,,p. 189-204.
↑S. Jinap, P. Hajeb, « Glutamate. Its application in food and contribution to health »,Appetite,vol. 55,,p. 1-10.