Pour les articles homonymes, voirAbbaye du Paraclet des Champs etAbbaye d'Æbelholt.
Abbaye du Paraclet de Nogent-sur-Seine | ||||
![]() Le bâtiment conventuel érigé juste avant laRévolution et devenu une demeure privée. | ||||
Ordre | abélardien (règle augustine influencée parCîteaux) jusqu'en 1147, puis paraclétien (reçu dans larègle bénédictine deCluny puisrévisé en 1617). | |||
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Abbaye mère | chef d'ordre | |||
Fondation | 28 novembre 1131 | |||
Fermeture | 14 novembre 1792 | |||
Diocèse | Troyes (archidiocèse de Sens) | |||
Fondateur | Abélard | |||
Dédicataire | Sainte Trinité (abbatiale) Paraclet (monastère) | |||
Personnes liées | Héloïse,Mathilde de Carinthie, JeanneChabot, Marie deLa Rochefoucauld. | |||
Style(s) dominant(s) | roman tardif (détruit) | |||
Protection | ![]() | |||
Localisation | ||||
Pays | ![]() | |||
Région | Champagne-Ardenne | |||
Département | Aube | |||
Canton | Canton de Nogent-sur-Seine | |||
Commune | Ferreux-Quincey | |||
Coordonnées | 48° 28′ 02″ nord, 3° 34′ 09″ est | |||
Géolocalisation sur la carte :Aube Géolocalisation sur la carte :Champagne-Ardenne Géolocalisation sur la carte :France | ||||
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L’abbaye du Paraclet, appelée habituellementLe Paraclet ou encoreParaclet deNogent, est uneabbaye fémininebénédictine prestigieuse[1] fondée parAbélard etHéloïse auXIIe siècle enChampagne à l'écart de Quincey, village aujourd'hui rattaché à la commune deFerreux-Quincey, dans lediocèse de Troyes, département de l'Aube.
Chef du premierordre spécifiquement féminin, le Paraclet a illustré un modèlemonastique basé sur l'érudition, la musique vocale savante et le petit nombre de professes comme de filiales, préfigurant ainsiSaint-Cyr. Un temps promu au sein de l'Église en concurrence de l'abbaye mixte deFontevraud et en opposition auxordres mendiants, tel celui desClarisses, il a représenté une tentative de reconnaissance des capacités intellectuelles des femmes au-delà de l'échec dubéguinage. Détruit par laguerre de Cent Ans, lesguerres de Religion et laRévolution, il montre aujourd'hui très peu de choses de ce qui en avait été restauré à partir duXVIIe.
L'abbaye se trouve à la sortie sud-est du village deSaint-Aubin le long de ladépartementale 442 deNogent-sur-Seine àMarigny-le-Châtel, qui jusqu'en 1978, et depuis des siècles, débouchait devant sa grille et la contournait par le nord. Son domaine confinait à celui du château de La Chapelle-Godefroy[2], ancienne commune réunie à celle deSaint-Aubin (Aube) en 1832.
Elle est exposée au nord, au bas d'un coteau, autrefois couvert devignes, culminant à deux cent un mètres face au mont Limars et descendant vers le vallon de l'Ardusson, petit affluent de laSeine s'écoulant vers le nord-ouest, qui fit tourner desmoulins[3]. Des vestiges de la forêt ancienne subsistent dans le creux du vallon et sur certaines parties des coteaux au nord de Quincey même et au sud duFerreux.
L'établissement qu'Héloïse projette de construire autour d'un oratoire dédié àsaint Denis est surnomméParaclitum, au sens de consolation, dès 1130[4] en souvenir de ce qu'Abélard, sept ans plus tôt, après sa condamnation auconcile de Sens, « rescapé mais au bord du désespoir, y reprit un peu de souffle dans la consolation de lagrâce divine »[5]. Ce nom est une référence directe, restée secrète pour les contemporains, aux discussionséthiques etthéologiques qui ont nourri la relation intime des anciens amants[6] entrés dans lesordres après la naissance de leur filsAstralabe et leur mariage.
Le termeévangélique deParaclet vient de latraduction grecque d'une parole duChrist annonçant à sesdisciples ce qu'il adviendra après sa mort prochaine :
« Si vous demandez quoi que ce soit en invoquant mon nom, je l’accomplirai (...) et moi, j'adresserai une prière auPère. Il vous donnera un autreintercesseur (παράκλητον,paracleton, accusatif de παράκλητος,paracletos) qui demeure auprès de vous pour l'éternité, l'esprit de vérité, que le commun ne peut accueillir, parce qu'il n'en a ni la vision ni la connaissance[7]. »
Le mot, de παρα (para, à son côté) et καλειν (kalein, appeler), a de nombreuses connotations et désigne en grec un intercesseur, un assistant en affaires, et plus particulièrement un conseiller lors d'une plaidoirie ou même un témoin à décharge. Il est traduit littéralement en latin paradvocatus (ad à,vocatus appelé) c'est-à-direavocat plaidant pour un accusé, sens retenu parTertullien. Il a été compris parsaint Jérôme comme une consolation de l'âme apportée par Dieu.
Le concept, commenté parsaint Augustin, est à l'origine de lathéologie de laSainte Trinité, les trois « personnes » queJésus cite dans ce « discours d'adieu », et plus particulièrement celle duSaint-Esprit.
Dans ce texte traduisant le propos deJésus, sont qualifiées de « paraclet » toutes les instances désignant Dieu dans son rapport au monde. « Paraclet » n'est pas un autre nom du « Saint-Esprit ». En effet, il est dit non pas« un intercesseur (...), l'esprit de vérité » mais« unautre intercesseur (...), l'esprit de vérité ». C'est donc que peut être qualifiée d'intercesseur l'esprit de vérité mais aussi autre chose que cet esprit de vérité, à commencer par l'intercesseur queJésus lui-même a été pour ses disciples. Jésus désigne dans ce discours une autrepersonne que lui-même, du moins une autre personne que lui durant sa présence sur terre, mais aucun autre de ses discours ne précise ce qu'est ou ce que sont ces autres instances divines qui peuvent être qualifiées d'intercesseur. Ce peut être le Fils seul oule Père et le Fils, chacun. Une mauvaise lecture, du moins une lecture restrictive, est à l'origine de la réduction de l'emploi du terme « Paraclet » au sens de « Saint-Esprit ».
Logicien le plus célèbre de son temps, Abélard, investissant tardivement, à partir de 1113, lathéologie avecles instruments d'Aristote, fâche les autorités religieuses par l'application de sathéorie des universaux à ce concept de Paraclet. Dans son analyse du genre et de l'espèce appliqué à Dieu, il fait du Paraclet non pasun autre nom du Saint-Esprit mais une qualité commune auxtrois personnes divines[5]. Ce faisant, enexégète qui n'hésite pas à contredire la tradition, Abélard suit le texte à la lettre (source ?).
Condamnée, entre autres points, parBernard de Clairvaux, auConcile de Sens, cette notion abélardienne de Paraclet est assez sulfureuse pour que le terme, employé dès 1130 pour désigner l'abbaye, soit écarté en 1131 par laCurie, qui préfère dans un premier temps celui d'« oratoire de la Sainte Trinité ». Dans l'usage, l'abbaye continue[8] de s'appelerLe Paraclet, et la dénomination devient tout à fait officielle au plus tard en 1147.
Derrière cette querelle théologique entre l'ordre avorté du Paraclet et les ordres naissants des prédicateursprémontrés etcisterciens, se révèle la question du statut duclerc, c'est-à-dire celle de l'accès à la vérité par le commun, et particulièrement la question de la capacité de la femme à accéder à la raison.
Si l'âme élue, y compris celle d'une femme, « reçoit consolation » non pas seulement du Saint-Esprit mais de toute la divinité, autrement dit si elle reçoit lagrâce de comprendre ce qu'il y a de compréhensible en Dieu, l'accès à la vérité par le Saint-Esprit est un accès à tout ce qu'il y a d'accessible de la divinité. Il deviendrait loisible, ce que croit pouvoir dénoncerBernard de Clairvaux, de « comprendre par la raison humaine tout ce qui est en Dieu »[9]. Pour Abélard en effet, ledogme, à la différence dumystère auquel il réserve ainsi un statut plus élevé encore, ne surpasse pas la raison humaine. Il ne s'impose pas sans raison ni raisonnements c'est-à-dire sans explication ni compréhension.
Dès lors, « répliquer par une vérité fondée en raison se montre plus solide que de faire étalage de son autorité »[10],[n 1]. L'autorité des prêtres s'en trouve contestable par tout un chacun et celle des mystiques issues du peuple accrue. Lesalut et lepéché deviennent affaire moins de soumission morale que de compréhension personnelle de son erreur et de recherche intérieure de la vérité[11]. La querelle rejoint ici celle de la morale par intention, introduite parAbélard[12] selon laquelle la culpabilité ou l'innocence ne se juge pas seulement à un comportement apparemment conforme à la loi ou la morale mais à l'intention qui est dans le cœur du sujet.
C'est en effet la difficulté à laquelle se sont trouvés confrontés les prédicateurs envoyés parNorbert de Xanten etBernard de Clairvauxévangéliser le peuple quand celui-ci, y compris dans les campagnes les plus reculées, s'est permis de répondre aux arguments d'autorité en brandissant leSic et non d'Abélard. Dans ce livre, l'auteur expose les contradictions, apparentes, entre le texte de laBible et les commentaires desApôtres et desPères. Il invite par là le lecteur non pas à la contestation mais, en partant du doute, « première clef de la sagesse »[13], à la recherche de la vérité au-delà desapories et, suivant la lectureaugustinienne[14] d'Isaïe[15] et la leçon d'Anselme[16], à l'élaboration d'une opinion personnelle, seule garantie d'une foi sincère.
« Haec quippe prima sapientiae clavis definitur assidua scilicet seu frequens interrogatio. »
— Voilà, ce qu'on définit bien sûr comme la première clef de la sagesse, c'est le questionnement, entendez constant, répété[13].
La querelle, qui est au cœur de laréforme grégorienne et du « printemps des hérésies », se double d'une lutte de pouvoir séculaire entreCapétiens etThibaldiens qui culmine en par le massacre deVitry perpétré parLouis VII[17].
Dès la génération suivant celle d'Héloïse, une véritable éthique de la paraclèse, bannie de l'Église et dulatin, se répand par l'intermédiaire de la musique et de la poésie enlangue vulgaire dans les cours princières à travers l'idéal courtois, où la bien-aimée, aussi inaccessible que désirable, est chantée comme une consolation de l'âme, tandis que les « Bons chrétiens », excluant toutintermédiaire clérical, font duParaclet l'objet de leur rituel principal, leconsolament.
En 1122,Abélard, prieur deMaisoncelles[n 2] condamné l'année précédente auConcile de Soissons, se réfugie àProvins[5] auprès de Robert,prieur deSaint-Ayoul. Grâce aux interventions personnelles de l'évêque de Meaux Burchard et de son protecteur, le très influent et richissimecomte de MeauxThibault de Blois, prochaincomte de Champagne, puis de son allié leSénéchalÉtienne de Garlande[5], il force son nouvelabbé,Suger, à accepter qu'il soit détaché deSaint-Denis. Sur ordre deThibault, Simon, seigneur deNogent et également fondateur trois ans plus tard de l'abbaye voisine deCourgenay, lui cède les terrains boisés du mont Limars au nord de la rivièreArdusson[21] entre Quincey etSaint-Aubin pour y fonder unermitage, consacré à laSainte Trinité[5], autour d'un oratoire dédié àsaint Denis[22] où il puisse tranquillement dispenser son enseignement auprès de ceux de ses étudiants qui l'y rejoignent.
Révolutionnaire au sens où il renoue avec la tradition duCollège Théodose (en) desaint Iltud, le projet d'une école retirée du monde nait dans une certaine improvisation d'une part de la promesse faite par Abélard de n'intégrer aucun autremonastère, ce qui nuirait à la réputation de celui deSaint-Denis qu'il vient de quitter, d'autre part de l'indigence dans laquelle il se trouve alors, incapable qu'il est de se transformer en simple exploitant agricole du terrain concédé[23],[n 3]. La dédicace paradoxale à cette même maison mère deSaint-Denis, soigneusement occultée par la suite[24] par un Abélard en conflit avec elle[n 4], traduit peut être les termes de l'accord entre lecomteThibault et l'abbéSuger et probablement une concession territoriale parmi de nombreuses autres[25],[n 5].
En 1127, à la suite de la disgrâce du chancelierÉtienne de Garlande, obtenue parSuger, ancien camarade de classe du prince devenu proche conseiller du roiLouis VI,Abélard abandonne son expérience d'université aux champs pour prendre la direction de l'abbaye du Rhuys enBretagne, son pays natal où il est à l'abri des persécutions conduites enFrance par ses rivauxcisterciens etprémontrés. L'unique bâtiment[26], « un dortoir clos »[5], et les cabanes[5] érigées par les étudiants, des fils de famillesaristocratiques, sont laissés à l'abandon. Quand, trois quarts de siècle plus tard, un autre professeur fondera à son tour une école érémitique, leVal des Écoliers du Christ, ce sera dans l'esprit triomphant de ces ennemis d'Abailard.
En 1129, Héloïse,prieure du monastère de Sainte-Marie d'Argenteuil réquisitionné pour desmoines, ainsi que toutes les autres moniales, est expulsée par Suger, abbé deSaint-Denis toujours opposé au sein de la courcapétienne au partithibaldien et désormais soutenu parBernard de Clairvaux. À l'invitation de son mari Pierre Abélard, elle rassemble la moitié de ses sœurs, dispersées[5] dans leurs familles ou hébergées par l'abbaye d'Yerres[27], et s'installe avec elles au Paraclet, dans le plus grand dénuement mais doté dès 1129 d'uneprébende à prélever sur lespéages dePont-sur-Seine[28]. Le lieu est un désert, où lesbénédictines ne croisent que des bêtes ou quelques brigands, mais se trouve au milieu d'un réseau routier et fluvial dont la fréquentation ne cesse de croître depuis le début du siècle, quand lesfoires de Champagne se sont ouvertes àTroyes etBar.Milon, seigneur deNogent et probable héritier du vicomte deTroyesMilon de Montlhéry, leur concède aussitôt les droits depêche dans l'Ardusson entre Quincey etSaint-Aubin[21]. La démarche deMilon de Nogent procède d'un certain activisme de la cour deChampagne. Presque simultanément, auconcile de Troyes,Thibault fonde avecHugues de Payns l'ordre du Temple, qui deviendra en quelques décennies le premier réseau bancaire.
L'absence d'Abélard laisseHéloïse, qui ne manque pas d'appuis en raison de sa haute naissance, à la sollicitude autant qu'aux vexations et violences des diverses autorités locales. Le, durant leschisme d'Anaclet, l'évêque d'AuxerreHugues de Montaigu obtient dupapeInnocent II leprivilège qui agrée la fondation au sein de l'archidiocèse de Sens et sous l'autorité directe de l'évêque de TroyesHatton, dans le diocèse duquel se trouve la Paraclet. L'établissement reçoit le nom officiel d' « Oratoire de laSainte Trinité » et Héloïse en est nomméeprieure[29].
Cependant, Abélard n'est pas inactif. Pour reconquérir l'opinion publique, il invente un nouveaugenre littéraire, l'autobiographie. DansHistoire de mes malheurs, dont le récit, centré sur un portrait mélodramatique de sa relation avec Héloïse, se clôt par la fondation d'un nouvel ordre monastique féminin, il s'efforce d'attirer la compassion de son public, l'ensemble du milieu intellectuel qui le diffuse par voie de circulaire. Puis il conduit une campagne delevée de fonds[4] qui porte ses fruits rapidement.Héloïse et sa futureprieure Astrane, épuisées[30] par deux années d'incertitude et une année d'indigence, peuvent faire commencer la construction d'un petitchœur d'abbatiale dans lestyle roman tardif en complément du dortoir existant[5], puis d'unesalle capitulaire, attestée en 1144[21] et comportant onze fenêtres, ce qui laisse supposer une constructiongothique (en latinFrancigenum opus, soit art français), ainsi qu'à l'entrée[31], d'un « petitcloître ».
En 1133,Abélard abandonne la direction duRhuys où, en l'absence de financement, les moines doivent mener leurs propres affaires et ont déjà tenté, trois ou quatre ans plus tôt, d'empoisonner leurabbé réformateur. Quatre-vingts ans avantsainte Claire[32], il rédige à la demande d'Héloïse[33] la premièrerègle monastique féminine[34] qui ne soit pas que la déclinaison de laRègle de saint Benoît qu'avait suiviesainte Écolasse et qu'un an plus tôtles premières Bernardines ont choisi de continuer de suivre. Il adopte ainsi une démarche différente de celle deNorbert de Xanten, qui donne une même règle auxprémontrés hommes ou femmes, mais se montre moins progressiste queRobert d'Arbrissel[35] et Hélisende, la probable mère d'Héloïse[36], qui ont conçu àFontevrault uneabbaye mixte, voiresyneisaktiste et non pas strictement féminine, à la tête de laquelle est nommée lePétronille de Chemillé, les moines se trouvant ainsi subordonnés à l'autorité d'une femme.
Les expériences malheureuses deSaint-Denis et duRhuys rendentAbélard, lui qui a pensé un moment préférable de se fairedhimmi[5] enAl Andalus, parfaitement conscient de la nécessité et au fait des difficultés de réformer le monachisme. Un certain nombre d'options dessinent l'utopie conçue à deux de l'ordre paraclésien. La pratique sera toute autre.
Abélard, répondant à une commande d'Héloïse, commence la livraison de cent trente cantiques, paroles et musique, dont le mélancoliqueO Quanta Qualia. Le but recherché parHéloïse à travers cethymnaire est de rendre cohérente uneliturgie jusqu'alors suivie sans que sa logique ni même son sens ne soient perçus. Le Paraclet devient ainsi le premier centre demusique sacrée de son temps.
Abélard complète cette liturgie[39] par vingt huit sermons[40] à lire pour vingt huit saints anniversaires, jusqu'alors négligés. Pour l'édification des moniales du Paraclet, il organise une semaine liturgique sous la forme d'une leçon simple tirée de laGenèse[41] et inspirée ducommentaire deRachi. Rare savant ayant accès, grâce à ses amitiésrabbiniques, autexte original qu'abritent lessynagogues deTroyes etProvins, c'est la première [référence?]exégèse chrétienne de laGenèse depuisSaint Jérôme. En prenant une tournure de laboratoire savant, qui plus est animé par des femmes[42], le projet du Paraclet va clairement à l'encontre des orientations que veut donner à laréforme grégorienne lecistercienBernard de Clairvaux, soucieux de restaurer l'autorité religieuse sur desclercs fidèles aux troisvœux, ce qui implique d'écarter les femmes. À cet égard, le Paraclet préfigure lebéguinage[43], qui rejettera dans lesiècle les femmesclercs et que l'Église combattra par lebûcher.
En 1135, Héloïse reçoit le titre d'abbesse, bien que son établissement reste unprieuré.
En 1136, Abélard, nommé pour la seconde foisécolâtre de l'abbaye Sainte-Geneviève par leChancelierÉtienne de Garlande, qui en a retrouvé la charge en même temps que la faveur duroi, abandonne la direction du Paraclet à la seule Héloïse. Unebulle consacre la mutation[44]. À l'exemple de son mari, Héloïse fait du Paraclet une école. Lesdemoiselles y étudieraientl’Écriture Sainte, lesPères de l'Église, leplain-chant, lamusique, la médecine dessimples, lasaignée[45], lelatin, legrec, et même l'hébreu[46], ce qui fit naître la légende[47] vivace jusqu'en 1790[48], que la messe dePentecôte est célébrée au Paraclet engrec.
Cette école monastique a été vue à laRenaissance comme un idéalhumaniste, le prototype duCollège de France[49], mais à l'époque, quelle que fut l'importance de l'enseignement dispensé au Paraclet, quelques leçons données par Abélard ou au contraire un programme d'études bien défini, il dérange.Bernard de Clairvaux, inquiet du succès international d'Abélard et de la place réservée à lafoimystique par des docteurs qui, selon lui, prétendent « rendre clairs et accessibles les secrets mêmes de Dieu »[50], inspecte le Paraclet. Il s'étonne que lespatenôtres qui y sont récités reprennent les termes de l'évangélisteMathieu[51], « notre painsuprasubstantiel ». Pour Bernard de Clairvaux, le modèle monastique féminin, c'estHildegarde de Bingen, celui d'une femme qui abandonne ladoctrine auclergé masculin, se cantonne à la musique, s'adonne à latranse et, adepte de l'idéalascétique enseigné parJutte de Sponheim, incarne une imagemystique de la femme[52].
Le, leconcile de Sens animé par le mêmeBernard, en condamnant les thèses d'Abélard, fragilise le projet du Paraclet. Pour ceux qui sont du parti de cultiver la critiqueexégétique desÉcritures[n 7], la prieure, sans être pour autant impliquée directement, est une caution morale utile à l'hérétique, que celui-ci n'hésite pas pour sa défense à interpeller à ce titre[53].
Deux ans plus tard, le, Abélard meurt à l'abbaye deSaint-Marcel où, malade, il a pris sa retraite. Héloïse, pour honorer sa promesse de lui donner une sépulture au Paraclet, organise, en s'appuyant sur lecomte de Champagne,Thibault, le rapatriement de la dépouille de son mari, jalousement conservée dans leurabbatiale par les frères de Saint-Marcel. Or une querelle concernant l'investiture dePierre de La Châtre à l'archevêché de Bourges font dégénérer les hostilités entre le roicapétien et lecomtethibaldien, qui défend le choix du pape, en un conflit armé, qui atteint son comble en quand le jeuneLouis VII,excommunié, fait rôtir mil cinq cents habitants, adultes et enfants[17], dans l'église deVitry[54]. Ce n'est qu'au bout de deux ans et demi, le, qu'Héloïse peut accueillir le corps de son époux dans lachapelle du PetitMoustier, où elle a fait aménager devant l'autel un tombeau.
Le transfert a été exécuté clandestinement par le supérieur de la maison mère deSaint-Marcel,Pierre le Vénérable. Le, celui-ci, souverain qui ne relève que de l'autorité du Pape, accorde au défunt uneindulgence plénière qui est exhibée au-dessus du tombeau. Le même jour, il reçoit le Paraclet dans l'ordre clunisien, projet longtemps désiré à cause de l'admiration qu'il nourrit depuis son adolescence pour la femme savante qu'est Héloïse. L'esprit de la règle d'Abélard, sinon la règle elle-même, s'en trouve altéré dans le sens d'une reprise en main plus conforme[55],[n 8].
Renonçant un peu plus à l'idéal autarcique d'Abélard, Héloïse, après l'affiliation de son abbaye, cède avec réalisme aux soutiens locaux qui se présentent. Cette même année 1142, elle ouvre une première annexe, leprieuré de la Madeleine, àTrainel où siège la plus importante familleseigneuriale de la région[n 9]. En 1143, Baudoin de Chaufond, beau-fils du propriétaire, lui cède les marais, prés et labours deLa Pommeraie[n 10] situés entre l'Oreuse et le grand chemin[56] ainsi que le « grandmoulin » sur le vieux ru.
Un rituel est mis en place pour honorer la mémoire du fondateur de l'abbaye. Héloïse l'organise autour d'une oraison funèbre, lanénie d'Abélard[57], en prévoyant qu'il puisse servir après son propre ensevelissement sous la dépouille de son mari. Une procession exhibant la « croix du Maître », c'est-à-dire d'Abélard, rassemble la veille dePâques les villageois deSaint-Aubin,Fontaine-Mâcon etAvant-lès-Marcilly s'acquittant de ladîme[n 11]. Le monastère prend en charge l'enterrement des indigents.
En 1146, Héloïse obtient deThibaut queMilon, seigneur deNogent, lui cède plusieurs centaines d'hectares déjà mis en culture au sud de l'Ardusson entreSaint-Aubin et sonmoulin, la route deTraînel à l'ouest et celle deCharmoy à l'est[21]. Renaud fait de même de ceux des deux rives en amont sur l'Ardusson jusqu'au village deQuincey. Cinq ans après la mort d'Abélard, leprieuré a accumulé plus d'une centaine de donations.
Le, Le papeEugène III élève le Paraclet au rang d'abbaye et rédige unebulle d'exemptionnullius dioecesis conférant à sonabbesse uneautorité quasi épiscopale qui s'étend déjà, certains lui préexistants, sur cinq prieurés annexes situés àTrainel, Aval ou Laval, près deLagny, Noëfort, appelé aussi Montfort, près deSaint-Pathus, Saint-Flour, dont il ne reste rien, etLa Pommeraie[58], laquelle appartenait depuis 887 auchapitre d'Auxerre. Jusqu'à sa fermeture, l'abbaye acquittera auSaint-Siège un impôt annuel, « obolumaureum », qui sera en fait réglé une fois par siècle[59] sous la forme d'untalent, la « maille d'or ». Lesparoisses deSaint-Aubin et deQuincey avec leursdîmes sont attribuées au Paraclet. Lecuré de la seconde sera désormais nommé par l'abbesse.
La même année, le Paraclet se voit confirmer la propriété deLa Pommeraie. LacomtesseMathilde,veuve en 1151, y ouvre une abbaye-fille dans laquelle elle se retire,Notre-Dame de la Pommeraie.
En 1152, Comitisse, nièce du mêmeMilon de Nogent, entre au Paraclet en y apportant les droits sur le four deSaint-Aubin et de Quincey[21].
Le, lepapeAdrien IV promulgue un accord de partage signé avec l'abbaye de Sainte-Colombe, dans le ressort de laquelle se trouve l'abbaye de La Pommeraie, le fonds revenant au Paraclet, ladîme à son aînée. Le1er décembre, sont confirmées les nombreuses et éparses donations faites au Paraclet par les grands propriétaires terriens de la région[60].
En, lacomtesseMathilde, future grand-mère dePhilippe Auguste, est enterrée à l'abbaye de La Pommeraie, à laquelle elle avait fait don de trois moulins comtaux deProvins. Son fils, lecomte de Troyes ajoute unerente de 35livres à prélever sur lafoire de la même ville et Jocelin de Saint-Pregts est contraint de leur céder les pâturages voisins du lieu-dit Barrault. Le tombeau de cette princesse, apparentée à toutes les grandes cours, fait deLa Pommeraie un lieu de passage obligé, fût-ce à faible fréquence, tant pour leroi que les princes étrangers.
Victime de son succès, le Paraclet, saccagé et déserté à la fin de laguerre de Cent Ans pendant plusieurs années, finit par dépendre financièrement de bienfaiteurs locaux. Malgré une décadence matérielle et intellectuelle, il continue toutefois jusqu'auXVIIIe siècle[61] d'illustrer[n 12] et de s'organiser autour de l'art choral introduit par les grandscompositeurs et poètes que furent ses fondateurs, avec la même exigence de la connaissance par cœur qui signe la sincérité du désir.
En 1164, la prieure Eustachie[n 13] prend la direction de l'abbaye à la suite d'Héloïse, décédée le et enterrée au Petit Moustier sous la dépouille de son mari. Même si après la mort d'Abélard l'abbaye a intégré larègle bénédictine, une certaine tradition voulue par Héloïse continue d'y être respectée, en particulier une exigence de sincérité et non d'apparence, propre à la conception deresponsabilité par intention introduite par Abélard[62] dans la morale et le droit de l'Occident. Lesvœux ne peuvent être exigés de celle qui ne s'en sent pas capable[63]. Le Paraclet évite ainsi de tomber dans la mondanité qui fut fatale àFontevraud, l'autre prestigieuse abbaye féminine. Contrairement à cette abbaye deDames, son effectif reste réduit.
Il faut attendre quinze ans pour qu'avec une nouvelleabbesse, Mélisende[n 14], qui appartient à la hautenoblesse[64], les donations reprennent. En 1194,Garnier de Traînel,évêque de Troyes, fait don de lacure deSaint-Aubin[44], en sus de celle de Quincey, et deux seigneurs locaux lèguent l'usufruit de terrains boisés tant pour laglandée que pour laconstruction[21], la plupart des bâtiments de l'abbaye étant encore en bois. En 1198, laCurie prend acte, au nom dupontifeInnocent III, de l'affiliation du Paraclet à l'ordre deCluny. Unebulle confirme les privilèges et les biens. En 1203, Eudes de Saint Pregts étend les droits de l'abbaye de La Pommeraie à l'usage des bois du lieu-dit Barrault. La même année, la nouvelle et quatrièmeabbesse, Ida, obtient du mêmepape l'excommunication d'un chanoine duchapitre deTroyes qui a frappé leschapelains etfrères convers du Paraclet. Comme le prévoit la règle rédigée parAbélard, dont la légitimité est ici remise en cause, un petit nombre de ceux-ci est admis au sein de l'abbaye pour le service des femmes.
En 1218, la cinquième abbesse, Ermengarde, donne àSaint Louis le financement, pris sur ladot de saprieure, nécessaire à la fondation de l'abbaye de Royaumont.
En, lesboulangers etpâtissiers deProvins, en la personne de Philippe Poilet, associent symboliquement leurcorporation au Paraclet[65]. Chaque maître s'engage à verser à la représentante de l'abbaye le jour de laPentecôte, devant l'église Saint-Thibaut à l’issue de la prédication, « trois deniers de cens et une redevance en pain nommée thouyn »[66]. Le règlement prévoit que chaque nouveau maître, après avoir payé le cens, fournit « pour sa bienvenue, une tarte et un gâteau bon et honnête »[67].
En 1233, l'abbaye de Saint-Denis passe avec laseigneurie deNogent, qu'elle détenait encore à la fin duIXe siècle, un accord reconductible de fourniture annuelle enblé incluant la production deFontaine-Mâcon, qui appartient au Paraclet. Celui-ci en tire unerente à prélever en nature sur ladîme de l'ensemble de laseigneurie. L'abbaye royale devient ainsiredevable envers sa consœurchampenoise mais depuis huit ans, le rythme des donations a chuté brutalement, tandis que lesprocédures ne cessent d'augmenter[68].
Le papeGrégoire IX confie àGuillaume d'Auvergne un projet, préparé en 1237[74] mais inabouti, de réformes des monastères féminins, dont le Paraclet apparait, à travers le mythe[75] de la conversion d'Héloïse[76] entretenu par saCorrespondance[77], comme l'archétype. Face au nouvel idéal évangélique d’extrême pauvreté prôné par lesclarisses, le Paraclet offre le modèle de la « discrétion »[78] c'est-à-dire l'absence d'excès dans les richesses. L'excès de pauvreté nuirait à l'idéal recherché en ne permettant pas la vie commune. Lapauvreté individuelle, la mise en commun des biens propres, n'implique pas la pauvreté de l'ordre, l'absence de biens communs.
En mai, une mission conduite par Ermengarde, accompagnée de ses trois nièces et néanmoins filles, de sachantre et de trois prêtres, est reçue à l'abbaye de Fontevrault par la supérieure Adèle[79] dans le but d'un rapprochement des deux chefs d'ordre, l'un implanté à l'ouest, l'autre à l'est[80]. Le projet de rapprochement n'aura pas de suite mais les deux établissements ont en commun d'être victimes de leurs succès. La mise à contribution des finances desévêques pour accueillir toutes les candidates est débattue sur fond d'émergence desordres mendiants. En 1244, l'abbesse est obligée de limiter à vingt-cinq le nombre demoniales pouvant être admises auprieuré de la Madeleine, àTrainel[44]. À la mort d'Ermengarde, en 1248, en attendant la nomination d'une remplaçante, la gestion de l'abbaye est ainsi confiée à un commissairetroyen, Pierre Desbordes. Son bilan consolidé comptabilise 49 porcs, plusieurs écuries totalisant 26 chevaux, en rapport avec la grande quantité de labours et de blé engrangé, un cheptel de 38 bœufs et 54 vaches, un troupeau de 1 500 brebis.
Moins de cinquante ans plus tard, le papeCélestin III tranche la question financière en limitant le nombre de moniales à soixante, effectif déjà atteint à la fin duXIIe siècle et depuis largement dépassé. Héloïse avait déjà dû renoncer au projet agraire d'autarcie et se tourner vers la collecte de dons. Désormais l'abbaye sera dépendante des financements des familles bienfaitrices y plaçant leurs filles.
Destinataire des legs faits par les grands propriétaires terriens des alentours, l'abbaye devient une pièce dans le jeu des alliances locales qui permet d'accéder à un rang. Elle accueille lesdemoiselles qui ne se destinent pas au mariage, telle Mélissende « deLa Chapelle »,novice dont ladot est payée à l'abbaye en 1207, pour une raison imaginable, par son père Hugues Lemoine, aspirantchevalier[81]. Parallèlement, la pratique dulatin diminue. La charge d'abbesse finit par être accaparée pendant un plus d'un siècle, de 1299 à 1423, à l'exception d'une douzaine d'années, par la même famille des Barres, fondatrice en 1127 duprieuré deNoëfort et principale contributrice de l'abbaye.
LaChampagne est épargnée par les débuts de laguerre de Cent Ans. En 1342, lareineJeanne d'Évreux, veuve retirée dans saseigneurie deBrie, fait don de 40livres pour la réfection de l'égliseabbatiale[31], comme elle en fait pour d'autres établissements religieux de la région.
Dix ans après le début de lapeste noire, le, les mercenaires d'Étienne Marcel etCharles de Navarre renforcés deJacques sont chassés deMeaux au terme d'un bref siège par les troupes duDauphin, qui tiennentMontereau, et celles ducaptal de Buch, revenant decroisade prussienne où elles ont participé aumassacre de la Strèbe. Les pillages sont perpétrés jusque dans les campagnes deNogent[82]. Pendant l'année 1359, alors que lebailli deSens pratique unepolitique de la terre brûlée et fait démolir les bastions isolés[83], le Paraclet est saccagé à l'occasion d'unechevauchée desroutiers duroiÉdouard. Cette destruction intervient probablement[84] dans les suites de la bataille qui a vu le àChaudefouace lagrande compagnie deBrocard de Fenestrange, appuyée par la milice de l'évêque de TroyesHenri de Poitiers, vaincre les troupes anglaises d'Eustache d'Abrichecourt. Celles-ci restent cependant stationnées àNogent etPont-sur-Seine. Le Paraclet se trouve dans une sorte deno man's land.
En 1366, c'est cet évêque guerrier que le papeUrbain V charge de restaurer le Paraclet et rassembler les sœurs dispersées dans leurs familles. Parmi celles-ci,Jeanne de Chevery, dont l'évêque a trois filles et un fils, Henri le Bâtard, légitimés à la mort de leur père, en 1370, par une ordonnance duroiCharles V. Quarante ans plus tard, la restauration est loin d'être achevée. En 1408, le papeBenoit XIII envoie d'Avignon uneindulgence pour toute contribution.
Durant tout le début duXVe siècle, la ligne de front ne cesse de se déplacer dans la région du Paraclet, au sud de laSeine, où les incursions d'un camp ou d'un autre se multiplient. Letraité de Troyes, fixant en 1420 la frontière sur laLoire, n'apporte pas la paix. Le système desgranges, logement sur place du personnel agricole organisé par l'abbaye, est détruit[85]. En 1432, les monialesde La Pommeraie sont réfugiées àSens, sans doute depuis plusieurs années, dans une maison de la rue Saint-Hilaire (actuelle rue Allix) loué par lechapitre. Circuler, c'est s'exposer aux maraudeurs.
À partir de la reprise deMontereau en 1437 parCharles VII,sacré depuis huit ans, les propriétaires de la région font des repérages, ceux que la guerre a enrichis investissent de nouveau et l'activité reprend lentement. Laguerre terminée, commence en 1453 une période de reconstruction financée paremphythéoses. En 1458, une première campagne de « réconciliation » rend quelques églises des alentours au culte. En cette fin deXVe siècle, la seizièmeabbesse, Guillemette de La Motte, devient sénile et c'est à laprieure deTraînel de se charger dutemporel. Le Paraclet finit par se relever dans un certain silence.
Durant laRenaissance, le Paraclet, associé par ses abbesses aux familles de premier plan, les maisons deColigny, deChabot, deLa Tour d'Auvergne…, devient une pièce, secondaire, dans le jeu politique. Il est entièrement reconstruit puis complètement ruiné par lesGuerres de religion.
Catherine II de Courcelles devient en 1481 la dix-septième abbesse.Cloître,réfectoire,dortoir et d'autres offices sont construits et marqués de ses armes[31].
Les travaux dureront plus de trente ans. La gestion de Catherine de Courcelles et ses adjointes impressionne. L'abbaye Notre-Dame-aux-Nonnains, vénérable établissement de laville de Troyes où a accouché unereligieuse en 1448, leur est confiée pour y imposer larègle bénédictine. Dès 1482, elle devient, ce quele dernier des Valois fera confirmer par lepapeSixte IV[58], une filiale du Paraclet. Celui-ci hérite ainsi des charges mais aussi desbénéfices de son aînée, en particulier de la dot d'une fille d'Hélie deVillemaur-sur-Vanne, entrée auxNonnains en 1197, soit, selon un acte contresigné par lacomtesseMarie, dix livres derente sur lespéages prélevés à Villemaur etMarcilly sur la route qui relieSens etPont-sur-Yonne àTroyes en passant parLa Pommeraie. À partir de 1487, l'abbaye peut recommencer à louer ses moulins et terrains agricoles.
Le, l'abbesse transfère solennellement les ossements d'Héloïse et d'Abélard depuis le Petit Moustier à l'abri des infiltrations et des inondations (« a quodam loco humido et aquoso »), respectivement à gauche et à droite de l'entrée duchœur de l'abbatiale de la Sainte Trinité, dans laquelle les abbesses successives ont leurs sépultures[31].
En, l'évêque de Troyes Jacques Ranguier inspecte l'abbaye, qui fait l'objet de rumeurs. En cette fin du règne deLouis XII, la société paysannechampenoise est en pleinboom[87]. L'évêque constate que les fêtes annuelles organisées par l'abbaye pour chacun des villages du ressort de celle-ci, à l'occasion de la collecte de ladîme, donnent lieu à des danses et même à certains chants aux paroles déplacées. Il reproche aux moniales d'y prendre part elles-mêmes avec les villageois. Il demande à l'abbesse de réformer son établissement et de rétablir laclôture. Conformément à ces recommandations, est construite une nouvelle enceinte, que l'on voit aujourd'hui. À son achèvement, en 1509, est posée une grille[31] dans lechœur.
En 1513, Catherine de Courcelles, qui a la sagesse de ne pas reproduire l'erreur de la seizième abbesse, obtient dupape son remplacement par latrésorière deNotre-Dame aux Nonnains, sa nièce Charlotte deChâtillon-Coligny, qui est unecalviniste convertie aucatholicisme.
À la mort de celle-ci, en, c'est leroi qui, en vertu duConcordat de Bologne, nomme son successeur.FrançoisIer, qui a commencé les persécutions contre lesréformés protégés par sa sœur, lareine Marguerite, en les excluant des hautes charges, choisit Antoinette deBonneval. L'abbaye est désormais une abbaye royale, régie par unediscipline rigoureuse qui se veut exemplaire et, dix ans durant, tombe dans l'excès. L'abbesse exige la présence de sesprieures, fait subir des pénitences extravagantes aux réticentes et n'hésite pas à les faire quérir manu militari.
Une vague de banditisme[88] liée à ladémobilisation[89] desbandes de Champagne,compagnies franches et autres soldats revenus desguerres d'Italie, puis le déclenchement desguerres de religion provoquent dès 1529 la fortification des villages situés entreSeine etYonne[90]. Ces grands travaux s'étaleront sur cinquante ans. Dans ce dispositif, l'abbaye va devenir une pièce militaire.
En 1567, l'abbesse Jeanne deChabot, fille de l'amiral nommée sept ans plus tôt par larégente, donne refuge aux populations et troupeaux fuyant les massacres perpétrés par les arméesprotestantes deCondé,Coligny etAndelot à la suite de leurcoup d'état manqué. L'abbaye devient une place forte défendue par deux centsmercenaires. L'abbaye de La Pommeraie est fermée, réduite à une ferme, et ses moniales transférées àSens. L'abbesse du Paraclet doit négocier des sauvegardes avec les chefs des différents partis en guerre, tels que l'ambassadeur d'Espagne, lecomte d'Aremberg, ou, plus tard, leDuc de Guise, chef de laLigue[91]. L'abbaye fortifiée affronte en 1576 leslansquenets qui ont incendié les villages alentour.
En quinze mois couvrant l'année 1586, le pays est ravagé par cinq passages des armées protestantes et allemandes se ralliant auPrince de Condé près deSens, auchâteau de Vallery. L'abbesse scandalise ses filles en invitant à l'office des dignitairescalvinistes et en limitant sacommunion. Tous les objets ostentatoires sont vendus. Les dissensions provoquent une défection massive parmi les dix-huit professes, plusieurs revendiquant pour elles le titre d'abbesse. Desfactums circulent[91]. En, l'évêque de Troyes est obligé de forcer à coup de pioches laclôture pour faire son inspection ordinaire[92]. Confirmée à la suite d'un procès par undécret d'Henri IV[91], que lesligueurs qualifient de « roi hérétique »,Jeanne de Chabot ne renie rien de ses choix[48] incompris. Elle meurt en 1593 entourée des trois seules sœurs restantes, accusée d'avoir vendu auxAnglais le manuscrit de la correspondance d'Héloïse et Abélard[93], dont la première édition est organisée par le Paraclet vingt-trois ans plus tard à partir de copies.
LeSaint Siège ayant reconnu précédemment une autre abbesse, Anne du Moulinet, moniale deJouarre, pendant cinq années l'abbaye reste vacante, sans que Marie de la Rochefoucauld, fille duseigneur de Chaumont appelée du couvent deSaintes parle roi, ne puisse entrer en fonction[91].
Tombée encommende[92],[n 15], l'abbaye devient une charge héréditaire qui générera jusqu'à trente millelivres derente annuelle à la fin duXVIIIe siècle. De 1593 à 1792, toutes les abbesses sont issues de la famille deLa Rochefoucauld.
Au tout début du règne deLouis XIII, la supérieure Marie de La Rochefoucauld reçoitFrançois d'Amboise venu visiter le Paraclet au prétexte d'un lointain cousinage avec l'abbesse. Cemaître des requêtes etconseiller de feuHenri IV a été mis à la retraite parMarie de Médicis. Le partiultracatholique, qui soutient laRégente, entend écarter de la cour une génération de seigneurs riches et entreprenants sur lesquels le « roi hérétique » s'était appuyé et les remplacer par des courtisans.François d'Amboise vient avec une intention politique et unhistoriographe de trente ans,André du Chesne, fils cadet d'unchevaliertourangeau allié, pour se faire céder ceux des manuscrits d’Abélard etHéloïse que possèderait encore le Paraclet[94].André Du Chesne se charge de la première traduction, qui paraît en 1615[73] et est mise à l'Index dès la seconde édition, principalement à cause de la préfaceapologétique[70], qui sert le partilibertin. Sous prétexte d'une condamnation pourhérésie qui n'a pas été prononcée, les amants scandaleux restent plus que jamais censurés.
À partir des années suivantes, l'abbesse met progressivement en œuvre les nouvelles règles édictées par leconcile de Trente,clôture, silence, effacement des conditions sociales, soumission à l'évêque,confesseur externe au monastère,directeurs de conscience, interdiction prophylactique d'être à deux,chasteté de la pensée, etc. mais le, elle procède à une réunion charnelle qui insiste sur la relation indéfectible d'Héloïse et Abélard en regroupant leurs deux cercueils dans un caveau qu'elle a fait aménager dans le plafond de lacrypte sous l'autel[95].
En 1623, elle choisit pour coadjutrice Anne Marie de la Rochefoucauld de Langeac[92]. Le choix d'une cousine est un acte d'autonomie vis-à-vis de la hiérarchie ecclésiastique.
Le, l'abbesse fait constater l'infraction commise par l'évêque de Troyes René de Breslay, qui, pour le besoin des travaux d'installation d'une grille dans lechœur de l'abbatiale, a transgressé sans autorisation laclôture. Il lui est reproché en outre d'être entré dans les cellules et d'y avoir eu des entretiens avec les nonnes tard dans la nuit. L'affaire est portée devant lelieutenant général duprésidial deSens, Bernard Angenoust,seigneur d'Avant et deRosières, lequel rappelle la souveraineté que tient l'abbesse du seulSaint-Siège et l'étendue de celle-ci. L'évêque obtient un droit de visite pastorale.
Le, à la demande des moniales, ce même évêque publie[96] larègle, mise en place quinze ans plus tôt, que leur prescrit laRéforme catholique. Il ne manque pas d'accaparer l'acte en l'accompagnant d'une lettre dans laquelle il les exhorte à respecter cette règle « en dépit de la faiblesse de leur sexe ».
Durant tout le mois de, l'abbaye, qui avait bénéficié d'une sauvegarde lors d'un premier passage en 1627[92], est réquisitionnée pour les troupes duMaréchal deColigny en campagne dans laguerre de Trente Ans. Elle compte à cette époque vingt huit religieuses[92].
Le, une tempête détruit leclocher, la voute de l'abbatiale, lecloître, laboulangerie, l'infirmerie, lenoviciat et l'appartement de la supérieure. L'abbesse Gabrielle-Marie de La Rochefoucauld conduit la reconstruction, qui inclut les granges et le colombier qui se voient aujourd'hui. Sa sœur,Catherine de La Rochefoucauld, vingt-sixième abbesse, fait construire en 1686 le château pour y loger les sœurs à l'écart desnovices et du personnel desconvers. L'ancienne abbaye autour de l'abbatiale acquiert déjà son caractère purement fonctionnel, essentiellement horticole et agricole, avec d'un côté lecloître et de l'autre labasse-cour.
La vie à l'abbaye ressemble plus à une vie de château[2] austère ponctuée par le cérémonialbénédictin, soit six heures de prières quotidiennes. Le confort est confié aux soins desfrères et sœurs converses. Celles-ci sont une petite douzaine pour le double de« moniales dechœur »[98]. L'abbaye accueille desprêtres, desbénédictins et desnovices en visite[99]. Elle compte en son sein des frères et sœursoblats, jeunes dévots ou retraités ayant donné leurs biens et bénéficiant d'une règle allégée[99].
Le, Catherine de La Rochefoucauld fait installer dans lechœur de l'abbatiale uncénotaphe, dédié à Héloïse etAbélard[100]. Afin de rendre visible aux visiteurs cet étrange monument, elle installe dessus une sculpture de laTrinité représentée par une triple statue dont les trois figures joignent sous un même manteau leurs mains en une seuleprière[n 17]. L'abbaye devient un lieu de culte du souvenir d'Héloïse et Abélard, fêtés solennellement chaque et[70], où sont reçus les touristes érudits. Les murs de nombreuses pièces se couvrent de tableaux les représentant[101].
Dans la première moitié duXVIIIe siècle, la vingt-septième abbesse, Marie de La Rochefoucauld de Roucy, fille du comte deRoye et d’Éléonore de Durfort, fait reconstruire l'abbatiale. L'effectif compte vingt quatre professes, dix converses, cinq religieux, des médecins et chirurgiens, vingt domestiques, neuf servantes et, si l'activité agricole continue de prospérer au Paraclet même, la gestion complexe d'une multiplicité d'établissements n'est plus efficace. En 1721, il faut en appeler aux finances publiques de laRégence et c'est leDuc d'Orléans qui règle une partie des dettes des Nonnains. En 1733, est invoqué l'accord de 1233, pour qu'en tant que nouvellefiliale deSaint-Denis, l'abbaye royale de Saint-Cyr[n 19] prenne en charge laredevance deblé due par sa maison mère, soit septmuids, unsetier et huitboisseaux. Elle s'en acquitte une première fois le.
Le, Marie Rose Charlotte deLa Rochefoucauld de Bayersafferme près de deux cents hectares à Michel Blaque moyennant une annuité en nature et une rente de 24 000 livres d'argent. La basse-cour est concédée avec sa cave, leCellier aux moines, sonécurie, soncolombier, etc. Contrairement à la situation des siècles passés, l'effectif ne compte presque plus que desroturières, seize sur dix huit, hormis l'abbesse[103]. Son successeur,Marie Charlotte de La Rochefoucauld de Roucy, vingt-neuvième et dernière abbesse, fait construire une nouvellesalle capitulaire et un corps de bâtiment de cent seizepieds de long, soit plus de trente sept mètres.
Le, l'abbesse dépose dans le sol devant lecénotaphe unreliquaire plombé de troiscoudées où ont été rassemblés dans deux compartiments respectifs les ossements, très bien conservés, d'Héloïse et Abélard[104], peut être dans le but d'entretenir la célébrité de sa maison. Le revenu annuel de l'abbaye décline en effet jusqu'à quelque20 000 livres[105].
Le est décrétée lanationalisation des biens ecclésiastiques de grand prix. Les moniales, qui ont le soutien de la population et ont l'habitude de soigner les nombreux paysans allant vendre leurs productions àProvins ou Paris, proposent, sans succès, de convertir leur établissement en hospice. En décembre, l'abbaye est évacuée et des scellés posés à la porte de l'église.
Le, l'abbaye tombe sous le coup de la loi sur lesbiens des émigrés. Début octobre, les quelques moniales revenues évacuent l'abbaye. Le 9, les notables deNogent viennent, au grand dam des villageois[106], solennellement retirer ducénotaphe le pseudo double cercueil[107]. Le 18, leDistrict le réceptionne et fait transporter la triple statue[108] dans l'église deNogent à l'instigation ducuré de celle-ci[n 20]. Lesrestes d'Héloïse et Abélard restent à Nogent jusqu'en 1800 puis sont transférés à Paris[109].
Le, l'abbaye est vendue 78 000 francs au domestique du même pasteur, puis cédée successivement à unnotaire local et unfripier parisien, Pierre Simon, qui débitent les bâtiments en commençant par l'abbatiale Sainte-Marie[108] construite au début du siècle.
En 1793, durant laTerreur, un incendie ravage une partie des bâtiments restants. Le, lecomédienMonvel, directeur duthéâtre de la République, et sa femme achètent le château pour y habiter, ainsi que les ruines alentour. En, les cent soixante treize livres de la bibliothèque du Paraclet qui n'ont pas été sauvegardés parJean-Joseph Cajot ou dispersés par d'autres sont vendus par leDistrict[110]. En, Pierre Simon meurt, et labasse-cour revient à son héritier.
Le, legénéralPajol[111], anciensecond deKléber etgendre ducomteOudinot, acquiert pour 40 000 francs le domaine vendu auxenchères au même prix le précédent par les héritiers deMonvel. Il cède lemoulin sur l'Ardusson à la forge Weyer & cie. et récupère les pierres du logis abbatial pour reconstruire une belle demeure sur les mêmes fondations[112]. Dans lechœur de l'abbatiale disparue, à l'emplacement supposé du tombeau d'Héloïse etAbélard, en réalité au-dessus d'unecrypteabsidiale située plus à l'est, il fait construire unobélisque votif.
Le, malheureux en affaires, fâché avec son beau-père à cause de ses idées libérales, il rachète la forge mise en faillite et lotit les anciens bâtiments de l'abbaye contre la somme de 96 000 francs au profit dunaturalisteCharles Athanase Walckenaer, lequel achète également labasse-cour à l'héritier de Pierre Simon.
Le, le général, désormaispair de France, cède, trois ans après le décès de sa femme, le château àCharles Athanase Walckenaer. Le fils du nouveau propriétaire,Charles Walckenaer,Sous-préfetlégitimiste deNogent, démis en 1832 par lamonarchie de Juillet, aménage l'ensemble enferme agricole etmaraîchère, met enherbage, faitcanaliser l'Ardusson et reconstruit lemoulin.
Le petit-fils de Charles Athanase Walckenaer,Charles Marie Walckenaer, fait construire vers 1910 la chapelle actuelle à l'emplacement d'une partie de l'ancienne nef de l'abbatiale de laSainte Trinité. Elle servira jusqu'à laSeconde Guerre mondiale aucuré deQuincey pour uneprocession annuelle duCorps du Christ.
Le Paraclet est aujourd'huiexploité par la septième génération Walckenaer.
« Ibi vita, ubi mors »
— Là est la vie où est la mort. Gravé sur le mur de labasse-cour en 1853 par son propriétaire, le « poète paysan »Charles Walckenaer dit Charles Cassegrain.
Détruits puis reconstruits durant laguerre de Cent Ans, auXVIIe siècle, puis à laRévolution, les bâtiments ne présentent plus rien de ce que fut leParaclet d'Héloïse, ni même lecénotaphe inauguré en 1701 dans lequel avaient été transférés en 1780 les restes d'Héloïse etAbélard.
La cave voutée visible sous l'église construite au début duXXe siècle, est le vestige probable d'unecrypteabsidiale de l'église de laSainte-Trinité. La crypte dans laquelle les mêmes dépouilles avaient été translatées le se trouve neuf mètres et demi plus à l'ouest, inaccessible sous une dalle de béton.
Un petit bâtiment isolé à l'ouest de l'église, en retrait du pigeonnier, évoque trompeusement la chapelle du Petit Moustier, première sépulture ayant réuni les célèbres amants dans les jours suivants la mort de la première abbesse, le. Celle-ci était en zone inondable, vraisemblablement au bord de l'ancien cours de l'Ardusson. Ce Petit Moustier était peut-être la ruine, aujourd'hui disparue mais représentée sur unegravure[26], qui servait delavoir[2].
Des fondations demeurent invisibles dans le sous-sol entre plusieurs centaines de tombes[31], elles aussi invisibles.
Le corps de château, ajouté en 1686 parCatherine de La Rochefoucauld, vingt-sixième abbesse, se dresse intact dans son parc au nord de l'abbaye même.
Celle-ci est ceinte d'un mur d'unetoise de haut, flanqué à l'occident d'une grange, datant du début duXVIIe, que terminent deux grosses tours basses. Cette enceinte est partagée par l'église que prolongent des communs et un logis, en deux cours principales. Celle de l'est, l'anciencloître, comporte le cellier des moines construit auXVIIIe siècle, un jardin quadripartite, une piscine moderne et un tennis. Un colombier duXVIIe et un puits bouché occupent celle de l'ouest, l'anciennebasse-cour, qui est bordée au sud de deux autres granges, de la même époque, formant une entrée depuis la route.
Les bâtiments sont occupés par une ferme. Leur extérieur se visite du lundi au samedi depuis la dernière semaine de juillet jusqu'à la première de septembre. Le château est une propriété privée.
L'obélisque dePajol, ainsi que l'anciennecrypte font l’objet d’une inscription au titre desmonuments historiques depuis le[115].
Les façades et les toitures de l'ancienbâtiment conventuel, avec l'ancienne cuisine voûtée au rez-de-chaussée et l'escalier en bois de l'aile en retour, le sont depuis le[115].
Dans la partie ouest de l'abbaye, les façades et toitures desgranges est et ouest, la grange nord-est et lepigeonnier le font également depuis la même date[115].
« In omni quippe disciplina tam de scripto quam de sententia se ingerit controversia et in quolibet disputiationis conflictu firmior rationis veritas reddita quam auctoritas ostensa »
— « Dans tout domaine, exégèse aussi bien que doctrine, surgit la controverse, et au milieu des contradictions d'un débat, » etc.
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