Lesmonts hydrothermaux,cheminées hydrothermales,sources hydrothermales oufumeurs sont deséventshydrothermaux mesurant entre 70 et 100 mètres de haut, situés sur l'axe desdorsales océaniques ainsi qu'à proximité desbassins arrière-arc. Ils sont une conséquence des mouvements desplaques tectoniques. Ils évacuent une partie de la chaleur interne de laTerre. C’est en 1977 que ces monts et la vie sous-marine luxuriante qui leur est associée ont été découverts auxîles Galápagos par le submersible américainAlvin. Cetécosystème privé de lumière est basé sur uneproduction primaire assurée par desbactérieschimiosynthétiques qui vivent libres ou ensymbiose avec les organismes.
Les systèmes hydrothermaux sous-marins ont finalement été découverts en 1977 par le sous-marin américainAlvin, un submersible de 16 tonnes, équipé pour la recherche dans les abysses. Lors d'une plongée au niveau de l'Équateur, les géologuesJack Corliss etTjeerd van Andel conduits par Jack Donnelly, le pilote, découvrirent le[1], à l'axe de la dorsale océanique desîles Galápagos, d'importantes structures minérales ressemblant à des termitières, par 2 630 m de fond[2]. Ils remarquent qu'un fluide, chargé en minéraux, en méthane et en sulfures d'hydrogène, s'en échappe. Lors d'une plongée postérieure menée en 1979[3] sur la même zone et avec le même submersible, des biologistes trouvèrent un écosystème inédit, profitant des minéraux et de la chaleur émise par les monts hydrothermaux comme la base d'une chaîne alimentaire reposant sur la chimiosynthèse bactérienne. L'« oasis de vie », dans un milieu où règne l'obscurité totale et une pression hydrostatique importante, est riche et variée : les chercheurs y découvrent de nouvelles espèces debivalves, depoissons abyssaux, decrustacés, depoulpes dans des zones pensées jusqu'alors désertiques[4].De nouvelles campagnes de plongée permirent une étude approfondie de ces environnements atypiques. Ainsi, entre 1982 et 1999, neuf campagnes ont été réalisées par l'Ifremer au large des côtes de laCalifornie et duMexique.
Vue en coupe (sans échelle) d'une dorsale océanique. Légende : 1 :chambre magmatique 2 :gabbros 3 :basalte 4 :dike 5 : faille normale 6 : lave en coussinSchéma d'un mont hydrothermal
Schéma (sans échelle) d'un mont hydrothermal et de la circulation associée au niveau d'une dorsale océanique rapide
La composition du fluide hydrothermal émis varie avec la température et la nature des roches rencontrées lors de la remontée vers le plancher océanique et diffère de celle de l'eau de mer, oxygénée et faiblement alcaline. À la sortie, le fluide est caractérisé par sa température élevée (350 à 400 °C), unpHacide (2)[7], de fortes concentrations en gaz dissous (H2S,CH4,CO,CO2,H2) et en ions métalliques (Si+,Mn2+,Fe2+,Zn2+) ainsi qu'uneanoxie (c'est-à-dire une absence d'oxygène) marquée.Il détient en revanche de faibles concentrations en ions phosphate (PO43−), magnésium (Mg2+), nitrate (NO3−) et sulfate (SO42−).Leur salinité est très variable (entre 0,1 et 2 fois celle de l'eau de mer).
Lors de la découverte des structures hydrothermales dans les années 1970, il était considéré que la composition du fluide était relativement constante et stable. Il est désormais établi, grâce à la découverte de nouveaux sites, que la composition du fluide est très variable. Sa composition, sa température et son débit sont variables avec le niveau de dilution de l'eau de mer avant la sortie ; elle diffère donc entre les sites, ou même entre plusieurs sources d'un même site. Sur le temps, le fluide peut conserver la même composition jusqu'à une dizaine d'années ou évoluer lentement ou rapidement.
En fonction de la composition du fluide hydrothermal, on distingue deux types différents de fumeurs : les fumeurs noirs, au fluide hydrothermal chaud et riche ensoufre, ainsi que les fumeurs blancs, dont le fluide est moins chaud et ne contient pas de particules.
Les cheminées hydrothermales alimentent les océans enfer, et si ce fer remonte à la surface, il favorise alors la croissance duphytoplancton. Ainsi elles participent aupompage biologique du carbone. Toutefois à peine 0,2 % du fer apporté par les sources sous-marines reste soluble[8]. Les fumeurs, et en particulier les fumeurs noirs, représentent de véritables oasis de vies au fond des océans. Des organismes se sont adaptés, exploitant lachaleur et le soufre émis par ces sources hydrothermales.
Dans les couches supérieures duplancher océanique, lesbasaltes,gabbros et lespéridotites présentent des minéraux altérés en raison du lessivage et de la dissolution par l'eau de mer. Ainsi, lesplagioclases sont transformés enargiles, lespyroxènes et lesolivines par de laserpentine. Ils sont hydratés, c'est-à-dire qu'ils possèdent des radicaux hydroxydes (OH−) apportés par l'eau[9].
En outre, la circulation d'eau de mer dans lacroûte océanique a pour effet l'évacuation de la chaleur du plancher océanique, et donc plus généralement de celle de la Terre, issue de la désintégration d'éléments radioactifs dumanteau terrestre et de l'accrétion originelle deplanétoïdes et de petits grains de matière de lanébuleuse solaire il y a 4,6 milliards d'années.
Lors de son émission, le fluide chaud rencontre uneeau de mer froide, provoquant une précipitation des minéraux successive en fonction de leur stabilité dans les conditions physico-chimiques rencontrées. Une cheminée hydrothermale se forme alors au niveau de la source, et s'élève en structures concentriques. Cette formation se déroule en plusieurs étapes.
Dans un premier temps, à l'émission, une matrice poreuse de barytine (BaSO4) et d'anhydrite (CaSO4) se forme à partir des ions sulfates de l'eau de mer, exempts dans le fluide hydrothermal. L'édifice croît verticalement en s'enrichissant par l'extérieur de dépôts métalliques sulfureux (fer, cuivre et zinc). Petit à petit, ce dépôt entraine le colmatage des matrices poreuses initiales et une « frontière » physique entre le fluide et l'eau environnante se forme.
En deuxième temps, la « fermeture » latérale de la source provoque une augmentation de la température au cœur de la cheminée. Des sulfures de fer (pyrite, marcassite, pyrrhotite, chalcopyrite, isocubanite) et de cuivre précipitent à l'intérieur de la cheminée pour former le conduit central. Progressivement, la structure croît latéralement avec le remplacement de l'anhydrite par des sulfures, plus stables dans les nouvelles conditions de température de la cheminée ; les minéraux s'organisent en structures concentriques.
Enfin, lors de la « vie » du fumeur, le chemin emprunté par le fluide hydrothermal peut varier, utilisant une multitude de cavités et de canaux. Cette multiplicité peut conduire à la formation d'extensions latérales ou « flanges ». Les dimensions d'un fumeur varient entre 70 et 100 m de hauteur pour un diamètre à la base de 25 à 100 m[10].
Les structures évoluent au cours du temps et les fumeurs sont éphémères : ils peuvent durer de 10 à 100 ans, bien que des fumeurs plus jeunes (entre 1 et 5 ans) peuvent exister sur des zones très actives. Elles peuvent en effet s’écrouler, ou le conduit peut se colmater par précipitation des minéraux. La zone active le long de la dorsale peut se déplacer et entraîner la formation de nouveaux fumeurs et la disparition des anciens.Ainsi, un site repéré par des scientifiques lors d'une mission peut avoir disparu avant qu'une nouvelle mission y soit retournée.
Schéma (sans échelle) du parcours emprunté par le panache hydrothermal à travers la terre, et coupe d’une cheminée hydrothermale.
La vie au niveau des monts hydrothermaux est, contre toute attente, luxuriante[20]. Dans un environnement abyssal à moins de2 °C, une pression hydrostatique élevée (entre100 et500 bars[21]), d'importantes communautés vivantes se sont développées, alors qu'en l'absence de lumière, aucune production primaire photosynthétique, base de tout écosystème, n'est envisageable. La découverte de l’écosystème associé aux sources hydrothermales a bouleversé les connaissances en biologie de l’époque et notamment la conviction que la vie macroscopique était impossible sans lumière. Au niveau des sources hydrothermales, la production primaire est assurée par des micro-organismeschimiosynthétiques. Ces organismeschimiolithotrophes utilisent l'énergie chimique des sels dissous pour remplir la fonction de la photosynthèse chez les végétaux. Ils forment ainsi le premier maillon de la chaîne alimentaire, dont se nourrissent les consommateurs primaires. On trouve aussi des associationssymbiotiques dans lesquels le symbiote apporte l’énergie à l’hôte.
La vie est localisée autour des points d’émission des fluides hydrothermaux qui se mélangent à l’eau de mer. Il existe un gradient de température au fur et à mesure que l’on s’éloigne du point d’émission des fluides, et l’on peut trouver des communautés animales de pôle chaud et des communautés animales de pôle tiède.
Les monts hydrothermaux hébergent une population microscopique et macroscopique hautement spécialisée.Ainsi, les espèces observées dans ces milieux sont souventendémiques ; sur plus de 440 espèces découvertes avant 1997, 91 % ne peuvent vivre ou se reproduire qu'autour de sources hydrothermales (selon les connaissances disponibles).
Parmi les micro-organismes, on distingue lesextrémophiles (bactéries etarchées), qui peuvent se multiplier au plus près de la cheminée à des températures et souvent des pressions très élevées, et lesthermophiles, qui vivent sous forme libre dans le fluide hydrothermal. C’est le cas desThermococcales, comme les genresPyrococcus etThermococcus, et desArchaeoglobales. Certains sont égalementbarophiles, commePyrococcus abyssi. Des bactéries plusmésophiles se développent sur les roches environnantes, formant des tapis, commeBeggiatoa etThiothrix. La plupart de ces micro-organismes se développent en ecto- ou endo-symbiose avec lafaune abyssale colonisant les environs des cheminées.
un développement entièrement dépendant aux micro-organismes comme les micro-organismes symbiotiques participant à la production primaire chimiosynthétique et à la détoxication du milieu ;
une diversité spécifique faible associée à un fort taux d'endémisme : 97 % des espèces appartiennent à de nouveaux taxons ;
des stratégies de propagation, en raison de l'instabilité de l'activité hydrothermale. Afin de coloniser de nouveaux espaces, certains organismes emploient leur mobilité, alors que pour les épibenthiques, ce sont leurs propagules (comme les larves) qui sont transportées par les courants ;
une distribution en auréoles autour de la colonne hydrothermale.
La macrofaune vit à proximité des fumeurs, dans de l'eau entre 4 et50°C :
Uncycle biogéochimique est un processus de transport et de transformation cyclique d'un élément ou d'un composé chimique. Au niveau des écosystèmes hydrothermaux sont observés lescycles du fer, de l'azote, ducarbone et dusoufre.
Les fluides hydrothermaux contiennent des minéraux dissous qui se refroidissent et réagissent avec l'eau de mer pour ensuite se précipiter sous forme de sédiments sur le fond marin environnant.
Les écosystèmes des évents hydrothermaux profonds sont des environnements uniques, parfois éphémères, mais souvent très anciens, a priori écologiquement et énergétiquement isolés, mais à large répartition mondiale. Ils sont caractérisés par une grande longévité géologique, et ont a priori été épargnés par les épisodes d'extinction et de spéciation qui ont touché les zones d'eaux peu profondes et terrestres. Leur fonctionnement biogéographique est encore mal compris. Les données réunies par des chercheurs notamment français, canadiens, allemands, japonais et américains montrent des tendances intrigantes dans la composition taxonomique et la distribution des organismes de ventilation sur les sites d'étude géographiquement isolées[23].Lespatterns de biodiversité de ces espèces commencent à être étudiés[24]. Les similitudes régionales dans la répartition de cette faune semblent pouvoir être expliquées par la distance entre les émissaires et par l'histoire de tectonique des fonds marins et en particulier des crêtes sous-marines[23]. Les scientifiques supposent que certaines espèces d'animaux abyssaux se servent descarcasses de baleines, pour étendre leuraire de répartition et ainsi coloniser d'autres écosystèmes, tels que les cheminées hydrothermales.
La théorie du monde fer-soufre, créée par lechimiste allemandGünter Wächtershäuser(en), suggère que la vie pourrait avoir sonorigine dans les monts hydrothermaux. Wächtershäuser pense qu'une forme primitive demétabolisme a précédé lagénétique. Par métabolisme, il entend un cycle de réactions chimiques qui produisent de l'énergie sous une forme qui peut être exploitée par d'autres processus[25].
La théorie suggère que lasynthèse desacides aminés a pu se produire dans lacroûte terrestre, ils seraient ensuite sortis le long des fluides hydrothermaux dans les eaux plus froides, où la baisse des températures et la présence de minéraux argileux aurait favorisé la formation depeptides etprotocellules. Cette hypothèse est séduisante en raison de l'abondance deméthane (CH4) et d'ammoniac (NH3) présents dans les monts hydrothermaux, une condition qui n'a pas été fournie par l'atmosphère primitive de la Terre. Une des principales limites de cette théorie est le manque de stabilité des molécules organiques à des températures élevées, mais certains scientifiques suggèrent que la vie serait apparue hors des zones de températures élevées. Il existe de nombreuses espèces d'extrémophiles et d'autres organismes qui vivent autour des monts hydrothermaux, ce qui suggère qu'il s'agit bien d'un scénario possible[26].
Certaines entreprises ou certains pays s'intéressent à la possibilité d'exploiter commercialement les sources chaudes comme source de calories ou pour l'exploitation minière offshore. C'est le cas par exemple de laNouvelle-Zélande, dont lazone économique exclusive (ZEE) est située sur une zone desubduction riche en sources hydrothermales.
Les premières licences (ou concessions) de forage ont été déposées en 2008 (pour une zone dite « Rumble II West Seamount » qui n'a été découverte qu'en) par le groupe« Neptune minerals »[27]), l'une des premières entreprises constituées pour exploiter les richesses minérales des grands fonds et en particulier les (SMS ouseafloor massive sulphide), qui voudrait commencer à remonter des concrétions issues des cheminées hydrothermiques à partir de 2010. Selon elle, cette entreprise avait déjà acquis en 2008 des permis de prospection pour une surface de fonds marins de plus de 278 000 km2 dans les eaux territoriales de Nouvelle-Zélande,Papouasie-Nouvelle-Guinée, lesÉtats fédérés de Micronésie et deVanuatu, avec en outre des demandes de permis pour prospecter 436 000 autres km2 des eaux territoriales de la Nouvelle-Zélande, duJapon, desMariannes du Nord (Commonwealth des États-Unis), des îlesPalaos et d'Italie.
L'utilisation des fumeurs pour produire de l'énergie a l'avantage, contrairement à lagéothermie, de ne nécessiter aucun forage ou l'installation de centrales de pompage et de pressurisation, puisque le processus de charge/décharge est naturel. De plus, la température du fluide hydrothermal est bien supérieure à celle de l'eau récupérée par géothermie (de100 à 150 °C). Ainsi dès1978, soit l'année suivant la découverte des monts hydrothermaux, un groupe du département de l'énergie américain fut chargé d'évaluer les possibilités[28]. Le projet n'a pas abouti.
Plus récemment, de nouveaux projets sont nés. L'idée est de récupérer le fluide hydrothermal, de l'amener jusqu'à une plate-forme en surface, où de l'énergie électrique serait produite par des turbines et transférée par des câbles sous-marins vers les terres. Le fluide est ensuite re-transféré vers le fond, où il est libéré. D'autres projets proposent, au lieu de récupérer le fluide émis, un circuit fermé, où de l'eau circulerait en continu dans des tuyaux entre la surface et les fumeurs[29].
↑Pour mémoire, les roches ultramafiques sont très pauvres en silice et contiennent plus de 90 % de minéraux riches en fer et magnésium ; le reste est composé d'oxyde de magnésium, d'oxyde de fer élevé et d'un peu de potassium.
↑Tracy K.P. Gregg, Daniel J. Fornari, Michael R. Perfit, Rachel M. Haymon, Jonathan H. Fink ;Rapid emplacement of a mid-ocean ridge lava flow on the East Pacific Rise at 9° 46′–51′N ; Earth and Planetary Science Letters, Volume 144, Issues 3-4, November 1996, Pages E1-E7 (Résumé)
↑a etbMary R. Fowler, Verena Tunnicliffe ;Hydrothermal vent communities and plate tectonics ; Endeavour, Volume 21, Issue 4, 1997, Pages 164-168 C. (résumé)
↑Cindy Lee Van DoverBiogeography of hydrothermal vent communities along seafloor spreading centers Review Article Trends in Ecology & Evolution, Volume 5, Issue 8, August 1990, Pages 242-246 (Résumé)
AnnePostec,Diversite de populations microbiennes thermophiles d'une cheminée hydrothermale océanique profonde : cultures d'enrichissement en bioréacteur et isolement d'espèces nouvelles,, 292 p.(présentation en ligne,lire en ligne)
DanielDesbruyères, « La vie au fond des océans »,Pour la science,no 192,,p. 80-89