Schématiquement, dans les régions du monde où il est significatif et étudié (Moyen-Orient,Europe,Afrique du Nord,Asie), l'âge du bronze s'étend sur une période de près de deux mille ans, de 2700 à, mais avec de grandes variations selon les aires géographiques considérées. EnAmérique, lescivilisations précolombiennes connurent unemétallurgie des métaux ductiles natifs (chalcolithique) jusqu'à la conquête espagnole, mais peu de métallurgie du bronze.
Le préhistorienNicolas Mahudel, par ses travaux declassification archéologique, élargit les concepts émis par Antoine de Jussieu. Le 12 novembre1734, il lut un exposé de ses travaux de recherche, lors d'une audience publique à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, dans lequel il définit trois « âges » : l'âge de la pierre, l'âge du bronze et l'âge du fer dans un ordre chronologique. Il présenta ses travaux à plusieurs reprises cette année-là, mais ils furent rejetés jusqu'en novembre où ils furent finalement acceptés et publiés par l'Académie en1740, sous le titreLes Monuments les plus anciens de l'industrie des hommes, des Arts et reconnus dans les pierres de Foudre[2].
Le chercheurdanoisChristian Jürgensen Thomsen réinvente la notion d'« âge du bronze ». Sans formation spécifique, Thomsen se voit confier en 1816 le classement des collections d'antiquités danoises aumusée national du Danemark. Il se retrouve à la tête d'un amoncellement d'objets de toutes sortes et de toutes origines[3]. Se fondant sur les idées de l’historienLauritz Schebye Vedel Simonsen, professeur à l’université deCopenhague, qui avait envisagé en1813 que les outils des peuples antiques scandinaves avaient d'abord été de bois et de pierre avant d'être de cuivre et de fer[4],[5], et influencé par les travaux deNicolas Mahudel, Thomsen classe par matière première les collections. Il les présente au public, dans trois cabinets différents, en1819. Le premier regroupe les objets de la pierre, le deuxième les objets en cuivre et en bronze et le dernier les objets en fer. Devenu le premier directeur des musées archéologiques et ethnographiques deCopenhague, il formalise sa théorie des trois périodes préhistoriques, l'âge de la pierre, l'âge du bronze et l'âge du fer, en1836 dansLedetraad til nordisk Oldkyndighed (Guide des antiquités nordiques). Son successeur à la tête du musée,Jens Jacob Asmussen Worsaae, ira sur le terrain faire des fouilles pour prouver, grâce à lastratigraphie, la véracité de l'intuition de l'emploi successif par l'humanité de la pierre, du bronze et du fer[6]. Avant eux, le moine bénédictinBernard de Montfaucon, en publiant auXVIIIe siècle la sépulture mégalithique découverte près d'Évreux en1685 par monsieur de Cocherel, avait initié les étudespaléographiques. Il avait relevé dans l'étude des textes anciens quePausanias le Périégète ouHomère citaient l'utilisation par les hommes ducuivre avant l'utilisation dufer[7].
Des objets réalisés encuivre natif travaillé à froid ou à faible température sont attestés dès leNéolithique précéramique B (VIIIe millénaire av. J.-C.) auProche-Orient[8]. Lamétallurgie du cuivre, avec fonte duminerai, se développe fortement enBulgarie durant leVe millénaire av. J.-C. Des objets assez massifs, notamment des haches, sont produites. À cette même époque, l'or était également travaillé. La métallurgie du cuivre se développe ensuite dans toute l'Europe. Dans plusieurs régions, on a découvert des objets réalisés dans un alliage de cuivre et d'arsenic, parfois désignébronze arsénié.
Le véritable bronze, alliage de cuivre et d'étain, apparaît dans le Nord-Ouest de l'Anatolie (région deÇanakkale) au début duIIIe millénaire av. J.-C.[9]. En Europe, c'est dans laculture d'Unétice que l'on trouve les plus anciennes productions d'objets en bronze à partir de la fin de ce même millénaire[8]. Il s'agit de poinçons, d'alênes, de poignards, de haches et dehallebardes. Cependant, durant cette phase ancienne les éléments en bronze demeurent rares puisqu'ils ne sont attestés que dans une centaine de sites répartis desBalkans jusqu'à l'Inde[10].
La métallurgie du bronze, notamment en Europe, ne se développe vraiment qu'au cours duIIe millénaire av. J.-C., période correspondant aux premières phases de l'âge du bronze.
Cuivre natif.
La caractéristique première de l'âge du bronze n'est donc pas l'utilisation des métaux mais la découverte et le développement de lamétallurgie, technique nécessaire pour l'obtention dubronze,alliage à 90/10 decuivre et d'étain. La métallurgie se définit comme un traitement thermique permettant l'extraction de métaux à partir deminerai. Elle nécessite un savoir-faire parfait de l'art du feu, acquis avec la cuisson de lacéramique. Il existe d'ailleurs une parenté certaine entre lefour dupotier et le four du bronzier. Pour extraire un métal d'un minerai, il faut la maîtrise de fours à haute température (le cuivre fond à1 084 °C[11] ; son addition avec l'étain abaisse légèrement le point de fusion).
Si la premièremétallurgie ducuivre ne s'est développée que dans les zones disposant degisements de cuivre, l'âge du bronze se développe dans des régions dépourvues deminerais de cuivre ou d'étain. C'est le cas de laMésopotamie (Sumer etUr) où sont très certainement coulés les premiers outils en bronze[12].
Lefaçonnage des outils lithiques, la confection dutissage ou la fabrication de lapoterie nécessitent des produits et des compétences qui ne relèvent que d'une économie locale. Avec la métallurgie, naît la première économie complexe basée sur une production et une distribution couvrant de vastes territoires. Même si les échanges lithiques ou decéramique existent depuis longtemps, ils n'ont jamais atteint un tel niveau de complexité que les échanges de minéraux et d'objets métalliques. L'âge du cuivre, durant lequel n'est produit qu'un nombre limité d'objets métalliques, ne marque encore aucune rupture sociale dans le mode de vie duNéolithique. L'apparition d'échanges à grandes distances, les propriétés particulières du bronze, qui est utilisé pour produire desarmes tandis que lesoutils domestiques restent souvent lithiques, et la convoitise de nouvelles richesses non périssables, entraînent l'apparition d'une différenciation économique qui n'est pas directement productive (celle des armes) et l'apparition d'une hiérarchisation sociale marquée[13].
Si des indices de spécialisation sont perceptibles avec certaines productions lithiques très particulières de l'âge du cuivre (poignards duGrand-Pressigny), avant le développement de lamétallurgie, laproduction se faisait généralement au sein de lafamille élargie, d'unclan ou d'unvillage. Avec la métallurgie, les activités deproduction vont se spécialiser. Elle nécessite dorénavant desartisans,mineurs ouforgerons, et desmarchands qui, du fait de la complexité ou de la durée, exercent leur activité à plein temps. Il faut donc que d'autres personnes leur fournissent en échange subsistance et bientôt protection[13]. Cette spécialisation se lit dans l'organisation des sites tels queFort Harrouard, sur la commune deSorel-Moussel où, au sein d'un site protégé, un quartier des bronziers a pu être localisé avec une production spécifique et différente par artisan[14].[réf. incomplète]
L'innovation de l'industrie du bronze est son développement hors zone degisements métallifères. L'approvisionnement, laproduction et ladistribution élargissent leur horizon. Les centres d'extraction sont parfois très éloignés des centres de production, eux-mêmes éloignés des centres d'échange. Cela implique la création d'un mouvement commercial qui semble avoir eu un développement important.
L'économie de subsistance des populations de l'âge du bronze apparaît peu différente de celle des sociétésnéolithiques et de l'âge du cuivre qui les ont précédées : utilisation des meules à va-et-vient de type néolithique, de matériel de broyage, de lames en silex portant le « lustré des moissons ». Les couteaux à moissonner et les faucilles sont encore confectionnées à la fin de l'âge du bronze avec des éléments de silex. L'apparition de nombreuses faucilles en bronze, parfois minuscules, est attestée mais leur fonction précise reste inconnue[16]. Cette économie reste ainsi essentiellement basée sur les pratiques de l'agriculture de labour et de l'élevage, complétées par les apports de la cueillette et de la chasse, ainsi que despêcheries (barrages pour retenir poissons et crustacés, au moment du retrait de la mer)[17].
La mise en place progressive d'échanges économiques dans lesquelles lavaleur d'usage, base du troc, est accompagnée de notions nouvelles devaleur d'échange. Lacompétence nécessaire à la production, la relativerareté des produits semi-finis (haches-lingots) et finis vont donc générer desprofits. Les scientifiques mettent ces notions en parallèle avec les témoignages archéologiques (retranchements,fortifications,armes, etc.) d'uneinsécurité grandissante à partir duIIIe millénaire av. J.-C. Lesgisements deminerais et les dépôts de métaux entraînent la convoitise, nécessitant une protection comme celle des voies commerciales[18] ; « c'est alors que laguerre fait une apparition non déguisée parmi les communautés paysannes d'Occident »[19][réf. incomplète] (voir le massacre deRoaix).
Une source deprofits, desproduits non périssables et la possibilité nouvelle d'accumuler desrichesses alliés à unespécialisation du travail entraînent une nouvelleorganisation sociale qui débouchera sur l'économie palatiale. Cette organisation est lisible dans les habitudes funéraires. Lestombes et lemobilier funéraire témoignent d’une hiérarchisation sociale liée à uneconfiscation des richesses au profit de potentats. Dans lanécropole de Varna, datant du milieu duVe millénaire av. J.-C., les chercheurs ont trouvé dans un endroit spécifique de la nécropole des sépultures contenant un riche mobilier en or dont une hache de pierre au manche de bois décorée d'or et considérée comme unsceptre par les spécialistes. Ces tombes sont interprétées comme celles d'une petiteélite riche et puissante[20],[21]. Un peu partout, l'âge du bronze voit apparaître les tombes individuelles, jusqu'aux tombesmégalithiques, distinguant les puissants, et non plus les tombes collectives duNéolithique final[18].
Une étude portant sur des communautés (pré-) proto-celtique du Sud de l'Allemagne montre une continuité sociologique et génétique majeure dans le temps avec des familles patrilinéaires dérivées de population de laculture campaniforme et deYamna. Cette continuité de l'âge du bronze en Europe centrale est particulièrement visible dans de nombreuses générations de différentes familles patrilocales pratiquant l’exogamie féminine, montrant un héritage patrilinéaire principalement dans les lignées de l'haplogroupe R1b-P312 (principalement U152 +), toutes suivant apparemment un système sociopolitique similaire s'étendant sur plus de sept cents ans, depuis l'arrivée des populations de laculture campaniforme d'Europe centrale/ ou orientale dans la région (vers) jusqu'à au moins la fin de l'âge du bronze moyen (vers)[22],[23]. On observe un type d'inégalité sociale basée sur plusieurs facteurs. Premièrement, les ménages complexes sont constitués d'une famille de base jouissant d'un statut supérieur, transmettant richesse et statut aux descendants. Deuxièmement, les femmes ne sont pas liées à leur famille de naissance ni à une localité, elles peuvent être riches et avoir un statut élevé. Et troisièmement, d'autres personnes ont un statut inférieur. Sur la base de comparaisons de biens funéraires, plusieurs des femmes non locales de statut élevé pourraient provenir de zones habitées par laculture d'Unétice, c’est-à-dire d'une distance d'au moins350 km. Les ménages de l'âge du bronze ancien semblent être similaires à l'oikos, la sphère familiale de la Grèce classique, et à lafamilia romaine, deux modèles qui comprennent à la fois la famille de sang et les esclaves[22].
Le monde en2000 av. J.-C. avec à l’intérieur des lignes rouges, les régions du monde entrées dans l'âge du bronze. En bleu et orange, les états etsociétés hiérarchisés ; en vert, les agriculteurs sédentaires et semi nomades isolés ; en violet, les éleveurs nomades ; en jaune, les chasseurs cueilleurs.
EnChine, la métallurgie du bronze est introduite progressivement dans l'Ouest et le Nord de la Chine, dans des cultures néolithiques qui ont pratiqué la culture et l'élevage en complément des pratiques dechasseurs-cueilleurs. Cette introduction du bronze apparaît en particulier dans laculture de Qijia (2200-), auGansu, peut-être par lecorridor du Hexi, et dans celles de Zhukaigou (2000-) et duXiajiadian inférieur (2000-), par des contacts permanents avec despasteursnomades d'Asie centrale ou deSibérie du Sud, avec en particulier la famille descultures d'Afanaseivo (3300-3200 à 2600-) et d'Andronovo (2100-)[26], voire avec les « cultures Seima-Turbino » (1700-). Ce sont des techniques de fonte à deux moules ou de forge, voire àcire perdue. L'expansion de la fonte du bronze à multiples moules se développe ensuite àErlitou (1900-1800 à) et à lapériode d'Erligang (1600-1500 à 1400-) puis avec ladynastie Shang (1570-). La cultureSanxingdui, dans leSichuan lui est contemporaine (2800 à), mais développe d'autres techniques métallurgiques. Cette dernière culture n'est documentée que par l'archéologie, les écrits chinois ne semblant jamais la mentionner. Le bronze est progressivement utilisé avec le fer à partir de ladynastie Zhou.
L'Empire Hittite fait partie des grandes civilisations de l'âge du bronze avec l'Égypte et l'Empire néo-babylonien. Il était appelé « Heta » par les Égyptiens et en relation avec ceux-ci comme le montrent les premiers textes traduits parJean-François Champollion[27]. L'utilisation du bronze prend forme dans des statues de dieux, de rois, des bijoux et ornements, ainsi que des tablettes gravées.
Des hommes préhistoriques ayant vécu dans les premières zones minières de l'actuelleJordanie ont été victimes desaturnisme et d'une forte augmentation des tauxosseux de cuivre. Des contaminations humaines et animales sont connues dès l'âge du bronze dans cette région[28].
L'archéologue américainEric H. Cline a synthétisé les circonstances additionnant causes systémiques et événements ou accidents plus conjoncturels (mais cumulés) ayant mis fin à l'âge du bronze auxXIIe et XIe sièclesav. J.-C.[29], au cours de ce que de nombreux historiens nomment « l'Effondrement de l'Âge du Bronze en Méditerranée orientale »[1].
Peintures rupestres de l'âge du bronze sur le rocher de l'idole de Peña Tú, dans lesAsturies (Espagne).Lingot decuivre trouvé dans les eaux au large deHeligoland en 1981.
L'âge du bronze débute en Europe centrale avec laculture d'Unétice, vers 2300- Cette culture doit son nom à la ville d'Únětice, située au nord-ouest dePrague en région deBohême (Tchéquie). Elle s'étend sur tout le territoire de l'actuelle Tchéquie, le Centre et le Sud de l'Allemagne, et l'Ouest de laPologne. Exploitant lesgisements d'étain desmonts Métallifères, laculture d'Unétice a largement exporté ses productions dans les régions voisines, où elles ont parfois été imitées[30].
Du point de vue économique, laculture d'Unétice est caractérisée par la pratique de l'élevage dumouton, duporc et dubœuf, ainsi que par la chasse ducerf et dusanglier. Lecheval est domestiqué, comme en témoignent de nombreuxmors de bride. Pour l'agriculture, on travaille la terre à l'araire en bois, parfois avec un soc en pierre polie[30].
EnCorse, la forteresse deCucuruzzu et lesstatues-menhir deFilitosa illustrent les spécificités de l'âge du bronze dans l'île. Dans le Sud de laFrance, l'âge du bronze commence vers (par exemple le site deSaint-Véran, Hautes-Alpes) lorsque les communautés paysannes intègrent un mouvement d'unification européenne, et dure jusque vers leIXe siècle av. J.-C., alors que des bouleversements sociaux venus de l'Est amènent la montée en puissance d'une aristocratie guerrière.
La production d'outils et d’autres objets en bronze permet aux archéologues d’individualiser les groupes humains d’alors, à côté du reste de laculture matérielle (essentiellement constituée par lescéramiques). La production en bronze permet également d’établir des chronologies et des délimitations de populations, à défaut d’autres indices.
Le célèbre sanctuaire deStonehenge existait bien avant l'âge du bronze dans lesÎles britanniques, mais il a été transformé et étendu durant cette période (voirStonehenge III). Le site deFlag Fen est également considéré comme un sanctuaire probable. Lecercle de Brodgar est un cercle mégalithique situé dans lesOrcades.
L'Amérique du Nord a connu l'usage ducuivre natif, celui-ci étant très abondant dans la région desGrands Lacs, mais les tribus amérindiennes n'y ont jamais développé l'usage d'alliages.
LesAmérindiens d'Amérique du Sud ont connu l'usage du cuivre et de ses alliages de nombreux siècles avant l'arrivée des Espagnols. Les Amérindiens de laculture Moche, sur la côte péruvienne, maîtrisaient le coulage du bronze[31] vers leVIIe siècleapr. J.-C.. La technique de coulée du bronze fut reprise par lesIncas, qui en tirèrent aussi bien des ustensiles que des statues[32],[33]. LesCalchaquí, dans le Nord-Ouest de l'Argentine, ont également connu la fabrication du bronze[34].
L'usage du cuivre a été introduit au Mexique depuis l'Amérique du Sud il y a 1500 ans. Vers 1200, l'influence maritime desIncas y a introduit l'usage de divers alliages de cuivre, dont le bronze mais aussi letumbaga.
↑Dates précédentes tirées deThe Archaeologia of China (2012), p. 299 et la date suivante deThe Urals and Western Siberian in the Bronze and Iron Ages (2007/2014), p. 108.
[Briard & Le Goffic 1988] Jacques Briard et M. Le Goffic,Avant les Celtes, l'Europe à l'âge du bronze, 2500- (catalogue d'exposition), Daoulas,,p. 66-73.
[Carozza & Marcigny 2007] Laurent Carozza etCyril Marcigny,L'âge du bronze en France, Paris, La Découverte,.
[Mourre 1998]Michel Mourre,Dictionnaire de l'histoire, Paris, Larousse-Bordas,.
[Mordant & Gaiffe 1996] Claude Mordant et Olivier Gaiffe,Cultures et sociétés du Bronze ancien en Europe (Actes du colloque international de Clermont-Ferrand 1992), Paris, C.T.H.S.,.
[Mordant, Pernot & Eychner 1998] Claude Mordant, Michel Pernot et Valentin Rychner,L'Atelier du bronzier en Europe duXXe siècle auVIIIe siècles avant notre ère (Actes du colloque Bronze 96, Neuchâtel et Dijon), Paris, C.T.H.S. et C.R.T.G.R., Université de Bourgogne,.