L'histoire des Dominicains à Strasbourg commença à l'emplacement de l'actuelTemple Neuf. L'église "historique" des Dominicains passa à la Réforme en 1550 (les Dominicains avaient quitté Strasbourg dès 1531) ; sa nef devint le Temple-Neuf, et son immense chœur (église conventuelle oblige) hébergea la grande bibliothèque de la ville. Edifice et livres brûlèrent en août 1870, par faits de guerre, au cours d'un des épisodes les plus tristes de l'histoire de Strasbourg.
L'histoire "moderne" de l'ordre des Prêcheurs à Strasbourg reprit en 1927, et on construisit le couvent situé au 41, boulevard de la Victoire. En tribune de son église néo-romane (1929, dessinée par Robert Rigal et construite selon le "système Nasousky" en briques de béton creuses), se trouve un orgue construit en 1934 par Georges Schwenkedel. Il partage son numéro d'opus (53), avec son contemporain deSteinbach.
Historique
Il y avait déjà un orgue dans l'ancienne église (ou plus exactement celle qui avait précédé celle-ci) en1292. [IHOA]
L'édifice, reconstruit de 1308 à 1345, était muni de deux rangées de neuf "pots acoustiques" ("Schallgefässe"), c'est-à-dire de résonateurs destiné à aider le chant en amplifiant certaines fréquences. [Vogeleis]
On ne sait pas grand-chose de l'instrument, pas même s'il fut déménagé dans le nouvel édifice, mais en 1292, Gunzelin de Francfort a travaillé à l'orgue de lacathédrale Notre-Dame.
Historique
Il y eut un orgue neuf en1450. Et il y avait bien un orgue (celui de 1450 ou un de ses successeurs) en 1520, puisqu'on connaît le nom de son organiste : Nikolaus Fuller, de Haguenau. [Vogeleis] [IHOA]
Historique
En1934,Georges Schwenkedel dota l'église néo-romane d'un orgue neuf, l'opus 53 de la maison, disposé autour des trois baies éclairant la tribune. [IHOA] [ITOA]
Le 19/10/1933, Georges Schwenkedel adressa au père Courtois, prieur des Dominicains, un devis typographié, décrivant un orgue de 14 jeux réels, complétés à la plume par un 15ème, une Flûte pastorale 8 (les jeux étant renumérotés à partir de 6). [ASchwenkedel]
On note que le sommier du récit devait avoir 68 notes (pour rendre les octaves aiguës "réelles", c'est-à-dire fonctionner même dans la dernière octave du clavier). Les 15 jeux étant déclarés "réels", il était donc prévu une Flûte 8' de pédale indépendante. [ASchwenkedel]
Mais le plus remarquable était la Flûte conique 8' disposée en "Fernregister", c'est-à-dire dans le chœur. C'était rendu possible par l'utilisation d'une transmission électrique (il était précisé que les sommiers seront à"membranes verticales garnies de peaux spéciales, construction spéciale de la maison, très solides et précises", et que les relais et la traction seront purement électriques, système "Elmagnestat"). Le jeu ajouté à la plume l'a été à coté de cette Flûte conique, et désignée par "u. Fl. Pastorale 8", pour "und", ce qui doit signifier qu'il s'agissait d'un second jeu deFernwerk. [ASchwenkedel]
La soufflerie était électrique dès le début. Un système de pompage à pied était aussi prévu en cas de coupure de courant, mais il n'est pas expliqué comment, dans ce cas, on alimente la traction.
Dans les devis des années 30, il était d'usage d'indiquer le nombre de tuyaux - il ne s'agissait pas seulement d'édifier le profane, mais le nombre permet de détecter des emprunts, extensions, ou jeux incomplets. Ici, la version à 14 jeux est indiquée à 780 tuyaux, ce qui semble correspondre à 5 jeux au grand-orgue, 4 de 68 notes au récit, 3 de 56 notes au récit (Voix céleste c-g''', Octavin C-g''' et un autre s'arrêtant à g''') et deux jeux de pédale de 30 notes.
En fait, ce n'est pas une Flûte conique 8' qui fut le premier jeu du choeur, mais une Flûte harmonique. On déduit cela d'un devis ultérieur. [ASchwenkedel]
De plus, pour que la pédale puisse être disposée contre le mur du fond, en M et en un seul rang autour de la baie, seule la Soubasse a été réalisée "en vrai" : la Flûte 8' n'a pas non plus été construite en extension de cette Soubasse, mais empruntée au récit, ce qui lui donne le grand avantage d'être expressive. (On retrouve des jeux du récit pouvant être empruntés à la pédale dans des orguesDalstein-Haerpfer, comme àCronenbourg). [Visite]
L'instrument fait beaucoup penser à l'ancien orgue (Roethinger, 1945) deStrasbourg,St-Pierre-le-Jeune cath., certes en plus petit. On a le même style de buffet, la même disposition en tribune de part et d'autre d'une baie, et une rangée de tuyaux de pédale parcourant le mur du fond. Schwenkedel était plutôt en avance sur son temps sur les sujets techniques et architecturaux. Du point de vue musical, il pratiquait un style "néo-classique" très spécifique. A titre de comparaison, l'année d'avant, Roethinger avait construit le grand-orgue deBischheim,St-Laurent, qui est un témoin majeur du néo-classique alsacien - et fort différent de la production de Schwenkedel.
Les orgues des années 30 ont eu, on le sait, beaucoup eu à souffrir de l'intolérance de la "pensée unique" qui sévit depuis la fin du 20ème siècle. De nombreux ont été remplacés sans même que ne se soit posée la question de leur valeur musicale. (Steinbach a été complètement dénaturé en 1964,Elsenheim détruit au cours de la seconde Guerre mondiale, celui dechapelle protestante de l'hôpital civil deStrasbourg a été remplacé en 1974 par du "moderne", et le joli petit orgue deSchoenbourg a été impitoyablement éliminé en 1987). Celui dePfaffenheim a subi le même sort en 2016 au nom d'un hypothétique "retour à Callinet". Les contemporains (1933-34) survivants de cet instrument ne donc sont pas nombreux : il y aLuemschwiller (1933) etBurnhaupt-le-Bas (1934) qui sont restés authentiques. Reste quelques bonnes nouvelles : l'orgue Georges Schwenkedel deGrentzingen (1931, opus 37) a récemment été relevé (il est d'ailleurs classé), et celui deHirtzbach (1934), longtemps muet, a également retrouvé sa voix.
Pour se faire une idée du niveau atteint par la facture de Georges Schwenkedel dans les années 30, on peut aller àBurnhaupt-le-Haut ou visiter quelques uns des extraordinaires instruments de la petite série "à positif de dos", par exempleSeppois-le-Bas (1930, opus 28),Durlinsdorf (1932, opus 30),Spechbach-le-Bas (1932, opus 41) ouReiningue (1932, opus 46).
Georges Schwenkedel s'impose alors comme un acteur majeur du monde de l'orgue, sûrement un des plus inventifs. Il participa, avecEdmond-Alexandre Roethinger etJoseph Rinckenbach à l'élaboration d'un style "néo-classique" totalement spécifique à l'Alsace. Cela confère à ses instruments une importance historique considérable (jusqu'ici complètement négligée), qui s'ajoute à leur intérêt artistique et technique, car il fourmillent d'idées et innovations.
Le 16/02/1937, un nouveau devis porta sur l'installation d'une console supplémentaire, disposée dans le choeur, et le remplacement de la Flûte harmonique 8' du choeur par une Flûte douce 8'. La modification au Fernwerk semble avoir été faite en1947. Mais il est difficile de confirmer si cette console a vraiment été posée. [ASchwenkedel] [ITOA]
Cette petite console, en chêne à un seul manuel (56 notes), était destinée à jouer le grand-orgue de l'orgue de tribune et les deux jeux du choeur. Une option du devis permettait de la doter d'un pédalier (et d'une tirasse). [ASchwenkedel]
L'inventaire des orgues du Bas-Rhin situe en 1947 l'ajout des deux jeux du choeur, mais le devis de 1937 indique qu'ils s'y trouvaient déjà. La date de 1947 correspond probablement aux second travaux de Schwenkedel. En 1986, il n'y avait pas de Fourniture au grand-orgue, et le Quintaton y était toujours. [ITOA]
Malheureusement, en1962, les jeux disposés en Fernwerk dans le choeur ont été supprimés (et la console spécifique, si tant est qu'elle a un jour existé, aussi). [ITOA]
L'Orgue alsacien perdit un des seulement cinq Fernwerks qu'il connut au cours de son histoire. Les deux survivants sont àDornach,St-Barthélemy (Roethinger, 1932) et àBischheim (Roethinger, 1933). Il y en avait un àStrasbourg,St-Pierre-le-Vieux (1934), mais il a été démonté en 1962. Celui de lacollégiale St-Martin àColmar a été anéanti avec le somptueux orgue Rinckenbach dont il faisait partie, en 1976, en pleine période noire de la facture d'orgues en Alsace.
Les dominos étant groupés à la console par plans sonores, ceux du Fernwerk devaient correspondre au groupe de deux placés entre ceux du grand-orgue et ceux du récit (numéros 7 et 8). A la suppression de ces deux jeux, les dominos ont été affectés aux accouplements à l'octave du grand-orgue : une commande doublée de I/I 16' (il y a déjà une pédale-cuiller), et un domino pour I/I 4', qui n'existait sûrement pas à l'origine ; il n'était pas prévu au devis du 19/10/1933.
En1984, la manufactureMuhleisen fit des travaux. [IHOA]
Le Quintaton 8' du grand-orgue a malheureusement été remplacé par une Fourniture. [Visite]
Il y eut un relevage, mené en1997 par la manufactureMuhleisen. [IHOA]
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Placage intérieur en loupe de noyer. Tirage des jeux par dominos à porcelaines rondes, disposés au-dessus du second clavier, et regroupés par plans sonores : pédale à gauche (fond des porcelaines jaune), puis grand-orgue (fond blanc), puis deux dominos probablement destinés aux jeux dans le choeur (commandant aujourd'hui des accouplements à l'octave du grand-orgue), puis ceux du récit (fond rose, et, pour le Basson/Hautbois, lettres rouges, afin de signaler qu'il s'agit d'une anche). Les dominos sont numérotés par de petites porcelaines rondes disposées à leur base, et surmontés d'une languette permettant de programmer la combinaison libre. Claviers blancs, à joues galbées.
Les dominos correspondant aux deux jeux du Fernwerk ont été convertis en commandes d'accouplements supplémentaires.
Commande des aides à la registration par pistons disposés sous le premier clavier, du côté gauche. Dans l'ordre : "Jeux à Comb." (i.e. appel "jeu à mains", permettant d'ajouter les dominos basculés aux combinaisons), "Comb. libre", "P.", "MF.", "F.", "Tutti". Le piston annulateur ("Annul.") est rouge.
Commande des accouplements par pédale-cuillers à accrocher, en bois recouvert de métal gaufré. De gauche à droite :"R.G.O" (II/I), "G.O. à Ped." (I/P), "Récit à Ped." (II/P), "R. à G.O. 16'" (II/I 16'), "R. à G.O. 4'" (II/I 4'), "G.O. 16'" (I/I 16'). Suivent les deux pédales basculantes, identifiées par des porcelaines rectangulaires : "Expression récit" et "Crescendo général". A leur droite se trouve la pédale-cuiller commandant le trémolo du récit. Indicateur de crescendo par cadran linéaire à fond noir et lettres dorées, gradué "0, 1, 3, 5, 7, 9, 12", avec un picot rouge se déplaçant horizontalement en dessous. Une flèche rouge horizontale précise le sens de la progression.
Ampèremètre, situé à droite du second clavier (sic ; d'habitude, c'est un voltmètre que l'on utilise pour signaler une transmission électrique), et gradué jusqu'à 25 A.
Comme souvent chez Georges Schwenkedel, la plaque d'adresse est en trois éléments : au-dessus et un peu à gauche de la joue gauche des claviers, une première porcelaine rectangulaire, à lettres noires sur fond blanc, dit :
Au-dessus de la dernière touche (g''') du second clavier : "Opus 53", et un peu à droite : "1934".
Transmission électrique. Un aimant tire simplement le pilote de la soupape déchargeant les membranes des tuyaux de la note.
Sommiers à membranes. Le grand-orgue est à gauche, le récit à droite. Les deux manuels sont diatoniques, en mitre (basses au centre). Le sommet de la boîte expressive du récit dépasse du flanc du buffet. Elle n'a pas de fond : celle est construite directement contre le mur droit de la tribune. La Soubasse de pédale est diatonique en "M", et placée contre le mur du fond, sous la triple baie. Les deux tuyaux graves (C et Cis) de la Soubasse sont couchés horizontalement en-dessous au niveau du sol, bouches du côté droit. Le 8' de pédale est emprunté au récit, donc expressif. Ce n'est pas pas une extension de la Soubasse.
Entailles de timbre et d'accord, Gambes munies de rouleaux / freins harmoniques, Bourdons à calottes mobiles.
Les tuyaux du Fernwerk ont disparu, tout comme son sommier. Les jeux du Fernwerk étaient une Flûte solo 8' et une Flûte pastorale 4'. Le sommier devait encore exister en 1986, car l'inventaire technique précise qu'il n'est pas pneumatique :"Transmission pneumatique, sauf pour les jeux du choeur." (Mais les autres sommiers sont également électriques...)
Les tuyaux du Quintaton 8', retirés du sommier suite à l'installation d'une Fourniture au grand-orgue, sont entreposés dans le soubassement gauche (sous le grand-orgue), avec leurs chapes et leurs faux-sommiers. Les tuyaux sont poinçonnés 'Q' , C-H en zinc ; freins bavette.
Disposition des tuyaux de façade côté gauche (grand-orgue) :
Façade médiale (tournée vers la tribune) :
Façade frontale (tournée vers la nef) :
Les tuyaux de façade côté droit (récit) sont tous des chanoines.
Activités culturelles :
Sources et bibliographie :
Remerciements à Frère Cyrille-Marie.
Photos des 07 et 09/07/2021 et données techniques.
Recherches historiques ; pièces d'archives.
Dossier sur l'orgue, aux archives municipales de Strasbourg
Descriptif technique et photos.
Localisation :