L'église néo-gothique de Mutzig est due à l'architecte Charles Winkler (le "Viollet-Le-Duc alsacien", qui signa, entre autres, celles de Froeschwiller, Morschwiller-le-Bas, Gueberschwihr, St-Morand, Cernay, et Colmar St-Joseph). Le superbe édifice a été achevé en 1880, et son style a été magnifié avec un grand souci du détail : il y a même des arc-boutants ! Pour le meubler de façon harmonieuse, on fit appel aux meilleurs : la chaire et le maître-autel sont de Théophile Klem, les vitraux de Burckhardt et des frères Ott. Et pour l'orgue, on voulut aussi quelque chose d'exceptionnel, quitte à faire, on le verra, un sérieux pari en choisissant un jeune facteur tourné vers l'avenir : Georges Schwenkedel. L'audace fut payante : Schwenkedel créa pour Mutzig son Opus 35, un grand 3-claviers conçu et réalisé avec une étonnante virtuosité, et qui est assurément aujourd'hui un des instruments les plus attachants et passionnants de la région.
Historique
L'histoire des orgues de Mutzig commence déjà au 17ème siècle, puisque qu'un premier instrument a été posé en1680 dans l'ancienne église romane. [IHOA] [Barth] [PMSAM81]
On ne connaît pas le nom de son auteur. Mais il n'y avait pas beaucoup de facteurs actifs dans ce périmètre : il s'agissait probablement deHans Jacob Baldner (dont ce serait alors un des derniers travaux), mais peut-être aussi de son concurrentMatthias Tretzscher.Friedrich Ring, lui, était trop jeune à cette date. En tous cas, Mutzig compte parmi les premières localités alsaciennes à s'être dotées d'un orgue.
En1737, l'instrument fut réparé parJoseph Waltrin. [IHOA]
Historique
En1749,Georg Friederich Merckel déménagea à Mutzig l'orgue queJohann Georg Rohrer avait construit en 1742 pour le chapitre de Surbourg. L'instrument avait été installé directement à Haguenau : il ne venait donc pas de Surbourg, mais biende Haguenau, St-Georges, où il y eut 3 orgues Rohrer... Celui-ci était le deuxième, et il ne resta que 6 ans à Haguenau. [IHOA] [PMSAM81]
En1791, l'instrument fut réparé parSébastien Krämer, qui était originaire de Mutzig (où il était né le 17/09/1751). [IHOA] [PMSCS68]
En1793 (!), c'estJean Nicolas Toussaint qui fit une intervention. [IHOA]
Historique
En1815 (donc toujours dans la petite église romane), c'estMichel Stiehr qui fut appelé pour remplacer l'orgue Rohrer. [IHOA] [PMSSTIEHR]
C'est probablement en présentant comme référence l'orgue voisin deGresswiller (1812) que Michel Stiehr obtint ce marché. Les projets d'agrandissement de l'église - beaucoup trop petite - avaient commencé dès 1801 : l'architecte Krauth fit quelques plans. En 1826, la situation fut considérée très sérieusement. En 1856, on fonda une association pour la construction d'une nouvelle église. Mais le projet tarda jusqu'en 1879, où l'on démolit l'ancien bâtiment pour construire l'église néo-gothique actuelle, achevée en 1881. [PMSSTIEHR]
En1882,Théodore Stiehr remonta l'orgue dans le nouvel édifice. C'est donc le Stiehr qui fut le premier orgue de l'église actuelle. Il y resta encore plus de 50 ans. [IHOA]
Et pourtant, ce n'était pas gagné : avant les travaux à l'édifice (1879), l'orgue a été démonté et entreposé "en vrac" à la mairie, avec le matériel d'incendie. Sa réinstallation dans la grande et nouvelle église avait probablement toujours eu un côté temporaire : il n'était clairement pas adapté. La réquisition de ses tuyaux de façade, en 1917, n'a bien sûr rien arrangé. [JKauffer]
En1931,Georges Schwenkedel déménagea l'orgue Stiehrà St-Cyprien d'Eckbolsheim, où on peut encore le voir. [IHOA] [PMSSTIEHR] [Barth]
Par un jeu de "chaises musicales", l'ancien orgue Stiehr d'Eckbolsheim prit alors la route pourSaulxures. Schwenkedel trouvait donc des solutions pour ne pas supprimer les orgues anciens. On compte fort peu de facteurs à ce point respectueux de leurs prédécesseurs. (Les Silbermann, en particulier, ne laissaient jamais rien de ce qu'ils trouvaient à leur arrivée.) Cela montre une fois de plus que l'idée préconçue prétendant que les années 1930 ont méprisé les orgues historiques est largement fausse.
Historique
En1931,Georges Schwenkedel construisit pour Mutzig son opus 35, un grand instrument post-symphonique alsacien de 34 jeux (réels) sur 3 claviers et pédale. [IHOA] [PMSSTIEHR] [PMSAM81]
Le projet paraît avoir été voulu (ou du moins fortement soutenu) par le maire de Mutzig, Alphonse Klaeyle. Avec son adjoint Théodore Mockers, il examina 4 propositions de facteurs : [PMSAM81]
- EvidemmentEdmond-Alexandre Roethinger (à l'époque, le "Boss" en Alsace), qui était ardemment soutenu parMartin Mathias. En 1930, Roethinger pouvait faire valoir environ 130 opus, donc de sérieuses références, comme son chef d'œuvre d'Erstein (1914), ou le fabuleux instrument de l'ancienne Synagogue (place des Halles) deStrasbourg (III/P 62j, 1925).
- Son principal concurrent paraissait êtreFranz Xaver Kriess, dont l'entreprise de Molsheim avait construit, en 1930, une bonne cinquantaine d'orgues neufs, sans compter les reconstructions. C'était, après tout, un voisin. Si, à la fin du 20ème siècle, cette maison a eu fort mauvaise réputation, ce n'était pas encore le cas en 1930, quand ses critères de qualité étaient encore très élevés. Certes, depuis 1918, Kriess avait probablement perdu une bonne partie de ses "réseaux", et son esthétique - sûrement trop "germanique" pour l'époque - devait être moins appréciée. Il faut dire que la facture avait beaucoup évolué en 10-12 ans. La "belle époque" de la maison de Molsheim était déjà derrière elle, et son avenir, on le sait, ne fut pas des plus radieux.
- Il y avait aussiJoseph Rinckenbach, qui, malgré ses difficultés financières, continuait à construire des orgues d'exception. (C'est d'ailleurs sûrement la volonté de Joseph Rinckenbach de ne construire *que* des orgues d'exception qui a provoqué ses déboires financiers...) En 1930, la maison d'Ammerschwihr en était à son opus 194 (Uffholtz !).
Les trois facteurs avaient proposé des projets analogues, consistant plutôt en une reconstruction. Ou du moins à récupérer une bonne partie de la tuyauterie de Stiehr pour construire un instrument pas tout à fait neuf.
- L'affaire semblait entendue pour Roethinger, mais une quatrième proposition fut rédigée par un facteur que, visiblement, on n'attendait pas :Georges Schwenkedel. Déjà formé, il était passé brièvement par les ateliers Roethinger, puis par l'éphémère maison Zann. Il se mit à son compte en 1924. En 1930, il pouvait déjà proposer 28 orgues neufs comme référence... mais la plupart en Haute-Alsace ! Car son succès devait sûrement plus au "bouche à oreille" qu'à ses réseaux. Il était incroyablement doué, comme en témoignent les orgues deLargitzen (1928),Hartmannswiller (1929),Seppois-le-Bas (1930), et quand il achevait un orgue, les localités voisines ne tardaient pas à vouloir le même... Certes, il n'avait jamais réalisé d'instrument de la taille de celui de Mutzig. Et son projet se démarquait des autres : il consistait à construire un instrument totalement neuf : l'orgue Stiehr serait conservé, et déménagé àEckbolsheim. Il fallait donc *tout* faire.
Les orgues réalisés par Schwenkedel avant 1930 - même éloignés - avaient attiré l'attention du monde de l'orgue Strasbourgeois. Ses principaux soutiens venaient des fidèles de l'Union Sainte Cécile :Marie-Joseph Erb (St-Jean, Cercle St-Léonard),Joseph Ringeissen (St-Maurice) et Emile Clauss (USC).
Malgré la virulente opposition de Martin Mathias, expert de l'évêché, c'est le projet de Schwenkedel qui séduisit le conseil municipal. Mathias voulut alors convoquer un conseil municipal extraordinaire consacré à l'orgue, mais le maire de Mutzig lui fit comprendre qu'il était vraiment temps d'arrêter. [PMSAM81]
Pour Mutzig, le projet de Georges Schwenkedel comportait donc une part de risque, conséquence du choix d'un facteur jeune et motivé par l'innovation. Schwenkedel, de son côté, jouait tout simplement sa carrière. Cette prise de risque mutuelle fut payante : non seulement Schwenkedel était tout à fait capable de réaliser un orgue de cette importance, mais également de tenir ses engagements : l'instrument coûta 250.000 Frs, comme prévu. Le nombre de tuyaux était estimé à 2546. Et, si les commentaires extrêmement élogieux étaient assez courants à l'époque, on peut dire qu'il enthousiasma dès le début ses auditeurs. [PMSAM81]
L'inauguration eut lieu en présence du chanoine Joseph Gass (1897 - 1951, professeur d'histoire de l'Eglise au grand séminaire de Strasbourg, et originaire de Mutzig). C'était le jour de la fête du Christ Roi de 1931 (21/10) ; deux jours plus tard, on créait à Berlin le concerto pour violon de Stravinsky. Aux claviers de l'orgue Schwenkedel se succédèrentMarie-Joseph Erb,Joseph Ringeissen et Joseph Kuntz. Martin Mathias, qui était opposé au projet de Schwenkedel à l'origine, ne se montra pas trop... [Barth] [PMSAM81]
Le premier organiste de cet instrument semble avoir été Célestin Roos. En 1933, il fallut faire une petite intervention à l'orgue : comme le réservoir principal est logé dans le clocher (à l'arrière, sous la rosace que l'on voit depuis la nef), il se trouvait sur le chemin de la cloche, bénie le 23/11/1933. Il fallut donc démonter le réservoir pour permettre de descendre l'ancienne cloche (fendue) et monter la nouvelle, puis le remonter après leur passage. [JKauffer]
Le récit était doté d'une assistance électrique à l'origine. La console a toujours été entièrement pneumatique, mais, à l'arrivée dans le buffet, des soufflets munis de contacts passaient le relais à une transmission électrique. La solution donnait toute satisfaction sur le plan technique et musical... mais pas opérationnel : au début des années 30, les coupures de courant étaient fréquentes ! Celles-ci laissaient le récit muet, situation fort gênante pour un tel instrument. A la demande de Célestin Roos, ce dispositif électrique a été supprimé parGeorges Schwenkedel en1935, pour être remplacé par les traditionnelles tubulures pneumatiques (comme pour les autres claviers). L'intérêt était aussi de donner une parfaite cohérence à l'ensemble. [JKauffer]
L'instrument a ensuite été scrupuleusement entretenu. Une première fois en1967 parMax Roethinger. [IHOA]
En1975, c'estAlfred Kern qui procéda à l'entretien. [IHOA]
En1978, il y eut une réparation, parPaul Adam. [IHOA]
Quand on examine les tuyaux de façade, on constate que leur pied a été renforcé, par la soudure d'une nouvelle pointe. Cette façade est en étain, et on peut supposer que les pieds avaient commencé à s'affaisser, car ce métal est relativement sensible aux déformations. Il est possible que ce travail ait été mené par Adam à cette date. D'autre part, des planches ont été placées à la base des tuyaux de Montre (pour une raison restant à déterminer), et leur facture ressemble beaucoup aux travaux des années 70.
L'orgue a été relevé en 2000-2001 (11/2000-01/2001) parRichard Dott. [IHOA] [JLBataillard]
Pour l'anecdote, on raconte qu'à l'époque (en 2001) Mr le curé de Mutzig s'excusait presque de n'avoir pas pu "mécaniser" l'instrument. Il était donc convaincu de la nécessité de commettre une telle opération ! Avec le recul, cela fait froid dans le dos, car cela signifie qu'avec plus d'argent disponible, cet orgue magnifique aurait été définitivement défiguré. On aurait remplacé son excellente traction pneumatique, très agréable et précise, par une absurde mécanique. Cela aurait impliqué la disparition de la superbe console, mais aussi de toute la disposition interne, difficilement envisageable avec les contraintes de la mécanique, et, bien sûr, le remplacement des sommiers par un modèle "à gravures", et donc une réharmonisation fondamentale. En clair, on aurait fini avec un "néo-baroque" standard. Aujourd'hui, on a envie de dire : "Merci, Mr le curé, de nous avoir laissé cet orgue intact !" On peut aussi imaginer que le manque de ressources n'était en fait que le seul argument *avouable*, et qu'on n'a pas trop "tiré sur les cordons de la bourse", car on avait compris l'intérêt culturel et musical de cet instrument. Ceci malgré son état, en 1998 (un entretien était nécessaire, ce qui est normal : ça arrive même aux voitures).
De même, on prétend souvent que c'est le manque d'argent qui a permis de "sauver" les orgues du 18ème siècle qui nous sont parvenus authentiques. C'est sûrement juste, mais on exclut un peu vite la possibilité que leurs affectataires étaient peut-être sensibles à leur valeur ! Détruire ce chef d'œuvre de la facture alsacienne qu'est l'orgue Schwenkedel de Mutzig pour le remplacer par un "néo-baroque" mécanique, directement issu de la "cuisine internationale" pratiquée à cette époque, aurait été aussi calamiteux que d'envoyer un Silbermann authentique à la chaudière. Cela nous rappelle qu'il vaut souvent mieux ne rien faire que de commettre un acte irréparable. Et, surtout, qu'il faut être très vigilant avec l'argent public et celui des dons : sans vouloir restreindre ces ressources (au contraire : la collectivité récupère en quelques années l'argent dépensé en main d'œuvre locale, donc elle pourrait aller bien plus loin avec un considérable bénéfice économique), il faut absolument faire participer le public aux choix esthétiques. Vu les sources d'informations disponibles, et l'ouverture d'esprit (certes récente !) des conseillers - qui savent aujourd'hui échapper aux dogmes et ont le droit de dire la vérité - c'est devenu non seulement possible, mais indispensable.
L'orgue du Mutzig nous est donc parvenu comme il se doit : 100% authentique.
Le buffet
Le buffet est - bien entendu - de style néo-gothique, pour s'harmoniser avec celui de l'édifice et de son mobilier. Dans les années 30, les buffets recevaient une attention considérable, et ce chez tous les facteurs :Uffholtz,Carspach (Joseph Rinckenbach, 1930),Dornach (Roethinger, 1932),Reiningue (Schwenkedel, 1932). Ce sont les dernières années des styles "éclectiques" (néo-gothiques, romans et classiques) : l'influence "Modern style" (Art déco) était déjà forte : elle conduira, pour Schwenkedel, à l'inoubliable buffet deBurnhaupt-le-Haut (1932). Schwenkedel, décidément, était prêt à l'innovation dans tous les domaines. Les esthétiques visuelle et sonore de l'instrument sont particulièrement en harmonie : l'orgue sonne exactement avec les couleurs post-romantiques promises par le style de son buffet.
Les rosaces "ouest" (placées en fond de tribune) sont un atout architectural majeur, car elles amènent aux églises une lumière spécifique, et soulignent les volumes en renforçant l'impression de profondeur. Pour les facteurs d'orgues, elles ont souvent constitué des défis, voire des contraintes ennuyeuses. (On se rappelle la triste histoire dePfaffenhoffen.) Ici, c'est tout le contraire : la rosace a servi d'inspiration, et d'idée directrice pour le dessin. Deux éléments latéraux, constitués de la juxtaposition d'une grande tourelle et d'une petite (très élancée), sont réunis par une grande plate-face dessinant une courbe. Cette courbe fait écho à la rosace, mais aussi à l'arc brisé ouvrant le clocher sur la nef. Ce galbe de la plate-face est orné de tri-lobes. Les jouées ajourées, caractérisées ici par une grande légèreté, font également partie du langage courant du style. Les tourelles sont dotées de culots sculptés, et leurs couronnements sont particulièrement ornés, sans être surchargés : clochetons, gâbles ajourés, pinacles à crochets. Ils font écho à ceux de la chaire. Ce magnifique exemple des dernières années du néo-gothique nous offre une déclinaison particulièrement épurée et aérienne du style.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante dos à la nef, fermée par un rideau coulissant, et placée sur une avancée de la tribune, de forme polygonale (de façon à l'avancer vers la nef et ménager de la place entre le buffet et la console). Tirage des jeux par dominos à porcelaines centrales et rondes, situés en ligne au-dessus du troisième clavier pour le grand-orgue et le récit, en bas à gauche pour le positif, et en bas à droite pour la pédale. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose, pour le positif, jaune pour le récit, et bleu pour la pédale. Claviers blancs, joues moulurées.
Appel des combinaisons par pistons blancs, situés sous la moitié gauche du premier clavier : de gauche à droite : "Jeu à main" (appel de la registration par dominos), "Comb.libre I" (blanche), "Comb.libre II" (rouge), un piston dont la porcelaine a disparu (P.), "MF.", "F.", "TT." (Tutti) et "Annulateur". Les trois premiers pistons sont en fait à accrocher (ils se baissent). Sélection des combinaisons libres par picots, blancs et rouges, placés au-dessus de chaque domino. On peut programmer tous les jeux, mais pas les accouplements ni les trémolos.
Les commandes à pied sont nombreuses, ce qui est révélateur d'une forte influence de l'orgue romantique français. Elles sont repérées par des porcelaines rondes, respectant le code de couleur, et sont bicolores si nécessaire. (Par exemple, ce qui concerne le récit est jaune, et celle de la tirasse du positif a un fond rose et bleu.) De gauche à droite, il y a d'abord des pédales-cuillers à accrocher : "Trémolo du Positif", "Ped. I" (I/P), "Ped. II" (II/P), "Ped. III" (III/P). Les pédales sont ensuite disposées en quinconce sur deux niveaux : "Sub. I." (I/I 16') en haut, "II-III" (III/II) en bas, "Sub III-I" (III/I 16', sic) en haut, "III-I" (III/I, sic) en bas, "Super III-I" (III/I 4') en haut, et "I-II" (II/I).
Noter que la logique, pour les accouplements, est inverse à la convention moderne : "II-III" signifie "le positif tire le récit", alors que nous notons habituellement "Accouplement du récit sur le positif", soit III/II. Par contre, paradoxalement, les trois accouplements du récit au grand-orgue ne respectent pas la logique : "III-I" au lieu de "I-III".
Viennent ensuite les deux pédales basculantes : "Boite expressive du récit", et "Crescendo". Ce dernier n'a pas d'appel/annulateur, mais un indicateur linéaire, non gradué, qui est placé tout en haut et au centre de la console (c'est dire son importance pour son concepteur !). Il est repéré par une grande porcelaine "Crescendo". Tout à droite se trouve la pédale-cuiller "Trémolo du récit".
Lorsque, dans les années 1931 à 1935, les fréquentes coupures de courant électrique rendaient le récit muet, l'organiste Célestin Roos se plaignait surtout que son crescendo devenait inexploitable (à cause des trous, et de sa logique qui utilise évidemment à fond les jeux du récit). Cela indique qu'il accordait beaucoup d'intérêt à cet accessoire. [JKauffer]
Plaque d'adresse en plusieurs éléments, constituée de porcelaines rectangulaires blanches. La principale est placée à gauche des dominos supérieurs, et dit :
La deuxième est placée à droite des dominos supérieurs :
La dernière est à la droite de la précédente, et donne l'année d'achèvement de l'instrument :
Entièrement pneumatique (de très grande qualité).
Reste que la démonstration des qualités de l'électro-pneumatique était faite. Il est possible que la décision d'utiliser des relais électriques pour une partie de la traction ait été motivée par une rumeur insistante accusant la traction pneumatique d' "introduire des retards" (en cas de longues tubulures et pour des grands instruments). Toutefois, sur une pneumatique à dépression, commandant des sommiers à pistons de cette qualité, ce phénomène - même s'il existe - est très limité. L'électricité était inutile. Notons qu'une traction mécanique mal conçue ou réalisée avec des éléments flexibles, cause aussi un retard, qui s'additionne à celui causé par l'effort de décollement de la soupape. De plus, le son est loin de se transmettre instantanément. On était bien dans la "querelle d'apothicaires", et le "retard dû à la pneumatique" est un phénomène largement exagéré. Il peut survenir, toutefois, sur des pneumatiques à compression ou mal réglées. Il suffit de les confier à un facteur compétent et surtout qui n'a pas déjà un devis de "mécanisation" en poche...
A cônes, d'origine. Ils sont tous diatoniques, en en "M" (basses aux extrémités). Cette disposition résulte du choix de conserver la valeur architecturale de la rosace. Cette rosace éclaire une pièce (qui est le premier étage du clocher), ouverte sur la nef par un arc brisé. L'occasion était belle de profiter d'un intéressant contexte acoustique, en logeant le récit juste à l'arrière de cet arc. Le schéma suivant, montrant l'orgue sans buffet, donne la disposition des plans sonores :
Les sommiers diatoniques permettent une disposition symétrique, en deux moitiés, et donc un grand équilibre. Les Do se trouvent dans la partie gauche, les Do# à droite, puis les Ré à nouveau à gauche, et ainsi de suite. Pour le récit, au fond, les deux parties sont fusionnées par le centre. Pour le grand-orgue et la pédale, les deux moitiés sont sensiblement écartées, et pour le positif, cet écart est très important, puisque ses sommiers sont logés sur les côtés du soubassement. Le grand-orgue est situé en position centrale, et son Cornet et sa Mixture sont "postés", c'est-à-dire placés en hauteur et en avant, afin de les mettre en valeur acoustiquement.
La transmission pneumatique permet une grande liberté dans le placement des sommiers, et donc de créer des configurations acoustiques intéressantes. De plus, les sommiers, comme ici ceux de la pédale et du positif, peuvent être placés très bas (il n'est pas nécessaire de les surélever pour laisser passer la mécanique), ce qui permet de mieux profiter des volumes.
Cet autre schéma, tourné de 90° par rapport au précédent, permet de se rendre compte à quel point l'instrument est "étagé" en profondeur - une caractéristique héritée de l'esthétique romantique. Les saisissants effets acoustiques ne doivent donc rien au hasard :
Un grand réservoir principal est logé dans le clocher, à l'arrière de l'orgue, dans la pièce éclairée par la grande rosace visible depuis la nef. Les pompes à pied ont été conservées, mais ne sont aujourd'hui (2018) plus opérationnelles. Un ventilateur électrique, situé en avant du réservoir et du côté de l'entrée alimente le tout.
Le positif, on l'a vu, est placé sur les côtés du buffet, et en avant, à hauteur du sol de la tribune.
Le récit est impressionnant : avec 68 notes et 14 jeux, les deux sommiers sont vraiment très grands.
La pédale est logée au cœur de l'instrument. Les tailles sont larges et le tout est plutôt flûté. Comme les Tuba de Koulen - mais aussi comme on le retrouve sur les derniers Stiehr (voirWesthouse) - la Posaune de pédale a les tuyaux piqués dans une grande boîte. Il n'y a pas de pieds individuels.
Dans son ambiance à mi-chemin entre Jules Verne et François Mauriac, cet orgue constitue un témoin passionnant d'un vrai style d'orgue, spécifiquement alsacien, qui a mûri entre 1890 et 1931. Ce sont d'abord les idées d'Emile Rupp,Henri Wiltberger,Albert Schweitzer ouMarie-Joseph Erb, qui ont été mises en musique parJoseph Rinckenbach ouEdmond-Alexandre Roethinger. Après 1924, ce style a été décliné de façon très personnelle par Georges Schwenkedel, facteur encore peu connu du grand public, mais dont décidément on ne cesse de découvrir les qualités. Il a choisi une approche spécifique du "néo-classique", cette tendance visant à doter l'orgue romantique de couleurs plus "17ème / 18 ème", en allant chercher des timbres, des jeux et des tailles sur des instruments anciens. Mais ici, on n'a pas à faire à un orgue néo-classique : l'Orgue français était en train de "théoriser" ce style, alors que Schwenkedel avait déjà construit plusieurs instruments dotés de caractéristiques "historiques", comme des positifs de dos (Bisel etSeppois-le-Bas dès 1930). De fait, on trouve à Mutzig une Sesquialtera, une Cymbale, des Mutations, mais aussi toute la richesse des composantes romantiques et symphoniques (chœur de Fonds, Hautbois, Flûte harmonique, Trompette et Clairon au récit alla Cavaillé-Coll, Voix céleste, fondamentales affirmées, etc...). Et aussi un buffet, composant que l'orgue néo-classique "mainstream" aura tendance à effacer.
Nous avons donc bien à faire à un style spécifique, qui a encore beaucoup à nous apprendre : après la seconde guerre mondiale, ses "pistes" n'ont plus été suivies, car le monde de l'orgue est devenu plus "global". S'il y a un endroit que le futur congrès de facture d'orgues européen, prochainement invité en Alsace, doit visiter, c'est bien Mutzig. En attendant, il faut absolument que cet orgue soit promu et utilisé : c'est assurément, et de loin, l'un des plus intéressants du Bas-Rhin.
Georges Schwenkedel était vraiment le Charles Spindler de l'orgue. En oubliant toute considération technique et historique, il a avant tout créé ici un instrument de musique exceptionnel. En approchant de sa console, on pense d'abord à César Franck, Tournemire, Vierne, Jehan Alain et Duruflé. Puis, en la quittant, on se dit que toute la musique qu'il inspire n'a pas encore été écrite !
Sources et bibliographie :
Dans le cadre des Journées du Patrimoine.
Photos du 16/09/2018 ; données techniques.
Données sur le relevage de 2000 et photos du 03/07/2001.
Courrier du 12/03/2007 : orgue Stiehr et transmission du récit ; Cymbale à 3 rangs.
Pour mémoire, hélas : l'article est fort décevant. Le parti-pris et l'ironie employée dans les dernières pages, ainsi que la désinvolture avec laquelle l'instrument actuel a été traité (e.g. "l'orgue fut 'restauré' (sans doute électrifié) par Roethinger", p.102) décrédibilisent le reste. Un tel mépris de la part d'un historien de cette envergure pour un chef d'œuvre de la facture alsacienne est consternant, et explique pas mal de choses regrettables pour la suite.
"Pneumatique et électrique" est juste, car le récit était doté d'une traction électro-pneumatique à l'origine (1931-1935).
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