La localité de Bourbach-le-Haut est située sur la route "Joffre" reliant la vallée de la Thur (Thann) à celle de la Doller (Masevaux). On y surplombe l'entrée de la plaine qui s'étend vers Mulhouse. C'est juste à côté du pèlerinage de Houppach. L'église - ouverte - abrite un instrument caractéristique de la plus belle production alsacienne. Il a été construit par Martin et Joseph Rinckenbach en 1910, et il est resté entièrement authentique.
Historique
Un premier orgue a été placé dans cet édifice en1859. C'était un ancien orgue de salon, ayant appartenu à Jean-Baptiste Démoulin, instituteur à Rimbach-près-Guebwiller et à Bourbach. L'instrument n'avait qu'un clavier, et était doté de 5 jeux seulement. [IHOA] [Doller93]
Le maire de Bourbach, Joseph Beltzung, l'avait décrit ainsi :""Il s'agit d'un orgue à buffet de 2m20 de hauteur, 1m22 de largeur et 60cm de profondeur, ayant 17 tuyaux en étain sur le devant, encadrés d'arabesques bronzées, cinq registres et un sixième ne figurant que pour symétrie, un clavier à quatre octaves et demie, un soufflet pouvant être mû au moyen d'une pédale en fer, le devant du buffet muni de trois portes fermant à clé, la supérieure à deux battants fermant sur les tuyaux en étain, la seconde fermant le clavier et la troisième enfermant son soufflet et les accessoires" L'inauguration eut lieu le 29/09/1859. [Doller93]
Rejoindre une église paroissiale fut le destin de bon nombre de ces orgues de salon, après le décès de leur propriétaire. On se souvient de celui de Charles Kientzl, le célèbre directeur de la Musique de Guebwiller, construit par Jean-Frédéric II Verschneider (vers 1865), et placé àBrinckheim en 1876. Ou de celui du curé Chrysostome Fix (l'opus 9 de Martin Rinckenbach) qui fut installé un temps àDolleren. Ou encore le Verschneider actuellement placé dans l'église deRammersmatt. On peut donc se demander si le premier orgue de Bourbach-le-Haut n'avait pas été, lui aussi, fourni par les ateliers de Puttelange. Cela expliquerait en tous cas le choix de ces facteurs pour le renouvellement de l'instrument, en 1877.
Historique
En1877, c'est un instrument un peu plus conséquent qui fut commandé àJean-Frédéric II Verschneider, qui était alors, avec les Wetzel, le grand spécialiste des petits orgues "de campagne". Cet orgue avait 11 jeux, et cette fois sur 2 manuels. [IHOA]
Il n'est pas exclu que cet orgue ait été, en fait, l'agrandissement de l'instrument "de salon" précédent, logé dans un buffet neuf.
En1909, l'église eut à souffrir d'un incendie, provoqué par la foudre. Si une bonne partie du mobilier put être sauvée, les dégâts paraissent tout de même avoir été significatifs (le chemin de croix a dû être renouvelé). [Visite] [Doller93]
Historique
En1910,Martin et Joseph Rinckenbach posèrent leur opus 116 à Bourbach-le-Haut. Comme l'instrument précédent, il est doté de 11 jeux. [IHOA] [ITOA] [Barth] [Doller93]
Il est probable que l'orgue Verschneider de 1877 avait été gravement dégradé lors de l'incendie de 1909, soit par les fumées, soit par l'eau. La partie instrumentale ne semble pas avoir été replacée ailleurs.
Avec son anche (douce et la seule de l'instrument) au grand-orgue, où elle côtoie la caractéristique Mixture grave, l'orgue Rinckenbach de 1910 est fortement influencé par le romantisme allemand. Le 4 pieds du récit est une Flûte à cheminée (Rohrfloete). La seule composante héritée de romantisme français est la Flûte harmonique du récit, qui est de fait la "star" de cet instrument. La Gambe étant indispensable au récit pour "adosser" la Voix céleste, elle est placée au récit, et le grand-orgue ne se voit doté en 8 pieds - dans cette composition limitée à 11 jeux - que d'un Salicional et de la Montre. L'instrument, bien que réparti sur deux manuels, est conçu pour bénéficier de l'accouplement des claviers : c'est à cette condition que l'on retrouve le "carré d'or romantique" de jeux en 8' : un Principal, une Flûte, une Gambe, un Salicional. C'est un des rares orgues dans lequel il n'y a pas de Bourdon 8'. (Mais on peut jouer le Bourdon 16' à l'octave.) Cela confirme le côté indispensable du Bourdon manuel en 16' : sur 11 jeux, il a bel et bien été préféré à un Bourdon 8'. Il est d'ailleurs complet.
Comme nous sommes dans la partie de l'Alsace qui n'était pas Allemande en 1917, les tuyaux de façade n'ont pas été réquisitionnés en 1917. Ces tuyaux sont sûrement de Verschneider, et sont muets dans l'orgue actuel.
L'orgue a été réparé en1956. [IHOA]
En1987, c'estChristian Guerrier qui vint faire un relevage, sans apporter de modification. [IHOA] [Doller93]
C'est donc un orgue entièrement authentique qui se trouve à Bourbach-le-Haut.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos à porcelaines, placés en ligne, au centre, au-dessus du second clavier. Les porcelaines des jeux du grand-orgue sont blanches, celles du récit ont un fond rose, et celles de la pédale un fond bleu pastel. Claviers blancs. Joues moulurées de la même essence que le reste de la console.
Commande des tirasses et de l'accouplement par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé, disposées à droite de la console (à partir du "H" du pédalier). Elles sont repérées par des porcelaines rondes bicolores (pour respecter le code de couleur des plans sonores) et à liséré doré : "Pedal koppel II", "Pedal Koppel I.", "Manual Koppel II a I". Commande de l'expression générale par pédale basculante, disposée au-dessus du "a" du pédalier, et repérée par une porcelaine blanche "Expression".
Commande des combinaisons fixes par pistons blancs situés au centre et sous le premier clavier, et repérés par de petites porcelaines rondes disposées entre les deux claviers : "P.", "MF.", "F." et "0." (annulateur). Comme souvent chez Rinckenbach le "M" et le "F" de "MF" partagent la même jambe montante.
La voix céleste et la tirasse grand-orgue ne font pas partie des combinaisons fixes.
Il y a un appel du souffleur ("calcant"), constitué d'une tirette en bois, disposée à droite de la console, au niveau de la plaque d'adresse. Du côté soufflerie, la clochette en un peu grippée, mais ne devrait pas être trop difficile à réparer :
La plaque d'adresse occupe l'espace entre les dominos et le second clavier : elle est donc allongée horizontalement. Grandes lettres italiques en laiton, incrustées sur fond noir. Elle est du même modèle que celle deSentheim ouSt-Hippolyte. La première ligne est en italique, et la seconde, en capitales, est juste derrière les feintes du second clavier.
Banc d'origine, dont les pieds figurent une lyre.
pneumatique tubulaire ; très précise et agréable au toucher.
à membranes, d'origine. Deux deux manuels partagent les mêmes sommiers, diatoniques, disposés en "M", avec les basses aux extrémités. Toute la partie sonore est placée dans une boîte expressive commune.
La façade est muette, car les deux Principaux sont entièrement sur le vent. Le Gedacktbass 16' est réalisé en alimentant plus faiblement en vent les tuyaux de la Soubasse. Cela permet de doser plus finement l'intensité de la pédale. Il y a donc bien 11 jeux réels. La Mixture est à 3 rangs, et reprend aux notes habituelles. Le Basson est harmonisé pour sonner en Trompette dans le dessus. Il n'est pas harmonique. Le Bourdon 16' manuel est complet (descend jusqu'à au Do). La Flûte harmonique du récit est harmonique depuis le troisième Ré (d'), ce qui fait 27 tuyaux harmoniques. Aucune concession ne semble avoir été faite, ce qui explique la qualité sonore de cet orgue !
La tuyauterie est de très belle facture, très étoffée. Le Basson est en Spotted, cet alliage qui, décidément, dispose de toutes les vertus pour la facture d'orgues : il est à la fois résistant, durable, et permet les plus belles harmonisations. Les basses ont des bouches arquées, les biseaux sont munis de dents. Les tuyaux ouverts sont munis d'entailles de timbre (sauf la Mixture, coupée au ton). Ordre des chapes depuis l'accès vers l'avant (jalousies) :
- Basson, Mixture, Octave 4' (le "C" est posté, sûrement plus pour être mis en valeur que pour des raisons techniques), Salicional, Montre, Bourdon 16'.
- Voix céleste, Flûte harmonique, Gambe, Flûte à cheminée. Cette dernière est placée juste derrière les jalousies de la boîte expressive?
- Les 27 tuyaux en bois de la pédale sont de l'autre côté de la passerelle d'accord, contre le mur du fond (et également dans la boîte expressive).
En plus d'être ouverte, l'église confirme son statut de lieu d'accueil par cette extraordinaire statue de la Vierge qui a les bras ouverts. Le sanctuaire, rénové en 1956 et 2005, a été doté d'une fresque et de vitraux dessinés par Robert Gall. La réalisation de ces vitraux a été confiée à la maison Kempf, de Colmar. Les trois cloches, coulées par les ateliers Paccard d'Annecy, datent de 1964. L'endroit, où opéra la Résistante Andrée Salomon (ayant appartenu au réseau Garel), est vraiment d'une grande beauté.
L'orgue est dans un état de conservation exceptionnel, et c'est un instrument très attachant ! Bien qu'empoussiéré et manquant de vent (fuites importantes au réservoir, le dernier entretien date de... longtemps), lors de la visite, tous les jeux laissaient entendre leur magnifique harmonisation, caractéristique du travail de Joseph Rinckenbach. L'ensemble est entièrement authentique, d'une grande cohérence, et constitue un précieux témoin du niveau extraordinaire (et parfois encore méconnu) atteint par la facture d'orgues alsacienne à la Belle époque.
Après un relevage, cet instrument serait idéal pour différentes missions d'enseignement (masterclass, visites d'étude), tant dans le domaine musical que celui de la facture d'orgues. Avec ses deux claviers, son pédalier complet et son expression générale, il permet d'adresser un grand répertoire de l'époque 1850-1940 de façon originale. Il démontre de façon magistrale l'intérêt et les grandes qualités de la transmission pneumatique et des sommiers à membranes.
Webographie :
Sources et bibliographie :
Remerciements à François Haan et Jean-Georges Uhlrich. Un dépliant disponible sur place retrace l'histoire de du sanctuaire et de son mobilier depuis 1822.
Photos du 05/05/2018.
Photos du 05/05/2018.
Aucune référence n'est faite au sujet de l'orgue Verschneider ; Martin et Joseph Rinckenbach ne sont pas frères, mais père et fils.
Localisation :