"Cil qui n'art, il ne brulle mie." (Queste del Saint Graal)
Pour qui se hasarde, à la suite deshéros arthuriens, dans les dédales de la Forêt aventureuseque constituent les textes relatifs à la légende du Graal,il peut être utile et éclairant de chercher son chemin enregardant vers le haut, dans la contemplation du ciel étoilé.La richesse symbolique qui s'exprime dans les valeurs attribuéespar l'astrologie traditionnelle aux douze signes du Zodiaque est inépuisable [1]. L'application de cette symbolique astrologique à l'étudedes textes littéraires nous a valu, de la part de Jean Richer, debelles analyses sur Nerval ou Hugo [2]. Dans le champ des études médiévales, cette approchea inspiré à P.-G. Sansonetti une étude sur la TableRonde organisée autour de la centralité polaire qu'incarnele roi Arthur [3] ; c'estautour des axes constitués deux à deux par les signes duZodiaque que s'articule un livre récent de Ph. Lavenu, postfacépar le regretté J.-Ch. Payen [4]. Nous voudrions tenter à notre tour d'examiner sous cet angle quelquesaspects de la mission de Galaad dans laQueste del Saint Graal[5].
L'opposition entre "chevalerie terrienne" et"chevalerie célestielle", chacun le sait, est fondamentale danslaQueste et court déjà tout au long de cettepréparation à laQueste qu'est l'Agravain[6]. Or, nous trouvons dans l'astrologie traditionnelle une répartitionanalogue des quatre éléments (Air, Terre, Eau, Feu) en deuxséries, terrestre et céleste [7]. Les éléments Terre et Eau constituent la série terrestre,caractérisée par une polarité féminine, matricielleet matérielle; à l'inverse une polarité masculine,active et spirituelle est constituée par les élémentsFeu et Air. Cette double polarité recoupe ainsi celle qu'établit,sur le plan métaphysique, René Guénon entre "essence"et "substance" (ou, selon les termes de la tradition hindoue, "Purusha"et "Prakriti" [8] . A l'intérieurde chaque polarité, on distingue trois axes, formés chacunpar un couple de signes à la fois complémentaires et opposés: les axes Lion-Verseau, Bélier-Balance et Sagittaire-Gémeauxdans la polarité solaire; les axes Vierge-Poissons, Capricorne-Canceret Taureau-Scorpion dans la polarité lunaire. C'est à lalumière des valeurs symboliques que l'astrologie attribue traditionnellementà ces signes et à ces axes que nous nous proposons d'examinercertains aspects de la mission de Galaad, l'élu de la Quêtedans le cycle duLancelot-Graal.
L'AXE LION-VERSEAU
L'axe Lion-Verseau nous paraît être,dans laQueste ,l'axe majeur qui constitue Galaad, en tantqu'élu de la Quête, comme Roi. Le signe du Lion, dans lequelle Soleil est en trône, est celui où rayonne dans toute saplénitude solaire le principe de la royauté. C'est ainsique l'image du Lion de Juda, qui figure dans le calendrier égyptien [9], désigne, dans les Ecritures, la royauté du Christ [10].
Le Graal est figuré doublement dansce premier axe. D'une part, le Verseau, dont le maître est Uranus,se rattache au mythe de Ganymède, l'échanson - le Verse-eau- des dieux [11] . Cetteeau, le nectar, symbolise la Connaissance et accompagne l'ambroisie, lanourriture d'immortalité [12]. Le nom d'Uranus renvoie, au-delà même de l'Ouranos (Ciel)de la mythologie grecque, au Feu originel dont procèdent touteschoses : le sanscritUranah(Feu originel) désigne le signedu Bélier (Arneiosen grec,Ariesen latin) qui, dansle Zodiaque, symbolise l'impulsion créatrice [13]. L'urne du Verseau transmute en lumière l'énergie de ceFeu primordial; elle évoque par son nom le terme de Saint Vesselqui désigne fréquemment le Graal, aussi bien chez Robertde Boron [14] quedans laQueste[15].
D'autre part, outre la symbolique uraniennedu Verseau qui évoque à la fois le contenant (le Vase) etle contenu (Feu originel, nourriture d'immortalité), le Soleil etle signe du Lion, dans la mesure où leur symbolique renvoie égalementà celle du coeur et du sang, évoquent le Graal sous un autreaspect : celui de réceptacle du sang du Christ, thème introduitdans la légende dès leJoseph de Robert deBoron. Ici encore, comme cela est remarquablement présentédans la revueHamsa - avec de multiples développementsésotériques qui dépassent le cadre de notre article [16] - on retrouve la complémentarité entre le signe du Lion,en correspondance avec le coeur et ses pulsations, et celui du Verseau,auquel se rattache la circulation sanguine. Ainsi, avec cet axe Lion-Verseau,le thème du Graal entre en résonance avec la double thématique,étroitement complémentaire, du Christ-Roi et du Sacré-Coeur,laquelle, au-delà de sa dimension religieuse, exotérique [17], comporte des prolongements ésotériques de grande importance [18].
Sur le terrain plus spécifiquede l'interprétation littéraire, cette thématique ducoeur et du sang peut éclairer les rapports qui existent entre Galaadet la soeur de Perceval. Celle-ci nous apparaît comme la parèdrede l'élu de la Quête, comme le double féminin du BonChevalier. C'est elle qui lui ceint l'Epée aux étranges rengeset lui confère, de ce fait, la plénitude de la chevalerie(à l'image de la reine Guenièvre de qui Lancelot tenait sonépée et le rang de "meilleur chevalier du monde"). Galaadse voue à elle comme, jadis, Lancelot à la reine : "Damoisele,fet Galaad, vos en avez tant fet que je en seré vostre chevaliersa toz jorz mes" [19] . Sansentrer ici dans une étude détaillée de l'épisodedu Château de la Lépreuse [20], qui fait intervenir une composante plutonienne avec le thème dela lèpre, c'est-à-dire d'un pourrissement, d'une putréfactionde la chair - et de l'âme, nous avons le sentiment que le sacrificevolontaire de la soeur de Perceval, son don du sang, est comme une conditionpour que s'établisse, par la suite, la royauté de Galaadà Sarras : le signe en est qu'à l'instant précis oùles trois héros de la Quête vont débarquer àSarras avec la table du Graal, arrive à leur côté lanef où a été déposé le corps embauméde la soeur de Perceval [21]. On peut d'ailleurs envisager l'hypothèse que le sacrifice de lasoeur de Perceval, vierge comme l'est son époux mystique, est unsubstitut à un sacrifice de Galaad lui-même, figure allégoriquedu Christ. Enfin, lors du parachèvement de son investiture chevaleresquepar la remise de l'Epée aux étranges renges, Galaad apprendde la soeur de Perceval que le fourreau de cette épée porteun nom, qui est "Mémoire de sang" [22]. Citons, pour conclure sur ce point, l'interprétation qu'en donneG. Carlsen : "Que le sang soit porteur de l'Esprit, une très belleimage symbolique nous en est donnée par les légendes du Graal,où le Fourreau de l'Epée porte le nom de "Mémoiredu Sang". Par delà l'anecdote, il faut voir dans l'Epée lesymbole de l'Esprit, et dans le Fourreau (qui a été taillédans le bois de l'"Arbre de Vie") la "mémoire collective" originellecontenue par le sang humain. Avec l'Epée et le Fourreau on retrouveégalement l'image de l'Energie passant dans la colonne vertébrale(kundalini)" [23] .
La royauté de Galaad est certes biendifférente de celle de Parzival à Montsalvatche chez Wolframvon Eschenbach [24] . S'ily a bien, dans laQueste , une lignée des gardiensdu Graal, lignée royale qui réside à Corbenic, iln'y a pas de véritable royauté du Graal [25], et encore moins l'idée d'une sorte de communauté templièreau service du Graal comme c'est le cas dans la tradition germanique. L'évocationde la royauté de Galaad à Sarras tient un un paragraphe [26], et Galaad est fait roi par les habitants de la cité contraintet forcé, à la mort du cruel roi païen Escorant. Dansla perspective d'une lecture typologique, telle que l'a si bien pratiquéeP. Matarasso [27] , le thèmede la royauté de Galaad était une nécessités'inscrivant dans le cadre de l'analogie entre Galaad et le Christ; laréduction de cette royauté dans le temps (elle ne dure qu'unan et reste sans descendance) répond à l'idée quele Royaume du Christ n'est pas de ce monde; enfin, jusque dans les plushauts honneurs, Galaad témoigne de la vertu qui, dans l'échelledes valeurs de laQueste , apparaît comme la plus éminente: l'humilité [28]; il immole, en effet, sa propre volonté en acceptant des chargeset des honneurs auxquels il répugne, au détriment d'une viede contemplation solitaire [29]. Dans l'optique de la symbolique astrologique, on peut dire que la polaritésolaire, dans son aspect de volonté d'affirmation de l'individu,qui peut tourner à la tyrannie et à l'orgueil, défautsdu Lion, s'efface au profit de la polarité ouranienne du Verseau,véhicule des valeurs de fraternité universelle [30] et de royauté céleste.
En présentant Galaad comme le dernierrejeton de la lignée des gardiens du Graal [31] et comme l'ultime descendant de David et de Salomon [32], laQueste souligne l'achèvement d'un cycle, celuides Gardiens du Graal en terre occidentale. Mais en faisant coïnciderce que Myrrha Lot-Borodine a justement appelé l'assomption de Galaad [33] avec la remontée au ciel du Graal (et de la Lance), laQuestesuggère comme le rétablissement, autour du Graal, d'une royautécéleste, spirituelle. N'est-ce pas ce que laisse entendre E. Baumgartnerlorsque, évoquant le mouvement de translation du Graal d'Occidentvers l'Orient - mouvement inverse de celui qui l'avait amené, autemps de Joseph d'Arimathie, de Terre Sainte en Grande-Bretagne - elleconclut en montrant que ce retrait, si douloureux soit-il pour la terrede Logres et pour le royaume d'Arthur, est en même temps un retouraux sources, plein des promesses spirituelles que saint Bernard exaltaitdans sa louange de l'Ordre du Temple : "Là s'achèvent laroute et la quête, en ce lieu originel où une autre race dechevaliers naît à une autre vie, quelque part à l'Estd'Eden" [34] ?
A côté de ce mouvement horizontalqui dépossède les héritiers indignes [35] de la terre de Logres, le mouvement vertical qui enlève le Graalvers le ciel apparaît de prime abord comme un arrachement encoreplus marqué, un retrait encore plus radical. Un tel retrait marque,selon René Guénon [36], la perte de la Tradition primordiale, autrement dite de celle de l'Aged'Or, telle qu'elle était conservée dans le centre spirituelsecondaire qui régit les destinées d'un peuple ou d'une civilisation.La disparition du Graal signifie ainsi la résorption d'un centrespirituel secondaire propre à l'Occident chrétien médiévaldans le centre suprême, secret et invisible, mais qui conserve cequi fonde l'unité essentielle de toutes les traditions - unitémanifestée notamment au travers des symboles. Mais R. Guénonprécise que "cette tradition est plutôt cachée queperdue" [37] : "Ilest dit que le Graal ne fut plus vu comme auparavant, mais il n'est pasdit que personne ne le vit plus; certes, en principe tout au moins, ilest toujours présent pour ceux qui sont "qualifiés" [38]. Aussi pouvons-nous entrevoir, au travers de cette présence potentielledu Graal, le thème de sa remontée au ciel sous un autre angle: non plus seulement comme un abandon, dû à la dégénérescencecyclique [39] , mais égalementcomme un ressourcement ouranien préparant le passage à unnouveau cycle évolutif. C'est de ce côté certainementqu'il faudrait rechercher la raison de la résurgence, depuis lafin du siècle dernier, du mythe du Graal, après son occultationdans la culture de la Renaissance et de l'Age classique, et de son succèsactuel - pas toujours de bon aloi - tant en littérature qu'au cinéma.
De même que l'Ascension du Christ estnécessaire pour que l'Esprit-Saint puisse descendre à laPentecôte [40] , instaurantalors le temps de l'attente d'un Second Avènement, de mêmela remontée mythique du Graal et son ressourcement ouranien peuvents'interpréter comme une promesse de temps nouveau. L'axe Lion-Verseauindique dans cette perspective le passage d'un Soleil unique à lavaste communauté de Soleils que constitue le Ciel (Ouranos). Celane signifie pas l'abolition de la royauté solaire, mais sa transformation,possible et nécessaire, par son intégration dans une dimensionsupérieure. Ne peut-on pas voir dans ce message la raison de lanécessité du retour de Bohort à la cour d'Arthur ?Mais le monde arthurien, nous le savons par sa fin catastrophique danslaMort Artu , ne comprendra pas l'appel à la mutation,à lamétanoia[41], que signifiait pour lui la grâce insigne de la manifestation duGraal à la Table Ronde, le jour de la Pentecôte, "454 ansenprès la Passion Jhesuscrist" [42]
C'est à Sarras, entre Jérusalemet Babylone [43] , que Galaadrègne, au "palés esperitel" [44]. Les deux noms, celui du palais et celui de la ville, renvoient une foisencore au passage d'une royauté solaire à une royautéouranienne. Le palais est, en effet, l'une des désignations - àcôté de mots communs tels que "ville, citadelle ou temple",ou de noms propres comme "Tula, Luz, Salem" - de ce centre suprêmeoù est conservée la Tradition primordiale et où sereplie le Graal [45] . Quantau nom de Sarras, il nous semble qu'on peut le rapprocher de la racinesur, qui désigne la lumière et dont dérivele nom sanscrit du Soleil, Sûryâ, le nom de Syrie servant àson tour à désigner cette "Terre Sainte" où résidele centre suprême : "Il s'agit donc de cette Syrie primitive dontHomère parle comme d'une île située "au-delàd'Ogygie", ce qui l'identifie à laTula hyperboréenne,et "où sont les révolutions du Soleil". D'après Josèphe,la capitale de ce pays s'appelait Héliopolis, "ville du Soleil",nom donné ensuite à la ville d'Egypte appelée aussiOn, de même que Thèbes aurait été toutd'abord un des noms de la capitale d'Ogygie" [46]. Cette remontée vers la lumière primordiale nous fait passerde l'axe solaire - avec sa trajectoire sur l'axe horizontal Orient-Occident- à un axe polaire, vertical et ouranien, qui renvoie à l'originehyperboréenne de la Tradition primordiale, comme l'exprime la figurede l'Apollon hyperboréen dans la mythologie grecque. On comprendalors pourquoi laQueste présente le retrait du Graalen deux temps : d'abord son retour en Orient, à Sarras, puis sonenlèvement au ciel; la première étape consiste enla réintégration de son centre sur un axe solaire, horizontalet la seconde étape représente la remontée vers lecentre sur l'axe polaire, hiérarchiquement supérieur àl'axe solaire [47] . Lathématique d'une primordialité hyperboréenne venantdisqualifier la royauté arthurienne - sore, mais "terrienne" - auprofit d'une royauté ouranienne - "célestielle" - s'exprimeégalement par l'équivalence entre le grecOuranoset le sanscritVaruna, qui désignent tous deux le ciel, laracinevar signifiant "couvrir, protéger, cacher". Or cetteracinevarcorrespond, dans les langues germaniques, à laracinebor, que l'on retrouvé dans "Borée" ou dansle mot allemand "Bär" (l'ours). La racinevardésignant,en sanscrit, le sanglier, R. Guénon montre les liens entre l'Hyperboréeet leVârâhî, ou "terre du sanglier" de la traditionhindoue, qui désignent tous deux le centre spirituel primordial [48].
Dans cette perspective, le "palés esperitel"de Sarras nous apparaît, au croisement des deux axes horizontal etvertical, comme le coeur où s'opère la transmutation du principesolaire en principe ouranien. Et il n'est pas sans évoquer, parson qualificatif d'"esperitel", le fameux palais de verre décritpar Tristan dans laFolie Tristan d'Oxford [49]. A Sarras - située entre Jérusalem et Babylone, autrementdit entre ciel et terre, ou encore entre royauté solaire arthurienneet royauté ouranienne primordiale - s'opère, par la vertutransmutatrice du Graal dans le "palés esperitel", la jonction entrela tradition celtique de l'Ile de Verre (qui se retrouve dans le nom de"Glastonbury") et la tradition johannique de la Jérusalem céleste,présentée dans l'Apocalypse comme un diamant [50]. Image du diamant qui évoque à son tour la Fontaine de Barenton,dont la dalle d'émeraude creusée en vasque repose sur quatrerubis [51] , ainsi que lepersonnage d'Yvain caractérisé de façon frappante,comme Galaad, par l'axe Lion-Verseau.
L'AXE BÉLIER-BALANCE
Avec le second axe de la polarité solaire,Bélier-Balance, c'est un nouvel aspect de la mission de Galaad quise déploie : celui de Guerrier et de Justicier; mais cet axe, quiest également celui de Mars et de Vénus, évoque aussi,au travers du thème de l'Epée aux étranges rengeset de la soeur de Perceval qui lui est étroitement associée,l'union du Guerrier et de la Femme, esquissant autour des noces mystiquesde Galaad et de la soeur de Perceval [52] le thème de l'Androgyne primordial, réalisé, commepour Tristan et Yseut [53], au-delà de la mort : tous deux reposent, ainsi que Perceval, qu"palès esperitel" à Sarras. Si, dans le célèbreépisode de la forêt du Morrois [54], l'épée nue entre les corps allongés et plongésdans un profond sommeil de Tristan et Yseut peut se lire comme le symboled'une fusion parfaite de leurs énergies, réalisant dans sapureté étincelante la synthèse des principes masculinet féminin, dans laQueste la remise à Galaadde l'Epée aux étranges renges par la soeur de Perceval témoigned'une transmission initiatique par une femme, voie propre à la casteguerrière [55] .
Sans développer ici les trésors desymbolisme renfermés dans cet épisode de l'Epée, relevonsdeux éléments qui témoignent de la complémentaritéde l'axe Bélier-Balance.
De l'Epée de David, l'Epée auxétranges renges ne conserve que la lame toute nue [56] : autrement dit, la force martienne dans son énergie la plus condensée,source de puissance irrésistible mais par là-même porteusede force destructrice ; c'est cette épée qui, dans laQueste, a porté le coup félon transformant le royaume de Logresen Terre Gaste [57] . Cetteénergie martienne à l'état pur doit être tempérée,équilibrée par son complémentaire vénusiendu signe de la Balance : c'est la fonction du baudrier - les renges - véritablevéhicule d'énergie au regard d'une corporéitésubtile qui étudie dans le corps humain la circulation et l'équilibreentre les centres d'énergie. En effet, le baudrier, partant de laclavicule droite, aboutit, en passant par le coeur, à la rate, partiede l'organisme où se régénère le sang [58]; or, si la maîtrise de Mars en Bélier figure à lafois le fer et le sang, qui peuvent être illuminés et ennoblispar l'exaltation du Soleil dans ce signe, la maîtrise conjointe etténébreuse de Pluton signale le risque de rouille du feret d'impureté du sang. C'est pourquoi le baudrier est constituéavec les cheveux tressés d'une vierge qui, de plus, doit être"fille de roi et de reine" [59] : elle confère l'équilibre et la mesure de la Balance àla force impétueuse du Bélier, tout en orientant cette forcedans le sens d'un combat pour la justice (sens de l'exaltation de Saturneen Balance). Les cheveux - que l'on pense à Samson [60] - sont considérés dans plusieurs traditions comme des conducteursd'énergie. Placés sur la tête (dont le signe du Bélierest le significateur en astrologie), ils sont comme des antennes captantl'énergie cosmique, ouranienne, véhiculée ensuiteà travers le corps par la double circulation respiratoire et sanguine.On peut mettre ainsi en parallèle le double sacrifice auquel consentla soeur de Perceval : don du sang au Château de la Lépreuseet don de sa chevelure à Galaad : sur un plan spirituel, ce sacrificenon sanglant [61] est, nous semble-t-il, le plus élevé. Le don du sang esten quelque sorte en rapport avec les éléments Terre et Eau,tandis que le don de la chevelure, véhicule de l'énergiecosmique ouranienne, est à mettre en rapport avec l'Air et le Feu.Du sang au feu ouranien - qui est comme un sang spiritualisé - sedéploie un mouvement analogue à celui qui conduit du sacrificedu Christ sur la Croix à la descente de l'Esprit-Saint àla Pentecôte.
Pour former le baudrier, les cheveux de lasoeur de Perceval sont tressés : à l'inverse de l'éclatement,de l'éparpillement énergétique dont témoignel'histoire d'Absalon (il reste pendu à un arbre par les cheveux [62]) , nous sommes ici en présence d'une concentration maîtriséedes énergies qui peuvent dès lors s'orienter vers une missionde justice. C'est le roi Salomon qui, à partir de la lame de l'épéede David, va constituer, par l'adjonction du pommeau, de la poignéeet du fourreau, l'Epée aux étranges renges [63]. Par son nom, le roi Salomon, figure emblématique de la sagesse,se rattache au symbolisme du saumon, significateur de la Connaissance,lui-même relié au signe zodiacal des Poissons. En effet, commechacun le sait, le saumon remonte en nageant le cours des rivières;or, le signe double des Poissons est figuré par un Poisson d'Orqui remonte vers les "eaux supérieures" et par un Poisson d'Argentqui descend vers les "eaux inférieures"; on peut donc assimilerle saumon au Poisson d'Or et y voir un symbole de la remontée versla Connaissance et la Tradition primordiale, en dépit de la chutecyclique figurée par la flux incessant de la rivière et dutemps. La mission de justice de Galaad est ainsi liée à l'idéed'un accomplissement à la fin d'un cycle. Plénitude cycliquequ'indique par ailleurs le nombre sept, qui est précisémentcelui de la Balance [64].
C'est ici l'exaltation de Saturne en Balancequi est évoquée, avec le double aspect de Saturne-Chronos,figure du Temps dévorateur, le plomb de la fin de l'Age de Fer [65], mais aussi du Saturne-Kronos, souverain de l'Age d'Or et détenteurde la Tradition primordiale. En "achevant" les aventures du royaume deLogres, Galaad signe la fin d'un monde : celui où les "enchantements"de Bretagne faisaient, aux franges de la centralité arthuriennecourtoise et policée, les délices des chevaliers aventureux.Ce désenchantement du monde n'est pas sans causer quelque nostalgiedans la mesure où il évoque la plongée de la civilisationoccidentale, depuis le XIVème siècle déjà,dans une rationalité coupée de ses racines et de sa sèvecélestes, aboutissant à la glaciation technocratique et àl'inquiétante étrangeté d'un monde où s'estperdu le sentiment des liens unissant entre eux le microcosme et le macrocosme,l'homme et la nature [66]. Mais, par ailleurs, cet achèvement purificateur des enchantementsqui enserraient le royaume de Logres dans un réseau de "coutumes"souvent barbares - qu'on songe au Château des Pucelles ou au ChâteauCarcelois - a une fonction libératrice : il prépare le terrainà la restauration de Saturne dans sa dignité première,il ouvre les voies au recouvrement de la Tradition primordiale. C'est unefois les aventures achevées que peut se dérouler, pour lesdouze élus de la Quête, la liturgie du Graal à Corbenic.Ainsi, la mission de Galaad, solaire et uranienne dans son principe, comporteune composante plutonienne, avec son sens de destruction en vue d'une reconstruction [67], qui s'exerce dans le temps et dans l'espace. Ces "coutumes", que laQuesteprésente, à l'instar de tout ce qui relève du mondearthurien, sous un jour négatif, ont sans doute été,dans des temps antérieurs, constitutives de cet univers, en onttissé la trame [68]. Mais l'effet du temps et de la descente cyclique en ont alourdi le poidset retourné en son contraire la positivité initiale. L'achèvementdes aventures par Galaad symbolise le travail de l'oubli, nécessairepour que puisse jaillir à nouveau, coulant à flots des urnesdu Verseau, la mémoire archétypale de la Tradition primordiale.Tant il est vrai que le traditionalisme, entendu comme l'absolutisationde formes par nature passagères et soumises au temps, n'est pasdans l'esprit de la Tradition, pérenne dans ses archétypes,éternelle dans ses principes, mais d'une adaptabilité toutemercurienne quant à ses manifestations dans le monde de la matièreet des formes [69] . Cettedialectique de la mémoire et de l'oubli trouve son répondantspatial dans l'oscillation entre Orient et Occident, le cycle s'achevantavec le retour du Graal à son point de départ. Cela expliquepeut-être la raison pour laquelle le royaume d'Arthur, n'étantplus rattaché après la dernière Pentecôte duGraal au monde archétypal, bascule, dans laMort Artu, d'un espace mythique à un espace historique qui voit le roi Arthurquitter la centralité figurée par la Table Ronde pour allerguerroyer en Gaule et contre l'empereur de Rome. Cet éclatementde l'espace arthurien traditionnel qui prend la forme d'une extension universelle [70] se traduit, sur le plan temporel, par une fulgurante accélérationdu temps qui se condense de manière catastrophique entre le triompheen Gaule et l'écroulement final à Salesbières et quise traduit dans l'image de la Roue de Fortune [71]. Sur le plan astrologique, cette dialectique spatio-temporelle qui accompagnela chute du monde arthurien [72] relève d'Uranus (l'espace) et de Saturne (le temps). Le jugementfinal porté sur le monde arthurien est le fruit du déséquilibredans lequel il a plongé, peut-être pour n'avoir pas su entendrela leçon de la Quête. Ce déséquilibre est rendu,dans la symbolique astrologique, par une Balance (signe de l'équilibre)dont les valeurs s'inversent en fin de cycle.
L'AXE SAGITTAIRE-GÉMEAUX
Le troisième axe des élémentsFeu-Air est l'axe Sagittaire-Gémeaux; il nous paraît correspondre,en vertu du symbolisme astrologique, aux figures du Prêtre et del'Envoyé. Mais ces deux signes, Gémeaux et Sagittaire, sonten astrologie des signes doubles; aussi bien la fonction du Prêtren'est-elle pas ici incarnée par Galaad, mais par Josephé,lui-même double de Joseph d'Arimathie [73]. Le maître du Sagittaire, Jupiter, est le significateur du Guide [74]; et c'est bien un rôle de guide, de maître spirituel, queremplit Josephé envers Galaad, et à travers lui envers toutela chevalerie. Plusieurs critiques l'ont souligné [75], leur proximité tient à ce qu'ils sont l'un et l'autre d'uneparfaite virginité et qu'il leur a été donnéà l'un et à l'autre de contempler les mystères duGraal. Ce rôle de guide rempli par Josephé à l'égardde Galaad procède en une triple gradation. Tout d'abord, aux tempsde la préparation de la venue, encore lointaine, du "Chevalier Désirré",sur le point de trépasser, Josephé laisse à Mordrainl'écu qui va devenir, par la suite, celui de Galaad; sur cet écu,il trace de son sang une croix : ainsi, par le sang, s'inscrit àtravers le temps une filiation spirituelle entre Josephé et Galaad.Pauline Matarasso a bien mis en valeur, à propos de Josephé,sa parenté analogique avec la vénérable figure deMelchissédech, qui, par le don du pain et du vin, apporte sur Abraham,le Père des croyants - juifs, chrétiens et musulmans - labénédiction du Très-Haut, épisode dans lequelR. Guénon voit la marque de la filiation de ces trois religionsavec la Tradition primordiale [76]. La seconde étape s'opère à Corbenic, lors de laliturgie du Graal : "si vint a Galaad et le besa et li dist qu'il besastautresi toz ses freres" (p. 269, l. 23). Par le baiser c'est, encore unefois, la transmission d'une connaissance qui s'opère et, malgréles différences de contexte, on peut voir dans ce passage commeun écho du motif du Fier Baiser, fréquent dans la mythologieceltique et dans les romans arthuriens [77]. La dernière étape, enfin, a lieu à Sarras, justeavant la mort de Galaad, et elle consiste en trois moments : Josephéinvite Galaad à contempler "apertement" les mystères du Graal,il lui donne la communion et, enfin, se fait reconnaître comme lefils de Joseph d'Arimathie, investissant en quelque sorte Galaad commeson compagnon, comme son égal. On pourrait dire qu'au seuil de lamort, et pour conduire son âme au-delà, Josephé vientprendre la suite de la soeur de Perceval qui, depuis la nef de Salomonjusqu'à Sarras, a accompagné invisiblement Galaad, d'unemanière analogue à celle dont, dans laDivine Comédie,saint Bernard vient prendre auprès de Dante le relais de Béatricepour le conduire dans les dernières sphères du Paradis [78].
La dualité des Gémeaux et l'exaltationdans ce signe de Mercure, le messager des dieux, marque, en ce qui concernela mission de Galaad, sa double visée, le double plan sur lequelelle est appelée à s'interpréter et à se réaliser: le plan métaphysique et le plan méta-historique.
Si Galaad est "enluminé" dèsle départ de toutes les vertus qui en font le meilleur chevalierdu monde dès son apparition à la cour d'Arthur [79], s'il n'a pas à progresser ni en prouesse chevaleresque, ni envertus chrétiennes - pour lui, les aventures ne sont pas des épreuves [80] - il est un plan sur lequel se marque une évolution : celui de l'approchedes mystères du Graal et de la qualité de leur dévoilement.Le cheminement, en trois phases qui correspondent à celles de l'Ouvrealchimique, mène de la réalisation par l'action - voie propreà la caste chevaleresque, mais qui ne conduit qu'aux "petits mystères" [81] - jusqu'à la contemplation de Corbenic - équivalent de l'Ouvreau Blanc - qui se parachève, pour le seul Galaad, dans l'illuminationfinale à Sarras. A ces trois phases correspondent les modalitésde manifestation du Graal : nourricier (à la cour d'Arthur), etguérisseur (épisode du chevalier dans la chapelle) dans lemonde de la chevalerie terrienne, répondant ainsi aux besoins ducorps grossier, matériel [82]; lumineux et révélant les mystères de la Trinité(vision de Lancelot), distribuant une nourriture céleste (liturgiede Corbenic) qui comble les désirs du corps subtil tout en étantdélectable pour le corps grossier [83]; enfin indiciblemysterium tremendum[84] qui suggère, avec l'abandon de la dépouille mortelle, lanaissance au corps glorieux de celui qui a réalisé l'illumination [85].
Suspendons ici, un instant, le temps et laissons-nousaller, à la suite d'E. Baumgartner, avec crainte et tremblement,à la spéculation : que voit Galaad dans le Graal ? "Ce quevoit Galaad, nous dit E. Baumgartner, à l'intérieur du Graalet au terme de sa quête, c'est la naissance même de la vie,le moment où s'inaugure le temps, l'acomençaille ,selon les propres termes du texte" [86]. Si l'on se souvient que, selon certaines branches de la légende [87], le Graal a été façonné dans l'émeraudetombée du front de Lucifer au moment de sa chute et recueillie pardes anges, et si l'on admet que cette émeraude sur le front correspondau "troisième oeil" -urnaouluz[88], équivalent au "sens de l'éternité" - on peut suggéreralors qu'à cet instant de l'illumination où s'ouvre en luice "troisième oeil" il n'y a plus entre Galaad et le Graal de différence: le Soi contemple le Soi.
La réalisation métaphysique neconcerne que l'individu; aussi bien est-elle en principe possible, quellesque soient les circonstances, en tout temps et en tout lieu. Mais la missionde Galaad comporte une dimension collective que l'on peut qualifier de"méta-historique", dans la mesure où une réalitéd'ordre supra-historique, archétypale - le Graal - fait irruptiondans l'histoire [89] . Nousn'envisageons pas ici la signification de la figure de Galaad dans le cadrehistorique réel de la Chrétienté médiévale,mais uniquement les effets de son surgissement dans l'univers fictionnel,mais cohérent, du monde arthurien.
Le thème classique du roi Arthur partagéentre la joie et la tristesse - "lié et dolanz" [90] - prend, durant l'ouverture de laQueste , un relief saisissant: l'arrivée de Galaad et la manifestation du Graal à la courmême d'Arthur sont accueillies par le roi et son entourage avec joieet reconnaissance [91] .Mais dès le voeu de Gauvain une ombre de tristesse va grandissantjusqu'au déchirement de la séparation; le roi et la reineusent, envers les êtres qui leur sont les plus chers, Gauvain etLancelot, du même terme : trahison [92]. Avant même la fracture induite dans laMort Artupar l'affrontement entre les lignages de Gauvain et de Lancelot, laQuesteintroduit une fissure dans l'univers de la Table Ronde, au moment mêmeoù, avec l'installation de Galaad sur le Siège Périlleuxet la manifestation du Graal, cet univers devrait trouver sa complétudeet son couronnement. La mission à la fois destructrice et libératrice,comme nous l'avons vu, de Galaad laisse le royaume arthurien désemparé.Or, la fatalité qui, dans laMort Artu , va conduireà la catastrophe finale, ne règne pas encore dans laQueste. Le monde arthurien, avec son code chevaleresque et courtois, est certesdisqualifié en tant que tel dès le début de laQueste[93], mais il est en même temps appelé, par les deux messagersde l'ermite Nascien [94] à endosser les nouvelles valeurs de la chevalerie "célestielle".Ce qui est fatal, car écrit dans la loi cyclique de l'histoire,c'est la nécessité d'une transformation, d'une mutation;mais le caractère plus ou moins dramatique de cette mutation dépendde la réaction des hommes face à cette nécessité.Au moment de laQueste , le roi Arthur n'a plus àses côtés le sage Merlin pour l'éclairer : autrementdit, le monde arthurien n'a plus les moyens de se ressourcer à laTradition primordiale et le roi Arthur ne pourra pas se transformer engardien du Graal. Ce sera alors, après les péripétiesde la lutte fratricide entre les lignages de Gauvain et de Lancelot etaprès les expéditions d'Arthur en Gaule et contre Rome, leretour des forces inférieures grouillantes, sur le refoulement desquelless'était constitué, du temps d'Uterpendragon et de la jeunessed'Arthur, l'ordre du monde arthurien. Ce sera le retour des Saxons, appeléspar Mordret, figure de l'Antéchrist dans cette Apocalypse du mondearthurien; Saxons qui évoquent les Fomores de la mythologie celtique [95] et, dans la tradition biblique, les redoutables hordes de Gog et Magog [96]. Faute de s'ouvrir aux influx ouraniens signifiés par les manifestationsdu Graal et par l'ouverture de la Quête avec l'arrivée deGalaad, le monde arthurien, endurci dans la tranquille assurance de sesvaleurs "terriennes" chevaleresques et courtoises et fermé aux appelsdu Ciel, subit sans protection les assauts des puissances inférieures(les Saxons) et de ses démons intérieurs (Mordret).
LES TROIS AXES DES ÉLÉMENTS TERRESTRES (POLARITÉLUNAIRE)
Galaad est une figure essentiellement solaire.Aussi les éléments de la polarité lunaire se présentent-ils,au regard de sa mission chevaleresque et royale, non point comme des fins,des valeurs à réaliser en tant que telles, mais comme desmoyens, des conditions de la réalisation. L'axe majeur de cettesérie, en ce qui le concerne, est l'axe Vierge-Poissons, la signaturemême du christianisme dans la succession des Eres précessionnelles [97]. Dans la trajectoire du "Bon Chevalier", ces deux signes évoquentles thèmes de la virginité et du sacrifice.
Il est assez difficile aujourd'hui de comprendrel'insistance avec laquelle laQueste exalte la virginité,qu'ont en partage avec Galaad Perceval et sa soeur (Bohort n'est que "chaste",ayant engendré de la fille du roi Brangorre Elain le Blanc) [98]. On peut, certes, prendre cette exigence dans un sens moral; mais comment,alors, ne pas être frappé par le violent contraste avec toutela tradition arthurienne, à la suite de F. Lot et de tous ceux quiont débattu sur le "double esprit" duLancelot en prose[99]. On a mis en valeur, et à juste titre, l'importance du culte deNotre-Dame dans la spiritualité cistercienne et dans celle des Templiers [100]. LaQueste ne manque pas de citer à plusieurs reprisesdes "messes de Nostre-Dame" [101]. En ne retenant ici que l'aspect du problème relatif à lamission de Galaad, nous serions tenté de mettre en rapport l'exigencede virginité de l'Elu avec les conditions qui favorisent l'illuminationau terme de la réalisation métaphysique. L'énergiesexuelle retirée à ses fins, légitimes mais purement"terriennes", de jouissance et de procréation est tout entièrecanalisée vers le haut, entraînant, selon la terminologiehindoue de la corporéité subtile [102], le réveil de la "kundalini" [103] et sa montée à travers les "chakras", les centres de force,jusqu'au "troisième oeil" et au sommet du crâne. La virginitéapparaît alors non plus comme un idéal moral - élevé,certes, mais en conflit avec l'éthique chevaleresque et les tendancesde la nature humaine - mais comme la condition pour ainsi dire "technique"d'une réalisation spirituelle, de fait hors du commun mais en principeouverte à tous.
La virginité se présente dansces conditions comme le libre exercice, dans une tension permanente, d'unetotale maîtrise du "moi" pour atteindre à la réalisationdu "Soi" [104] . Le pendantde cette maîtrise du "moi", qui peut libérer dans l'êtrede grandes forces et lui conférer des "pouvoirs" [105], est le renoncement à l'exercice de cette maîtrise, de ces"pouvoirs". Tel est le sens de la complémentarité de l'axeVierge-Poissons, ce dernier signe étant alors symbolisé parles valeurs positives de Neptune, du sacrifice, du renoncement àl'"ego" au profit du grand Tout universel, de la communion des êtres.Ce renoncement se marque chez Galaad par son total abandon, à l'imitationdu Christ, envers la volonté divine qui lui est signifiéepar des messagers célestes ou par des protagonistes de laQueste[106].
Le même axe Vierge-Poissons correspond,chez Lancelot, au douloureux renoncement à son amour pour la reineGuenièvre - sur lequel il reviendra dans laMort Artu. C'est autour du personnage de Lancelot, plutôt que de Galaad, queprennent relief les axes de cette polarité lunaire des élémentsterrestres (Terre et Eau). Dans l'axe Capricorne-Cancer peut se lire satrajectoire qui le conduit de l'enfermement dans ses certitudes de "meilleurchevalier du monde" au regard des valeurs terriennes, de sa duretéde coeur [107] - Saturne,significateur de la pierre et de la dureté, maître du Capricorne- jusqu'à son repentir qui lui fait retrouver le "don des larmes",comme la promesse d'un nouveau printemps que symbolisent les eaux du Cancer,et lui ouvre le chemin à une navigation de cinq mois en compagniede son fils Galaad. Mais il lui aura fallu entre temps croupir au bordde l'eau Marcoise, dont le nom, que l'on peut rapprocher demarche,marke[108] , limite entrele monde des vivants et l'Autre monde celtique, évoque les eauxsombres de l'Achéron : connotations plutoniennes du troisièmesigne d'Eau, le Scorpion.
D'une façon générale,l'opposition entre la polarité lunaire et la polarité solairepeut se rattacher à la complémentarité entre Lancelot,fleuron de la chevalerie "terrienne" et son fils Galaad, type de la chevalerie"célestielle". Lancelot est caractérisé par des traitstypiquement lunaires : il est formé à la chevalerie par laDame du Lac et rayonne dans le monde arthurien par son armure blanche;ses armes sont "d'argent à trois bandes de gueules" [109] tandis que celles de Galaad, semblables à celles des Templiers,sont "d'argent à la croix vermeille".
Ainsi, la série des élémentsterrestres, dont la polarité lunaire renvoie à Lancelot,se rattache aux temps de la préparation de la venue du "Bon Chevalier"qui incarnera, lui, le principe solaire et s'inscrira de préférencedans la symbolique des éléments célestes. Mais d'unesérie à l'autre, il n'y a pas de rupture : un ample mouvementascendant se dessine qui, partant avec le Scorpion du tréfonds del'abandon et de la mort à soi-même à laquelle consentLancelot à l'Eau Marcoise, passe par le renoncement aux passionset à l'affirmation de l'"ego" dans l'axe Bélier-Balance,dans sa capacité solaire et chevaleresque de combattre pour la justice,et qui culmine enfin dans l'exaltation ouranienne où la contemplationdu Graal s'ouvre, en renouant avec la Tradition originelle, sur la promessed'un nouveau cycle.
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La symbolique astrologique rend donc bien comptede la filiation Lancelot-Galaad et de la double polarité "terrienne"et "célestielle" de laQueste . Cette étudesuggère également, nous semble-t-il, qu'une lecture ésotériquede laQueste est possible. L'unité qui relie entreelles les sciences traditionnelles donne à penser, par exemple,qu'un éclairage nouveau pourrait être apporté par lesymbolisme alchimique auquel se rattache, à notre sens, le richebestiaire de laQueste .
Nous conclurons par une question de méthode.Dans notre interprétation de la mission de Galaad, le recours ausymbolisme zodiacal a joué en quelque sorte comme un support deméditation, comme un "mandala" sur la surface duquel, au grédes permutations d'axes de la grande roue zodiacale, sont venus s'inscriredes images et des thèmes relatifs à l'oeuvre étudiée.Les rapprochements que nous avons effectués ne nous semblent paspour autant arbitraires. D'une part, en vertu de la loi d'analogie quien est le fondement, le symbolisme universel se caractérise parsa rigueur et par sa grande cohérence [110]. En second lieu, nous estimons que se manifeste, tant dans la symboliquezodiacale que dans les textes médiévaux relatifs àla légende du Graal, le renvoi à des archétypes communsqui témoignent de la présence et de l'action du surnatureldans le monde de la manifestation.
Enfin, une lecture ésotériquede laQueste nous paraît possible et souhaitable auregard de la riche substance symbolique des aventures qui s'offrent auxchevaliers et des récits rétrospectifs. Une telle approchepourrait libérer ces éléments de la finalitéunivoque et réductrice que leur assigne l'interprétationdes ermites - et celle de maint commentateur à la suite d'A. Pauphiletet d'E. Gilson [111] .Non que ces interprétations exotériques soient fausses ouà rejeter. Mais elles laissent endormis dans le symbolisme propredes aventures des trésors de signification dont l'interprétationdes ermites - par malice ou par prudence ? - n'a pas activé l'énergierayonnante. Les aventures de laQueste ont subi, comme lepauvre Merlin, un "enserrement" dont nous pouvons tenter, peut-être,de les délivrer.
Les Chirons, septembre 1988
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