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LIVRES LUS

Denis Crouzet,Les Enfants bourreaux au temps des guerres de Religion

Paris, Albin Michel, 2020, 325 p.
MichelCassan
Référence(s) :

Denis Crouzet,Les Enfants bourreaux au temps des guerres de Religion, Paris, Albin Michel, 2020, 325 p.

Texte intégral

1Trente ans après son magistral opus surLes Guerriers de Dieu (Seyssel, Champ Vallon, 1990), Denis Crouzet offre une nouvelle et passionnante étude sur les violences perpétrées par les enfants lors de l’interminable guerre civile qui déchira et ensanglanta le royaume de France pendant la seconde moitié du 16e siècle. Certes, Denis Crouzet ne s’interdit pas quelquesexcursus sur des violences enfantines commises à Tours en 1621 (p. 248-255), un ample développement sur les enlèvements d’enfants advenus dans cette même ville en 1750 (p. 255-267) et des échappées vers d’autres espaces et d’autres temporalités tel le récent génocide rwandais (p. 46-47). Toutefois, l’essentiel du livre et sa force démonstrative sont ancrés dans les années 1559-1594, auscultées au prisme des violences enfantines. Un corpus considérable d’imprimés, parus entre 1560 et 1589 et référencés aux pages 287-305, fonde cette analyse des violences commises par de jeunes enfants, et plus précisément par de jeunes garçons âgés de moins de 12 ans, fréquentant possiblement des petites écoles ou des manécanteries. Les comportements agressifs de ces jeunes garçons, tous catholiques, ne sont ni un épiphénomène ni un dérapage ou un dévoiement excessif de violences, mais bien des comportements fréquents, révélateurs des fondements les plus profonds des imaginaires catholiques. En ce sens, ils sont indissociables d’événements aussi extraordinaires que les matines parisiennes de 1572 et leurs répliques provinciales ou du régicide d’Henri III. Ils plongent au cœur des attentes exigeantes et existentielles d’une frange de catholiques effrayés à l’idée de s’éloigner de Dieu, parce qu’ils sont contraints de vivre aux côtés de voisins « mal sentant de la foi » les entraînant dans un monde régenté par Satan et ses suppôts. Cette représentation d’un monde et d’une société pollués par l’hérétique et en train de se détacher de Dieu est diffusée depuis les années 1530 par une foule d’autorités morales, religieuses, des théologiens respectés, des prédicateurs écoutés, qui acclimatent une atmosphère eschatologique, véhiculée également par des imprimés multipliés à satiété et discutés dans le huis clos familial aussi bien que débattus sur la place publique. Progressivement, la perception d’un temps perverti par l’hérétique et des dangers qu’il fait courir à la communauté est intériorisée ainsi que les remèdes à administrer pour conjurer ce mal et l’éradiquer. Dès la fin de la décennie 1550, l’idée de solutions finales et de châtiments radicaux à l’encontre des mécréants, vecteurs de pollution, est de mieux en mieux partagée : à savoir leur mise à mort exigée et attendue de Dieu, synonyme de salut pour l’auteur ou les auteurs de tels actes et la communauté des « bons catholiques ». Tuer est alors une manifestation d’amour divin, aller à la rencontre de Dieu, se purifier dans l’accomplissement de ce geste.

2Les petits enfants, parfois encadrés ou guidés par des adultes et des ecclésiastiques, prennent en charge cette mission et, animés d’une haine sacrée, infligent aux corps des huguenots et à leurs dépouilles une violence meurtrière et symbolique qui conjugue l’exhibition du cadavre attaché à une claie et promené dans les rues de la ville, sa pendaison par les pieds, son éventration dans un désir de déshumanisation et d’animalisation de la victime avant son brûlement. Un tel châtiment, appliqué la première fois en octobre 1559 à Draguignan contre le protestant Antoine de Mouvans, fut rejoué dans plusieurs villes du sud ou du nord du royaume en 1562-1563, avant de connaître ce qui fut son acmé avec le sort réservé à l’amiral de Coligny lors de la Saint-Barthélemy. Toutefois, ce déferlement de violences, tant parisiennes que provinciales, échoua à vider la capitale et le royaume de « l’exécrable engeance huguenote » et à transformer la ville et le pays en une « Cité de Dieu ». Les enfants de Dieu eurent beau tourmenter le cadavre de Coligny, à leurs yeux triplement traître à Dieu, au roi, à la religion, leur zèle et celui des « bons catholiques » ne permit pas la totale extermination de leurs ennemis. Cette désillusion les plongea dans les affres du doute, de la peur d’une perte de Dieu, et provoqua une intériorisation pénitentielle de la violence qui trouva de nouveau un exutoire et des manifestations publiques à partir de 1583, quand de longues et fréquentes processions d’enfants pieds nus, de femmes vêtues de noir, de jeunes filles drapées de blanc, parcourent les campagnes champenoises, normandes, beauceronnes, briardes, dans une démarche d’imploration mariale. Ce retour des enfants de Dieu dans des cortèges religieux, opéré d’abord en pointillé, devient un fait récurrent dans la capitale au lendemain du double assassinat des Guise à la Noël 1588. Pendant l’hiver 1589, les petits enfants, garçons et filles – celles-ci mentionnées explicitement dans les processions des 10, 26 et 30 janvier –, processionnent d’église paroissiale en église paroissiale en une marche doloriste et une quête d’union spirituelle à Dieu. L’encadrement clérical de ces marches est avéré et les petits enfants communient en un désir de mourir en Dieu, pour Dieu, qui leur commande non seulement de pleurer les deux frères innocents ignominieusement tués par le vilain Hérode, mais aussi de désobéir au tyran et de prendre en charge les attentes légitimes et exigeantes de Dieu. Denis Crouzet avance ici une ferme hypothèse et place le régicide dans une filiation avec la piété implorante des petits enfants, marcheurs de Dieu de l’hiver 1589. L’hypothèse est d’autant mieux étayée que Jacques Clément participa à ces expériences de la communauté des zélés catholiques et dut se laisser envahir par l’atmosphère sacrificielle de ces passions. Nombreux furent alors les textes apologétiques qui établirent une généalogie ou du moins un lien entre lepuer Clément, parfois dit innocent, et les petits enfants auxquels Dieu, depuis le commencement des troubles, attribue la mission de révéler sa parole. Ainsi, le geste de Jacques Clément, loin d’être un acte solitaire, serait la traduction des désirs de la communauté enfantine parisienne ayant appelé chaque « bon catholique » à dessiller ses yeux devant l’abominable réalité et à s’unir avec Dieu, dans une geste sacrificielle et salvatrice. Las, au lendemain du régicide, la prosaïque réalité doucha les espérances des zélés catholiques, puisque la disparition d’Henri III se solda par la désignation d’un prince relaps protestant pour roi de France, et surtout parce que la Ligue étala son incapacité à restaurer l’unité de religion dans le pays. La terrible désillusion vécue par les zélés catholiques pendant les années 1589-1594 rappelait celle éprouvée par leurs prédécesseurs au lendemain de la Saint-Barthélemy. Elle était encore plus marquée dans la mesure où les partisans de la Ligue d’État acceptaient l’accession au trône de France d’Henri IV, hier encore « le Béarnais » honni, et cessaient de soutenir politiquement et publiquement la Ligue de religion. Dans sa conclusion, Denis Crouzet rappelle les analyses suggestives du regretté Denis Richet sur l’échec de la Ligue politique et la réussite durable de la Ligueversus religion, animée par les dévots, d’anciens ligueurs qui œuvrèrent par le truchement de compagnies plus ou moins secrètes, des congrégations mariales, des confréries pénitentes et par le biais de nouvelles congrégations catholiques et des collèges, à façonner l’âme et l’habitusd’un zélé catholique. Les petits enfants, et plus encore les adolescents appelés à fréquenter les collèges ou les jeunes filles dirigées vers des couvents, étaient prioritairement intégrés dans ce projet d’éducation qui tenait à distance la violence physique, laquelle resurgissait par bouffées au 17e siècle, lorsque des troupes d’enfants agressaient des protestants, les insultaient, les menaçaient et faisaient pleuvoir des pierres sur les participant·e·s. De tels faits, souvent connus, sont légion dans le royaume, aussi le temps n’est-il pas venu d’en dresser l’inventaire exhaustif à l’échelle du royaume afin de déceler d’éventuels dénivelés dans l’intensité de cette violence juvénile et d’en questionner la généalogie et les motifs dans le contexte de ce qui semble une guerre civile « froide » continuée au long du 17e siècle ?

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Pour citer cet article

Référence électronique

MichelCassan,« Denis Crouzet,Les Enfants bourreaux au temps des guerres de Religion »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 151 | 2021, mis en ligne le17 février 2022, consulté le05 juin 2025.URL : http://journals.openedition.org/chrhc/18049 ;DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.18049

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