AccueilNuméros151UN CERTAIN REGARDThe Underground Railroad, série a...
1Âmes sensibles s’abstenir
2Sur l’introduction musicale lancinante du compositeur Nicholas Britell, un couple de jeunes gens noirs tombe au ralenti dans un puits à la profondeur vertigineuse. À cette chute succède une scène intense et crue : une femme accouche dans la douleur, un placenta ensanglanté tombe sur le sol d’une case en bois, la mère s’en empare et l’enterre de manière effrénée. Puis se découpe, dans une lumière chaude et éblouissante, la forme du « chemin de fer souterrain », le fameux « underground railroad » du titre de la série.
3C’est sur ces images choc, mais à l’esthétique travaillée que s’ouvre la nouvelle fiction du réalisateur américain Barry Jenkins. Les âmes sensibles sont donc prévenues et peuvent s’abstenir, elles ne seront pas épargnées. Jenkins, connu du grand public en 2016 grâce à l’audacieux Moonlight, qui retrace la passion secrète d’un dealer homosexuel noir de Miami, signe ici une autre histoire cachée, mais toujours sans tabou, celle du « chemin de fer clandestin » au temps de l’esclavage aux États-Unis. Dans la réalité historique, nul chemin de fer mécanique, mais un parcours métaphorique. En effet, le chemin vers la liberté était loin d’être rectiligne et correspondait plutôt à un réseau complexe d’entraide et d’itinéraires en tout genre empruntés par les esclaves noirs américains au milieu du 19e siècle, le tout porté par des figures fortes telle l’incontournable militante abolitionniste et féministe, Harriet Tubman.
4Dans la série, la métaphore de l’« underground railroad » se matérialise et prend la forme d’un véritable chemin de fer clandestin, pour devenir un motif de fuite tel que choisi par Colson Whitehead, auteur du roman éponyme. L’adaptation est fidèle et Barry Jenkins s’est attaché à respecter à la lettre une narration saluée par la critique et par ailleurs récompensée en 2017 par le prestigieux prix Pulitzer. On suit donc toujours le périple douloureux de Cora, jeune esclave discrète d’une plantation de coton de Géorgie, qui est crainte par ses maîtres et ostracisée par sa communauté du fait de suspicions de pratiques vaudou. Malgré les souffrances de la servitude, Cora apparaît comme plutôt résignée au début de la série, mais devant la multiplication des actes de sadisme perpétrés par un maître blanc, Cora choisit la fuite en suivant César, un jeune homme follement épris d’elle et désireux de la libérer de ses chaînes. Les deux esclaves en fuite passent de l’état de captivité à celui de fugitifs traqués lorsqu’un chasseur de prime infatigable et lié de façon intime au passé de Cora se lance à leur poursuite à travers plusieurs États esclavagistes.
5De la même façon que l’auteur du roman, le réalisateur de la série prend également des libertés, assumées, avec la vérité historique. Mais pas de duperie dans cette fiction, le passé horrifique du sud des États-Unis peu de temps avant la guerre de Sécession est parfaitement retranscrit. La route vers la délivrance est certes une réalité physique dans cette fiction, mais le périple des esclaves n’en est pas rendu plus facile. Les moments de bonheur sont rares et rapidement gâchés par l’omniprésence du racisme et la ténacité de la traque pour les retrouver. Comme pour entériner cette dimension, le récit est parsemé de références claires à d’autres entreprises périlleuses, tels queLe Voyage de Gulliver ou encoreL’Odyssée, et les monstres qu’ils évoquent sont clairement les esclavagistes. Cora devient l’héroïne d’un voyage initiatique traversé d’horreur, aux allures de conte allégorique, qui par endroits rappelle d’autres fictions comme le fameuxLabyrinthe de Pan, qui narrait de façon onirique une autre époque barbare de l’histoire humaine, celle du franquisme. La série conserve ainsi la trame de la reconstitution tout en flirtant avec le genre fantastique, grâce à de subtiles échappées fantasmagoriques.
6Jenkins parvient à insuffler dans ce tableau bien sombre une esthétique romantique grâce à un travail important de la lumière, qui livre des scènes aux allures de peintures préraphaélites. On en retient ainsi une esthétique de l’horreur, où la barbarie de l’esclavage est sublimée afin de donner à voir un spectacle cathartique, comme pour purger une Amérique malade de son passé toxique.
7Certains lui reprocheront un aspect trop contemplatif, des longueurs scénaristiques ou des pauses oniriques quelque peu cryptiques, mais la série a su séduire la critique tout en trouvant son public. De fait, une saison 2 est déjà annoncée, alors même qu’une seule et unique saison était initialement prévue.
8Vous pouvez retrouver les dix épisodes de la première saison de « The Underground Railroad » sur la plateforme Amazon Prime.
![]() | |
---|---|
URL | http://journals.openedition.org/chrhc/docannexe/image/18039/img-1.png |
Fichier | image/png, 97k |
SoniaSuvélor,« The Underground Railroad, série américaine de Barry Jenkins, 60 min, 2021. », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 151 | 2021, 212-214.
SoniaSuvélor,« The Underground Railroad, série américaine de Barry Jenkins, 60 min, 2021. », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 151 | 2021, mis en ligne le01 février 2022, consulté le05 juin 2025.URL : http://journals.openedition.org/chrhc/18039 ;DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.18039
Haut de pageLe texte seul est utilisable sous licenceCC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de pageISSN électronique 2102-5916
Voir la notice dans le catalogue OpenEdition
Plan du site –Mentions légales & crédits –Contacts –Flux de syndication
CGU d’OpenEdition Journals –Politique de confidentialité –Gestion des cookies –Signaler un problème
Nous adhérons à OpenEdition –Édité avec Lodel –Accès réservé