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DOSSIER

Les relations commerciales entre l’Inde et l’Asie centrale entre 1550 et 1920 : des échanges intenses et diversifiés

ClaudeMarkovits
p. 73-84

Résumés

Cet article traite d’un aspect peu connu de l’histoire économique de l’Asie centrale, les échanges intenses qu’elle a entretenus pendant près de quatre siècles avec l’Inde. À partir du 16e siècle, comme l’attestent de nombreux documents, des marchands indiens ont parcouru la région, apportant d’Inde des textiles et d’autres produits, rapportant en Inde de la soie et des métaux précieux, tandis que d’autres marchands étaient impliqués dans l’exportation de chevaux turkmènes pour la cavalerie des États indiens. La présence commerciale indienne a continué jusqu’à la révolution de 1917, même si la conquête russe des années 1870 a entraîné un déclin du commerce caravanier. On met l’accent sur le rôle joué par les marchands de Shikarpur, une localité du Sindh (dans l’actuel Pakistan), grâce à l’exhumation d’une archive oubliée.

This article deals with a little-known aspect of the economic history of Central Asia, the intense exchanges it maintained for nearly four centuries with India. From the sixteenth century, as numerous documents attest, Indian merchants roamed the region, making silk from India for textiles and other products, and bringing back to India precious metals and metals, while d Other merchants were present in the export of Turkish horses for the cavalry of the Indian states. Indian commercial presence continued until the Revolution of 1917, although the Russian conquest of the 1870s started a decline in the caravan trade. The emphasis is on the role played by the merchants of Shikarpur, a locality in Sindh (in present-day Pakistan), thanks to the exhumation of a forgotten archive.

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Texte intégral

  • 1 Jules Verne,Michel Strogoff, Paris, Hetzel, 1876, p. 92.
  • 2 « Bokhara », dansEncyclopaedia Britannica, 11e édition, 1910-1911, vol. IV, Cambridge, 1910, p. 15(...)
  • 3 Edward P. Thompson,The Making of the English Working Class, Harmondsworth, Penguin Books, 1968 (re(...)
  • 4 Claude Markovits,The Global World of Indian Merchants, 1750-1947 : Traders of Sind from Bukhara to(...)

1Dans son romanMichel Strogoff (1876), récit d’une invasion « tartare » imaginaire dans la Russie du 19e siècle, Jules Verne décrit une scène dans laquelle son héros, un courrier du tsar, assiste à la fuite éperdue d’une foule d’« Asiatiques étrangers » depuis Nijni-Novgorod par bateau sur la Volga, dans une panique suscitée par la rumeur de l’arrivée prochaine des mêmes « tartares ». Une fois embarqué, Strogoff remarque parmi ces « Asiatiques » « des Indous (sic) à bonnet carré, avec un simple cordon pour ceinture, et dont quelques-uns, plus spécialement désignés sous le nom de Shikarpouris, tiennent entre leurs mains tout le trafic de l’Asie centrale1 ». Jules Verne, toujours bien informé, se fait là l’écho d’une vue sans doute alors répandue sur le rôle prédominant de commerçants indiens dans l’économie de l’Asie centrale. Quelques décennies plus tard, en 1910, un autre repositoire du savoir européen, l’Encyclopaedia Britannica, en donne une version un peu affaiblie, dans un article sur Bokhara dans lequel on peut lire que « l’essentiel du commerce de Bokhara était entre les mains d’une colonie de marchands de Shikarpur2 ». Malgré la réduction de l’Asie centrale à la seule Bokhara, on décèle une continuité dans l’affirmation d’un rôle décisif pour des marchands originaires d’une localité du sous-continent que peu de nos jours sauraient situer sur une carte (elle se trouve au Pakistan). Est-on alors en présence d’un mythe d’origine européenne, dont pratiquement aucune trace ne survit dans l’Asie centrale d’aujourd’hui, ou bien s’agit-il plutôt d’un oubli, nouvel exemple de cette « énorme condescendance de la postérité » si éloquemment dénoncée dans un autre contexte par le grand historien britannique Edward P. Thompson3 ? C’est à cette question qu’on s’efforcera de répondre ici, en prenant appui sur une étude détaillée de l’histoire du réseau shikarpuri publiée en anglais en 2000 et restée peu connue du public francophone4. On commencera par une rapide évocation de l’histoire et de l’historiographie des relations commerciales entre Inde et Asie centrale sur une certaine longue durée.

Les relations commerciales Inde-Asie centrale : histoire et historiographie

  • 5 Anthony Jenkinson,Early Voyages and Travels to Russia and Persia, ed. by E.D. Morgan and C.H. Coot(...)
  • 6 Muzaffar Alam, « Trade, State Policy and Regional Change : Aspects of Mughal-Uzbek Commercial Relat(...)

2Sans remonter à l’Antiquité, des documents attestent l’existence, au moins depuis le 14e siècle, de relations commerciales régulières par la voie terrestre entre l’Inde du Nord et l’Asie centrale. Au 16e siècle, le voyageur anglais Anthony Jenkinson, envoyé en Russie par la Muscovy Company, rapporte avoir rencontré en 1558 des marchands indiens à Bokhara et souligne leur domination du commerce des tissus dans la région5. Des documents en persan émanant du qadi de Samarkand, connus sous le titre deMajmu’a-i-Watha’iq, datés de la fin du 16e siècle et traduits par l’historien indien Muzaffar Alam6, livrent une liste détaillée des différents types de tissus importés d’Inde, liste corroborée par un acte de vente en persan provenant de la même ville, daté de 1589.

  • 7 William H. Moreland, « Indian Exports of Cotton Goods in the Seventeenth Century »,Indian Journal(...)
  • 8 Scott C. Levi,The Indian Diaspora in Central Asia and its Trade, 1550-1900, Leiden, New York, Köln(...)
  • 9 Niels Steensgaard,The Asian Trade Revolution of the Seventeenth Century : The East India Companies(...)
  • 10 Stephen Frederic Dale,Indian merchants and Eurasian trade, 1600-1750, Cambridge, New York, Cambrid(...)
  • 11 Seymour Becker,Russia’s Protectorates in Central Asia : Bukhara and Khiva, 1865-1924, Cambridge (M(...)

3L’évaluation chiffrée de ce commerce ne fait pas cependant l’objet d’un consensus savant : les estimations varient dans une proportion de 3 à 4 pour 1 entre les chiffres avancés pour les exportations indiennes de tissus vers l’Iran et l’Asie centrale par l’administrateur-historien britannique William H. Moreland en 1924-1925 pour 16807 et ceux proposés par l’historien américain Scott Levi en 2002 pour 16398. Au-delà des querelles de chiffres, dans lesquelles il serait oiseux d’entrer ici, il faut tenir compte des évolutions de l’historiographie. La question des échanges continentaux interasiatiques a longtemps souffert du déplacement d’intérêt en direction du commerce des compagnies européennes, créditées d’avoir enclenché au 17e siècle une véritable « révolution commerciale » en Asie, qui se serait traduite par un déclin durable du commerce par voie de terre9, et c’est seulement depuis une trentaine d’années qu’un retour de balancier est visible. Demeurent encore des différences sensibles d’appréciation de l’importance et de l’évolution dans le temps de ce commerce : pour l’historien américain Stephen Dale, s’appuyant sur les travaux d’historiens soviétiques sur la colonie marchande indienne d’Astrakhan, au bord de la mer Caspienne, plaque tournante des échanges entre Iran, Asie centrale et Russie, ce commerce a atteint son apogée dans la première moitié du 17e siècle et a connu un déclin progressif dans la période postérieure10, tandis que Scott Levi souligne sa vitalité au 18e siècle en liaison avec l’émergence du sultanat uzbek de Khokand, basé dans la fertile région du Ferghana. Concernant le 19e siècle, les évaluations peuvent aussi varier, faute de données fiables. Il y a consensus seulement sur un point, l’impact considérable de la décision de 1895 d’extension de la frontière douanière russe à l’émirat semi-indépendant de Bokhara, qui mit pratiquement fin aux importations en provenance d’Inde, frappées de droits prohibitifs11. 1895 vit donc la fin d’un commerce caravanier d’une durée de trois siècles et demi. Laissant de côté les questions de chiffres, entourées de trop d’incertitudes, on s’intéressera aux produits, aux routes et surtout aux marchands, qui ont fait l’objet de notre recherche.

Les produits

  • 12 Jos J. L. Gommans,The Rise of the Indo-Afghan Empire, c. 1710-1780, Leiden, New York, Köln, E.J. B(...)

4Les produits échangés entre d’une part l’Inde du Nord, d’autre part l’Iran, l’Asie centrale et la Russie (qui, du point de vue indien, tendaient à constituer un espace unique) ont pu varier au cours des siècles, mais la balance commerciale a toujours été, au moins depuis le milieu du 16e siècle, favorable à l’Inde, le déficit étant soldé par les envois de métaux précieux et d’espèces depuis l’Asie centrale et la Russie, y compris sous forme de ducats hollandais obtenus par les marchands russes dans l’important commerce baltique avec les Pays-Bas (portant en particulier sur le blé) et qui gagnèrent ensuite Bokhara, où ils financèrent en partie l’achat de marchandises indiennes. C’est seulement pendant quelques décennies au milieu du 18e siècle que les flux ont été inversés, quand la conquête de l’Inde du Nord par le souverain turkmène de l’Iran Nadir Shah en 1739, suivie des raids dévastateurs d’Ahmad Shah Abdali depuis l’Afghanistan dans les années 1740 et 1750, a amené un afflux soudain de métaux précieux en Iran et en Asie centrale, dont une petite partie a ensuite gagné la Russie12. À l’exception de ces décennies, l’Inde a toujours été importatrice de métaux précieux, en particulier d’argent, pour solder ses excédents commerciaux avec l’extérieur. En effet, elle importait peu de marchandises d’Asie centrale, principalement des chevaux turkmènes pour la cavalerie, l’Inde n’élevant guère de chevaux, mais en importait également d’Arabie. La seule autre importation notable était la soie, dont l’Asie centrale ne produisait que des quantités relativement modestes. Fruits et « drogues » constituaient seulement des importations mineures.

  • 13 Scott C. Levi, « Hindus beyond the Hindu Kush : Indians in the Central Asian Slave Trade »,Journal(...)
  • 14 Dirk H.A. Kolff,Naukar, Rajput and Sepoy. The Ethnohistory of the Military Labour Market in Hindus(...)

5Dans l’autre sens, on trouvait une variété de produits : épices, colorants (indigo), céréales (riz et blé) et surtout tissus de coton, dont l’Inde était jusqu’à la fin du 18e siècle de loin le premier producteur mondial. À noter également l’existence d’un important commerce d’esclaves d’Inde vers l’Asie centrale13, travailleurs agricoles et artisans, qui connut son apogée au 17e siècle et déclina au 18e siècle. En sens inverse, l’importation d’esclaves militaires (mamluks) depuis l’Asie centrale vers l’Inde ne fut jamais considérable, les souverains moghols s’approvisionnant surtout sur le considérable marché de main-d’œuvre militaire qui se mit en place en Inde à partir de la fin du 15e siècle14.

  • 15 « The Indian doe (sic) bring fine whites, which the Tartars doe (sic) all roll about their heads, a(...)
  • 16 Muzaffar Alam,art. cit.

6Divers documents portent témoignage de la prédominance des tissus d’Inde sur le marché d’Asie centrale aux 16e et 17e siècles. Ainsi, Jenkinson écrit : « L’Indien (sic) apporte de fins tissus blancs, que les Tartares (sic) enroulent autour de leurs têtes, et toutes autres sortes de tissus blancs qui servent à confectionner des vêtements de coton15… ». Les documents de Samarkand16 donnent une liste plus détaillée des différents types de tissus importés d’Inde : chintz, calicots ordinaires épais (fota), tissus fins de Thaneswar (au Pendjab), brocards de soie (jamawar), calicots fins (solang), serviettes et mouchoirs (mindil) de Lahore, une gamme variée de textiles pour le marché ordinaire comme pour celui du luxe. Les tissus importés d’Inde étaient complémentaires d’une production locale non négligeable, mais rarement de haute qualité : ils tendaient à faire prime sur le marché, particulièrement auprès des élites. Leur importance semble avoir diminué au 18e siècle et ils avaient pratiquement disparu au 19e siècle, en parallèle avec le déclin de la production en Inde même.

7Le relais fut pris par d’autres produits, avant tout des denrées agricoles. Les céréales et les épices d’Inde paraissent avoir contribué de façon significative à l’alimentation des populations d’Asie centrale à divers moments. Il faut également souligner l’importance des exportations d’indigo, colorant indispensable à l’industrie textile, dont l’Inde était le principal producteur. Comme le 19e siècle vit l’arrêt des importations indiennes de chevaux turkmènes (l’armée britannique ayant favorisé le développement d’un élevage de chevaux au Pendjab, et les importations de chevaux d’Australie pour la remonte s’étant substituées à celles d’Arabie et d’Asie centrale), les échanges restèrent déséquilibrés au profit de l’Inde, le déficit étant toujours comblé par des importations de métaux précieux : la monnaie d’or de Bokhara était particulièrement convoitée dans une Inde à la monnaie-argent et en trouvait le chemin par le biais des envois de banquiers indiens installés en Asie centrale.

Les routes

8Routes maritimes et routes terrestres se sont succédé et parfois combinées au cours des siècles, ce qui rend difficile une présentation succincte. Au 17e siècle, la route la plus fréquentée entre l’Inde et l’Asie centrale combinait un trajet maritime et un parcours terrestre. Les marchandises et les hommes qui les accompagnaient embarquaient depuis les ports indiens de Surat au Gujarat, alors le plus grand port du sous-continent, ou depuis les ports mineurs de Lahori Bandar et Thatta au Sindh, et débarquaient dans le port iranien de Bandar Abbas, à proximité du détroit d’Hormuz. Ce port, auparavant connu sous le nom de Gombroon dans les sources européennes et de Sahu dans les sources persanes, fut développé par les souverains safavides d’Iran à partir de 1620 comme substitut à Hormuz, alors encore aux mains d’un allié des Portugais (l’île fut prise en 1622 par une opération combinée anglo-persane, mais le port paraît avoir été abandonné). De Bandar Abbas, des caravanes gagnaient l’Asie centrale à travers l’Iran et l’Afghanistan, soit par Meshed, puis Herat, ou par Kandahar et Kabul. Balkh était la porte d’entrée en Asie centrale d’où l’on gagnait Samarkand, principal entrepôt de redistribution dans toute la région. Une route s’ouvrait de là vers la Russie via Orenburg ou Astrakhan.

  • 17 Scott C. Levi,The Indian Diaspora,op. cit., p. 103-105.

9À la fin du 17e siècle, des routes terrestres directes entre l’Inde du Nord et l’Asie centrale à travers l’Afghanistan, évitant le domaine safavide, furent ouvertes dans le cadre de l’empire moghol. Elles reliaient les villes indiennes de Lahore et Multan au Pendjab et, au 18e siècle, de Shikarpur dans le Sindh, avec Kandahar et Kabul par les cols de Khyber, Gumal et Bolan (connu aussi comme Sanghar) à travers la chaîne des monts Suleiman, puis, à travers l’Hindu Kush, permettaient de gagner Balkh et de là l’Asie centrale et la Russie. Ces routes étaient parcourues par d’immenses caravanes de milliers d’animaux de bât, ânes, mulets et chameaux, conduites jusqu’à Balkh par des caravaniers en général d’ethnie pashtoune, connus dans les sources britanniques sous le nom de Lohanis ou Powindahs17. Ce commerce, encore très actif au 18e siècle, connut un certain déclin au 19e siècle, difficile à évaluer précisément, et ne disparut qu’à la fin du 19e siècle avec le quasi-arrêt des importations d’Inde dans l’Asie centrale russe (à l’exception du thé). À partir des années 1870, la route des caravanes se trouva par ailleurs concurrencée par une nouvelle route maritime et ferroviaire. Celle-ci impliquait un immense détour, puisqu’elle menait de Bombay ou Karachi, via Suez et Constantinople, vers Batoum sur la mer Noire, d’où le chemin de fer conduisait à Bakou sur la Caspienne pour une traversée de cette mer jusqu’à Krasnovodsk, puis un nouveau trajet par chemin de fer jusqu’à Bokhara, un voyage de deux mois, mais qui avait l’avantage d’un coût plus bas, en raison de la baisse des tarifs du fret maritime et d’une plus grande sécurité pour les marchandises et les hommes. Ce sont ces derniers qui seront maintenant l’objet de notre attention.

Les marchands

  • 18 Athanase Nikitine,Le Voyage au-delà des trois mers, traduction et introduction de Charles Malamoud(...)
  • 19 Sebouh David Aslanian,From the Indian Ocean to the Mediterranean : The Global Trade Networks of Ar(...)
  • 20 Stephen F. Dale,op. cit., p. 67. Il suggère que le chiffre est « formulaic » mais reflète malgré t(...)

10Les échanges entre Inde d’une part, Iran, Asie centrale et Russie de l’autre, ont tendu à être dominés par des marchands indiens. Non pas que des marchands d’Iran et d’Asie centrale (mais guère de marchands russes après le voyage d’Athanase Nikitine au 15e siècle18) n’aient aussi participé à ce commerce : les Arméniens de la Nouvelle Julfa s’y montrèrent très actifs entre 1650 et 180019 et des marchands iraniens musulmans s’y taillèrent également une place non négligeable, tandis que le commerce des chevaux était largement un monopole des Afghans. Mais la domination globale des Indiens paraît être un fait, souligné par Stephen Dale et Scott Levi. Dale, citant des observations du médecin allemand Engelbert Kaempfer et du voyageur français Jean Chardin, parle d’une communauté marchande indienne de quelque 10 000 personnes à Ispahan au 17e siècle20 et Levi évalue la diaspora marchande indienne dans l’ensemble de la région à quelque 35 000 personnes entre le milieu du 16e siècle et la fin du 18e siècle. Ces chiffres, aussi impressionnants qu’ils soient, ne disent rien en eux-mêmes du volume d’affaires traité par les Indiens. Si tous étaient des « colporteurs » transportant de petites quantités de marchandises, ils n’auraient guère pu exercer de domination. Cependant, Dale et Levi soulignent tous les deux l’existence de firmes indiennes d’envergure engagées dans une multitude d’opérations à travers la région. On peut remarquer qu’il y avait aussi des firmes appartenant à des membres d’autres communautés, mais elles étaient rarement aussi diversifiées que les firmes indiennes, qui joignaient la finance à divers types d’opérations commerciales.

  • 21 Jean Calmard, « Les marchands iraniens. Formation et montée d’un groupe de pression, 16e-19e siècle(...)

11Les raisons de la domination indienne sont loin de faire l’objet d’explications totalement convaincantes de la part de ces deux auteurs. Ils pensent tous les deux que la supériorité des Indiens est due à une combinaison de facteurs sociaux et techniques. Les premiers renvoient à ce que ces auteurs perçoivent comme la cohésion exceptionnelle des réseaux indiens fondés sur la famille et la caste, dans lesquels la confiance entre opérateurs facilitait les transactions à l’intérieur du réseau tout en évitant les fuites vers l’extérieur. Les seconds seraient la compétence exceptionnelle des Indiens en matière de finance, comme leur maîtrise de techniques de comptabilité en partie double, qui ne le céderait en rien à celle des Italiens. Les deux points prêtent à discussion. Sur le premier point, pour prendre un exemple, la cohésion du réseau arménien, appuyé sur la structure de l’Église apostolique arménienne, se compare avantageusement à celle de nombreux réseaux indiens. Sur le second point, on remarque que les marchands iraniens utilisaient un système de comptabilité fort sophistiqué, appelésiyâq21, différent de lapartita doppia, et que de nombreux marchands indiens l’adoptèrent.

12Les raisons de la domination indienne sont pour moi à rechercher plutôt du côté de certains facteurs cognitifs, l’avantage des marchands indiens sur leurs concurrents consistant essentiellement en leur connaissance supérieure des marchés, au niveau de l’offre comme de la demande. Sur le premier point, ils avaient des liens privilégiés avec les producteurs, en particulier les producteurs de tissus : étant donné la variété des productions indiennes dans ce domaine, les connaître en détail était indispensable et les Indiens étaient les mieux placés pour le faire. De même, la connaissance détaillée des goûts de la clientèle iranienne et touranienne, née d’une longue fréquentation de la région, permettait aux Indiens de cibler l’offre correspondant le mieux auxdesiderata de telle ou telle clientèle. La gestion des stocks était également une compétence cruciale, car, étant donné les difficultés de circulation dans la région, dues à l’état des voies comme à l’insécurité qui régnait souvent, il fallait éviter de noyer le marché, à l’arrivée d’une caravane, sous une avalanche de marchandises qui aurait entraîné inévitablement une baisse des prix. Les Indiens, qui avaient souvent une certaine surface financière, donc un besoin moins grand de liquidités dans l’immédiat, étaient généralement mieux en mesure de gérer ce type de situation que certains de leurs concurrents. Leur supériorité n’était pas de nature essentielle, mais situationnelle et toujours susceptible d’être remise en question par un événement inattendu, d’ordre météorologique ou politique. On présente ces marchands indiens de manière plus détaillée.

Multanis et Shikarpuris : les marchands indiens dans le commerce de l’Asie centrale

  • 22 Yuri V. Gankovsky, « The Durrani Empire », dans USSR Academy of Sciences,Afghanistan Past and Pres(...)
  • 23 Pour une discussion détaillée, je renvoie à Claude Markovits, « Indian Merchants in Central Asia. T(...)

13Pendant plusieurs siècles, les marchands indiens en Asie centrale furent connus sous le nom de « Multanis » en référence à une ville du Pendjab (dans l’actuel Pakistan) qui était l’un des points de départ des caravanes reliant l’Inde à l’Asie centrale à travers l’Afghanistan. Cette appellation recouvrait malgré tout une certaine diversité ethnique et religieuse, car, si la majorité de ces marchands étaient originaires du Pendjab et de caste Khatri, donc des Hindous, il y avait parmi eux des Marwaris originaires du Rajasthan et souvent de religion jaïne, ainsi que des Sikhs et des musulmans. Au 18e siècle, le terme « Shikarpuri » commença à se substituer à celui de « Multani » et, au 19e siècle, il était devenu dominant, bien que celui de Multani continuât parfois à être utilisé. Shikarpur est une localité de la province du Sindh (dans l’actuel Pakistan), située à quelques centaines de kilomètres au sud-ouest de Multan, au pied du col de Bolan qui mène à Kandahar. Elle fut fondée en 1617 comme un pavillon de chasse (shikar en hindustani) et ne joua pas de rôle commercial important avant le milieu du 18e siècle. Son essor fut lié à l’ascension du clan des Abdalis (ou Durranis) qui établit son autorité sur l’Afghanistan dans les années 1740, faisant de Kandahar sa capitale et lançant une série de raids dévastateurs en Inde du Nord, culminant avec la grande victoire obtenue en 1761 à Panipat sur les Marathes, qui mit un coup d’arrêt à l’expansion de ces clans guerriers hindous du Deccan. Or, différentes sources, citées par l’historien soviétique Gankovsky22, font état du rôle crucial joué par les banquiers hindous de Shikarpur dans le financement de ces expéditions guerrières. Le passage d’un réseau « multani » à un réseau « shikarpuri » reste entouré de multiples incertitudes23, mais témoigne d’une certaine continuité, qui n’exclut pas des changements significatifs.

  • 24 Alexander Burnes, « On the Commerce of Shikarpoor and Upper Scinde », dansReports and Papers, Poli(...)

14Pour résumer une histoire complexe et dans laquelle demeurent des zones d’ombre, on dira que l’affirmation de Jules Verne selon laquelle les Shikarpuris « tenaient entre leurs mains tout le trafic de l’Asie centrale » tend à exagérer leur rôle, qui n’a été vraiment dominant que pendant les quelques décennies de l’« empire Durrani », c’est-à-dire autour des années1740-1809, pendant lesquelles ils semblent avoir largement contrôlé les finances de cet État, qui occupait une position cruciale d’intermédiaire entre Inde et Asie centrale. Dans la période post-Durrani, pendant laquelle Shikarpur est restée sous domination afghane jusqu’en 1824, date à laquelle elle a été cédée aux Amirs du Sindh, avant de passer sous domination britannique en 1843, suite à la conquête du Sindh par Sir Charles Napier, son rôle a changé. Lorsque le voyageur anglais Alexander Burnes l’a visitée en 1837 sur le chemin de Kaboul, il l’a qualifiée de « Porte du Khorrassan » (ce dernier terme désignant le « royaume de Kaboul ») au même titre que la ville voisine de Dera Ghazi Khan. Il mentionne que ses marchands disposent d’un réseau étendu d’agents et de correspondants s’étendant sur l’Asie centrale jusqu’en Russie et touchant même le Xinjiang24. C’est d’ailleurs muni d’unhundi (sorte de lettre de change) fourni par un banquier de Shikarpur qu’il voyage jusqu’à Kaboul, où il peut l’échanger contre de la monnaie locale auprès d’un correspondant, évitant d’avoir à transporter des espèces sur une route pleine de dangers. Shikarpur semble avoir été un centre financier, les banquiers installés là fournissant des fonds employés avant tout dans le commerce caravanier entre Inde et Asie centrale. Ils avaient des agents dans les principales localités d’Afghanistan et d’Asie centrale, auxquels ils fournissaient des fonds qui servaient largement à financer le commerce local. Cependant, ils n’étaient pas les seuls à disposer de fonds et leur part exacte dans les activités commerciales de la région ne peut être évaluée, faute de sources suffisamment fiables et détaillées avant la conquête russe.

  • 25 Mentionné par le consul américain Eugene Schuyler dans son livreTurkistan, Notes of a Voyage in Ru(...)
  • 26 Scott C. Levi,The Indian Disapora in Central Asia,op. cit. p. 251-256.

15La conquête russe de la fin des années 1860 eut un impact significatif sur leurs activités, d’abord plutôt positif, dans la mesure où ils prêtèrent des sommes importantes à l’armée et aux commerçants russes25, puis négatif quand le gouverneur général Von Kaufman prit des mesures pour limiter leurs activités26, ce qui entraîna des départs massifs de la zone sous administration russe directe, lekrai, vers l’émirat resté semi-indépendant de Bokhara, dont les autorités firent preuve d’une moindre hostilité. Dans la période 1870-1914, les Shikarpuris réorientèrent leurs activités du financement du commerce caravanier, en plein déclin, vers le prêt aux agriculteurs. Ils jouèrent de plus en plus le rôle d’intermédiaires auprès des banques russes, auxquelles ils empruntaient à un taux assez bas des sommes qu’ils prêtaient à la paysannerie uzbek et tajik à des taux usuraires. Les banques y trouvaient avantage, car cela leur évitait de devoir s’informer de la condition financière d’une masse de petits emprunteurs qui n’avaient souvent que leur petit lopin de terre comme collatéral. Les Shikarpuris, fortement implantés dans de nombreuses localités, étaient pour leur part en mesure de recueillir l’information nécessaire et, si besoin était, de mettre la main sur les terres de débiteurs insolvables, même s’il leur était en principe interdit de posséder de la terre, un interdit apparemment assez facile à contourner.

  • 27 Claude Markovits,The Global World of Indian Merchants,op. cit., p. 73-94 et 185-194.

16Il a été possible de reconstituer un profil du réseau shikarpuri dans l’Asie centrale russe de la période 1880-1917 grâce à la découverte d’une série de documents successoraux dans les archives de l’Inde britannique. L’existence de ces documents s’explique par la complexité des problèmes posés par la transmission des héritages de marchands shikarpuri décédés en territoire russe. Comme ils mouraient en général intestats et que leurs héritiers ne pouvaient se déplacer pour recueillir l’héritage, il fallut mettre sur pied tout un circuit, dont la gestion entraîna une abondante correspondance entre les autorités russes et britanniques. À cette correspondance (conduite entièrement en français du côté du ministère russe des Affaires étrangères) se trouvaient annexés différents documents qui donnent un aperçu fascinant de l’univers de ces prêteurs d’argent indiens dispersés à travers le territoire dukrai et de l’émirat de Bokhara. J’ai pu constituer une série de 131 successions et, pour 55 d’entre elles, mettre au jour un inventaire détaillé des biens du défunt27. Plus de la moitié de la valeur de ces biens correspond à des prêts d’argent non réalisés, divisés à peu près également entre prêts à d’autres Shikarpuris et prêts à des « indigènes », surtout des agriculteurs. Le reste comprend des stocks de marchandises, avant tout des céréales, et de l’argent liquide, résultat de ventes de biens ou de réalisations de dettes. Cela suggère une dualité dans les activités des Shikarpuris entre finance et commerce, avec une prédominance des activités financières. Il est malheureusement impossible, sur la base de ces données, d’évaluer globalement la part des Shikarpuris dans l’économie commerciale de l’Asie centrale russe. On peut supposer cependant que, dans de nombreuses localités rurales, les Shikarpuris ont dû jouir d’une sorte de monopole, tandis que dans les centres plus importants comme Tashkent, Bokhara ou Samarkand, ils n’étaient qu’un groupe de marchands-banquiers parmi d’autres.

17Les documents assemblés permettent d’affirmer que le rôle des Shikarpuris dans l’économie de l’Asie centrale russe a continué au-delà de 1895. C’est seulement la conquête de Bokhara par l’Armée rouge en 1920 qui a mis fin aux activités des Shikarpuris, dont la plupart ont accompagné l’émir et ses partisans dans leur fuite vers l’Afghanistan, pour regagner ensuite le territoire de l’Inde britannique. Quelques-uns sont restés et ont regagné l’Inde plus tard. La clôture définitive est intervenue en 1936 avec l’extension de la collectivisation aux Républiques soviétiques d’Asie centrale, qui rendait impossible la poursuite d’activités commerciales individuelles.

Conclusion

18Les marchands indiens, Multanis et Shikarpuris, ont joué au cours des siècles un rôle d’importance variable dans l’économie commerciale de l’Asie centrale, en liaison avec l’existence d’un actif commerce caravanier entre Inde et Asie centrale via l’Iran et l’Afghanistan. La fin du commerce caravanier en 1895 a été suivie, un quart de siècle plus tard, du départ de la majorité des Indiens installés dans la région, mettant fin à une histoire pluriséculaire. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, de nombreux observateurs ont prédit une reprise de relations plus étroites entre ces deux régions, mais les signes en sont encore faibles, l’Afghanistan avec ses turbulences (sans oublier les tensions indo-pakistanaises) étant un facteur majeur d’incertitude.

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Notes

1 Jules Verne,Michel Strogoff, Paris, Hetzel, 1876, p. 92.

2 « Bokhara », dansEncyclopaedia Britannica, 11e édition, 1910-1911, vol. IV, Cambridge, 1910, p. 156-157.

3 Edward P. Thompson,The Making of the English Working Class, Harmondsworth, Penguin Books, 1968 (revised ed.), p. 13.

4 Claude Markovits,The Global World of Indian Merchants, 1750-1947 : Traders of Sind from Bukhara to Panama, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 57-109.

5 Anthony Jenkinson,Early Voyages and Travels to Russia and Persia, ed. by E.D. Morgan and C.H. Coote, vol. 2, Londres, Hakluyt Society, 1886, p. 87-88.

6 Muzaffar Alam, « Trade, State Policy and Regional Change : Aspects of Mughal-Uzbek Commercial Relations, 1550-1750 »,Journal of the Economic and Social History of the Orient, 37, 3, 1994, p. 202-227, republié dans Scott C. Levi (ed.),India and Central Asia : Commerce and Culture, 1500-1800, Delhi, Oxford University Press, 2007, p. 64-92.

7 William H. Moreland, « Indian Exports of Cotton Goods in the Seventeenth Century »,Indian Journal of Economics, Vol. V, Part III, 01, 1925.

8 Scott C. Levi,The Indian Diaspora in Central Asia and its Trade, 1550-1900, Leiden, New York, Köln, E.J. Brill, 2002.

9 Niels Steensgaard,The Asian Trade Revolution of the Seventeenth Century : The East India Companies and the Decline of the Caravan Trade, Chicago, Londres, University of Chicago Press, 1973.

10 Stephen Frederic Dale,Indian merchants and Eurasian trade, 1600-1750, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1994.

11 Seymour Becker,Russia’s Protectorates in Central Asia : Bukhara and Khiva, 1865-1924, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1968, p. 152.

12 Jos J. L. Gommans,The Rise of the Indo-Afghan Empire, c. 1710-1780, Leiden, New York, Köln, E.J. Brill, 1995, p. 20.

13 Scott C. Levi, « Hindus beyond the Hindu Kush : Indians in the Central Asian Slave Trade »,Journal of the Royal Asiatic Society, 3rd series, 12, 3, p. 277-288.

14 Dirk H.A. Kolff,Naukar, Rajput and Sepoy. The Ethnohistory of the Military Labour Market in Hindustan 1450-1850, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

15 « The Indian doe (sic) bring fine whites, which the Tartars doe (sic) all roll about their heads, and all other kinds of whites which serve for apparel made of cotton wool »,op. cit.

16 Muzaffar Alam,art. cit.

17 Scott C. Levi,The Indian Diaspora,op. cit., p. 103-105.

18 Athanase Nikitine,Le Voyage au-delà des trois mers, traduction et introduction de Charles Malamoud, Paris, La Découverte, 1991.

19 Sebouh David Aslanian,From the Indian Ocean to the Mediterranean : The Global Trade Networks of Armenian Merchants from New Julfa, Berkeley, Londres, University of California Press, 2011.

20 Stephen F. Dale,op. cit., p. 67. Il suggère que le chiffre est « formulaic » mais reflète malgré tout la réalité d’une présence importante.

21 Jean Calmard, « Les marchands iraniens. Formation et montée d’un groupe de pression, 16e-19e siècles », dans Denys Lombard et Jean Aubin (dir.),Marchands et hommes d’affaires asiatiques dans l’océan Indien et la mer de Chine, 13e-20e siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 1988, p. 96.

22 Yuri V. Gankovsky, « The Durrani Empire », dans USSR Academy of Sciences,Afghanistan Past and Present, Moscou, 1981 (tr. from Russian Evgueni Khazanov), p. 76-98. Voir aussi Jos J. L. Gommans,The Rise of the Indo-Afghan Empire,op. cit., p. 39.

23 Pour une discussion détaillée, je renvoie à Claude Markovits, « Indian Merchants in Central Asia. The Debate », dans Scott C. Levi (ed.),India and Central Asia,op. cit., p. 123-151.

24 Alexander Burnes, « On the Commerce of Shikarpoor and Upper Scinde », dansReports and Papers, Political, Geographical and Commercial Submitted to Government by Sir Alexander Burnes, Lieutnant Leech, Dr Lord and Lieutenant Wood Employed on Missions in the Years, 1835-36-37, in Scinde, Afghanistan and Adjacent Countries, Calcutta, Government Press, 1839, p. 23-31.

25 Mentionné par le consul américain Eugene Schuyler dans son livreTurkistan, Notes of a Voyage in Russian Turkistan, Khokand, Bukhara and Kuldja, Londres, 1876.

26 Scott C. Levi,The Indian Disapora in Central Asia,op. cit. p. 251-256.

27 Claude Markovits,The Global World of Indian Merchants,op. cit., p. 73-94 et 185-194.

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Pour citer cet article

Référence papier

ClaudeMarkovits,« Les relations commerciales entre l’Inde et l’Asie centrale entre 1550 et 1920 : des échanges intenses et diversifiés »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 151 | 2021, 73-84.

Référence électronique

ClaudeMarkovits,« Les relations commerciales entre l’Inde et l’Asie centrale entre 1550 et 1920 : des échanges intenses et diversifiés »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 151 | 2021, mis en ligne le01 février 2022, consulté le21 avril 2025.URL : http://journals.openedition.org/chrhc/17588 ;DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.17588

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Auteur

ClaudeMarkovits

Directeur de recherche honoraire au CNRS

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