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Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critiqueCahiers d’histoire. Revue d’histoire critique

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Le mot de la rédaction

AnneJollet
p. 5-8

Texte intégral

  • 1 Charles Baudelaire, « Le Voyage » dansLes Fleurs du mal,Paris, Gallimard, 2021.

1« Ah que le monde est grand à la clarté des lampes !1 » Nous partageons à notre façon, cheminant librement avec une inlassable ardeur, nous historiennes et historiens, l’enthousiasme de Charles Baudelaire. Aujourd’hui, ce monde est-il devenu petit parce que la planète Terre est une petite boule sillonnée par des bateaux, des trains, des avions qui font tours et détours à sa surface en quelques heures, quelques jours pour les lents, parce que nous y sommes voyageurs ? Comme la clarté des lampes du poète, l’histoire est un étrange exercice qui déploie, resserre selon le goût, l’imagination de l’observateur. Comme celle de « l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes », la curiosité de l’historien·ne permet de faire d’une petite ville la quintessence du monde comme de faire vivre la planète dans l’espace d’un petit livre. En langage plus historien, on peut appeler cela changements d’échelles, de focales, de points d’observation, il n’en reste pas moins qu’une part de rêve porte ses variations et leur écriture.

2LesCahiers d’histoire ont fait de cette pratique des changements d’échelle une caractéristique de leur production, avec le parti-pris qu’il faut surprendre l’intelligence pour amplifier le désir et la possibilité de comprendre. Nous procédons par écarts, soucieux de faire appréhender par les discontinuités la densité de l’étoffe sociale, la diversité des temps qui ne peuvent s’embrasser comme un tout fini. Une revue, plus que tout autre support, choisit des pans de sociétés et les monte ensemble, amplifiant les effets de disjonction tout en créant un tout, un volume, bien sûr, mais aussiin fine un regard, un point de vue singulier, dont l’insuffisance immédiatement patente entraîne vers de nouvelles aventures.

  • 2 Jérôme Lamy, Johann Petitjean (dir.), « Mondes de l’écrit et société de l’information à l’époque mo(...)

3Un récent dossier donnait forme à une « société de l’information à l’époque moderne », société envisagée à l’échelle de l’Europe, société de la circulation de l’écrit. Le suivant mettait la focale sur un court 20e siècle et y scrutait la « morale sexuelle » telle que mise en débat par le communisme2.

  • 3 Le catalogue de la BNF est riche en publications pour l’année 2021 d’analyses, elles-mêmes internat(...)

4Le présent dossier déploie le temps et l’espace. On y compte en milliers d’années, en siècles, on y circule sur des milliers de kilomètres. Ce sont des hommes qui circulent, mais aussi des marchandises, des techniques, des maladies. Évidemment, le syntagme « Routes de la soie » nous rattache, lecteurs lectrices francophones ou singulièrement français·es à un imaginaire labile, fait de beaucoup d’images et d’ignorances, rattaché à ce puissant vecteur de magie, la soie. Prestige, Orient, Asie, Chine, Inde, steppes. Chacun·e a sa poétique personnelle, plus ou moins nourrie de la queue de comète de l’orientalisme triomphant des Lumières, puis du 19e siècle, tous siècles de domination impériale européenne. Parmi ces avatars, une maison d’édition s’est nommée en 2017, « La Route de la soie». Mais on sait aussi que « Routes de la soie » a ressurgi comme une actualité brûlante depuis quelques années. Le rêve de douce étoffe se mêle de ponts spectaculaires, de rails, d’oléoducs, de cargos et tous autres outillages bardés de technologie qui permettent de surmonter les effets de l’espace et du temps. Il ne s’agit plus de steppes méconnues, d’un empire du Milieu attisant les convoitises, mais de l’affirmation d’une puissance face à laquelle les États occidentaux semblent découvrir les ressorts de l’impérialisme économique. Et s’en alarmer3. Les « Routes de la soie », après avoir fleuré bon l’épice, deviennent une menace qui sent le pétrole, le gaz et les minerais précieux. La dénomination de ces nouveaux circuits terrestres et maritimes construits à partir de la Chine reprend pourtant, comme un gage de respect et de coopération, le nom ancien de « Routes de la soie » comme un ultime hommage aux Occidentaux qui ont forgé le syntagme plein de leurs certitudes au 19e siècle.

  • 4 Philippe Norel et Laurent Testot (dir.),Une histoire du monde global, Auxerre, Éditions Sciences h(...)
  • 5 Chloé Maurel (dir.), « Pourquoi l’histoire globale ? »,Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critiq(...)

5La coordonnatrice du dossier, notre collègue Chloé Maurel, rappelle dans son introduction le contexte de création de l’expression, celui de la guerre coloniale des puissances européennes. Le dossier n’est pas centré sur ce temps où la Chine, comme tant d’autres sociétés, était mise en coupe réglée par les puissances européennes ni sur l’imaginaire que cette domination a nourri. Le dossier participe de cette histoire globale qui cherche à faire vivre des histoires non centrées sur l’Europe, non enfermée dans les configurations géopolitiques du 20e siècle. Cet effort de décentrement, qui répond à la prise de conscience que des portions du monde bougent indépendamment de la domination occidentale, est maintenant bien connu et pratiqué en France. Des livres ont été traduits, des auteurs ont été invités. Sanjay Subrahmanyam, l’un des penseurs de l’histoire connectée, a été élu en 2012 au Collège de France sur une chaire d’« histoire globale de la première modernité ». Des auteurs du présent dossier ont participé à l’introduction en France des problématiques de l’histoire globale. Ainsi, Laurent Testot a publié en 2012, avec Philippe Norel, un ouvrage collectif intituléUne histoire du monde global,puis en 2015 un nouvel ouvrage qui traduit l’adoption en France des approches en termes d’histoire globale4. LesCahiers ont proposé dès 2013 une réflexion sur cette histoire dite « globale » à travers un important dossier coordonné par Chloé Maurel5. D’autres puissances que les États européens, d’autres sociétés ont inventé, ont mis en œuvre des techniques novatrices bien avant que celles-ci soient connues en Europe, sans intervention de l’Europe, ont développé des circuits commerciaux disjoints de ceux de l’Europe. Peter Frankopan dit ici, comme dans ses livres, l’incroyable ignorance des Européens pour les histoires qui ne sont pas vues comme les leurs, leur faible intérêt, en dépit de la mondialisation contemporaine, pour des sociétés qu’ils considèrent avec une condescendance toute postcoloniale. L’importance d’une vision de long terme et d’une vision qui déplace le centre d’observation peut nous faire sortir d’une généalogie schématique. Mais on mesure aussi la difficulté à déconstruire des imaginaires structurants des représentations de soi et de l’autre, comme intégrer à ses représentations la connaissance d’un Empire romain tourné vers l’Orient plus que vers les sociétés de l’Europe, à rebours de plusieurs siècles de constructions de l’histoire et d’acculturation.

6Ces « Routes de la soie » ne sont donc pas celles dont les médias disent la longue durée et la reprise au présent à travers ce qui est dénoncé comme un « impérialisme chinois ». Elles sont des routes d’une grande diversité, disjointes dans le temps et l’espace et largement ignorantes souvent de l’Europe.

7Ce numéro 151 desCahierspermet, hors du dossier, d’autresexcursus dans l’histoire monde. Un monde dans son histoire récente fracassé par les dominations économiques et politiques européennes. Dans « Débats », la directrice du Centre international de recherche sur les esclavages et post-esclavages (CIRESC), l’historienne Myriam Cottias, revient, vingt après le vote de la loi Taubira, sur l’apport de la loi, mais aussi sur l’urgence à comprendre et à combattre les séquelles de l’esclavagisme dans les sociétés antillaises.

8Dans « Métiers », Chloé Maurel, à l’occasion de l’anniversaire de la fin officielle de l’apartheid en 1991, revient sur l’obstinée résistance des opposants à cette barbarie postcoloniale à travers la personne de Nelson Mandela. Elle y pose la question du communisme de Mandela. La question traduit la construction, dans le contexte du 20e siècle et des luttes de libération nationale, d’une réponse elle aussi mondialisée aux impérialismes, la dimension radicalement internationale des socialismes/communismes qui déploient débats et diffusion d’idées émancipatrices, pratiques de solidarités et travail des opinions publiques à l’échelle du globe. Quand Mandela dit, pour éluder la question de son appartenance au Parti communiste, « Si j’ai été influencé par la pensée marxiste, c’est aussi le cas de nombreux dirigeants des nouveaux États indépendants », il dit lui aussi une histoire globale, mondialisée au temps des indépendances nationales.

9« Chantiers » ramène au cadre des lois qui sont celles des États bien enfermés dans leurs frontières du 19e siècle, faussement enfermés puisque ces unités nationales s’entrechoquent constamment dans les guerres, ici celles de l’Empire, en France, début 19e siècle. Tout en faisant une histoire très située, Johanne Melcare-Zachara inscrit dans ce numéro desCahiers la longue chaîne des resourcements incessants des mises en œuvre sociales du patriarcat.

10LesCahiersentraîneront leurs lecteur·trices vers d’autres renchaînements. Grégoire Le Quang ouvrira l’immense boîte à idées et pratiques de celles et ceux qui, en termes renouvelés par les transformations sociales, économiques et scientifiques, refusent l’horizon des droits naturels d’hommes et de femmes libres et égaux en droit. L’inquiétude et le désarroi qui ont hanté tout le second 20e siècle nous saisissent. Nous pensons, en historien·nes, ne pas devoir rester spectateur·trices étonné·es face au déploiement politique de l’extrême droite, et nous contribuerons à démêler quelques-uns des ressorts de ces étranges pouvoirs de séduction.

11Plus que jamais, lecteurs et lectrices, soutenez la diversité des expressions libres. Nous nous retrouverons bientôt autour de débats publics. Mais en dépit de toutes les formes d’échange et de diffusion qui coexistent, pensez à vous abonner aux revues que vous aimez lire. Les abonnements seuls rendent possible leur existence pérenne.

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Notes

1 Charles Baudelaire, « Le Voyage » dansLes Fleurs du mal,Paris, Gallimard, 2021.

2 Jérôme Lamy, Johann Petitjean (dir.), « Mondes de l’écrit et société de l’information à l’époque moderne »,Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 149, 2021 ; Olivier Mahéo, Bertrand Michel, Héloïse Morel, Thierry Pastorello (dir.), « Morale sexuelle et communisme »,Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique,n° 150, 2021.

3 Le catalogue de la BNF est riche en publications pour l’année 2021 d’analyses, elles-mêmes internationales souvent, de cette réalité économico-politique. Un exemple parmi d’autres de ce débat mondialisé : Hing Kai Chan, Faith Ka Shun Chan, David O’Brien (eds),International Flows in the Belt and Road Initiative Context : Business, People, History and Geography, Singapore, Palgrave McMillan, 2021.

4 Philippe Norel et Laurent Testot (dir.),Une histoire du monde global, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2012 ; Laurent Testot (dir.),Histoire globale : un nouveau regard sur le monde, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2015.

5 Chloé Maurel (dir.), « Pourquoi l’histoire globale ? »,Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 121, 2013.

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Pour citer cet article

Référence papier

AnneJollet,« Le mot de la rédaction »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 151 | 2021, 5-8.

Référence électronique

AnneJollet,« Le mot de la rédaction »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 151 | 2021, mis en ligne le01 février 2022, consulté le21 avril 2025.URL : http://journals.openedition.org/chrhc/17248 ;DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.17248

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Auteur

AnneJollet

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