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Sommaire
CHANTIERS

La crise de la SFIO et la naissance du Parti communiste dans le Pas-de-Calais (1918-1920)

DavidNoël
p. 103-120

Résumés

En 1918, la fédération socialiste du Pas-de-Calais reste marquée par le syndicalisme minier. Ses grands élus réformistes partisans de l’union sacrée sont confortés lors des élections de 1919, mais sont de plus en plus contestés par les militants qui s’enthousiasment pour la révolution d’Octobre et s’organisent au sein du Comité de la Troisième Internationale, dans un moment marqué par une grande conflictualité sociale qui atteint son apogée au printemps 1920. La naissance du Parti communiste dans le Pas-de-Calais apparaît ici comme une volonté de régénérer un socialisme jugé disqualifié par l’attitude de ses dirigeants réformistes.

In 1918, the socialist federation of Pas-de-Calais remains marked by mining unionism. Its great reformist elected representatives who approved the Sacred Union are confirmed in the elections of 1919 but are increasingly challenged by activists who are enthusiastic for the October revolution and who are organized in the Committee of the Third International in a moment marked by major strikes that reached their peak in the spring of 1920. The birth of the Communist Party in the Pas-de-Calais appears here as a desire to regenerate a socialism deemed disqualified by the attitude of its reformist leaders.

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Texte intégral

1Terre natale de Maurice Thorez, le département du Pas-de-Calais constitue un territoire privilégié pour étudier les circonstances de la naissance du Parti communiste en décembre 1920, au lendemain du congrès de Tours. Anciennement industrialisé, doté d’une façade portuaire active dominée par Calais et Boulogne, le Pas-de-Calais ne se résume pas à son important bassin minier qui attire dans l’après-guerre de nombreux travailleurs étrangers.

  • 1 Benoît Broutchoux (1879-1944), militant mineur anarcho-syndicaliste du bassin minier du Pas-de-Cala(...)
  • 2 Jacques Julliard, « Jeune et Vieux Syndicat chez les mineurs du Pas-de-Calais », dansLe Mouvement(...)

2Marqué par le syndicalisme minier et les affrontements entre syndicalistes révolutionnaires du « jeune » syndicat de Benoît Broutchoux1 et réformistes du « vieux syndicat » dirigé par le maire de Lens, Émile Basly2, le Pas-de-Calais constitue un bastion du mouvement socialiste, étroitement lié avant la guerre au syndicat des mineurs. Ce département est confronté à la guerre, à l’occupation allemande et aux défis qu’elles posent au mouvement ouvrier.

3L’étude du basculement d’une fédération socialiste vers le communisme peut nous permettre d’identifier et de mieux comprendre les stratégies des acteurs comme les ressorts qui mènent à la naissance d’une nouvelle organisation.

La reconstitution de la SFIO

4Au lendemain de l’armistice du 11 novembre 1918, la vie politique reprend peu à peu ses droits et le parti socialiste tente de reconstituer son organisation dans un département meurtri par les destructions.

5Dès le début de l’année 1918, la direction du parti socialiste se préoccupe de la diffusion del’Humanité dans le département du Pas-de-Calais et y envoie en tournée un certain Vandalle, « inspecteur au journall’Humanité ». Le journaliste Georges Barthélémy, qui est membre de la commission administrative de la fédération SFIO du Pas-de-Calais, note que :

  • 3l’Humanité, 8 mars 1918.

« Pour qu’un journal soit lu dans une région, il faut d’abord qu’il y soit vendu. (…) On sait à quelles difficultésl’Humanité s’est heurtée pendant les années 1914, 1915 et 1916 pour intensifier sa propagande et assurer son développement normal. (…) Ce qui devenait très difficile pour la plupart des départements était rendu impossible dans les zones immédiates d’opérations où les irrégularités de transport s’ajoutaient aux mille tracas d’une censure militaire impitoyable. Le bassin houiller du Pas-de-Calais s’est trouvé longtemps dans cette situation paradoxale d’être séparé du reste de la France par suite même de sa situation particulière du front et de son occupation par l’armée anglaise. »3

6La direction fédérale socialiste regrette avec amertume que les ouvriers du Pas-de-Calais préfèrent acheter les journaux populaires à grand tirage pour y lire des faits divers et des feuilletons policiers, mais souligne que chaque semaine 15 000 numéros du supplément hebdomadaire duRéveil du Nord, le grand quotidien régional proche des socialistes, sont diffusés dans les corons. Fort de ce constat, il est décidé de s’appuyer sur le réseau des diffuseurs duRéveil du Nord pour diffuserl’Humanité et le quotidien socialiste s’engage à publier régulièrement les articles des principaux dirigeants socialistes du Pas-de-Calais, Basly, Cadot, Evrard, Maës, Mailly et Barthélémy.

  • 4l’Humanité, 21 juillet 1918.
  • 5 Roger Martelli,Prendre sa carte, 1920-2009, données nouvelles sur les effectifs du PCF, Paris, Fon(...)
  • 6l’Humanité, 8 septembre 1918.

7Quelques mois plus tard, le 21 juillet 19184, la fédération socialiste du Pas-de-Calais tient son congrès fédéral à Calonne-Ricouart. Selon les chiffres donnés par le secrétariat de la SFIO pour son congrès national d’octobre 1918, la fédération socialiste du Pas-de-Calais aurait retrouvé dès le mois d’avril 1918 des effectifs de l’ordre de 1 800 adhérents, contre 3 275 en 19135. La progression se serait poursuivie, malgré l’offensive allemande du printemps 1918, pour atteindre 1 950 adhérents en septembre. La direction socialiste salue « la conscience et l’activité des secrétaires fédéraux, souvent demeurés en fonction tout à proximité du front, comme Ferrand, secrétaire fédéral du Pas-de-Calais6 ».

Les effectifs de la fédération du Pas-de-Calais de la SFIO

  • 7l’Humanité, 11 juillet 1919.
  • 8 Annie Kriegel,Aux origines du communisme français, 1914-1920, Paris, Flammarion, collection « Scie(...)

8Un an plus tard, au congrès de Béthune, Ferrand fait état de 2 000 cartes placées et estime que le nombre de cotisants devrait atteindre les 5 000 à la fin de 1919. Le secrétaire fédéral annonce la formation de nouvelles sections, notamment dans les arrondissements de Montreuil et de Saint-Pol7. La progression des effectifs de la SFIO dans le Pas-de-Calais ne s’explique pas uniquement par l’action de Charles Ferrand. Elle s’inscrit plutôt dans un contexte plus général de croissance des effectifs des organisations ouvrières, bien étudiée par Annie Kriegel8.

9En 1919, la fédération du Pas-de-Calais compte 11 950 adhérents, pour atteindre les 14 000 à la fin de 1920. Ces effectifs, bien supérieurs aux effectifs d’avant-guerre, la classent au troisième rang derrière la fédération socialiste de Paris et celle du Nord.

10Dans ce contexte de progression de la SFIO, Jean Longuet est invité pour une réunion publique organisée à Auchel, le 17 mars 1919. Petit-fils de Karl Marx, député de la Seine depuis 1914, Longuet avait été pendant la guerre le principal animateur d’une minorité pacifiste de plus en plus critique envers la participation des socialistes à un gouvernement d’« union sacrée ». Longuet et ses soutiens renversent la majorité sortante lors du conseil national du 29 juillet 1918 et accèdent à la direction de la SFIO en octobre. La venue de Longuet, dans un département qui fait figure de bastion des réformistes et des « majoritaires de guerre » qui contrôlent le syndicat des mineurs, n’allait pas de soi, comme le rapporteLe Populaire, qui est alors le quotidien de la tendance longuettiste du parti socialiste :

  • 9 Pierre Richir,Le Populaire, 23 mars 1919.

« "Longuet n’osera jamais venir dans le Pas-de-Calais", disait, il y a quelques semaines, un ancien gros militant de notre Fédération. Longuet est arrivé et jamais (…) une pareille foule n’était venue saluer et applaudir un orateur ! Cinq mille travailleurs de la mine (…) sont venus affirmer, devant le représentant de la nouvelle majorité du parti, leur foi inébranlable en la nouvelle orientation socialiste et leur fidélité aux résolutions fondamentales du Parti : lutte de classes, lutte pour la conquête du pouvoir, à l’exclusion de toute participation ministérielle avec les gouvernements bourgeois ! »9

11En filigrane, ce sont évidemment les dirigeants de la fédération et du syndicat des mineurs qui sont critiqués.

  • 10l’Humanité, 20 avril 1919.
  • 11Le Populaire, 20 avril 1919.

12Le 13 avril 1919, le congrès fédéral du Pas-de-Calais, qui se tient à Bruay, vote à l’unanimité « une motion contre l’intervention en Russie et le refus des passeports à la délégation nommée à Berne10 », une prise de position qui illustre à la fois la progression des idées de la nouvelle majorité longuettiste chez les adhérents du Pas-de-Calais et la volonté de la majorité fédérale, composée d’ex-majoritaires de guerre, de se défendre des procès en trahison qui lui sont faits11.

13De fait, les députés sortants sont vivement contestés lors du congrès :

  • 12Le Populaire, 20 avril 1919.

« Le rapport du secrétaire et du trésorier provoque une vive et longue discussion. Il contient l’approbation de l’attitude des élus pendant la guerre. Havenne, Haze, Moutet, Richard critiquent tour à tour la politique jusqu’au-boutiste des élus du Pas-de-Calais. Cadot, Basly, Evrard, Ferrand expliquent leur attitude qu’ils ont crue bonne. (…) Le rapport mis aux voix, après de nombreuses interventions, est adopté par 104 voix contre 52. (…) Le programme de la C.A.P. obtient 70 voix. Le programme pour la reprise des relations internationales, 64 voix. (…) La Fédération disposant de 83 mandats, 43 sont répartis à la majorité, 40 à la minorité. (…) Il nous reste à enregistrer la victoire inespérée des ex-minoritaires. Au dernier congrès, ils disposaient d’à peine un cinquième des mandats, ils en détiennent aujourd’hui presque la moitié. »12

  • 13 Voir sa biographie dans leDictionnaire biographique du mouvement ouvrier français : <http://maitro(...)

14À l’issue de ce congrès où « les thèses (…) furent défendues avec âpreté », l’autorité de Basly et Cadot, figures dirigeantes du syndicat des mineurs et de la fédération socialiste, vacille. PourLe Populaire, le principal opposant à la direction fédérale est le longuettiste Georges Havenne. Ouvrier mineur à Auchel avant-guerre, Havenne était un des lieutenants de Benoît Broutchoux. Fait prisonnier durant la guerre, évadé au début de l’année 1918, il adhère au parti socialiste SFIO et intègre la direction du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais. Dès le mois de novembre 1918, Havenne est à l’initiative d’une première grève partielle dans la concession de Ferfay et à la fosse 4 des mines de Marles13, étouffée par le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais.

15C’est Raoul Evrard qui devient le nouveau secrétaire général de la fédération socialiste. Fils de Florent Evrard, ancien secrétaire général du syndicat des mineurs aux côtés de Basly, Evrard avait travaillé comme collaborateur de Raoul Briquet avant de devenir permanent de la fédération en 1913. Il fait partie de la nouvelle génération militante qui a grandi à l’ombre de Basly. Il a 40 ans quand il accède au poste de secrétaire général, alors que Ferrand, son prédécesseur, en a alors 55 et Basly, 65.

La SFIO et les élections de 1919 dans le Pas-de-Calais

16Malgré les difficultés pratiques liées à la reconstruction et au retour des réfugiés, un premier rendez-vous électoral est fixé au 16 novembre 1919. Les socialistes de la SFIO espèrent une progression en voix, mais craignent un recul en sièges du fait de la nouvelle loi électorale de juillet 1919, qui avait instauré un nouveau mode de scrutin alliant scrutin proportionnel plurinominal et scrutin majoritaire plurinominal à un tour.

17Dans le Pas-de-Calais, les députés sortants Émile Basly et Henri Cadot ont été réinvestis malgré leur positionnement au cours de la guerre et le vote très partagé du congrès fédéral.

18Sur le plan national, la SFIO obtient 1,7 million de voix, contre 1,4 million en 1914. C’est le meilleur score du parti socialiste à une élection législative depuis sa création. Mais, désavantagée par le mode de scrutin, la SFIO perd des députés, passant de 102 sièges à 68. Dans le Pas-de-Calais découpé en deux circonscriptions, les socialistes l’emportent dans la première circonscription et obtiennent huit députés alors qu’ils en avaient six en 1914.

19Les élections municipales des 30 novembre et 7 décembre 1919 confirment l’ancrage local du Parti socialiste dans le département. Dès le premier tour, les listes de la SFIO l’emportent dans des dizaines de municipalités du bassin minier. Avec 68 maires et 1 147 conseillers municipaux élus en 1919 contre 17 maires et 397 conseillers municipaux avant-guerre, la SFIO du Pas-de-Calais a quadruplé son nombre d’élus locaux. La progression des socialistes est tout aussi nette aux élections cantonales du 14 décembre, puisque la SFIO conquiert dix cantons : un sur le littoral (Calais nord-ouest) et neuf dans le bassin minier autour des villes de Lens, Liévin, Hénin-Liétard et Béthune.

20À l’issue des trois rendez-vous électoraux de la fin de l’année 1919 qui ont conforté ses élus, la direction de la fédération socialiste du Pas-de-Calais, bien que contestée par les minoritaires, peut aborder l’année 1920 et la préparation des prochains congrès avec une certaine confiance.

La préparation du congrès de Strasbourg

  • 14l’Humanité, 24 avril 1919.
  • 15 Vincent Chambarlhac, « Les majoritaires de guerre dans l’après-coup d’un regard », dans « Histoire(...)
  • 16Le Populaire, 19 février 1920.

21Au début de 1920, la SFIO est plus divisée que jamais ; si certains restent attachés à l’unité du parti socialiste, pour d’autres la cohabitation dans le même parti d’anciens partisans de l’union sacrée et de militants attirés par le bolchevisme, rêvant de régénérer la SFIO, n’est plus possible. Dès lors, la possible scission du parti est jugée inévitable et même souhaitable pour une partie des militants. Dans les colonnes del’Humanité, la majorité longuettiste évoque ainsi « les épurations nécessaires14 », tandis qu’à la droite du parti, ceux qui sont désormais qualifiés par leurs adversaires d’« ex-majoritaires de guerre15 », regroupés autour de Renaudel, songent soit à quitter un parti dans lequel ils ne se reconnaissent plus, soit à exclure leurs opposants, à l’image d’Alfred Maës, le député proche de Basly et dirigeant du syndicat des mineurs, qui appelle à « chasser les traîtres16 » du parti. La question de l’affiliation internationale de la SFIO est au cœur des débats et oppose les socialistes qui ont approuvé l’effort de guerre et souhaitent le maintien de la 2e Internationale, ceux qui se reconnaissent dans la révolution russe et qui veulent rejoindre la 3e Internationale, enfin ceux qui défendent une position médiane de main tendue aux bolcheviks et de reconstruction de l’Internationale. C’est la position que prônent Longuet et ses camarades, désignés comme les « reconstructeurs ».

  • 17 François Ferrette,Le Comité de la 3e Internationale et les débuts du PC français (1919-1936), mémo(...)

22Dès le 17 avril 1919, le Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI) vote son adhésion à l’Internationale communiste. Le 8 mai, il change de nom pour devenir le Comité de la Troisième Internationale (C3I). Le C3I s’organise en province. Il est particulièrement influent dans le Nord, où Florimond Bonte, Clotaire Delourme et Joseph Hentgès fondent le 14 février 1920 un hebdomadaire intituléLe Prolétaire. Dans le Pas-de-Calais, des comités locaux du C3I sont créés à Hénin-Liétard, Béthune et Nœux-les-Mines. Ils sont en contact avec les comités du Nord17.

  • 18 Maurice Thorez,Fils du peuple, Paris, Éditions sociales, 1949, p. 38.

23La principale figure du C3I dans le Pas-de-Calais est René Froissart, un cultivateur élu premier adjoint au maire d’Hénin-Liétard à la suite des municipales de décembre 1919. Le jeune Maurice Thorez milite à ses côtés18.

  • 19Le Populaire, 19 février 1920.

24Dans le Pas-de-Calais, le congrès fédéral préparatoire au congrès de Strasbourg se tient à Béthune le 17 février 1920 et marque un virage à gauche, noteLe Populaire : « La 2e Internationale obtient 123 mandats, la motion de la Reconstruction 136, celle de la 3e Internationale 236. (…) la puissante fédération du Pas-de-Calais a manifesté à ses élus qu’elle entendait suivre à l’avenir une politique plus énergique19 ».

25Pour René Froissart et les militants du C3I comme Thorez, le résultat du vote du congrès de Béthune est un grand succès qui vient récompenser leurs efforts de propagande. Ils obtiennent près de 48 % des voix. La majorité fédérale, derrière Evrard, est minoritaire avec 24 %, également devancée par les reconstructeurs menés par Havenne et Richard (27 % des voix).

26Pourtant, lors du congrès de Strasbourg, qui se tient du 25 au 29 février 1920, les 117 mandats de la majorité fédérale du Pas-de-Calais se portent sur la motion de l’aile droite du parti, signée par Renaudel, pour le maintien dans la 2e Internationale. Le Pas-de-Calais est le département où l’aile droite est la plus influente. À une très large majorité (93 % des mandats), le congrès de Strasbourg vote cependant la désaffiliation de la SFIO de la 2e Internationale, mais le vote décisif sur les motions donne la majorité aux longuettistes (43 %), auxquels s’ajoutent les amendements Blum à leur texte (16 %).

27Le C3I obtient 41 % des mandats ; il dénonce des fraudes qui lui auraient coûté la victoire.

28La majorité longuettiste est cependant divisée sur la perception de l’Internationale communiste. Boris Souvarine en tire la conclusion que la droite et le centre du parti devraient probablement s’agglomérer au prochain congrès. Pour le C3I, tout l’enjeu est donc de convaincre les militants soucieux de régénérer le parti socialiste et solidaires de la révolution russe, mais qui restent attachés à l’unité du parti et ont encore des réserves sur l’IC, de les rejoindre.

L’échec des grèves du printemps 1920

29Au printemps 1920, la préparation du futur congrès de Tours, qui aura à trancher la question de l’adhésion du parti socialiste à la nouvelle Internationale, occupe certes les esprits des militants socialistes, mais la préoccupation du moment est d’abord celle des grèves.

  • 20Le Populaire, 10 mars 1920.
  • 21Le Journal de Roubaix, 11 mars 1920.

30Des grèves affectent d’abord les usines textiles du département du Nord avec 50 000 ouvriers et ouvrières en grève à Roubaix et Tourcoing20. Proche du patronat textile,Le Journal de Roubaix donne le chiffre de 32 000 grévistes sur 33 000 ouvriers à Roubaix, 25 000 grévistes à Tourcoing, 2 800 à Croix-Wasquehal, 2 500 à Wattrelos, 3 000 dans le canton de Lannoy et 600 à Halluin, près de la frontière belge21.

31Comme dans le Nord, ce sont des revendications relatives au coût de la vie qui expliquent l’entrée en grève des mineurs du Pas-de-Calais, et pas du tout une volonté d’agitation révolutionnaire, développeLe Populaire, qui tacle la presse bourgeoise,

  • 22Le Populaire, 9 mars 1920.

« toujours la première à prendre prétexte des mouvements ouvriers que la vie chère provoque pour servir à ses lecteurs les hypothèses sensationnelles (…) à propos du conflit qui vient d’éclater chez les mineurs du Pas-de-Calais. Elle en aperçoit la cause dans l’antagonisme entre le vieux syndicat et le syndicat Broutchoux. Elle accepte, les yeux fermés, les déclarations officielles suivant lesquelles la grève du Pas-de-Calais aurait un caractère révolutionnaire. (…) Il n’y a pour le moment rien de vrai dans ces prévisions et ces hypothèses. (…) La grève qui vient d’éclater dans le Pas-de-Calais (…) est purement locale. »22

  • 23l’Humanité, 11 mars 1920.

32L’insistance de la presse socialiste à mettre en avant le caractère local, et non révolutionnaire, d’une grève lancée contre la vie chère est une manière de la légitimer contre le discours des compagnies minières qui y voient une grève politique illégitime. Le 10 mars, on compte 50 000 mineurs en grève dans le Pas-de-Calais23 et la grève s’étend dans les concessions du département du Nord.

  • 24l’Humanité, 10 mars 1920.

33Les compagnies minières réagissent : « Tous les puits, tous les bâtiments des directions sont gardés par les troupes. Ce sont en majorité des artilleurs qui sont chargés de ces services24 ». Les compagnies minières font aussi appel à des travailleurs étrangers, notamment aux nombreux mineurs polonais arrivés dans la région, pour remplacer les grévistes.

  • 25Le Populaire, 23 mars 1920.

34Tandis que la grève se poursuit et que les syndicats de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais demandent à la fédération CGT du sous-sol d’organiser une grève nationale de 24 heures en appui à leur mouvement, des négociations ont lieu entre le ministre des Travaux publics Le Trocquer et une délégation de députés socialistes du bassin minier (Basly, Cadot, Maës, Georges Richard et le Douaisien Charles Goniaux). Ces négociations débouchent le 18 mars sur un arbitrage qui est soumis au vote des mineurs et rejeté par référendum à 80 %25. Les négociations sont désormais dans l’impasse et le gouvernement se montre inflexible.

  • 26l’Humanité, 1er avril 1920.

35Après plus de trois semaines de grève, le congrès des mineurs, réuni le 31 mars à Nœux-les-Mines, appelle à la reprise du travail au vu : « 1. Du début précaire de la grève ; 2. De l’arbitrage du 18 mars et des refus patronaux et gouvernementaux d’améliorer les conditions de cet arbitrage26 ». Les résultats du vote sont loin d’être unanimes, puisqu’il y a 123 mandats pour la reprise du travail, 68 contre et 3 abstentions. De fait, l’ordre du jour voté par le congrès des mineurs résonne comme un aveu de défaite.

36Cet appel à la reprise du travail dans les mines du Pas-de-Calais et du Nord marque la fin de la première phase du conflit. Épuisés par trois semaines de grève, les mineurs du Pas-de-Calais reprennent cependant le mouvement au début du mois de mai, dans des conditions qui sont très différentes. C’est que, cette fois, la grève n’est plus une grève sectorielle, contre la vie chère et pour obtenir des augmentations de salaire, mais se veut générale. Elle est lancée nationalement à partir du 1er mai par la CGT, qui appelle toutes les professions à se mettre en grève par vagues, en soutien à la grève des cheminots. En réalité, la direction nationale de la CGT, malgré son scepticisme et son hostilité aux minoritaires révolutionnaires qui viennent de gagner la majorité au sein de la fédération des cheminots, se sent tenue d’apporter son soutien au mouvement de grève lancé par les cheminots.

  • 27l’Humanité, 6 mai 1920.

37Alors que les mineurs des autres régions se lancent dans l’action le 3 mai, le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais adresse àL’Humanité un communiqué27, tout sauf enthousiaste, qui laisse peu de doute sur le scepticisme du syndicat face à un mouvement de grève imposé par les instances fédérales et confédérales à coups de lettres et de télégrammes, en solidarité avec les cheminots, au moment même où les cheminots du réseau du Nord appellent à la reprise du travail.

  • 28L’Égalité de Roubaix-Tourcoing, 15 mai 1920.
  • 29Le Populaire, 16 mai 1920.

38Le 14 mai, 3 000 ouvriers sont réunis place Loubet à Hénin-Liétard pour écouter Henri Leclercq, le conseiller général du canton de Carvin et conseiller municipal socialiste d’Hénin-Liétard. Les ouvriers votent la continuation de la grève. À Isbergues, ce sont 1 200 métallurgistes qui sont rassemblés place du Marché à l’appel de la CGT28. Pourtant, malgré les meetings et les manifestations, le nombre de grévistes décroît. Le 15 mai, le conseil d’administration du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais appelle à poursuivre un « mouvement qui assurera les libertés syndicales29 ».

  • 30Le Journal de Roubaix, 16 mai 1920.
  • 31Le Populaire, 19 mai 1920.

39À Burbure, dans le Béthunois, le gréviste Triquet est tué par un non-gréviste affolé30. Ses funérailles ont lieu le 17 mai, devant une foule de 20 000 personnes, en présence du député socialiste Georges Richard et du secrétaire général du syndicat des mineurs Henri Mailly, qui prononcent chacun un discours d’hommage31.

  • 32L’Égalité de Roubaix-Tourcoing, 19 mai 1920.

40Dans le bassin minier, la grève se poursuit cependant avec un meeting organisé à Lens le 18 mai, salle du Cinéma, présidé par Basly. Il rassemble 2 000 personnes, qui défilent en cortège dans les rues de Lens32. En réalité, devant la répression gouvernementale, les arrestations et les milliers de révocations de cheminots, Léon Jouhaux et la direction nationale de la CGT sont décidés à arrêter la grève. Le comité national de la CGT se réunit du 19 au 21 mai et appelle à la reprise du travail par 96 voix pour, 11 contre et 15 abstentions.

  • 33l’Humanité, 26 juin 1920.

41L’échec de la grève a pour conséquence d’approfondir les fractures existantes à la CGT, majorité confédérale et minorité révolutionnaire se renvoyant l’une l’autre la responsabilité de la défaite. Ainsi, au congrès des mineurs de Saint-Étienne, Casimir Bartuel, secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs du sous-sol de la CGT, se désole de l’attitude de l’ancienne direction fédérale réformiste des cheminots, qui a tout fait pour freiner la grève lancée par la nouvelle direction fédérale révolutionnaire, notamment sur les réseaux du Nord et de l’Est, au lieu de s’associer à la grève des mineurs. Pour Bartuel, ce sabotage dû aux rancœurs particulières, en l’espèce celles de la tendance réformiste envers la tendance révolutionnaire, « explique l’attitude prise par les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais, sortant d’une grève de cinq semaines et obligés d’obéir à l’ordre confédéral, alors que dans leur région les cheminots ne l’exécutaient pas33 ».

  • 34l’Humanité, 21 mai 1920.

42Pour la CGT, les conséquences de l’échec des grèves du printemps 1920 sont immédiates : on assiste à un net reflux des adhérents sur fond de règlement de comptes entre minoritaires et majoritaires, un règlement de comptes qui déborde dans la SFIO. La commission administrative permanente du parti socialiste est ainsi obligée de rappeler que les exclusions doivent respecter une procédure de contrôle et que les statuts du parti ne permettent pas d’exclure un adhérent pour cause de non-participation à la grève,a fortiori s’il n’a pas été sanctionné dans son propre syndicat34. Ce rappel aux statuts de la SFIO témoigne du durcissement du débat interne au parti socialiste dans la perspective du congrès de Tours qui se profile.

Vers le congrès de Tours

43Au lendemain du congrès de Strasbourg, les militants du C3I mènent, dans le Pas-de-Calais comme partout en France, une intense campagne pour l’adhésion à la Troisième Internationale. Leurs dirigeants, à l’image de l’Héninois René Froissart, dénoncent la trahison des délégués envoyés par la fédération au congrès de Strasbourg, qui n’ont pas respecté leurs mandats.

44Maurice Thorez se souvient :

  • 35 Maurice Thorez,op. cit., p. 38-39.

« Au congrès de Strasbourg, sur 497 mandats attribués au Pas-de-Calais, 362 se prononcèrent contre la 2e Internationale et 117 pour. Finalement, la représentation du Pas-de-Calais se scinda en deux : une partie (232 voix) pour la reconstruction (tendance centriste représentée par Longuet), l’autre partie (247 voix) pour la reconstruction avec amendement Blum (tendance de droite). Des politiciens peu scrupuleux étaient parvenus à escamoter nos mandats en faveur de la 3e Internationale. »35

  • 36 Compte rendu sténographique du congrès de Strasbourg, p. 18 à 23.

45Le compte-rendu sténographique du congrès de Strasbourg confirme les propos de Thorez : la fédération du Pas-de-Calais dispose en fait de 479 mandats. 32 mandats se portent sur une motion de la droite du parti demandant l’exclusion des dissidents. Sur la question du maintien ou du retrait de la SFIO dans la 2e Internationale, 362 mandats du Pas-de-Calais soutiennent la motion de la fédération du Nord pour le retrait de la 2e Internationale et 117 mandats se portent sur le texte demandant le maintien du parti dans l’Internationale. Les membres de la délégation fédérale ont donc respecté leur mandat sur ce point. En revanche, comme le leur reproche Thorez, les délégués du Pas-de-Calais n’ont pas voté pour l’adhésion à la 3e Internationale, alors que les partisans de l’adhésion à la 3e Internationale avaient obtenu 48 % des voix lors du congrès fédéral de Béthune. 232 mandats se sont portés sur le texte des reconstructeurs longuettistes et 247 sur le texte des reconstructeurs assorti d’un amendement de Léon Blum36. Aucun des délégués mandatés par la fédération au congrès national de Strasbourg n’a voté pour la 3e Internationale.

  • 37 Archives départementales du Pas-de-Calais, M5505-28, rapport du commissaire de police d’Hénin-Liéta(...)

46Les militants de l’aile gauche du parti socialiste se sentent trahis. L’attitude de Georges Havenne, le conseiller général longuettiste de Norrent-Fontes, est dénoncée par les militants du C3I. Ils le disent lors d’une réunion publique qui se tient le 8 avril 1920 à Hénin-Liétard et rassemble 500 personnes en présence d’Antonio Coen, orateur national du C3I venu en tournée dans le Pas-de-Calais à l’invitation de René Froissart. Chargé d’apporter la contradiction au nom de la tendance longuettiste, le député Georges Richard, qui avait pris la défense d’Havenne, est conspué par l’assistance37.

47Au-delà de la question du vote de Havenne au congrès de Strasbourg, c’est bien la question de l’adhésion à la 3e Internationale qui est au centre des débats et Georges Richard dresse un véritable réquisitoire contre le jeune régime soviétique :

« Nous ne sommes pas en Russie, nous ignorons ce qu’il s’y passe ; (…) vos théories sont inapplicables en France. Nous ne voulons pas copier un régime instauré par un peuple qui comprend 95 % d’illettrés. La révolution viendra, nos syndicats y sont préparés, mais nous ne voulons prendre exemple sur une révolution faite dans le sang. »

48Hué par une partie de la salle, le discours de Georges Richard est sans effet sur l’auditoire présent à la réunion publique d’Hénin-Liétard, largement acquis à la cause bolchevique et au C3I, comme le souligne le commissaire de police, évoquant les militants remplissant des coupons d’abonnement auBulletin communiste à la fin du meeting et l’enthousiasme des jeunes socialistes qui « vont faire une propagande en faveur des soviets et il est à craindre qu’ils fassent des adeptes ».

  • 38Le Communiste du Pas-de-Calais, 6 mars 1921.

49Si Havenne et Richard sont particulièrement conspués par les militants du C3I, c’est peut-être, justement, parce que ces derniers n’attendaient rien de l’aile droite du parti, mais qu’ils ont cru que les longuettistes du Pas-de-Calais les rejoindraient. Havenne, on l’a vu, était un ancien broutchoutiste, situé à l’aile gauche du parti socialiste et du syndicat en 1918, à l’initiative de la grève des mineurs de Marles dès le mois de novembre 1918. Quant à Georges Richard, qui fait partie des nouveaux députés élus en 1919, une partie des socialistes du Pas-de-Calais ont pu voir en lui le porte-parole de l’aile gauche du parti38.

  • 39 François Ferrette,op. cit., p. 179-180.

50En tous les cas, c’est la rupture entre le C3I et les reconstructeurs longuettistes du département. La tournée d’Antonio Coen dans le Pas-de-Calais donne un coup d’accélérateur à l’organisation des partisans du Comité de la Troisième Internationale. Dans un tract diffusé en avril 1920 après la réunion d’Hénin-Liétard, René Froissart s’insurge contre le détournement des mandats et appelle les partisans du C3I à s’associer à un recours intenté par leur tendance auprès de la fédération39.

51Revenus de Russie le 29 juillet, le secrétaire général de la SFIO, le reconstructeur Ludovic-Oscar Frossard et le député et directeur del’Humanité, Marcel Cachin, se lancent dans une tournée de propagande en faveur de l’adhésion à la 3e Internationale.

  • 40 Archives départementales du Pas-de-Calais, M2372, rapport du commissaire spécial de Lens, 13 août 1(...)
  • 41 Marcel Cachin,Carnets, tome 2, 1917-1920, CNRS Éditions, 1993.

52Dans le Pas-de-Calais, les commémorations de la mort de Jaurès sont l’occasion pour les militants du C3I de se poser en héritiers de Jaurès. Le 12 août, Marcel Cachin est présent à Montigny-en-Gohelle pour l’inauguration d’un buste de Jaurès40. Le rapport du commissaire de police témoigne de l’ambiance tendue entre partisans et adversaires de la 3Internationale. On y mentionne l’absence de René Froissart, alors qu’il avait été « annoncé comme devant accompagner le député Cachin ». L’absence de Froissart est probablement significative de la difficulté, pour un animateur du C3I aussi investi que lui, de se ranger derrière un ex-majoritaire de guerre comme Cachin, désormais intronisé depuis son voyage à Moscou comme figure de proue de la tendance favorable à l’adhésion à la Troisième Internationale. Mais il est difficile de l’affirmer avec certitude et Marcel Cachin n’en parle pas dans sesCarnets41. Le rapport de police souligne en tout cas que Cachin fut très applaudi, mais ajoute que :

  • 42 Archives départementales du Pas-de-Calais, M2372, rapport du commissaire spécial de Lens, 13 août 1(...)

« Les partisans de la 3e Internationale et de la 2e furent sur le point de se livrer à un pugilat et (…) Ferrand fut obligé d’abréger son discours et quitta la tribune. (…) C’est au milieu de cris, de vociférations, d’échange d’épithètes injurieuses au milieu desquels les mots "renégat", "vendu à la réaction" revinrent souvent que le président essaya vainement de lire l’ordre du jour dont il ne put prononcer que les premiers mots. »42

  • 43 Archives départementales du Pas-de-Calais, M2372, rapport du commissaire spécial d’Arras, 13 septem(...)

53En septembre, Cachin est de retour dans le Pas-de-Calais aux côtés de Frossard pour une tournée de propagande. On les retrouve à Nœux-les-Mines où l’ex-broutchoutiste Georges Dumoulin, devenu secrétaire général adjoint de la CGT, Raoul Evrard et Georges Havenne leur apportent la contradiction. Le commissaire de police note que « le fond de leur discours, ainsi que celui de M. Dumoulin, a une tendance franchement hostile à la 3e Internationale. À diverses reprises, quelques militants extrémistes ont fait une certaine obstruction à ces trois orateurs43 ».

  • 44l’Humanité, 22 octobre 1920.
  • 45 André Labouyrie,L’Agglomération de Boulogne-sur-Mer et le Parti communiste français (1921-1939), M(...)

54Paul Vaillant-Couturier peut se féliciter du résultat de la tournée de Cachin et Frossard, qui ébranle de nombreuses fédérations qui n’étaient pas encore acquises à la Troisième Internationale, comme : « le Nord où le trouble est grand ; le Pas-de-Calais où depuis le passage de Cachin il est plus grand encore44 ». Sur le littoral, la section socialiste de Boulogne, emmenée par Arthur Baly, est acquise à l’adhésion à la Troisième Internationale. Le 26 septembre, la Jeunesse socialiste boulonnaise annonce ainsi dansLe Réveil de Boulogne la formation d’un groupe favorable à l’adhésion45.

  • 46l’Humanité, 23 octobre 1920.

55En octobre, c’est Paul Vaillant-Couturier qui se rend à son tour dans le Pas-de-Calais46, dont la fédération constitue un réservoir de voix à conquérir d’une importance stratégique pour les militants du Comité de la Troisième Internationale.

  • 47 Archives départementales du Pas-de-Calais, M2372, rapport du commissaire spécial de Lens au préfet(...)
  • 48l’Humanité, 26 octobre 1920.

56Le 24 octobre, une réunion contradictoire est organisée à Lens en présence de 600 délégués des sections du Pas-de-Calais47. C’est Frossard qui défend l’adhésion à l’Internationale communiste face à Barthélémy Mayéras, ex-député de la Seine et collaborateur duPopulaire, qui s’est rapproché de Blum et milite contre l’adhésion à l’IC : « À l’issue de cette réunion qui n’a pas duré moins de six heures, la grosse majorité de l’assistance (…) s’est prononcée par ses acclamations pour la 3e Internationale48 ».

  • 49l’Humanité, 3 novembre 1920.

57Le texte de la motion d’adhésion à la 3e Internationale soumis au vote des adhérents paraît dansl’Humanité du 3 novembre 1920. Pour le Pas-de-Calais, on retrouve les noms des deux Héninois René Froissart et Louis Fourment, du C3I, parmi les premiers signataires49.

  • 50Le Populaire, 21 décembre 1920.

58Porté par la volonté d’une grande partie de la base socialiste de transformer et de régénérer leur organisation et par le dynamisme de la campagne interne des partisans du C3I, le vote pour la motion « Cachin-Frossard » l’emporte dans le Pas-de-Calais : « Les résultats du référendum organisé au sujet de l’adhésion à la 3e Internationale ont donné 3 065 voix à la motion Cachin, 1 650 à la motion Longuet, 707 à la motion Blum. Au congrès de Tours, la motion Cachin aura 267 mandats, la motion Longuet 145 et la motion Blum 6750 ».

  • 51 Jean-Louis Robert, « Éléments sur la scission dans la France du Nord », dansCent ans de socialisme(...)

59Ces résultats cachent cependant des disparités géographiques : comme le souligne Jean-Louis Robert, on ne dispose du détail des votes que pour une vingtaine de sections, pour la plupart du bassin minier. Le vote pour l’adhésion y est en moyenne de 68 % ; comme la moyenne départementale est de 55 % des voix en faveur de l’adhésion à la 3e Internationale, cela signifie que dans les sections rurales les militants ont plutôt voté contre l’adhésion51 et c’est d’ailleurs ce qu’explique Raoul Evrard, lors de la première journée de débat à la tribune du congrès de Tours :

  • 52 Compte rendu sténographique du Congrès de Tours, p. 71.

« On a dit ici que les sections paysannes en tenaient surtout pour la 3e Internationale. C’est peut-être possible dans d’autres départements, mais pas dans le Pas-de-Calais. Nos sections qui sont toutes des sections paysannes et la majorité des sections qui bordent le bassin houiller – ces dernières sections composées à la fois de paysans et de mineurs – ont donné la plupart la majorité à la motion Longuet ou à la motion Blum. »52

60Les partisans de l’adhésion à la 3e Internationale l’ont emporté contre la direction fédérale composée d’ex-majoritaires de guerre comme Basly et de longuettistes comme Havenne et Richard. La nécessité de maintenir l’unité du parti avait été le principal argument mis en avant par la direction fédérale de la SFIO du Pas-de-Calais.

61Dans son intervention à Tours, Raoul Evrard y revient :

  • 53l’Humanité, 26 décembre 1920.

« Dans le Pas-de-Calais, expose Raoul Evrard, on a procédé à un référendum auquel ont pris part 5 500 adhérents sur 14 000 inscrits. 3 000 voix environ sont allées à la motion Cachin-Frossard, 1 600 à la motion Longuet, 88 à la motion Blum, mais toutes les tendances ayant la volonté de maintenir l’unité sur les bases de 1905. »53

62Ces propos rassembleurs nous apprennent d’abord que moins de la moitié des adhérents du Pas-de-Calais ont participé au vote du congrès. Ces propos résonnent cependant comme un vœu pieux et sont manifestement en contradiction avec la volonté d’épuration d’une partie des partisans de la nouvelle Internationale comme avec la volonté de scission de l’aile droite. En décembre 1920, était-il encore possible de maintenir l’unité socialiste ? Après l’échec des grèves du printemps 1920, lors desquelles les députés socialistes à la tête du syndicat des mineurs avaient appelé à la reprise du travail, Evrard, Basly, Cadot, Maës et leurs amis sont taxés de réformisme et d’opportunisme quand ils ne sont pas qualifiés de « renégats vendus à la réaction ». La violence du vocabulaire dit assez l’impossibilité de cohabiter dans le même parti après le congrès de Tours. Mais les propos d’Evrard sont aussi en contradiction avec l’attitude de l’aile droite du parti qui se sait minoritaire et s’organise pour préparer la scission d’après-congrès, ce dont Léon Blum ne se cache pas, rejetant la faute de la scission sur le sectarisme des dirigeants du C3I. De fait, si formellement l’initiative de la scission vient de la droite de la SFIO, qui se concerte avec l’aile droite des reconstructeurs pour refonder une SFIO maintenue, le télégramme de Zinoviev attaquant nommément Jean Longuet et Paul Faure a incontestablement précipité la scission. Pour Julien Chuzeville, il s’agissait pour Zinoviev de « forcer la main » à Cachin, Frossard et aux ex-reconstructeurs comme Daniel Renoult, qui plaidaient pour la non-application des exclusions des centristes s’ils acceptaient les décisions, thèses et conditions de l’IC :

  • 54 Après l’échec du congrès socialiste international de Genève en juillet 1920, la SFIO et plusieurs a(...)
  • 55 Julien Chuzeville,Un court moment révolutionnaire. La création du Parti communiste en France (1915(...)

« Longuet et Faure étaient les deux délégués de la France à la conférence préparatoire de l’Internationale deux et demie tenue à Berne début décembre54 : aux yeux des dirigeants bolcheviques, ils étaient donc coupables d’avoir pris part à une réunion de constitution d’une Internationale rivale. »55

  • 56 Compte rendu sténographique du Congrès de Tours, p. 23 et 24.

63Les délégués de la fédération socialiste du Pas-de-Calais au congrès de Tours se divisent d’ailleurs sur la réponse à apporter au télégramme de Zinoviev. Sur les 479 mandats dont dispose la fédération, 212 mandats se portent sur la motion présentée le 30 décembre par Paul Mistral, rejetant les exclusions demandées par Zinoviev au nom de l’unité du parti, et 267 se portent sur la motion opposée de Daniel Renoult56.

64La motion Mistral sur le refus de s'engager dans la voie des exclusions réclamées par Zinoviev est repoussée par 3 247 voix contre 1 398. Les minoritaires quittent alors le congrès avant son achèvement, laissant la salle à la majorité communiste.

  • 57 Serge Berstein,Léon Blum, Paris, Fayard, 2006.

65Nourrie par l’héritage du guesdisme et du broutchoutisme, la volonté de régénérer le socialisme se conjugue à l’enthousiasme de nombreux militants pour la révolution d’Octobre : « le rejet viscéral de l’ancien monde57 » cible de plein fouet les dirigeants socialistes du Pas-de-Calais, ex-majoritaires de guerre, qui sont aussi les dirigeants du syndicat des mineurs et qui font figure, en 1920, de notables réformistes. L’échec de la grève du printemps 1920 disqualifie les chefs socialistes. C’est sans eux et contre eux que se constitue le Parti communiste du Pas-de-Calais.

66Le nouveau parti, qui ne compte déjà plus que 6 000 adhérents dans le Pas-de-Calais fin 1921 contre 14 000 avant le congrès de Tours, voit alors fondre ses effectifs au gré des scissions et des retours à la « vieille maison » SFIO, qui a conservé l’essentiel des municipalités. En 1923, quand le jeune Maurice Thorez accède au poste de secrétaire de la fédération, le PCF du Pas-de-Calais n’a plus que 2 000 adhérents, mais dispose d’une influence électorale réelle dans un certain nombre de territoires ; ce paradoxe nécessitera une étude plus détaillée du « communisme municipal » dans toutes ses dimensions.

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Notes

1 Benoît Broutchoux (1879-1944), militant mineur anarcho-syndicaliste du bassin minier du Pas-de-Calais, est le principal dirigeant du « jeune syndicat » des mineurs affilié à la CGT, qui défend une ligne syndicaliste révolutionnaire et antimilitariste. Impliqué dans la grève qui suit la catastrophe de Courrières en 1906, Broutchoux et ses partisans, qualifiés de « broutchoutistes », s’opposent au syndicat majoritaire, le « vieux syndicat » dont plusieurs des dirigeants sont devenus maires ou députés à la veille de la Première Guerre mondiale.

2 Jacques Julliard, « Jeune et Vieux Syndicat chez les mineurs du Pas-de-Calais », dansLe Mouvement social, n° 47, avril-juin 1964, p. 7-30.

3l’Humanité, 8 mars 1918.

4l’Humanité, 21 juillet 1918.

5 Roger Martelli,Prendre sa carte, 1920-2009, données nouvelles sur les effectifs du PCF, Paris, Fondation Gabriel Péri, 2010.

6l’Humanité, 8 septembre 1918.

7l’Humanité, 11 juillet 1919.

8 Annie Kriegel,Aux origines du communisme français, 1914-1920, Paris, Flammarion, collection « Science de l’histoire », 1969, p. 20.

9 Pierre Richir,Le Populaire, 23 mars 1919.

10l’Humanité, 20 avril 1919.

11Le Populaire, 20 avril 1919.

12Le Populaire, 20 avril 1919.

13 Voir sa biographie dans leDictionnaire biographique du mouvement ouvrier français : <http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article87328>, notice HAVENNE Georges, par Yves Le Maner, version mise en ligne le 5 avril 2010, dernière modification le 5 avril 2010.

14l’Humanité, 24 avril 1919.

15 Vincent Chambarlhac, « Les majoritaires de guerre dans l’après-coup d’un regard », dans « Histoire documentaire du communisme », Jean Vigreux et Romain Ducoulombier (dir.),Territoires contemporains, nouvelle série [en ligne], 3 mars 2017, n° 7, disponible sur : <http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html>.

16Le Populaire, 19 février 1920.

17 François Ferrette,Le Comité de la 3e Internationale et les débuts du PC français (1919-1936), mémoire de maîtrise, université de Paris I, 2005.

18 Maurice Thorez,Fils du peuple, Paris, Éditions sociales, 1949, p. 38.

19Le Populaire, 19 février 1920.

20Le Populaire, 10 mars 1920.

21Le Journal de Roubaix, 11 mars 1920.

22Le Populaire, 9 mars 1920.

23l’Humanité, 11 mars 1920.

24l’Humanité, 10 mars 1920.

25Le Populaire, 23 mars 1920.

26l’Humanité, 1er avril 1920.

27l’Humanité, 6 mai 1920.

28L’Égalité de Roubaix-Tourcoing, 15 mai 1920.

29Le Populaire, 16 mai 1920.

30Le Journal de Roubaix, 16 mai 1920.

31Le Populaire, 19 mai 1920.

32L’Égalité de Roubaix-Tourcoing, 19 mai 1920.

33l’Humanité, 26 juin 1920.

34l’Humanité, 21 mai 1920.

35 Maurice Thorez,op. cit., p. 38-39.

36 Compte rendu sténographique du congrès de Strasbourg, p. 18 à 23.

37 Archives départementales du Pas-de-Calais, M5505-28, rapport du commissaire de police d’Hénin-Liétard au sous-préfet de Béthune.

38Le Communiste du Pas-de-Calais, 6 mars 1921.

39 François Ferrette,op. cit., p. 179-180.

40 Archives départementales du Pas-de-Calais, M2372, rapport du commissaire spécial de Lens, 13 août 1920.

41 Marcel Cachin,Carnets, tome 2, 1917-1920, CNRS Éditions, 1993.

42 Archives départementales du Pas-de-Calais, M2372, rapport du commissaire spécial de Lens, 13 août 1920.

43 Archives départementales du Pas-de-Calais, M2372, rapport du commissaire spécial d’Arras, 13 septembre 1920.

44l’Humanité, 22 octobre 1920.

45 André Labouyrie,L’Agglomération de Boulogne-sur-Mer et le Parti communiste français (1921-1939), Mérignac, 2011, p. 35.

46l’Humanité, 23 octobre 1920.

47 Archives départementales du Pas-de-Calais, M2372, rapport du commissaire spécial de Lens au préfet du Pas-de-Calais, 15 septembre 1920.

48l’Humanité, 26 octobre 1920.

49l’Humanité, 3 novembre 1920.

50Le Populaire, 21 décembre 1920.

51 Jean-Louis Robert, « Éléments sur la scission dans la France du Nord », dansCent ans de socialisme septentrional [en ligne], Lille, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 1995, disponible sur : <https://books.openedition.org/irhis/1419>.

52 Compte rendu sténographique du Congrès de Tours, p. 71.

53l’Humanité, 26 décembre 1920.

54 Après l’échec du congrès socialiste international de Genève en juillet 1920, la SFIO et plusieurs autres partis socialistes, dont les socialistes indépendants de l’USPD en Allemagne, décident de créer une nouvelle Internationale rassemblant des partis socialistes qui avaient quitté la Deuxième Internationale mais qui refusaient de rejoindre l'Internationale communiste : c’est l’Union des partis socialistes pour l’action internationale, fondée à Vienne en février 1921 et parfois surnommée « Internationale Deux et demi ».

55 Julien Chuzeville,Un court moment révolutionnaire. La création du Parti communiste en France (1915-1924), Paris, Éditions Libertalia, 2017, p. 227.

56 Compte rendu sténographique du Congrès de Tours, p. 23 et 24.

57 Serge Berstein,Léon Blum, Paris, Fayard, 2006.

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Table des illustrations

LégendeLes effectifs de la fédération du Pas-de-Calais de la SFIO
URLhttp://journals.openedition.org/chrhc/docannexe/image/14097/img-1.png
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Pour citer cet article

Référence papier

DavidNoël,« La crise de la SFIO et la naissance du Parti communiste dans le Pas-de-Calais (1918-1920) »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 145 | 2020, 103-120.

Référence électronique

DavidNoël,« La crise de la SFIO et la naissance du Parti communiste dans le Pas-de-Calais (1918-1920) »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 145 | 2020, mis en ligne le01 août 2020, consulté le31 mai 2025.URL : http://journals.openedition.org/chrhc/14097 ;DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.14097

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Auteur

DavidNoël

Doctorant en histoire contemporaine, Laboratoire interdisciplinaire de recherche « Société, sensibilités, soin », UMR 7366, Université de Bourgogne

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